De
feu d’acier de sang (Rappelle-toi Barbara, Prévert)
Souvent, je l’imagine, ma maman. Le visage défiguré par la terreur, les mains agrippées à celles de sa propre mère tentant sans doute de faire un rempart de son corps à ceux de ses quatre enfants, dans le vacarme assourdissant des bombardements. Encore aujourd’hui, ma mère tressaille en entendant un avion survoler l’azur de son petit paradis tarnais. Elle est pourtant bien loin de sa Rhénanie natale, et bien de l’eau a coulé dans le Rhin depuis ces années où, petite fille aux nattes blondes et aux yeux si clairs, elle espérait le retour de son père parti sur le front russe en tremblant sous les bombes des Alliés, son ventre criant famine quand elle cherchait des épluchures de pommes de terre pour les dévorer.
Ma mère, Gesche, et son jeune frère, mon oncle Peter
Mon père, lui, n’a de la guerre presque que des souvenirs joyeux. Ils n’étaient pas bien malheureux, son grand-frère et lui, dans le petit village de la campagne tarnaise depuis lequel mon grand-père français aidait les Maquisards, cachant des armes sous les tuiles et continuant sans doute à déguster les cochonnailles préparées par ma grand-mère
J’ai grandi entre les récits de ces deux enfances si différentes, écartelée parfois dans ma propre mémoire, tandis qu’à l’école des petites pestes écervelées de mon école de filles me surnommaient « Hitler », quand les métissages n’étaient pas encore à la mode et que les familles respectives de nos parents, de nos courageux parents, apprenaient à se connaître et à dépasser les brûlures de l’Histoire.
Point n’est besoin d’avoir épluché les ouvrages de psycho généalogie pour comprendre que deux sangs différents couleront toujours dans mes veines, et que je suis l’humble produit d’une fabuleuse réconciliation. Toujours retentiront en moi les sirènes qui épouvantaient ma mère, mais aussi les clameurs d’allégresse de la libération de Toulouse. Et je porte encore les griffures des petits doigts des millions d’enfants sacrifiés dans les chambres à gaz, l’empreinte de la Shoah s’étant inscrite dans ma culpabilité d’enfant de la troisième génération comme un tatouage au bras d’un prisonnier…
Je sens aussi le froid
mordant de l’Ukraine bleuir les lèvres de ce grand-père allemand que j’ai chéri
plus que tout au monde. Et j’entends d’autre part aux vacances la voix claire
encore de mon oncle français me rapporter les récits de la fin de la guerre…
Alors quand des élèves soupirent en m’entendant leur demander ce que l’Europe signifie pour eux, quand certains ne savent pas qu’il y a eu une autre guerre sur notre continent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, quand je les sens indifférents aux mots paix, mémoire, patrie, réconciliation, Europe, mon sang mêlé ne fait qu’un tour. Car cette année, à Toulouse, au lendemain de ce 8 mai où le monde entier commémore de concert la fin des années de barbarie et de violences, nous inaugurerons le 9 mai, journée de l’Europe, cette semaine de l’Europe qui fêtera les 65 ans (**voir note)de la déclaration de Robert Schuman. Et il me semble capital de sensibiliser les jeunes à l’importance de notre Union Européenne, symbole du pouvoir de la Paix. Je ne veux pas aujourd’hui polémiquer autour de la crise, de la dette grecque, de la pseudo nouvelle hégémonie de l’Allemagne, d’éventuelles sorties de l’Euro. Je tairai les innombrables critiques des eurosceptiques et des empêcheurs de construire en rond, et puis les phrases perfides de ceux qui, encore aujourd’hui, me disent parfois que « dans le sud-ouest, il est encore difficile de pardonner, c’est pour cela que l’allemand est en perte de vitesse… »
Non, je voudrais m’incliner devant ceux qui ont su, malgré les outrages et les horreurs, redonner du sens à la fraternité et au pardon, osant faire du paysage dévasté de nos contrées européennes un nouveau tableau de prospérité et de partages.
La noce, 9 août 1959: à la petite chapelle de Saint-Hippolyte, dans le Tarn.
Je voudrais remercier mes quatre grands-parents d’avoir osé se réunir à la table d’un mariage en août 1959, quelques années à peine après que la botte de l’occupant nazi a dévasté notre pays, pour festoyer ensemble malgré les millions de victimes, pour s’assoir ensemble sur les bancs d’une petite chapelle et dans un hôtel de ville, osant ainsi faire partie des pionniers de l’esprit européen. Mon grand-père allemand dans son hameau tarnais ; et une tablée familiale avec mes grands-parents français…
Pique-nique européen dans les sixties: mes deux-grands-pères, l’allemand, Erich, avec le béret, et Albert, mon père et, de dos, mon oncle Peter
Je voudrais remercier nos parents qui nous ont élevés avec bon sens et respect des traditions, nous permettant de grandir dans la richesse de deux cultures, dans le bilinguisme et l’ouverture d’esprit, entre foie gras et pâtisseries allemandes, entre Goethe et Hugo, nous prouvant chaque jour que leur choix avait été le bon, puisque leur couple a lui aussi résisté à l’usure du temps, comme le couple franco-allemand, toujours et encore « le moteur de l’Europe ». Ainsi je me sens Tarnaise, Toulousaine, française, mais aussi Rhénane, allemande, et, encore et toujours, européenne.
Dans le jardin de mes grands-parents allemands à Duisbourg
J’ai l’Europe chevillée au corps et au cœur, de l’Hymne à la joie au jingle de l’Eurovision, des discours de Schuman aux libertés de l’espace Schengen, petite occitane rêveuse et blondinette en « Dirndl », et, surtout, avec la certitude que la paix durable n’est le fruit que des combats, de ces combats des Grands qui signent les traités et prononcent les discours, mais aussi de ces millions de combats quotidiens des humbles qui osent la fraternisation et qui se retroussent les manches pour que plus jamais ne retentisse l’alarme.
Faites
que jamais ne revienne
Le
temps du sang et de la haine
Car
il y a des gens que j’aime
A Göttingen, à Göttingen.
Je m’incline ainsi ici
devant ces milliers de collègues qui, de part et d’autre du Rhin, ont organisé
tant d’échanges scolaires bien avant les superbes organisations actuelles et
qui, depuis des décennies, ont permis aux enfants de nos deux pays de découvrir
le pays de l’Autre !
Vive la paix, vive l’Europe, et vive le couple franco-allemand !
Curriculum vitae…
Rhénane :
Pour
les étés de mon enfance
Bercés
par une Lorelei
Parce
que née de forêts sombres
Et
bordée par les frères Grimm
Je
me sens Romy et Marlène
Et
n’oublierai jamais la neige
Rémoise :
Pour
un froid matin de janvier
Parce
que l’Ange au sourire
A
veillé sur ma naissance
Pour
mille bulles de bonheur
Et
par les vitraux de Chagall
Je
pétille toujours en Champagne
Carolopolitaine :
Pour
cinq années en cœur d’Ardennes
Et
mes premiers pas en forêt
Pour
Arthur et pour Verlaine
Et
les arcades en Place Ducale
Rimbaud
mon père en émotion
M’illumine
en éternité
Albigeoise :
Pour
le vaisseau de briques rouges
Qui
grimpe à l’assaut du ciel bleu
Pour
les démons d’un peintre fol
Et
ses débauches en Moulin Rouge
Enfance
tendre en bord de Tarn
D’une
inaliénable Aliénor
Tarnaise :
Pour
tous mes aïeuls hérétiques
Sidobre
et chaos granitiques
Parce
que Jaurès et Lapeyrouse
Alliance
des pastels et des ors
Arc-en-ciel
farouche de l’Autan
Montagne
Noire ma promesse
Occitane :
De
Montségur en Pays Basque
De
la Dordogne en aube d’Espagne
Piments
d’Espelette ou garigues
De
d’Artagnan au Roi Henri
Le
bonheur est dans tous les prés
De
ma Gascogne ensoleillée
Toulousaine :
Pour
les millions de toits roses
Et
pour l’eau verte du canal
Sœur
de Claude et d’Esclarmonde
Le
Capitole me magnétise
Il
m’est ancre et Terre promise
Garonne
me porte en océan
Bruxelloise :
Pour
deux années en terre de Flandres
Grâce
à la Wallonie que j’aime
Parce
que Béguinage et Meuse
Pour
Bleus de Delft et mer d’Ostende
En
ma Grand Place illuminée
Belgique
est ma troisième patrie
Européenne :
Pour
Voltaire Goethe et Schiller
Pour
oublier tous les charniers
Les
enfants blonds de Göttingen
Me
sourient malgré les martyrs
Je
suis née presqu’en outre-Rhin
Lili
Marleen et Marianne
Universelle :
Pour
les mots qui me portent aux frères
Par
la poésie qui libère
Parce
que j’aime la vie et la terre
Et
que jamais ne désespère
Pour
parler toutes les langues
Et vous donner d’universel.
Mon grand-père allemand au hameau de la Provinquière, là où il avait acheté une maison non loin de celle de mes grands-parents français
Pour aller plus loin dans le récit binational, cette fresque dans les deux langues au gré de mes blogs, et vous excuserez l’absence des photos, elles sont souvent disparu lors de la fermeture par Le Monde de tous les blogs-lecteurs…
Quelques ombres déjà passent, furtives, derrière les persiennes. L’air est chargé du parfum des tilleuls, les oiseaux font du parc Monceau l’antichambre du paradis ; l’aube va poindre et ils la colorent de mille chants…
Devant moi, sur le lit, la boîte cabossée déborde ; depuis minuit, fébrile, je m’y promène pour m’y ancrer avant mon envol… Je parcours tendrement les pages jaunies, je croise les regards malicieux et dignes, j’entends les voix chères qui se sont tues depuis si longtemps…
Je me souviens.
Des sourires moqueurs de mes camarades quand j’arrivais en classe, vêtue de tenues démodées, parfois un peu reprisées, mais toujours propres.
Des repas à la cantine, quand tous les élèves, en ces années où l’on ne parlait pas encore de laïcité et d’autres cultures, se moquaient de moi parce que je ne mangeais pas le jambon ou les rôtis de porc.
Je me souviens.
Des sombres coursives de notre HLM avec vue sur « la plage ». C’est ainsi que maman, toujours si drôle, avait surnommé le parking dont des voitures elle faisait des navires et où les trois arbres jaunis devenaient des parasols. Au loin, le lac de la Reynerie miroitait comme la mer brillante de notre Alger natale. Maman chantait toujours, et papa souriait.
Je me souviens.
De ces années où il rentrait fourbu des chantiers à l’autre bout de la France, après des mois d’absence, le dos cassé et les mains calleuses. J’entendais les mots « foyer », et les mots « solitude », et parfois il revenait avec quelques surprises de ces villes lointaines où les contremaîtres aboyaient et où la grue dominait des rangées d’immeubles hideux que papa devait construire. Un soir, alors que son sac bleu, celui que nous rapportions depuis le bateau qui nous ramenait au pays, débordait de linge sale et de nuits tristes, il en tira, triomphant, un bon morceau de Saint-Nectaire et une petite cloche que les Auvergnats mettent au cou des belles Laitières : il venait de passer plusieurs semaines au foyer Sonacotra de Clermont-Ferrand la noire, pour construire la « Muraille de Chine », une grande barre d’immeubles qui dominerait les Volcans. Nous dégustâmes le fromage en rêvant à ces paysages devinés depuis la Micheline qui l’avait ramené vers la ville rose, et le lendemain, quand j’osais apporter la petite cloche à l’école, toute fière de mon cadeau, les autres me l’arrachèrent en me traitant de « grosse vache ».
Je me souviens.
De maman qui rentrait le soir avec le 148, bien avant que le métro ne traverse Garonne. Elle ployait sous le joug des toilettes qu’elle avait récurées au Florida, le beau café sous les arcades, et puis chaque matin elle se levait aux aurores pour aller faire d’autres ménages dans des bureaux, loin du centre-ville, avant de revenir, alors que son corps entier quémandait du repos, pour nettoyer de fond en comble notre modeste appartement et nous préparer des tajines aux parfums de soleil. Jamais elle n’a manqué une réunion de parents d’élèves. Elle arrivait, élégante dans ses tailleurs sombres, le visage poudré, rayonnante et douce comme les autres mamans, qui rarement la saluaient. Pourtant, seul son teint un peu bronzé et sa chevelure d’ébène racontaient aux autres que ses ancêtres n’étaient pas des Gaulois, mais de fiers berbères dont elle avait hérité l’azur de ses yeux tendres. En ces années, le voile n’était que rarement porté par les femmes des futurs « quartiers », elles arboraient fièrement le henné flamboyant de leurs ancêtres et de beaux visages fardés.
Je me souviens.
Du collège et de mes professeurs étonnés quand je récitais les fables et résolvais des équations, toujours en tête de classe. De mes premières amies, Anne la douce qui adorait venir manger des loukoums et des cornes de gazelle quand nous revenions de l’école, de Françoise la malicieuse qui essayait d’apprendre quelques mots d’arabe pour impressionner mon grand frère aux yeux de braise. De ce chef d’établissement qui me convoqua dans son bureau pour m’inciter, plus tard, à tenter une classe préparatoire. Et aussi de nos premières manifestations, quand nous quittions le lycée Fermat pour courir au Capitole en hurlant avec les étudiants du Mirail « Touche pas à mon pote ! »
Je me souviens.
Des larmes de mes parents quand je partis pour Paris qui m’accueillit avec ses grisailles et ses haines. De ces couloirs de métro pleins de tristesse et de honte, de ce premier hiver parisien passé à pleurer dans le clair-obscur lugubre de ma chambre de bonne, quand aucun camarade de Normale ne m’adressait la parole, bien avant qu’un directeur éclairé n’instaure des « classes préparatoires » spéciales pour intégrer des jeunes « issus de l’immigration ». Je marchais dans cette ville lumière, envahie par la nuit de ma solitude, et je lisais, j’espérais, je grandissais. Un jour je poussai la porte d’un local politique, et pris ma carte, sur un coup de tête.
Je me souviens.
Des rires de l’Assemblée quand je prononçais, des années plus tard, mon premier discours. Nous étions peu nombreuses, et j’étais la seule députée au patronyme étranger. Les journalistes aussi furent impitoyables. Je n’étais interrogée qu’au sujet de mes tenues ou de mes origines, alors que je sortais de l’ENA et que j’officiais dans un énorme cabinet d’avocats. Là-bas, à Toulouse, maman pleurait en me regardant à la télévision, et dépoussiérait amoureusement ma chambre, y rangeant par ordre alphabétique tous les romans qui avaient fait de moi une femme libre.
Je me souviens.
Des youyous lors de mon mariage avec mon fiancé tout intimidé. Non, il ne s’était pas converti à l’Islam, les barbus ne faisaient pas encore la loi dans les cités, nous nous étions simplement envolés pour le bled pour une deuxième cérémonie, après notre union dans la magnifique salle des Illustres. Dominique, un ami, m’avait longuement serrée dans ses bras après avoir prononcé son discours. Il avait cité Voltaire et le poète Jahili, et parlé de fraternité et de fierté. Nous avions ensuite fait nos photos sur la croix de mon beau Capitole, et pensé à papa qui aurait été si heureux de me voir aimée.
Je me souviens.
Des pleurs de nos enfants quand l’Histoire se répéta, quand eux aussi furent martyrisés par des camarades dès l’école primaire, à cause de leur nom et de la carrière de leur maman. De l’accueil différent dans les collèges et lycées catholiques, comble de l’ironie pour mes idées laïques qui se heurtaient aux murs de l’incompréhension, dans une république soudain envahie par des intolérances nouvelles. De mon fils qui, alors que nous l’avions élevé dans cette ouverture républicaine, prit un jour le parti de renouer follement avec ses origines en pratiquant du jour au lendemain un Islam des ténèbres. Du jour où il partit en Syrie après avoir renié tout ce qui nous était de plus cher. Des hurlements de douleur de ma mère en apprenant qu’il avait été tué après avoir égorgé des enfants et des femmes. De ma décision de ne pas sombrer, malgré tout.
Je me souviens.
De ces mois haletants où chaque jour était combat, des mains serrées en des petits matins frileux aux quatre coins de l’Hexagone. De tous ces meetings, de ces discours passionnés, de ces débats houleux, de ces haines insensées et de ces rancœurs ancestrales. De ces millions de femmes qui se mirent à y croire, de ces maires convaincus, de ces signatures comme autant d’arcs-en-ciel, de ces applaudissements sans fin, de ces sourires aux parfums de victoire.
Je me souviens.
De mes professeurs qui m’avaient fait promettre de ne jamais abandonner la littérature. De ces vieilles dames, veuves d’anciens combattants, qui m’avaient fait jurer de ne jamais abandonner la mémoire des combats. De ces enfants au teint pâle qui, dans leur chambre stérile, m’ont dessiné des anges et des étoiles en m’envoyant des bisous à travers leur bulle. De ces filles de banlieue qui, même après avoir été violées, étaient revenues dans leur immeuble en mini-jupe et sans leur voile, et qui m’avaient serrée dans leurs bras fragiles de victimes et de combattantes.
Hier soir, vers 19 h 45, mon conseiller m’a demandé de le suivre. L’écran géant a montré le « camembert » et le visage pixellisé du nouveau président de la République. La place de la Bastille était noire de monde, et je sais que la Place du Capitole vibrait, elle aussi, d’espérances et de joies.
Un cri immense a déchiré la foule tandis que l’écran s’animait et que mon visage apparaissait, comme c’était le cas dans des millions de foyers guettant devant leur téléviseur.
Le commentateur de la première chaîne hurlait, lui aussi, et gesticulait comme un fou : « Zohra M’Barki – Lambert! On y est ! Pour la première fois, une femme vient d’être élue Présidente de la République en France ! »
Le réveil sonne.
Je me souviens que je suis française, et si fière d’être une femme. Je me souviens que je dois tout à l’école de la République, et à mes parents qui aimaient tant la France qui ne les aimait pas.
Je referme la boîte et me penche à l’embrasure de la fenêtre, respirant une dernière fois le parfum de la nuit.
(Cette nouvelle a remporté le premier prix du concours de nouvelles du CROUS Occitanie en 2018…)
Dans Berlin dévastée, privée d’eau, de gaz, d’électricité, des milliers d’êtres hagards errent parmi les ruines.
De nombreuses autres villes, petites bourgades ou grandes agglomérations, se trouvent dans le même état. Dresde, qui avait subi le déluge de feu des « bombardements tapis » du 14 février 1945 et n’était plus que béance incendiée, Cologne, qui déjà en 1942 avait subi le premier raid aérien engageant plus de 1000 bombardiers, tant de cités énuclées, réduites à néant et à reconstruire…
Bientôt, des millions d’Allemands seront à nouveau jetés sur les routes, prenant la suite de toutes les populations déplacées par le régime national-socialiste et de tous les habitants du Reich ayant fui devant l’avancée des troupes soviétiques.
Ce qui reste de l’Allemagne est exsangue. Ma mère me parle souvent de la faim qu’elle a cruellement connue, petite fillette aux nattes blondes, née en été 1938, ayant grandi dans un pays devenu fou. Elle me parle aussi des bombes qui la terrifiaient lorsqu’avec ses trois frères et sœurs elle devait se jeter dans les fossés en allant à l’école. Aujourd’hui encore, elle frémit en entendant un avion, 72 ans après la fin de la guerre.
Dresde bombardée…
Partout, des familles sont démantelées, exilées, séparées. Les hommes, souvent, sont morts, ou ont été blessés, ou resteront des mois, voire des années en captivité. Mon propre grand-père, officier de la Wehrmacht, qui avait été envoyé sur le front de l’Est, ne rentrera que très tard, après un périple de plusieurs milliers de kilomètres faits à pied. Ma grand-mère avait un temps été évacuée dans le « Westerwald », à la campagne, pour quitter Duisbourg, l’une des capitales de la Ruhr si souvent visée par les bombardements alliés. Elle a monnayé ses bijoux auprès des paysans pour un demi-litre de lait.
La population civile a payé un immense tribut au Reich. Et lorsque j’entends aujourd’hui les médias parler de la « célébration de la victoire contre l’Allemagne nazie », j’aimerais aussi avoir une pensée pour les Allemands qui, à l’époque, comme ma mère, ses frères et sœurs et ses amis, n’étaient que des enfants. Des enfants, comme les enfants dont nous déplorons chaque jour la mort atroce en Syrie, comme les enfants qui fuient la terreur en Afghanistan, comme les enfants qui fuient la famine au Soudan.
Ces « enfants blonds de Göttingen », nous les oublions trop souvent. Ils ont été la génération sacrifiée, à la fois par les sbires du régime hitlérien et par les bombardements alliés souvent, puis, à l’est, dans ce qui était devenu la RDA, par la dictature soviétique…
Très vite, après la capitulation du 8 mai 45, la vie a repris ses droits. Dénazification dans les quatre zones occupées, mise en place rapide des administrations, reprise des cours, de la vie culturelle, de la presse, pendant que les millions de « Trümmerfrauen », littéralement, « femmes de ruines » déblayaient ce qui était à reconstruire, fichu sur la tête et courage au cœur.
Les enfants, en ces temps où l’on ne parlait pas de traumatisme ni de pédospychiatrie, ont dû réapprendre à vivre, au-delà de ce qui était jusqu’en ce 8 mai la simple survie. Il a fallu oublier l’emprise des Jeunesses Hitlériennes, la terreur sous les bombardements, la faim des années de privations, l’uniforme des pères et les bruits de bottes de la soldatesque nazie, et, je ne l’oublie pas, les fumées des camps d’extermination et les barbelés de tous ces camps de concentration et/ou de travail qui parsemaient le territoire et qu’aucun Allemand, n’eut-il été qu’un enfant, ne pouvait ne PAS avoir vu.
Cette génération-là est celle de nos parents, celle qui a eu le courage de faire table rase de la haine pour re-construire notre Europe.
Cette même Europe que de nombreuses voix, en ces temps d’élections, voudraient détruire, avec la même hargne presque qu’autrefois, lorsque notre monde entier était à feu et à sang, du Japon sacrifié aux bataillons de tirailleurs sénégalais, des plaines d’Ukraine aux familles désespérés des Boys venus nous délivrer de la barbarie.
Notre Europe. Mon Europe. Celle que mes parents ont eu le courage, en se mariant, le 9 août 1959, si peu de temps après la fin de la guerre, de sceller à leur façon par leur union. La fille d’un officier de la Wehrmacht et le fils d’un Résistant. Ensemble, envers et contre tous, dans l’insouciance de leur jeunesse aux allures de Rock’n Roll et de voyages en cette Europe enfin pacifiée, entre Paris, Duisbourg et Londres, malgré les remarques perfides contre la « fille de Boches » et les craintes justifiées de la famille de ma mère, ils ont osé ces noces improbables, mais si importantes, résilientes et d’espérance.
Puisse retentir longtemps l’ode à la joie européenne, et en ce 8 mai, commémorant ce qui aurait pu sonner le glas de l’Europe, faisons aussi rappel de nos racines communes en ce terreau fertile, mais si fragile encore.
N’oublions jamais. N’oublions jamais les enfants de ceux qui ont capitulé sans condition et qui, innocentes victimes de l’Histoire, ont, avec nos parents, des deux côtés du Rhin, osé dépasser la barbarie, leurs traumatismes, leur passé, donnant naissance à une autre génération qui vient d’accueillir sur le territoire allemand des millions de nouveaux réfugiés.
N’oublions jamais les millions de victimes de la Shoah et de la guerre, toutes ces familles juives et tziganes, toutes ces victimes homosexuelles et handicapées, tous ces combattants tombés au combat et/ou déportés, et ces millions de victimes civiles dans les deux camps.
N’oublions jamais que notre Europe a réussi à se relever, et prouvons au monde que les populismes n’ont pas encore gagné!
Vive la France, vive l’Europe, vive la Paix.
(texte remanié, écrit le 8 mai 2017…
Toulouse, le 8 mai 2019)
C’est Marie-Saïda, cette année, qui m’a offert mes Rameaux.
Il faut dire qu’entre la montée de la Dune du Pyla, la visite enchanteresse de la Ville d’Hiver et les oiseaux du Teich, l’heure n’était pas vraiment aux prières…Arcachonnaise d’un jour, le cœur en fête devant tant de beautés et de printemps en fleur, j’en avais donc loupé « mes Rameaux »…
Devant la jolie petite église, non loin du front de mer, une femme se reposait sur un banc, et m’aborda en me demandant si j’avais besoin d’aide pour me repérer sur le plan ; je la remerciai et, en lui souhaitant une bonne journée, je lui fis remarquer l’extraordinaire lumière de ce jour d’avril.
C’est grâce à Lui, me répondit-elle en montrant le ciel.
Et de me raconter tout de go qu’elle allait être baptisée dans une semaine, le samedi de Pâques, et qu’elle s’appellerait désormais « Marie-Saïda » et non plus Saïda…
Ce petit bout de femme, tout de blanc vêtu, irradiait de bienveillance ; nous parlâmes longtemps, et sans me connaître elle m’offrit de m’héberger si d’aventure je revenais sur le Bassin…Elle me dit son chagrin en pensant à ses sept enfants dont aucun ne serait auprès d’elle je jour de sa naissance en Christ. Elle me raconta brièvement sa destinée, les pierres sur lesquelles la vie l’avait faite trébucher, son divorce, quand son époux avait rencontré une autre femme, sa naissance en terre berbère, puis sa vie en Champagne, et nous nous sourîmes car je suis Rémoise, heureuse coïncidence…
Elle me parla aussi de son nouvel amour, connu hélas bien peu de temps, car il était malade. Je sentais en son récit le courage des âmes simples, toujours prêtes à aimer, à donner plus qu’elles ne reçoivent, emplies de la force du quotidien.
Un jour, très affectée par son deuil, elle passa devant l’église. Et se trouva, me raconta-t-elle, attirée et baignée par une lumière irradiante. Elle fondit en larmes et sut à ce moment-là qu’elle, la petite Berbère, musulmane de tradition, mais non pratiquante, car consciente souvent des injustices subies par son peuple face aux « Arabes », avait rencontré la Foi.
Je l’écoutais en souriant, émue par son histoire, par la puissance de son récit, par sa fébrile impatience lorsqu’elle parlait du baptême qui approchait, de la très longue préparation, me montrant les photos des catéchumènes et de Monseigneur Ricard, me décrivant la tenue qu’elle porterait, car il faut être, me dit-elle, élégante pour rencontrer Jésus.
Lorsque le brin de Rameaux tomba presque de sa Bible qu’elle porte toujours avec elle, je m’écriai que j’avais oublié d’en chercher – moi, la catholique vacillante, ayant toujours oscillé entre la foi du charbonnier de ma grand-mère catholique (j’ai ma petite vierge de Lourdes dans mon sac à main….) et le protestantisme de ma mère ( j’ai quand même épousé un pasteur en secondes noces…) , tout en me sentant attirée par le judaïsme et en posant des buddhas partout dans mon appartement… !) – et Marie-Saïda m’offrit sa petite branche bénie.
Nous nous séparâmes en échangeant nos adresses, et je lui promis que je penserai à elle durant la Veillée Pascale et au moment de son baptême, puisque sa famille ne serait pas à ses côtés.
Plus tard, en poursuivant notre escapade en Aquitaine, mon fils et moi eurent la chance de visiter l’intérieur de l’église orthodoxe roumaine de Bordeaux, deux paroissiens attendant la visite de responsables de la mairie nous en ayant ouvert les portes ; mon fils, athée -oui, le fils du pasteur !- fut fasciné par la beauté des icônes…
Le même jour, nous demeurâmes longtemps en silence devant la synagogue de Bordeaux ; fermée, majestueuse, gardée par des barrières bien fragiles contre d’éventuels attentats, toute bardée néanmoins de digicodes et de protections, elle nous montrait à droite de son fronton la litanie des disparus de la Shoah…
Enfin, je vis sortir de la cathédrale Saint-André toute une famille musulmane, que j’abordais en leur disant que je trouvais formidable qu’ils visitent une église – oui, je fais partie de ces enseignants légèrement traumatisés par les élèves qui ne veulent plus étudier l’Holocauste en prétextant Gaza, et par ceux qui, en visites scolaires en l’étranger, refusent de visiter le patrimoine religieux…
La femme voilée et l’homme barbu me répondirent que leur Islam était un Islam de paix et de tolérance, et qu’ils voulaient montrer à leurs enfants un autre lieu de culte et voir ce magnifique édifice…
J’ai repensé à ma petite Marie-Saïda qui bientôt recevrait le baptême, qui attendait la lumière et le pain et le vin de l’eucharistie, toute baignée de l’espérance et de la force de sa conversion.
Et je me suis dit que nous étions tous frères et sœurs, à l’approche de la résurrection Pascale et de ces élections qui feront peut-être basculer notre pays dans l’extrémisme.
Bien sûr, nous ne visitâmes pas que des lieux de cultes durant nos quelques jours de vacances : nous avons arpenté les allées délicieuses du Parc Mauresque et nous enivrés devant la beauté de la Ville d’Hiver, nous avons guetté la bouscarle de Céti et les cigognes à la réserve ornithologique du Teich, nous avons longé les quais de ma ville océane et admiré les mascarons et le Pont de Pierre…
Mais s’il est un moment que je n’oublierai pas de sitôt, c’est bien celui de ma rencontre avec ma lumineuse amie…
Bienvenue à toi dans ton nouveau pays, Marie-Saïda : celui où, malgré tout, envers et contre tout, nous tentons de nous aimer les uns les autres ! Que ta re-naissance en Christ te donne toute l’allégresse que tu mérites et la force de poursuivre ta route vers la Foi, l’espérance et l’Amour que nous cherchons tous !
Je ne sais pas vous, mais moi ils commencent à me les briser menu.
Je parle de ces annonces qui passent en boucle sur nos radios et télévisions, comme si nous étions en alerte chimique ou à l’orée d’un conflit international.
Attention, ceci est un message de prévention du minsitère de la Santé. Ilva faire très froid. Ne sortez pas sans vos bonnets, couvrez les extrémités du corps, etc etc…
On croit rêver. Que les étés de canicule, quand il fait quarante degrés à l’ombre des terrasses et que nos Anciens tombent comme des mouches, on leur rappelle de s’hydrater, passe encore. Tout le monde sait que l’on oublie de boire, passé un certain âge, et que cela peut vite s’avérer problématique.
Mais là, vraiment, on prend les Français pour des cons.
Peut-être nos dirigeants pensent-ils, depuis l’obscure commission constituée en urgence pour constituer un groupe de réflexion qui se chargera de donner des directives aux millions de coincés du cervelet, (en partenariat avec l’agence de communication dépensant les deniers du contribuable à lui expliquer comme s’habiller le matin), que les habitants de l’hexagone sont tous atteints de quelque maladie orpheline qui les empêcherait de ressentir les températures extérieures et ferait que, par moins dix, la plupart de nos concitoyens décideraient d’aller en tongues au bureau, ou, par trente-huit, de sortir promener Médor en chaussures de ski.
Parce que voyez-vous, c’est là où je vois rouge : d’une part, notre argent sert, visiblement, non seulement à faire de la France le premier exportateur d’armes au monde – et là, comment vous dire, ce matin, j’ai juste envie de voter Mélenchon jusqu’à la fin des temps, voire même de quitter mon appart pour une ZAD – et donc à élaborer des « campagnes de prévention » à l’usage dudit contribuable, mais, d’autre part, à infantiliser totalement les Français…Cela avait commencé il y a longtemps, avec les « un verre, ça va, etc », et c’est de pire en pire…
Voici en effet la politique du « care » portée à son apogée, le summum de l’état providence, contrepartie rêvée de l’état d’urgence, 1984 mâtinée de Grey’s Anatomy : nous vivons donc à présent dans une société qui nous surveille et nous piste de la naissance à la mort, 24 h sur 24, mais qui plus est nous ordonne de prendre soin de nous, à tous les niveaux.
Certaines choses ne me semblent pas absurdes : oui par exemple aux images de cancer du poumon sur les paquets de Camel filtre, en espérant que les ados – qui grillent leurs clopes par centaines devant les établissements scolaires où, normalement, les «attroupements» sont prohibés – cesseront de trouver hyper cool de sortir fumer pour finir avec un respirateur pas bien glamour…Oui aux limitations de vitesse, bien sûr, parce que qui aurait envie de se retrouver sur une petite chaise roulante, regardant l’océan des heures durant depuis le centre de rééducation, après avoir décimé les cinq membres de sa famille ?
Par contre, quand mon gouvernement me rappelle avec des flashs d’info répétés toute la journée que je dois mettre un bonnet et des moufles, et que je dois éviter de sortir mon nourrisson parce que sinon il sera tout bleu de froid, que je dois bien fermer mes fenêtres, à moins de vouloir chauffer les oiseaux, je me demande jusqu’où ils pousseront l’absurdité de leurs recommandations…
J’imagine déjà les grosses pluies du printemps :
Attention, ceci est un message de prévention du ministère de la Santé.
La pluie, ça mouille.
N’oubliez pas de sortir avec un parapluie. Mettez un ciré, (ou un burberry si vous habitez dans le seizième, ou une houppelande de grosse laine tissée si vous êtes berger).
Ne sortez pas sans vos bottes, car il pourrait y avoir des flaques d’eau.
Ne laissez pas les bébés dans les poussettes juste sous les gouttières, ils pourraient vous en vouloir à moins d’avoir adoré « Singing in the rain »…
Ceci est un message réservé aux automobilistes : attention à l’aquaplaning. Et surtout mettez en marche vos essuie-glace, sinon vous feriez vite l’ange sur le camion de devant.
Enfin, une recommandation toute particulière est adressée aux personnes vivant sous les toits : fermez les velux, sinon votre moquette aura une drôle de la tête à votre retour.
PS : si tu vis dans la rue et que t’as oublié de piquer des sacs poubelles à l’Intermarché pour t’en mettre sur ton vieux pardessus râpé, tant pis pour ta tronche, tu seras trempé et sentiras encore plus mauvais.
Je trouve aussi qu’il faudrait nommer encore plus de commissions et rémunérer encore davantage d’agences de communication. C’est vrai, pourquoi ne pas étendre ces annonces de prévention à tous les domaines de la société, cela créerait de nombreux emplois de fonctionnaires et de community managers.
Et puis sur nos radios, ça nous ferait des vacances, à nous, les filles, qui passons la moitié du temps à essayer de changer de station tous les quarts d’heures, quand il y a soudain le mercato, ou le Vendée Globe, ou la Fed Cup, ou le Mundial, ou les poules du dimanche, et que, franchement, on en a rien, mais rien à carrer, et que si nous on s’amusait à interrompre les programmes en permanence pour faire un point maquillage, ou people, ou femmes battues, ou viols, ou pensions alimentaires impayées, ou glamour, ou écologie, ou littérature, ou poésie, ou théâtre, bref, la vie, nous quoi, et pas seulement vous, chers messieurs, mais c’est un autre sujet, pardon, je m’égare, donc, ça nous ferait des vacances, de jolies petites annonces bien tournées…
Alors je suggère les annonces du dimanche soir :
Attention, n’oubliez pas : demain, c’est lundi !
La semaine commence, le WE est bel et bien FINI, ter-mi-né, capito?
Allez, on bouge ses fesses du canap, on se couche, sinon, demain, ça fera mal…
On lâche la télécommande, allez, zou, au lit !
Et on n’oublie pas de préparer le chèque de la cantine, les goûters, et/ou son cartable.
PS : si t’es prof et que t’as pas corrigé tes copies, fais gaffe, ton principal va remplacer ton inspecteur avec la réforme du collège, alors on t’aura prévenu…
Les annonces de la veille des grandes vacances :
Attention, demain, c’est les vacances !
En ce qui concerne la canicule, si vous n’avez pas écouté il y a cinq minutes, tant pis pour vous !
Donc, la valise : n’oubliez pas les maillots, l’été, il fait chaud.
Ne mettez pas de bonnets ni d’écharpes dans vos sacs, ce n’est pas la peine : l’été, il ne neige que rarement.
Mesdames, si vous tenez à conserver votre époux et éviter qu’il ne parte avec une jolie suédoise, n’oubliez pas les rasoirs !
Monsieur, puisque de toutes manières vous risquez fort de prendre un petit moment pour aller jusqu’aux dunes, ne partez pas sans vos Durex…Ce serait dommage de revenir de Biarritz avec la chtouille.
Les enfants, psst, ceci est juste pour vous : les cahiers de vacances sont planqués sous les maillots de maman, il vous suffit de les virer discretos de la valise et hop, ni vu ni connu, à vous la belle vie !
Les annonces réservées aux filles à qui on va passer la bague au doigt :
Alors les poulettes, ceci est un message destiné à vous faciliter la vie !
Un mec, ça ne pense qu’à une seule chose; c’est pas le mariage qui changera la donne. CQFD, débrouillez-vous pour rester des clones de Beyonce même quand vous serez enceintes jusqu’aux dents.
Le mariage, c’est fait pour assoir les règles d’une société d’hommes, et ce dans tous les pays, et en France, vous veillerez à : toujours préparer des repas à votre homme, parce qu’un homme, ça a souvent faim ; faire la vaisselle, les courses, le ménage, en plus des heures sup’ que votre boss vous oblige à faire, et même le WE – ceci est une annonce rédigée dans un esprit d’anticipation filloniste ou macronniste – parce qu’une femme, c’est fait avant tout pour s’occuper de son foyer ; ne pas vous plaindre si votre mec rentre tard et/ou vous trompe, de toutes manières, estimez-vous heureuse qu’il ne soit pas allé chercher une Ukrainienne sur Meetic.
Puisqu’une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon, faites vos stats, et puis faites gaffe, aussi : un divorce, ça ne se demande pas à la légère…Somme toute, hein, une baffe de temps en temps vaut mieux que de finir égorgée devant un commissariat, non ?
Oui, ce matin, que voulez-vous, je me suis dit que j’allais faire d’une pierre deux coups, anticiper le huit mars, rattraper la journée des violences faites aux femmes, dire mon énervement face aux radios totalement sous mainmise machiste et, surtout, exprimer mon agacement profond devant ces gens qui nous gouvernent et qui pensent que nous sommes des imbéciles incapables de mettre notre bonnet quand il neige et de fermer nos fenêtres pour ne pas faire sauter le réseau d’ERDF…
Je repensais aussi à ces hivers de mon enfance où nous sortions faire de la luge, même dans le Tarn, bien loin de mon Allemagne où mes amis et ma famille se gondolent quand je leur parle de ces spots radiophoniques, eux qui chaque hiver sont capables de mettre un thermolactyl sous leur manteau, comme mes amis canadiens, d’ailleurs, qui rient chaque fois que je leur raconte la panique du salage des chaussées, eux qui vivent des mois durant avec moins quinze ou même trente sans que la vie ne s’arrête pour autant…Je repensais aussi à l’hiver de l’Abbé Pierre, celui dont ma belle-mère m’a souvent parlé, quand l’eau de Garonne gelait comme l’eau de la Seine, et puis aussi à tous ces Migrants dont plus personne, par contre, ne parle dans nos radios bien trop occupées, frileuses et dociles, à protéger les Français de leur ignorance, ces Migrants qui grelottent sous de maigres couvertures dans leurs camps de fortune…
Bon, en même temps, ces gens qui nous gouvernent n’ont peut-être pas tort sur toute la ligne…Nous sommes bien des imbéciles puisque…nous les avons élus…
Je n’ai pas le permis. Je ne l’ai jamais passé ; et j’ai 55 ans.
Quand je lance cette phrase lors d’une conversation, entre amis ou dans une salle des profs, on me regarde comme si j’étais la grande sœur d’ET et que j’arrivais d’une autre planète.
Mais tu l’as raté ?
C’est à cause de ta myopie ? (Oui, on me confond parfois avec Nana Mouskouri…)
Et tu ne veux pas le passer, maintenant que tu as eu l’agreg ? (Sous-entendu : « Depuis 30 ans que tu la passais, on te comprend, tu n’as pas trouvé le temps pour le permis… »)
Non, je n’ai pas envie de « le » passer.
Parce que je vis très bien sans. Parce que j’ai élevé trois enfants sans l’avoir, parce que je vais travailler sans voiture, parce qu’il m’arrive même de voyager..
Comment fait-on pour vivre comme une star de l’empreinte carbone, et comment peut-on en arriver à ce défi écologique permanent ?
Au début, il y eut l’accident. Je vous parle d’un temps où les ceintures n’existaient pas…Une petite fille de six ans a donc été projetée depuis la banquette arrière, où elle dormait, sous le siège du conducteur où dormait aussi le cric – mon père a toujours eu un sens assez personnel du rangement. Fracture du crâne, solitude d’hôpital, cicatrice visible, et très vite kilos en trop liés à l’interdiction de courir, de bouger comme « avant » …Bon, c’était sympa, ça a permis de varier les surnoms, à « Hitler » – mes origines allemandes- se sont ajoutés « Bouboule » ou « Patate ».
Ma peur de la vitesse et mon vertige sont bien entendu liés à ce traumatisme, et, faute d’avoir vu des psys – ce n’était pas encore tendance -, je vis donc sans prendre l’escalator qui descend, et n’ai jamais imaginé pouvoir emprunter, au volant d’un véhicule, une rocade ou une autoroute…
Ensuite, il y eut mon premier mari, le cheminot. Nous nous mariâmes alors que j’avais encore les joues rondes de l’enfance et arpentâmes l’Europe en vélo…et en train gratuit ! Que de beaux souvenirs dans ce passé de cyclotouriste, entre lacs de montagne autrichiens et pistes landaises…J’en ai gardé des mollets de campeuse, le goût des petites routes de campagne et une nostalgie délicieuse du vent qui fouette le visage, même si depuis un autre accident, en 2013, lorsque j’embrassai, pourtant à pied, mais en frontal et avec élan et sans les mains une plaque d’égout, je n’ai plus osé enfourcher de bicyclette…
C’est à la même époque, d’ailleurs, que je me déclarai officiellement « écolo », entre un mémoire de maîtrise consacré aux mouvements alternatifs allemands, mes premiers Birkentocks et ma tendresse pour Dany le Rouge. De voiture, il n’était absolument pas question, puisque nous vivions en moulant le café au moulin à grain et en nous chauffant avec un poêle à charbon, rêvant, en bons post soixante-huitards, d’un retour à la terre ; d’ailleurs j’avais aussi en tête l’exemple de ma marraine hollandaise qui nous rendait visite chaque année et nous parlait de ce pays où, déjà, la « petite reine » était reine !
Ce sont donc les trois arguments que, ma vie durant, j’ai avancés pour justifier ma déviance non motorisée.
Oui, c’est effectivement possible : de vivre sans posséder le fameux sésame rose, d’amener les enfants à l’école à pied ou en bus, de faire les courses avec un caddy, de partir au travail grâce aux transports en commun, et de prendre le train pour rejoindre la plage ou la montagne…
Bon, je ne vous cache pas que tout n’est pas rose, et qu’il faut à la fois posséder un sens de l’organisation quasi germanique et faire preuve d’inventivité ; il faut jongler avec les horaires de train, de bus, de métro, se lever plus tôt, renoncer aux grandes surfaces, voyager (en principe) léger, et ne pas craindre la pluie et le froid.
Certains moments sont extrêmement désagréables, comme lorsque vous traversez des dizaines de wagons d’un train d’été en portant 5 ou 6 sacs, une enfant en bas âge, poussant en plus un landau et tirant un teckel, sous le regard impavide des voyageurs. De même qu’il est fort ennuyeux de monter marche à marche des escaliers de métro avec un caddy empli à ras bord, que vous rentriez des courses ou que vous partiez en WE – je sais, ce n’est pas très glam, mais il m’arrive de voyager avec ce fameux caddy que j’ai surnommé « ma Ferrari ».
Déménagement de Auch vers la Ville Rose…Et en partie en caddy!
Je me souviens aussi de cette année où le rectorat m’a envoyée à St Girons, alors que je vivais à Toulouse…Lever 4 h 30, puis bus-métro-TER-car, avec une heure complète de ce dernier, pour arriver en cours à 8 h (et avec le sourire !) Je vous passe les années où je vivais à Auch en travaillant à L’Isle-Jourdain ET Toulouse -respectivement 40 et 80 km de distance-, les petits matins blêmes où je me sentais très parisienne avec mes deux heures trente de transport – 1 h 30 de TER plus les trajets à pied et bus…(sans compter les centaines de journées de grève et/ou de travaux de la SNCF…)
Pour les courses, je jongle aussi, le LIDL du Canal, les moyennes surfaces du quartier, le Leader Price en rentrant du travail, le marché…On fractionne, on réfléchit, et on tire la charrette comme une marchande de quatre saisons, badant avec les commerçants et évitant la cohue des grandes surfaces…Oui, j’ai une névralgie cervico-brachiale chronique – une « sciatique du bras » – , non, je ne peux pas prendre d’anti-inflammatoires, oui, ça fait mal, et j’ai en plus des lumbagos et des soucis de genou, mais si j’avais une voiture je pense que je pèserais dans les 100 kilos, alors je me dis que c’est pas mal de marcher…
Je connais tous les chauffeurs de ma ligne de bus par les prénoms, et aussi les caissières. Ne pas avoir le permis, cela renforce aussi le lien social, on se parle, on se connaît, on se sourit.
Bien sûr, cela génère aussi des frustrations que de ne pas pouvoir s’évader « librement ». Pas tellement lorsque l’on habite en ville -Toulouse, Clermont-Ferrand, Bruxelles…m’ont ravie par les libertés de circulation qu’elles offrent -, même s’il est aussi très frustrant de ne pas pouvoir facilement faire une petite virée dans une ville pourtant toute proche…Mes enfants ne sont jamais allés, par exemple, visiter l’Aveyron ou le Lot, j’aurais rêvé de leur faire découvrir la craie blanche et la vierge noire de Rocamadour, ou les caves de Roquefort et l’abbaye de Conques…Pour aller « à la mer », depuis la Ville Rose, il faut, l’été, se lever dès potron-minet pour prendre le Train des Plages, c’est vraiment contraignant, sans parler du parasol à caser sur les filets…Et il n’est quasiment pas possible d’aller « en forêt » depuis Toulouse, car les bus du Conseil Départemental, qui rallient les villages, ne circulent qu’en semaine…Pas de bras, pas de chocolat, pas de voiture, pas de châtaignes, pas de cèpes, pas de clairières…
Et c’est bien lorsque l’on vit dans une petite ville que les choses se corsent, avec les rares bus qui ne circulent pas le WE, qui s’arrêtent à 19 h, et avec l’immense sensation de frustration engendrée par une merveilleuse nature à portée de vue, mais factuellement inaccessible. De mes sept années passées dans le Gers, je garde en mémoire beaucoup de belles choses, mais hélas aussi ce terrible sentiment d’impuissance devant le manque cruel d’infrastructures de transport : j’ai été privée non seulement des festivals de musique – Jazz in Marciac, la Country de Mirande – quand je ne trouvais pas de covoiturage, mais aussi des marchés de nuit, de belles randonnées collinaires, bref, de tout ce qui fait le charme d’un département rural, faute de véhicule. Et il est clair que vivre en pleine campagne, ou dans un village, relève d’une gageure lorsque l’on n’est pas motorisé…
C’est aussi en ce sens que je suis si douloureusement privée de ma maison de famille tarnaise, faute de pouvoir m’y rendre quand bon me chante…
La balle est dans le camp de nos dirigeants. Et, à mon humble avis, pas seulement avec ces histoires de plaques impaires et de particules fines, car ces dernières sont bien là à l’année, pas seulement les jours de pollution aggravée…
Oui, on peut vivre sans voiture, oui, c’est un choix de vie intelligent, mais qui ne mérite pas tant de sacrifices. Il suffirait de peu de choses -et cela créerait tant d’emplois et redynamiserait tant de communes rurales et de déserts médicaux…- pour redonner vie aux campagnes françaises en instaurant des infrastructures adaptées, qui permettraient aussi à de jeunes familles de vivre au Vert même sans véhicule ; lignes de bus, lignes de train, et aussi maillage assidu des pourtours d’agglomérations, à l’image de ce qui se fait par exemple en Allemagne, où vous pouvez vivre à Berlin, mais aussi au fin fond de la Bavière ou des îles de la Baltique avec des dizaines de transports en commun devant votre porte, de jour comme de nuit…
Oui, on pourrait aussi à l’instar de ce qui se fait dans les pays nordiques interdire presque entièrement l’usage des véhicules en ville.
Et imaginer de nouvelles et/ou d’anciennes solutions…En vrac, le téléphérique, les voies navigables, des TER à foison, le cheval – et pourquoi pas ?-…
Ensemble, agir.
Et, comme le disait déjà l’empereur Guillaume II :
Comme il regrettait de ne pas être pape, ou empereur… Cette douce pérennité, ces ors apaisants, ces certitudes. Comme il en rêvait, de ce lit de mort où seule la Faucheuse aurait mis fin à une vie de hautes fonctions et de fastes…
En guise de baldaquin, cet écran où s’alignaient déjà les chiffres venus, oiseaux de mauvais augure, de l’étranger. Point de fumée blanche pour annoncer l’avènement de son successeur, point d’héritier, non plus, agenouillé devant un père affaibli, reconnaissant en lui un maître et un Seigneur…
Je vous salue ma France, arrachée aux fantômes !
Ô rendue à la paix ! Vaisseau sauvé des eaux…
Pays qui chante : Orléans, Beaugency, Vendôme !
Cloches, cloches, sonnez l’angélus des oiseaux !
Il leva la tête et regarda ce plafond qu’il lui semblait connaître par cœur. Et le moelleux des lourds tapis, et les clapotis des fontaines… Comment allait-il faire, pour vivre, pour respirer ailleurs ? Bien sûr, il en avait rencontrés, des visages angoissés, il en avait consolés, des regards inquiets, lorsqu’il leur répétait, serrant de ses mains gantées leurs mains calleuses, qu’il n’y avait pas de problèmes, seulement des solutions… Il le leur assurait : demain sera un autre jour, vous verrez, vous allez en retrouver, de l’emploi, je serai là.
Mais qui serait là, pour lui ? Il les voyait bien, les regards fuyants, il les sentait bien, ces mains moites, il les connaissait par cœur, les dérobades des perdants. Des rats fuyant le navire.
Seul. Il était seul. Il serait seul.
Se lèverait-il lentement de sa chaise, au son d’une vieille Marseillaise un peu rouillée, pour tourner le dos à une France qui ne voudrait plus de lui ?
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,
Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop.
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…
Irait-il ensuite par les rues et les places, fantôme en pardessus râpé, revenu du Royaume des Grands pour errer parmi les morts vivants, telle une âme politique égarée ?
Comment imaginer un quotidien lorsque durant cinq années on a vécu d’extraordinaire ? Bien sûr, il le savait bien : il ne passerait pas de l’avion supersonique privé au métro, ni des palaces au camping des Flots Bleus.
Mais malgré tout, cette question le taraudait, tandis qu’il pianotait nerveusement sur son iPhone, un œil sur l’écran géant, un autre sur les twitts de Guéant, bien plus que ne l’inquiétait le destin de sa France.
Je vous salue, ma France, où les vents se calmèrent !
Ma France de toujours, que la géographie
Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l’oiseau du large y vienne et se confie.
Car d’elle, il ne doutait pas. Jamais, jamais il ne lui avait retiré sa confiance. Même dans les dernières heures, lorsque tout semblait joué, il avait souri, parlé, aimé. Comme on reste mutin devant un grand malade. Inversant les rôles, se laissant cajoler par celui qui va partir. Il ne mentait pas, non. Il ne pouvait simplement pas envisager de la quitter, cette France à qui il avait, il en était persuadé, tout donné.
Et puis elle s’en sortirait. Même sans lui. Il prendrait le maquis, voilà tout. De Londres, il aviserait. Il leur parlerait, comme le Général leur avait parlé. Et comme il serait si doux d’être enfin dans l’Opposition… Un frisson d’aise le parcourut, presque orgastique, en songeant aux manifestations qu’il allait éviter. Ciel, il n’osait même pas imaginer comment aurait réagi le corps enseignant, si…
Je vous salue, ma France, où l’oiseau de passage,
De Lille à Roncevaux, de Brest au Montcenis,
Pour la première fois a fait l’apprentissage
De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid !
Oui. Voilà. Lentement, un sourire éclaira son visage fatigué. Un rire, même, le secoua, tant et si bien qu’un conseiller livide passa ses traits tendus par l’embrasure de la porte. Agacé, il le congédia d’un geste sec. Il était encore maître à bord, non ?
Se souvenant des dernières scènes du film Titanic, il repensa à ce second qui, seul parmi tous les membres d’équipage, avait osé braver la vindicte de la populace aristocratique pour tenter d’aller sauver les malheureux passagers de la troisième classe. Qui peut prédire comment réagissent les braves et les couards ?
Fièrement, il redressa la tête. Quoiqu’en pense la foule, il n’avait pas faibli. Il était resté quelqu’un de bien dans la tempête, et il survivrait, en marin ou en capitaine. Il ne serait jamais empereur, non. Mais… peut-être un jour tiendrait-il la barre à nouveau, loin des icebergs et des courants contraires.
Patrie également à la colombe ou l’aigle,
De l’audace et du chant doublement habitée !
Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité…
Et puis somme toute, quelle merveille que la démocratie ! Cette invention des Lumières, qui fait de tout individu un souverain potentiel, maître de sa vie. Cette beauté des temps qui permet aux idées d’avancer, de se chevaucher, de se croiser, de s’embrasser. La démocratie, c’est quand un pays fait l’amour. Il soupire, il gémit, il crie, il ferme les yeux d’aise, il rêve, il fantasme, il transpire, il jouit. Il est libre.
Libre aussi de changer de partenaire.
Et puis de recommencer.
En voyant un autre visage que le sien apparaître sur tous les écrans, dans le kaléidoscope de la défaite annoncée, juste avant le camembert, le Président éclata de rire à nouveau.
Il sortit du bureau en dansant, attrapa sa fille et la fit voltiger en l’air.
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe
Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus,
Liberté dont frémit le silence des harpes,
Ma France d’au-delà le déluge, salut !
(vers extrait d’un poème de Louis Aragon, Je vous salue, ma France.)
Texte écrit en 2012 et paru dans le Huffington Post…
De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 7 janvier 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.
De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’un étalage.
De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée.
(….) la ville alors cessa
d’être. Elle avoua tout à coup
n’avoir jamais été, n’implorant
que la paix.
Rainer Maria Rilke, Promenade nocturne.
Je me souviens.
De mes vacances de février en outre-Rhin, les premières depuis dix ans. Enfin sortie d’un épuisant burn-out social et financier, j’osai enfin revenir au pays de l’enfance.
De la maison de mes grands-parents allemands revisitée comme une forêt de contes, du souvenir des usines au bord du Rhin comme autant de merveilles.
Du froid glacial dans ce grand cimetière empli de sapins et d’écureuils où, en vain, je chercherai la tombe de mon grand-père.
De ma joie d’enfant en mordant dans un Berliner tout empreint du sucre des mémoires.
Un étranger porte toujours
sa patrie dans ses bras
comme une orpheline
pour laquelle il ne cherche peut-être
rien d’autre qu’un tombeau
Nelly Sachs, Brasiers d’énigmes.
Je me souviens.
Des cris parsemant ce mois de mars qui jamais n’aura aussi bien porté le nom de guerre.
Des sourires explosés des corps d’athlètes de Florence, Camille et Alexis dans cet hélicoptère assassin. De tous ces anonymes mutilés au grand soleil de l’art, du Bardo couleur de sang.
Des 142 victimes yéménites si vite oubliées en cette Afrique au cœur devenu fou.
Des coups inutiles contre une porte blindée et de l’abominable terreur des enfants et des jeunes prisonniers d’un avion cercueil.
Un regard depuis l’égout
peut-être une vision du monde
la révolte consiste à fixer une rose
à s’en pulvériser les yeux
Alejandra Pizarnik, Arbre de Diane.
Je me souviens.
De Mare nostrum présentée à mon fils de 16 ans qui n’avait jamais vu la Méditerranée, oui, c’est possible, en 2015, même dans les meilleures familles si elles sont confrontées à une paupérisation.
De l’éblouissant soleil de Sète et des mouettes qui rient au-dessus du Mont Saint-Clair.
Des tombes grisonnantes et moussues du cimetière marin, où nous entendons la voix de Jean Vilar et le vent qui bruisse dans les pins en offrande.
De la plaque de l’Exodus devant la mer qui scintille et de mon émotion devant les couleurs de l’été des enfances, enfin retrouvées au cœur de cet avril.
Pourtant non loin de là 700 Migrants mouraient dans ces mêmes eaux turquoises, ma mer bien aimée devenue fosse commune en épouvante.
Et ailleurs aussi le vacarme déchirait l’innocence, quand 152 étudiants supplièrent en vain leurs bourreaux de Garissa, quand 7800 Népalais et touristes suffoquaient au milieu des drapeaux de prières aux couleurs de linceuls, quand une seule fillette, Chloé, succombait à la perversité d’un homme.
Un manteau de silence, d’horreur, de crainte sur les épaules. On est regardé jusqu’à la moelle.
Paul Valéry, Forêt.
Je me souviens.
De ce contrat faramineux autour d’avions de chasse, pourtant signé par ma République avec un pays aux antipodes de la démocratie, qui maltraite les ouvriers et musèle les femmes.
Des voix d’outre-tombe de Germaine Tillon, Genviève De-Gaulle-Antonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette entrant au Panthéon, quand je tentai d’expliquer à des élèves malveillants la beauté du don de soi, au milieu de ricanements d’adolescents désabusés. De ma désespérance devant la bêtise insensible au sacrifice et aux grandeurs.
De ce mois de mai aux clochettes rougies par un énième « drame familial », dans le Nord, celui-là, deux tout petits assassinés par un père, comme chaque mois, silencieux hurlement au milieu du génocide perpétré dans le monde entier, depuis des millénaires, par les hommes violant, tuant, égorgeant, mutilant, vitriolant, brûlant vives leurs compagnes et souvent leurs enfants.
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle(…)
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…
Louis Aragon.
Je me souviens.
Des révisions du bac de mon puîné, des dissertations et des textes à apprendre, de Rimbaud et de Proust, de Verlaine et Stendhal, comme un collier de perles toujours renouvelé.
De ces adolescents déguisés en marquis pour une fête baroque, des duchesses et des contes, des froufrous et des rires, quand les joues de l’enfance en disputent avec les premières canettes de bière, quand on hésite entre un joint et un dessin animé…Chuuuuuuut. Prenez le temps…Profitez…On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans le jour de la Saint-Jean…
Du soleil fou de Sousse qui voit mourir les sourires des touristes, de la plage rougie, et de la tête en pique d’un patron français, quand cet Islam qui prétend vivre la foi n’est que mort absurde et gratuite.
Des gospels montant vers ce ciel rougi de Charleston, quand un homme fauchera des vies noires dans une église, insulte à l’Amérique des droits civiques : j’ai fait un cauchemar, encore un…
Ce matin de juin s’est posé sur mon cœur
comme un vol de colombes sur la vieille petite église,
frémissant d’ailes blanches et de roucoulements d’amour
et de soupirs tremblants d’eau vive.
Louisa Paulin, Lo bel matin
Je me souviens.
Du chapeau blanc de Dylan et de sa voix éraillée, d’Albi la Rouge toute vibrionnante des accords de Pause Guitare, de cette nuit passée sur un banc avec un « Conteux » acadien, et du sourire de Zachary Richard, aussi pur que dans nos adolescences lorsqu’il clamait « travailler, c’est trop dur ».
De notre conversation téléphonique où déjà la poésie avait traversé l’Atlantique au rythme des échanges, et de son incroyable présence, quand il offre au monde tous les ouragans de Louisiane et toutes les histoires de son peuple oublié.
De la brique rouge et de Sainte-Cécile comme un vaisseau dans la nuit, du Tarn empli d’accords virevoltants et de notes insensées, de ce mois de juillet aussi gai qu’un violoneux un soir de noces.
La nuit, quand le pendule de l’amour balance
entre Toujours et Jamais,
ta parole vient rejoindre les lunes du cœur
et ton œil bleu
d’orage rend le ciel à la terre.
Paul Celan, in Poésie-Gallimard
Je me souviens.
De la Bretagne qui danse comme une jeune mariée au son de la Grande Parade, de Lorient enrubanné, des guipures et de l’océan dentelé qui tangue au son des binious.
Des flûtiaux et des cornemuses, de l’âme celte qui m’enivre, des jambes levées sous les robes de crêpe et des verts irlandais ; des Canadiens qui boivent et de la lune qui rit, des roses trémières caressées par la joie et de mon fils si heureux de danser le quadrille.
D’un autre port, au bout du monde, où 173 personnes périront dans les explosions causées par l’incurie des hommes.
Du courage de ces passagers de l’improbable, quand des boys modernes rejouent le débarquement dans un Thalys sauvé de justesse de la barbarie. Quand un 21 août ressemble à une plage de Normandie.
Le Bleu ! c’est la vie du firmament(…)
Le Bleu ! c’est la vie des eaux-l’Océan
et tous les fleuves ses vassaux(…)
John Keats, Poèmes et poésies.
Je me souviens.
Du calme d’Angela Merkel annonçant qu’elle devenait la mère de l’Europe en ouvrant les bras de l’Allemagne aux réfugiés et Migrants.
D’une Mère Courage qui soudain fait du pays de l’Indicible celui de l’accueil, quand 430 000 personnes ont traversé la Méditerranée entre le 1er janvier et le 3 septembre 2015, et qu’une seule photo semble avoir retourné les opinions publiques…
Du corps de plomb du petit Aylan et des couleurs vives de ses vêtements, dormeur du val assassiné par toutes les guerres des hommes, à jamais bercé par les flots meurtriers de notre Méditerranée souillée.
De mon étonnement toujours renouvelé en cette rentrée de septembre, quand soudain chaque journée de cours me semble thalasso, tant c’est un bonheur que d’enseigner la langue de Goethe à ces enfants musiciens, surdoués et charmants, toute ouïe et en demande d’apprentissages : ma première année scolaire agréable dans mes errances de « TZR », sans trajets insupportables et sans stress pédagogique.
Il n’est d’action plus grande, ni hautaine, qu’au vaisseau de l’amour.
Saint-John Perse, Amers.
Je me souviens.
De ces pauvres gens morts noyés en voulant sauver une voiture quand des enfants de Migrants continuent, eux, en ce mois d’octobre, à n’être sauvés par personne…
Des hurlements d’Ankara, quand 102 personnes perdent la vie au pied de la Mosquée Bleue, le Bosphore rougi de tout ce sang versé.
De cette famille lilloise décimée par le surendettement, un Pater Familias ayant utilisé son droit de mort sur les siens, mais nous sommes tous coupables, nous, membres de cette odieuse société de surconsommation.
Du silence de ma cadette en cet anniversaire de notre rupture de cinq longues années, de sa frimousse enjouée et de son bonnet rouge lors de notre dernière rencontre, il y a un siècle, avant qu’elle ne rompe les ponts. Du petit bracelet de naissance qui dort dans ma trousse et ne me quitte jamais. De ma décision de vivre, malgré tout.
Argent ! Argent ! Argent ! Le fol argent céleste de l’illusion vociférant ! L’argent fait de rien ! Famine, suicide ! Argent de la faillite ! Argent de mort !
Allen Ginsberg, in Poètes d’aujourd’hui, Seghers.
Je me souviens.
« De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 13 novembre 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.
De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’une terrasse.
De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée. »
De cette structure cyclique qui a mutilé la Ville Lumière, de notre sidération, de la peur de mes enfants et des larmes de mes élèves, de la chanson « Imagine » entonnée en pleurant.
De Bamako et Tunis endeuillées elles aussi, de nos désespérances devant tant de victimes, et puis la terre, n’oublions pas la terre, qui se lamente aussi.
De la COP 21 qui passe presque inaperçue au milieu de tous ces bains de sang.
Si tu mérites ton nom
Je te demanderai une chose,
« Oiseau de la capitale » :
La personne que j’aime
Vit-elle ou ne vit-elle plus ?
Ariwara no Narihira, 825-879, in Anthologie de la poésie japonaise classique.
Place du Capitole, 14 novembre 2015
Je me souviens.
Du visage grimaçant de la haine et de la barbarie qui heureusement ne s’affichera PAS dans le « camembert ».
De nos piètres victoires, de mon pays où des jeunes votent comme des vieux aigris, de ma République en danger.
De toutes ces mitraillettes à l’entrée des églises, des santons menacés par les « laïcards » et par les djihadistes, d’un Noël au balcon, comme sous les tropiques.
De ces sabres lasers prétendument rassembleurs, quand tous ces geeks pourraient se retrousser les manches, réfléchir et agir.
D’une partie de croquet dans un jardin baigné de lumière et de douceur un 26 décembre, les maillets et les boules étant ceux de mon enfance allemande, le regard bienveillant de nos quatre grands-parents comme posé sur nous, microcosme familial dans le macrocosme de l’Europe si fragile, du monde si vacillant, de l’Univers si mystérieux.
De nos espérances.
De nos forces.
De nos amours.
Je me souviens de 2015.
À la lumière de nos aïeux nous marchons.
Elle nous éclaire comme les étoiles de la nuit guidant le marcheur.
Al-Hutay’a, in Le Dîwân de la poésie arabe classique.
Enfin cette phrase, dédiée à tous ces disparus :
Je t’aimais. J’aimais ton visage de source raviné par l’orage et le chiffre de ton domaine enserrant mon baiser. (…) Aller me suffit. J’ai rapporté du désespoir un panier si petit, mon amour, qu’on a pu le tresser en osier.