#AZF #Toulouse #20ans

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#AZF – 21 septembre 2001. #Toulouse

Je plante des tulipes dans mon petit coin de jardin, à Rangueil.

Il fait très beau. Pour la première fois, mon petit garçon est parti à l’école le matin. Ce sera sa première journée complète…

Le ciel est bleu comme en enfer, un ciel de printemps en ce bel automne toulousain.

Soudain, l’apocalypse. Un bruit énorme, immense, dépassant tout entendement. Je tombe à la renverse, je crie, je ne me rends même pas compte que la fenêtre de ma salle de bains vient de tomber à quelques centimètres de ma nuque, manquant me décapiter…

La fin du monde. C’est la guerre, sans doute… Le 11 septembre est encore si proche, les Tours Jumelles n’en finissent pas de s’écrouler, voilà dix jours que le film repasse dans ma tête… Et voilà, la guerre est là… C’est une frappe d’Al Quaïda, je n’ai aucun doute.

Un deuxième bruit, tout aussi énorme, me plaque à nouveau au sol, cette fois je hurle, je réagis, je me relève et commence à courir, en pantoufles, je sors dans la rue, n’attends même pas mon époux, je crie seulement qu’il faut aller chercher les enfants.

Dehors, notre rue ressemble à ces villages frappés d’un tremblement de terre, lorsque certaines maisons sont intactes, épargnées, et qu’un silence de mort s’élève des bâtisses effondrées. Le destin, toujours ce satané destin… Chez mon voisin d’en face, tout semble normal, il est déjà tranquillement en train de frapper sur les bords de ses fenêtres pour en enlever le verre brisé; Stéphane est militaire, imperturbable.

J’apprendrai plus tard que le bébé Quentin dormait dans son berceau, juste sous la fenêtre. La chance, cette satanée chance…

Mon autre voisine en a beaucoup moins: son toit s’est écroulé.

Je m’élance, éperdue, en larmes. Mon mari me rattrape en voiture, je lui demande s’il a vu quelque chose. Oui, du balcon, un immense nuage jaune, de la fumée.

Nous nous demandons s’ils vont bombarder l’usine AZF, ou la gare… J’allume l’autoradio, rien.

Au coin de la rue, les premières victimes, allongées sur le trottoir, ensanglantées. Des gens courent, pleurent, crient. Je prie, dans ma tête.

Seigneur, faites que les enfants n’aient rien. Je t’en supplie, Seigneur...

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Nous cherchons d’abord le petit, à la maternelle. Le toit, nous dira-t-on, est tombé; mais les enfants étaient en récréation. Je l’aperçois tout de suite, souriant, avec les autres enfants, ils n’ont pas l’air blessés. Mais de l’autre côté du grillage, ma cadette.

Jamais je n’oublierai. Son visage déformé, grimaçant de terreur. Ses traits de sont plus qu’un masque d’angoisse. Le Cri, de Munch…

Maaamaaaaaan!! Viens me chercher!! Qu’est-ce-que c’était?!!

Je me dispute violemment avec le directeur, qui refuse de laisser partir les enfants. J’insiste, je prends mes deux petits, ma fille de huit ans me raconte que le plafond de sa classe est tombé en partie, qu’elle s’est jetée sous sa table, mais que des copines ont été blessées par des éclats de verre.

Je tremble. Je pense à mon aînée. Aux immenses baies vitrées de son collège. Je panique. Je crie à ma fille de prier aussi!

Mais prie! Allez, dis un Notre-Père!

(Avec le recul, je me dis que j’ai eu ce réflexe atavique des gens vivant un stress intense; on ne réfléchit pas, on est à la fois en pilote automatique de survie et en crainte absolue de mourir…)

Nous fonçons dans l’allée des Demoiselles pour aller au collège Anatole-France… Les embouteillages commencent, la radio ne dit rien, ou plutôt, des informations contradictoires; il paraît qu’il faut se confiner à la maison…

Mais… Personne n’a plus de vitres!

Notre quartier a été relativement épargné. Plus nous approchons du canal, moins les maisons semblent avoir souffert. J’apprendrai plus tard que nous avons eu de la chance, protégés par les coteaux de Pech David. Notre maison et l’école des petits étaient situées dans la deuxième couronne de l’explosion…

Le collège est ouvert. Le principal est à l’entrée, très digne. Une cohorte d’élèves, hébétés, en pleurs, certains se tenant le visage dans les mains, ensanglantés, se dirigent lentement vers la sortie. On murmure. Certains disent que c’est le gaz, qu’un prof aurait fait une expérience… Ma fille me voit, et court vers nous. Elle ne pleurait pas, mais ses nerfs lâchent en nous voyant, et nous sanglotons, enfin réunis. Mes bébés. Mes bébés sont sains et saufs.

Nous rentrons à la maison, et je décide immédiatement de partir. Mon efficacité allemande reprend le dessus, je suis calmée, même si je commence à comprendre qu’il s’agit sans doute d’un accident chimique. En quelques minutes, tout est prêt, un gros sac où j’entasse passeports, doudous, médicaments d’urgence et la chemise souvenirs importants. J’appelle ma mère pour lui dire que nous partons chez elle, dans le Tarn, je résume, elle sait déjà, elle a même entendu l’explosion.

À Castres, à 80 kilomètres de chez nous…

Ce sera le dernier appel possible, ensuite, tous les réseaux seront saturés. Impossible pour mes filles de joindre leur papa, mon premier mari, qui, le soir, de chez mes parents, leur rira au nez, leur disant qu’elles exagèrent, que ce n’était qu’une petite catastrophe, que je leur ai monté la tête… Il n’a pas la télévision, n’a pas eu conscience de l’ampleur des dégâts. En revenant quelque temps plus tard dans sa ville natale, il pleurera.

Et puis ce sera le mouchoir sur la bouche comme dans les meilleurs films de SF -sauf que, visiblement assez maladroits pour mériter d’être secourus par Bruce Willis, nous avons oublié de le mouiller-, le check up à l’hôpital de Castres -conseillé par les radios, enfin au courant de la genèse de l’événement-, le trajet au milieu des splendeurs lauragaises, avec la radio où le reporter se prend pour un envoyé spécial de CNN:

Je suis sur mon scooter,-quinte de toux-, je tente de m’approcher-quinte de toux-,c’est un carnage…

Enfin, l’arrivée chez mes parents, en larmes, à nouveau, épuisés, et, dans un sursaut de lucidité, mon appel à un vitrier de Castres; car toutes les vitres, sans exception, de notre maison, ont volé en éclats… (C’est ainsi que toute ma rue aura des vitres dès le lendemain matin, alors que certaines personnes attendirent parfois des semaines…).

Tout est bien qui finit bien, me direz-vous!

Nous n’étions pas blessés, les vitres furent réparées…

Laissez-moi rire.

Laissez-moi hurler.

Laissez-moi, en cette date anniversaire, onze ans après la plus grande catastrophe chimique française, crier ma révolte à l’annonce du verdict qui vient de blanchir intégralement les responsables de l’usine et la firme Total.

Ma famille, s’est vrai, s’en est bien tirée.

Mon petit garçon a juste joué à faire exploser des tours et des maisons -il a un peu amalgamé le 11 et le 21 septembre- durant des mois; ma cadette a simplement sursauté au moindre bruit durant des années; et moi, j’ai gardé sous mon bureau ma valise de la guerre, constituée dès notre retour, où mêlant moi aussi le traumatisme du World Trade et de l’AZF, et puis toute ma mémoire cellulaire de la guerre, puisque je porte en moi à la fois les cris de terreur de ma maman, petite Gretchen se jetant dans les fossés pour échapper aux bombes alliées, et les atrocités de la Shoah, puisque j’ai longuement travaillé sur la question juive, je rassemblai passeports et vêtements chauds, granules homéopathiques et vaccins, jouets et grands classiques… J’avais même commandé des pastilles d’iode à la pharmacie des Armées…

Mais les autres.

Les milliers d’autres.

Les 30 personnes décédées sur le coup ou dans les jours ayant suivi l’explosion.

Et ces milliers d’autres.

Les dizaines de personnes mortes des suites collatérales, celles qui décédèrent dans les mois suivant ce 21 septembre, de fatigue, de colère, de désarroi…

Ma propre grand-mère, allemande, qui vivait aussi près de chez mes parents, qui mourut d’une rupture d’anévrisme quelques jours plus tard; je suis intimement persuadée que le fait de voir arriver ma petite famille épouvantée lui a rappelé d’horribles souvenirs, et l’a conduite vers sa fin prématurée…

Et puis tout ce que les médias ont préféré taire, mais que des amis médecins me racontèrent, les yeux baissés… Les enfants énucléés, les adultes blastés, les jeunes filles défigurées à vie…

Et les mémoires brisées, les horloges arrêtées, les cauchemars récurrents, les stress post-traumatiques… De ceux qui roulaient sur la rocade et virent soudain leur véhicule projeté dans les airs, de ceux qui traversaient la cour de leur lycée, jouxtant l’usine, de cette maman qui vit son enfant transpercé par la baie vitrée, de ces ouvriers perdant non seulement leur meilleur ami, mais le travail d’une vie…

Et tous ces délogés, ces démunis, ces soldats de la honte, ceux que l’on vit, ce jour-là, hagards, marcher en file silencieuse et ensanglantée vers les hôpitaux, ceux qui ont tout perdu, et qui, déjà, vivaient dans les quartiers les plus pauvres de notre belle ville rose… Ceux qui restèrent des mois dans des mobil hommes…

Peut être une image de 5 personnes, personnes debout et plein air

J’ai honte.

Honte d’être française.

Honte de notre justice.

Certes, Toulouse s’est relevée. Ma ville rose tant aimée est plus belle que jamais, sa brique rose et l’eau verte du canal du Midi demeurent les joyaux de la couronne méridionale, et Garonne ondule d’aise au pied de ce qui est devenu le futur Cancéropole. Tiens, dans le métro, nous avons même des annonces en occitan, c’est vous dire si certains sont fiers d’être toulousains…

Mais moi, j’ai honte, aujourd’hui.

Et je sais que Claude pleure avec moi.

Il est loin mon pays, il est loin…

Peut être une image de plein air

***

Ce texte a été écrit il y a quelques années… Il était paru dans le Huffington Post:

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/anniversaire-explosion-azf-proces-toulouse_b_1891534.html

Aujourd’hui, vingt ans après, la France a connu d’autres catastrophes importantes, comme celle de Lubrizol. Avons-nous tiré des leçons de l’AZF? Je ne le pense pas… Et que dire du cratère de Beyrouth, où nos amis libanais ont perdu tant de vies..? Il est urgent de protéger la terre, les hommes, les villes…

N’oublions jamais.

***

  Longtemps, je t’ai rêvée

Peut être une image de monument, mur de briques et plein air

Perdue au fond des terres arides du Cantal, enlisée dans la lave stratifiée des volcans, je te cherchais, palais de briques roses, sur le fil ténu de ma mémoire.

Je fixais tes vertiges, placardant de grandes affiches de la basilique St Sernin sur les murs gris de mon appartement clermontois, m’enivrant de tes lumières, orpheline de tes mondes colorés, de tes petits marchés, de tes pincées de tuiles… La ligne bleutée des Pyrénées, se dessinant les soirs d’été tout au loin, m’était appel et mirage. J’avais soif de toi.

Me manquaient la douceur de tes ocres toscans, le parfum des tilleuls et des lilas des soirs de mai; me manquaient ta croix occitane et tes ruelles chargées d’histoire, tes bleus pasteliers et tes joutes hérétiques, tes éblouissements multicolores, de tes violettes timides au sang de tes briques. Toi la fière, la rebelle, capitale debout d’une Occitanie qui se rêvait libre…

Sans toi, je n’étais rien. J’avais faim de tes petits matins gourmands et tendres, lorsque tu t’éveillais, mi Reine des Pyrénées, mi village gascon, faim des claquements des persiennes et du café brûlant dans les tasses vert et or du Florida. J’avais faim de ta faconde, des effluves de cassoulet aux marchés aux gras. Mes lieux de vie me semblaient orthorexiques et glacés. J’avais froid sans tes ardeurs méditerrannes, lorsque ton soleil d’enfer dardait la brique et que seules tes églises offraient des oasis de fraîcheur.

Longtemps, je descendais en songe tes fleuves impassibles. Je revoyais tes eaux mêlées. Ville confluente, carrefour entre l’orient des plages languedociennes et l’occident des déferlantes, à mi voie des garrigues et des pins landais. A la croisée des chemins, cité Gasconne aux lumières provençales, antichambre de la méditerranée et promesse océane, arc-en-ciel identitaire, tu te fais passerelle, route de la soie des Suds et escale, auberge espagnole et métissage portuaire. L’eau verte du Canal me conduisait à Sète, et Garonne me guidait presque outre atlantique. Tu étais mon Ellis Island, mon espérance, ma terre promise.

Mon hérétique…Tu m’as appris le devoir d’insolence. Toi la protestante, la cathare, sœur des Esclarmonde et autres « Parfaites », écho des citadelles du vertiges se profilant aux confins de l’Aude, porte de Montségur. Jamais tu n’as fait profil bas, résistant à cette langue d’oïl qui voulait faire taire tes terres, hostile à tous les Parisianismes, défiant les lois de ces lointains quais des Brumes, éclatante de fierté. Même martyre, embrasée dans le moderne et sinistre bûcher de l’AZF, victime des incohérences et des lâchetés humaines, tu as su te relever.

Longtemps, je t’ai aimée.

Nous écoutions les notes bleues de Claude et buvions du thé au Jasmin au Bol Bu, hypokhâgneuses en révolte, chassant les nuages et les garçons, découvrant la vraie vie au sortir de nos campagnes tarnaises ou gersoises…Nous hantions les longues travées de ce Mirail bétonné, récitant Verlaine et critiquant nos pères. Les martinets hurlaient dans un ciel bleu comme en enfer et je plaquais les trois accords de Blowing in the wind , moniale naïve et vestale encore, sous la travée du cloître des Jacobins. Nous voulions changer la vie: Ma première matraque m’a frappée rue du Taur.

J’avais 20 ans quand la France a rosi, et je me souviens du Capitole en liesse, de la première fête de la musique, de nos grandes espérances. Beaucoup plus tard, petite Poucette rêveuse, j’ai égrené mes rêves et grandi. Mais je n’oublierai jamais ma foi adolescente, motivée avant l’heure, rouge comme Rosa Luxembourg et persuadée que nous transformerions le monde …

Et puis j’ai goûté Paris et ses ors magnifiques, Bruxelles et sa Grand place, Londres, Prague, Berlin…Pourtant, c’est vers toi que mon cœur me porte. Tu es mon ancre et ma grand voile, mon passé et mes futurs. J’ai rêvé ma vie sur les coussins de mon petit appartement du quartier des Chalets, je la rêve encore, plantant le lilas de mes espérances sur la terrasse  d’une grande maison qui hésiterait entre Jardin des Plantes et canal…

Aujourd’hui, mes enfants te découvrent et vivent sous tes toits de tuiles. Premiers baisers sous les tilleuls de la promenade, le long de Garonne…On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans…

Tu as grandi aussi. Tu vogues sur tes ailes du désir, sœur des étoiles, carrefour de l’Europe. Parfois mutilée par les chantiers immenses, tu seras bientôt libérée des trafics. Tes affaires Calas et autres scandales ne peuvent te noircir. Tu respectes ceux qui t’aiment, et ils te le rendent bien.

Tu es toujours mon autre. Mon double je, ma ville mémoire, ma ville espoir. De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir, j’écrirai, face au clocher de St Sernin, au-dessus d’un million de toits roses.

Peut être une image de plein air et monument

Au fronton du Capitole, sous le palmier des Jacobins, le long des berges de Garonne, sur l’eau verte du Canal du Midi, j’écrirai ton nom :

TOULOUSE.

A l’abric de la cançon de junh #poésie #occitan #Occitanie #juin #littérature #JeuxFloraux #printemps #déconfinement

A l’abric de la cançon de junh

Al bòrd del cèl,
a l’abric de la cançon de junh,
la meuna anma canta coma los ausèls
e dança la ròda dins l’ombrum.

Aquel camin, que nos fa tornar a la sorga,
non es que cant d’amor,
fresinament d’alas e patz eternala,
ostalada e baudor.

(en occitan, ma langue d’oc…)

À l’abri de la chanson de juin

Au bord du ciel,
à l’abri de la chanson de juin,
mon âme chante comme les oiseaux
et danse la ronde dans l’ombre.

Ce chemin, qui nous fait revenir à la source,
n’est que chant d’amour,
frémissement d’ailes et paix éternelle,
maisonnée et allégresse.

Ce texte fait partie des « Mémoires d’Autan », ouvrage ayant reçu le Prix Camille Pujol lors des Jeux Floraux toulousains de 2020.

http://jeuxfloraux.fr/15.html

« * Une médaille d’Académie égalementà Mme Sabine Aussenac, de Toulouse,  pour son poème « Et les pivoines »

  * Le Prix Camille-Pujol à Mme Sabine Aussenac, de Toulouse, pour son ouvrage Mémoire d’Autan. »

https://www.thebookedition.com/fr/memoires-d-autan-p-371712.html

Mes Mémoires d’Autan sont des miscellanées poétiques entremêlées de réflexions autour de l’être-soi d’un Sud-Ouest baigné par l’Atlantique et Mare nostrum, illuminé par nos campagnes gorgées de tournesols, et bien sûr surtout, pour moi, toulousain et tarnais ; alternances de nouvelles, d’essais et de poèmes en ancrage de cette terre d’Oc qui m’est chère, ces textes vivent au gré des méandres de Garonne et de l’Histoire ancienne ou contemporaine de la Ville Rose et du Grand-Sud…

Longtemps, je t’ai rêvée

Longtemps, je t’ai rêvée.

Perdue au fond des terres arides du Cantal, enlisée dans la lave stratifiée des volcans, je te cherchais, palais de briques roses, sur le fil ténu de ma mémoire.
Je fixais tes vertiges, placardant de grandes affiches de la basilique St Sernin sur les murs gris de mon appartement clermontois, m’enivrant de tes lumières, orpheline de tes mondes colorés, de tes petits marchés, de tes pincées de tuiles… La ligne bleutée des Pyrénées, se dessinant les soirs d’été tout au loin, m’était appel et mirage. J’avais soif de toi.

Crédits Sabine Aussenac

Me manquaient la douceur de tes ocres toscans, le parfum des tilleuls et des lilas des soirs de mai; me manquaient ta croix occitane et tes ruelles chargées d’histoire, tes bleus pasteliers et tes joutes hérétiques, tes éblouissements multicolores, de tes violettes timides au sang de tes briques. Toi la fière, la rebelle, capitale debout d’une Occitanie qui se rêvait libre…


Sans toi, je n’étais rien. J’avais faim de tes petits matins gourmands et tendres, lorsque tu t’éveillais, mi Reine des Pyrénées, mi village gascon, faim des claquements des persiennes et du café brûlant dans les tasses vert et or du Florida. J’avais faim de ta faconde, des effluves de cassoulet aux marchés aux gras. Mes lieux de vie me semblaient orthorexiques et glacés. J’avais froid sans tes ardeurs méditerrannes, lorsque ton soleil d’enfer dardait la brique et que seules tes églises offraient des oasis de fraîcheur.
https://www.instagram.com/p/Bp99pOJApsW/
Longtemps, je descendais en songe tes fleuves impassibles. Je revoyais tes eaux mêlées. Ville confluente, carrefour entre l’orient des plages languedociennes et l’occident des déferlantes, à mi voie des garrigues et des pins landais. A la croisée des chemins, cité Gasconne aux lumières provençales, antichambre de la méditerranée et promesse océane, arc-en-ciel identitaire, tu te fais passerelle, route de la soie des Suds et escale, auberge espagnole et métissage portuaire. L’eau verte du Canal me conduisait à Sète, et Garonne me guidait presque outre atlantique. Tu étais mon Ellis Island, mon espérance, ma terre promise.

Crédits Sabine Aussenac

Mon hérétique…Tu m’as appris le devoir d’insolence. Toi la protestante, la cathare, sœur des Esclarmonde et autres « Parfaites », écho des citadelles du vertiges se profilant aux confins de l’Aude, porte de Montségur. Jamais tu n’as fait profil bas, résistant à cette langue d’oïl qui voulait faire taire tes terres, hostile à tous les Parisianismes, défiant les lois de ces lointains quais des Brumes, éclatante de fierté. Même martyre, embrasée dans le moderne et sinistre bûcher de l’AZF, victime des incohérences et des lâchetés humaines, tu as su te relever.

Reconstitution historique au Capitole. Crédits Sabine Aussenac
Crédits Sabine Aussenac

Longtemps, je t’ai aimée. Nous écoutions les notes bleues de Claude et buvions du thé au Jasmin au Bol Bu, hypokhâgneuses en révolte, chassant les nuages et les garçons, découvrant la vraie vie au sortir de nos campagnes tarnaises ou gersoises… Nous hantions les longues travées de ce Mirail bétonné, récitant Verlaine et critiquant nos pères. Les martinets hurlaient dans un ciel bleu comme en enfer et je plaquais les trois accords de Blowing in the wind , moniale naïve et vestale encore, sous la travée du cloître des Jacobins. Nous voulions changer la vie: Ma première matraque m’a frappée rue du Taur.

Crédits Sabine Aussenac

J’avais 20 ans quand la France a rosi, et je me souviens du Capitole en liesse, de la première fête de la musique, de nos grandes espérances. Beaucoup plus tard, petite Poucette rêveuse, j’ai égrené mes rêves et grandi. Mais je n’oublierai jamais ma foi adolescente, motivée avant l’heure, rouge comme Rosa Luxembourg et persuadée que nous transformerions le monde …

Et puis j’ai goûté Paris et ses ors magnifiques, Bruxelles et sa Grand place, Londres, Prague, Berlin…Pourtant, c’est vers toi que mon cœur me porte. Tu es mon ancre et ma grand voile, mon passé et mes futurs.

Crédits Sabine Aussenac

J’ai rêvé ma vie sur les coussins de mon petit appartement du quartier des Chalets, je la rêve encore, plantant le lilas de mes espérances sur la terrasse d’une grande maison qui hésiterait entre Jardin des Plantes et canal… Aujourd’hui, mes enfants te découvrent et vivent sous tes toits de tuiles. Premiers baisers sous les tilleuls de la promenade, le long de Garonne… On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans…

Crédits Sabine Aussenac

Tu as grandi aussi.Tu vogues sur tes ailes du désir, sœur des étoiles, carrefour de l’Europe. Parfois mutilée par les chantiers immenses, tu seras bientôt libérée des trafics. Tes affaires Calas et autres scandales ne peuvent te noircir. Tu respectes ceux qui t’aiment, et ils te le rendent bien.

Tu es toujours mon autre. Mon double je, ma ville mémoire, ma ville espoir. De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir, j’écrirai, face au clocher de St Sernin, au-dessus d’un million de toits roses.

Au fronton du Capitole, sous le palmier des Jacobins, le long des berges de Garonne, sur l’eau verte du Canal du Midi, j’écrirai ton nom :

TOULOUSE.

Crédits Sabine Aussenac

https://www.youtube.com/watch?v=7gqPkb_sQQo

Ce petit texte avait été lu au Marathon des Mots 2006, avec d’autres « Lettres à ma ville », par Carole Bouquet et Sami Frey.

https://www.ladepeche.fr/article/2006/06/16/58481-ils-ecrivent-un-poeme-a-leur-ville.html

Quelques images:

Allégresses en exil : rencontres transfrontalières au hasard de l’exposition « Picasso et l’exil » au Musée des Abattoirs de Toulouse

https://www.lesabattoirs.org/expositions/picasso-et-lexil

En allant à la rencontre de ce singulier triptyque formé par Hans Hartung, un peintre allemand ayant fréquenté l’école des Beaux-Arts de Leipzig et de Dresde dans les années 1920, par Julio Gonzalez, sculpteur et peintre espagnol intimement lié au cubisme et au surréalisme, et par la fille de ce dernier, Roberta Gonzalez, elle-même artiste, au gré des œuvres exposées dans la salle rassemblant leurs productions respectives, même le néophyte, qui sera passé auparavant devant la relecture de Guernica par Robert Lungo (After Guernica), peut reconnaître aisément l’influence de l’ami Pablo, que ce soit par exemple dans les dites « têtes » de Hartung ou dans celles de sa future épouse, Roberta.

C’est d’ailleurs Julio, le père de Roberta, qui avait appris à Picasso à sculpter le métal, et l’on se prend à imaginer les œuvres des deux artistes mises en miroir, de par ce motif de la tête sans cesse renouvelé, symbole d’une humanité bien malmenée par le siècle et par les brûlures de l’Histoire.

Car ces quatre artistes auront eu en commun l’exil, superbement représenté par la photo prise par Hartung de son beau-père espagnol Julio, souriant face à l’objectif, béret basque vissé sur la tête, moustache et bretelles complétant ce portait si typique de l’allégresse méridionale à l’élan soudain coupé net, si douloureusement peint à la gouache sur la toile faisant face à la photo, l’une des « têtes » de Hartung : au noir et blanc ensoleillé de la photographie s’opposent les tons froids de la peinture et les traits durcis d’un homme usé par les épreuves, par les camps de détention et par toutes ces confrontations à la barbarie du monde.

Cette violence de l’exil et des guerres se retrouve aussi dans le morcellement et l’éparpillement des corps et des chairs, en écho aux abracadabrantes représentations de Picasso, comme dans cette Jeune fille à la tête penchée de Roberta Gonzalez de 1939, puisque si la féminité du modèle est bel et bien encore présente au vu de ses deux seins dressés, la position complètement tordue de la tête de ce qui est visiblement un cadavre – rigidité des traits, yeux fixant l’horreur et bouche ouverte glaçant le spectateur – met cependant en exergue Éros et Thanatos au cœur même de l’art.

Le fusain Nu effrayé, daté lui aussi de 1939, fait lui aussi écho à la destinée de Picasso, de celui que l’on nomma tour à tour le « Gitan » ou le « demi-juif polonais », puisque dans cette œuvre de Roberta Gonzalez c’est toute une humanité méprisée, torturée et assassinée qui se contorsionne, figée dans cette gestuelle saccadée et souffrante.

La vie de Hartung sera à l’image de ces millions de destinées brisées, puisqu’il va errer dans une Europe en proie aux convulsions des fascismes, allant jusqu’à être incarcéré au camp de concentration de Miranda del Ebro en Espagne, avant d’être amputé à deux reprises à l’hôpital Purpan de Toulouse et d’être finalement naturalisé français et de recevoir, plus tard, la Légion d’Honneur.

Comme son ami Pablo, il aura connu la « crise de l’abstraction », passera du figuratif à l’abstrait, migrant d’une forme ver l’autre ; et en déambulant d’une œuvre à l’autre dans cette salle croisant divers destins des exilés européens, le visiteur de 2019 ne peut s’empêcher de penser aux migrations actuelles, aux innombrables exils des réfugiés issus de pays en guerre ou soumis à des dictatures, ou en proie aux errances climatiques…

Car les convulsions de l’Histoire restent les mêmes : les visages des errants se tordent dans des brisures similaires, et la main tendue en haut à droite du tableau de Guernica est bien cette même main qui surgit des flots quand les migrants se perdent dans les eaux de Mare Nostrum, non loin de Vallauris…

C’est ainsi que tous les « frères humains » déjà chantés par Villon, devenus « Frères migrants » sous la plume de Patrick Chamoiseau, nous regardent, vous regardent au travers des yeux éternels de ces artistes de l’exil, nous invitant au vivre-ensemble.

Ce texte a été rédigé lors d’un stage au Musée des Abattoirs, le premier avril 2019, organisé par la DDAC : « Du regard sensible au regard critique : devenir critique d’art».

Vous pouvez retrouver le padlet et d’autres textes ici :

Made with Padlet

http://www.seuil.com/ouvrage/freres-migrants-patrick-chamoiseau/9782021365290

http://www.seuil.com/ouvrage/freres-migrants-patrick-chamoiseau/9782021365290

http://www.fondationhartungbergman.fr/sitehhaeb/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Julio_Gonz%C3%A1lez

http://www.sciencespo.fr/artsetsocietes/fr/archives/539

Photos prises en visitant l’exposition.

Palais de glace…

 Je suis la femme-bulle, enfermée dans son palais de glace. Prisonnière de mes morts, je vis derrière la vitre et vois passer la vie.

Elles sont là, toutes mes vies possibles, à portée de rêve…Il y a toutes ces maisons inconnues, ces hommes à aimer, ces rencontres improbables, ces métiers non exercés… Et si…Et puis les vies passées, les presqu’îles, les torrents, les fureurs océanes, tout ce magma mémoriel qui déferle et s’engouffre en chaque interstice de mes présents et pollue mes rivières…

Je suis en cet instant précis au milieu de ma vie, j’ai atteint la « mi route » de Desnos.

Et je me sens confluente, source et delta, comme prisonnière de cette banquise qui ne demande qu’à fondre. Je vois passer à la surface de mes glaces toutes ces images, toutes ces perspectives non saisies, et n’ose me dire qu’il est trop tard. Il ne peut être trop tard.

Il m’est tout simplement impossible de croire que la vie, ce n’est que ça, ce seul combat permanent entre les chiens et loups de ces mensonges, il m’est impossible de ne pas entendre, attendre la suite.

Éternelle rousseauiste-c’est la faute à Voltaire-, je sais les temps prédits de la bonté. Cette idée de planter un pommier, même si la fin du monde était pour demain, cette idée que la vie même est renaissance, mouvance, intensité toujours renouvelée, ne me quitte pas.

Il est miraculeux qu’il reste la lumière, disait Claude Vigée.

Ma vitre est légèrement embuée, et pourtant je vois passer mes rêves, encore et toujours.

Il y aurait eu ma vie parisienne. Si j’avais terminé ma khâgne, si je n’avais pas épousé un cheminot cégétiste pour fuir la coupe d’un conseiller général RPR de père…Avec mon boy friend d’alors, devenu un people du monde des lettres, nous aurions écumé le Flore et les Champs…Oui, je les vois, notre petit appartement du Marais, et nos nuits à Saint-Germain, et ma carrière de normalienne, puis de journaliste…En avais-je la carrure ?

Je me souviens de l’une de nos rencontres entre nos divorces respectifs, il m’avait invitée chez Lipp et m’éblouissait de son assurance, de ses mots, de son parisianisme. Je mesurai, l’espace d’une soirée, la béance entre nos deux univers, entre ma petite vie de provinciale maladroitement engoncée dans ses routines et les brillances du succès universitaire. J’avais presque perdu, à cette époque, l’habitude des mots, égarée en terre hostile, sommée de défendre ma pitance intellectuelle devant le cercle militant des amis de mon époux. C’était Pol Pot, je devais pratiquement faire mon méa culpa et me justifier de mes lectures, de mon amour du mot. J’étais orpheline, soudain, de cette vie qui aurait pu être mienne, si j’avais suivi la voix royale de « Normale ».

C’est ainsi que je me promène, orpheline de mes vies, tantôt femme d’à côté, ardente et passionnée, tantôt Scarlett enfin domptée, sans même un Rhett, sans même un Tara à reconstruire.

Il y aurait ce castel dont je serais la reine, et mes roses parfumées que je respirerais comme en tableau de Waterhouse. Je peux entendre crisser les graviers de mes rêves, et sentir le lilas embaumant nos parterres. Je suis la Dame des Sablonnières, ou Léopoldine aux Feuillantines, de grands arbres bruissent dans le parc où jouent nos enfants blonds, et j’écris sur cette petite table ancrée sous la glycine. J’aime ce jardin, qui respire chaque soir comme un poème d’Anna de Noailles ; j’entends le clapotis de la fontaine, et je te vois, assis à ton bureau, ta belle tête de penseur penchée sur quelque idée qui flâne.

Et nos arbres, tous nos arbres…Le marronnier et ses fruits polis que je récolte comme autant de galets de ma terre, l’allée de tilleuls sous laquelle nous avions échangé notre premier baiser, les cerisiers sous lesquels tu me nommes ta geisha à chaque printemps, et le cèdre bleu, mon cèdre, ma certitude. La peupleraie trouée de lumières, et puis la sapinière, comme échappée des Ardennes de mon enfance, silencieuse et pérenne.

Poétesse, ce lieu m’ancre et me ressource. L’été accueille nos stagiaires en écriture, et le festival de musique ancienne que nous avons créé. Jordi Savall est mon meilleur ami. La lecture de mes textes qu’il a accompagnés l’an passé a été retransmise en duplex sur Arte, ma mère en avait informé la terre entière.

Il m’arrive de descendre plus au sud, aimantée par la Toscane, par les ocres et les siennes, guidée par les cyprès.

Un enfant bruni par la lumière joue à l’ombre de la cour. J’ai lu un jour que Carole Bouquet vinifie en Toscane, et je me rêve pont entre deux rives, messagère de cette terre gorgée de soleil, offrant les grappes de ma vigne…Comme j’aurais aimé, oui, vivre en Italie, en éternelles vacances romaines, en petite mort à Venise, sculpturale et galbée, outrancière et légère, Madone et courtisane…La Villa Médicis a été longtemps ma terre promise, j’y ai beaucoup appris. Traductrice, essayiste, comédienne, je me sens Beatrix et Joconde.

Mais je peux aussi me faire océane, traversant continents pour explorer le temps. La possibilité d’une île me ravit ; battue par les flots, la petite cabane abrite mes amours luxuriantes avec quelque artiste déchu. Je le rejoins les nuits de tempête, lorsque la mer tarde à me rendre mon époux, et pose nue devant la vitre embuée par nos étreintes. Les chroniques que j’envoie au Times respirent la passion, les embruns fouettent ma plume. Parfois je pars encore bien plus loin, vers ces contrées où je défends la cause de mes sœurs martyrisées. On parlerait de moi pour le Pulitzer. Bernard-Henri m’a proposé une écriture à quatre mains, j’y réfléchis.

L’Angleterre m’appelle souvent, j’accoste à Beachy Head et vais de cottage en vallon, comme habitée par cette histoire royale. L’exception britannique parle à mon cœur de midinette, et, lorsqu’une vielle main gantée soulève la dentelle devant le carreau gauchi orné d’ipomées pour me regarder traverser le village, je crois reconnaître Agatha.

Mais je préfère encore m’appeler Moïra. Tu aimes tellement mes cheveux de sorcière que tu m’as surnommée Sanguine. Depuis notre jardin d’hiver où poussent des palmiers, je vois la baie, violente et passionnée comme les longs romans pleins de bruit et de fureur que j’écris en souriant. Parfois, tu m’apportes un Darjeeling fumant et passes tendrement une main dans mes cheveux lumière, avant de rallumer le feu. Arrête, tu dis des bêtises. Le Goncourt, c’est pour les vrais écrivains…

Et puis il y a les villes, les villes tourmentées et les cités radieuses, les odeurs des marchés et les ruelles sombres, les façades éclairées et les jours de pénombre.

Tu m’as offert Venise, je t’ai guidé à Rome. Tu m’as demandée en mariage au pied du Golden Gate, jamais je n’oublierai ta main californienne aimant ma vieille Europe. New York est mon village, Calcutta me bouscule, mais toujours je reviendrai vers toi, eau verte de mon Canal du Midi.

Tiens…La vitre se fissure…Le verre se brise en milliers de nacres irisées, les fractales de mes vies semblent converger comme autant de particules élémentaires vers un réel tangible. Car la vie est là, allongée comme Garonne ondulant d’aise entre les neiges et l’océan, coulant impassible aux pieds de ma ville rose, m’attendant.

Il faudra bien le traverser, ce miroir, si je ne veux pas finir comme Nora dans sa Maison de poupée. Il faudra arrêter le train d’Anna et prévenir Vronski, il faudra aimer Brahms, décommander Julien Sorel.

Et dire adieu aux Feuillantines, aux Twin Towers et à l’enfer de mes dernières années.

Il faudra que je m’extirpe de ma gangue littéraire qui m’a protégée des jours sordides, il faudra que la chrysalide en éveil ose devenir papillon. Maintenant, c’est à mon tour d’écrire ces mots qui m’ont sauvée. La vitre pare balle dont je m’étais entourée saura faire place à l’immense.

Ne plus rêver ma vie.

Mais vivre mes rêves.

« Mi route

Il y a un moment précis dans le temps

Où l’homme atteint le milieu de sa vie

Un fragment de seconde

Une fugitive parcelle de temps plus rapide qu’un regard

Plus rapide que le sommet des pamoisons amoureuses

Plus rapide que la lumière

Et l’homme est sensible à ce moment. »

Desnos.

NB: Monsieur Roger Grenier, un des piliers de Gallimard, avait beaucoup aimé ce texte, ainsi que d’autres nouvelles… Grande Maison en a décidé autrement… Voilà des années qu’il dort dans mes tiroirs, ce cera mon cadeau de fin d’année…

Comme par un orage de coquelicots #commémoration #14/18

Comme par un orage de coquelicots

Arthur Bourgail, tu es mort le 5 novembre 1918. Je vois ton nom au passage,  chaque fois que je descends du bus, au coin de ma rue.

Cent ans, cent ans déjà, aujourd’hui, que ton beau sourire s’est effacé au détour d’un obus ou d’une embuscade, et que tu es tombé, comme ils disent, « au champ d’honneur », ta capeline bleu horizon rougie comme par un orage de coquelicots.

Je t’imagine petit garçon, grandissant non loin de notre place Pinel, qui ne s’appelait d’ailleurs pas encore ainsi, puisqu’elle n’a été baptisée du nom de ce syndicaliste qu’en 1929… Ton père prenait sans doute le tramway pour revenir de son travail au centre-ville, puisque depuis le 12 avril 1910, le tramway hippomobile était devenu électrique, et que le conducteur annonçait « Tïn, tïn, Còsta Pavada » en arrivant non loin des belles toulousaines de notre Côte Pavée…

Arthur, petit Arthur, je gage que tu as fréquenté, bel enfant brun aux yeux de braise, le collège du Caousou, puisque ce dernier, malgré les lois du « petit père Combes », ouvrait encore ses portes à l’aube du vingtième siècle, avant de fermer, le 23 décembre 1912, et de devenir un hôpital durant la der des der… Tu jouais au cerceau, aux quilles, et tu apprenais les poésies de Victor Hugo avant de rentrer goûter dans ton jardin, dont les lilas embaumaient à chaque printemps, dans quelque ruelle ensoleillée croisant l’avenue de Castres…

J’espère, cher Arthur Bourgail, que tu as eu le temps d’être heureux. Que tu as aimé apprendre, que tes professeurs ont loué ton intelligence, que tes études, peut-être à Paris, si tu as eu le temps d’y « monter », ou tout simplement dans quelque faculté toulousaine, ont fait de toi un jeune homme curieux et passionné. Je te rêve, dans ton costume élégant, arpentant fièrement les allées du Jardin Royal au bras d’une délicieuse jeune femme pétillante et amoureuse, que tu courtiseras ardemment juste avant de partir au Front… Je vous souhaite des baisers fougueux et des étreintes douces, et de longues lettres aux pleins et aux déliés violets parfumés de pétales de roses, que tu serreras contre ton cœur, la nuit, pour oublier la pluie de feu de fer de sang.

Je pense à ta fiancée, Arthur, à ces torrents de larmes versées, à sa vie blessée, amputée de l’espérance, brisée, tout comme la tienne, par la folie des hommes… Je pense à ta mère, Arthur, qui se vêtira de noir le restant de sa vie, comme tant de voisines, devant lesquelles on s’inclinait en silence, sans oser évoquer le nom des fils disparus. Je pense à ton père qui fièrement te laissa partir défendre une patrie qui lui vola son âme.

Et, surtout, je pense à toi, plongé, à peine sorti de l’adolescence, dans l’enfer des tranchées, si loin de ta ville rose et de l’eau verte du Canal, embourbé dans la nuit indicible des combats, volé à la vie par la barbarie des gouvernants impavides, victime innocente et oubliée d’une guerre inutile, comme toutes les guerres… Je pense à tout ce que tu n’auras pas fait, pas vu, pas vécu, à ta ville qui va grandir sans toi, à cette femme qui portera d’autres enfants que les tiens, à ton nom qui n’existe aujourd’hui que sur ce monument adossé à une école mais que les enfants, plongés dans les écrans des portables, n’ont sans doute jamais lu…

Je ne t’oublie pas, Arthur Bourgail. Tu n’as pas eu de rue de Toulouse à ton nom, google ne te connait pas, ton nom d’ailleurs n’existe pas sur les moteurs de recherche, il manque le « h » qui orne les « Bourgailh », eux, beaucoup plus présents… Mais je ne veux pas t’oublier. Tu es parti six jours, six jours seulement avant la signature de l’Armistice, six petites journées de novembre qui ont séparé ta mort de la fin de cet interminable conflit. Il s’en est fallu de si peu pour que tu rentres à Toulouse, comme tes camarades épargnés, non pas la fleur au fusil mais la rage et la peur au ventre, mais, au moins, en vie… Tu aurais sans doute gardé pour toi la bouillie innommable des Tranchées, préférant épargner tes parents et ta Douce, et puis tu aurais repris le cours de ta vie, même si tu étais revenu unijambiste ou borgne…

Mais non : le destin, ce farceur de destin, en a décidé autrement, et, en ce 5 novembre 1918, a fauché ta jeune vie de Poilu.

Arthur Bourgail, aujourd’hui tu reviens à la vie, à quelques jours des commémorations de la fin de la Grande Guerre ; je te rends, le temps d’une lecture, toutes les briques de notre ville rose, le clocher carillonnant de la basilique Saint-Sernin, les courbes de Garonne et les senteurs pastelières de Toulouse…

Tiens, prends ma main, je montre ta ville qui a un peu changé, regarde, le lycée du Caousou est toujours là, avec son magnifique parc boisé, et puis notre avenue qui dégringole vers le Canal, sans tramway, mais avec la ligne L1, et sur la place qui se nomme aujourd’hui Pinel il y a un magnifique kiosque aux poteaux murmurants… Regarde, la Place du Capitole est de plus en plus belle, et les grands marronniers du Jardin des Plantes abritent toujours des baisers au printemps…

Arthur Bourgail, aujourd’hui je t’adoube immortel.

« C’est bien plus difficile d’honorer la mémoire des anonymes que celle des personnes célèbres. La construction historique est consacrée à la mémoire de ceux qui n’ont pas de nom. » Walter Benjamin

Sabine Aussenac.

***

Je t’interdis d’aller faire la guerre…Hommage aux Poilus…

(Re) naissances-s

(Re) naissances-s

 

Parfois, on se sent un peu infantilisé par cette « grosse mamelle tiède de l’éducation nationale » – citation que je dois à Denis Fontaine, professeur d’art plastique et artiste-, et on a envie de dépasser un peu ce monde qui est souvent le seul que l’on a connu, d’un statut d’élève à celui de professeur, après le bref passage à la case étudiante…

C’est aussi en ce sens que j’ai commencé à écrire, un soir d’avril 2008, le 30, plus précisément, en trébuchant sur les mots d’un poète amazigh sur un site de partage de poésie :

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=52568&forum=18

«  23/4/2008 De: Tafraout Maroc

Poésie,poète et lecteur( dédié à Abdeslam Nassef )

Dédié à Abdeslam Nassef

Il y a poésie et poésie. Tout ce qui s’écrit et qui prétend être poésie ; n’est pas du tout poésie. La poésie est un besoin quotidien comme l’air ; c’est le pain spirituel du poète. Le poète écrit tout d’abord pour son plaisir. Tout poète qui écrit a une intention et il n’existe pas de création neutre ou d’écriture blanche et innocente. Le poète ne peut pas plaire à tout le monde. Le poète est un vieil enfant qui s’arme de mots pour casser le nez à ses aînés. Le poète est un révolté contre l’ordre établi. Le poète est engagé pour des causes sociales ou politiques. Le poète peut être mystique ou profane, romantique ou réaliste, surréaliste ou symboliste, imprécateur ou lèche-bottes, enfant chéri sous la tutelle paternelle politique et sociale ou enfant espiègle trouble-fête. Le poète peut être inclassable, hermétique, simpliste, fade, meneur de foules ou tout simplement prophétique. Le poète peut être nul ou talentueux. Le poète est toujours un être humain qui ne pourrait aucunement traiter des thématiques inconnues à ses semblables. Le poète doit être conscient de sa sensibilité, de sa motricité, de sa vocation, de sa signature, de ses limites, du respect de ses lecteurs et du devenir de sa création.

Au café au sein de la cacophonie, je me fraie mon destin de poète. Tel un prédateur, je guette les mots (la langue est un gibier rare et très prisé) au lieu de prêter oreille fine à la médiocrité lot des mentalités restreintes ; je leur tends mes pièges ; je veille à ce que l’appât soit attrayant et le piège bien camouflé et quand le mots mord dans l’appât ,il est sans faille pris dans le piège tendu de mains expertes. (…)

Le poème une fois composé et à la portée du lecteur ; c’est son destin d’être lu et commenté, apprécié ou déprécié par le lectorat. Les jugements catégoriques, les lacunes de lecture à la va-vite, l’acharnement à toujours vouloir coûte que coûte émettre un commentaire de la part du lecteur pourrait nuire au poème et au poète. C’est une passion que de lire un poème; c’est tout un plaisir et un art de que lire un poème. Si le lecteur au lieu d’émettre aveuglément et avec une ignorance évidente des commentaires blessants ou dénigrants, mieux vaudrait ne rien dire. Si le lecteur ignore comment apprécier un poème, ce n’est pas la faute à l’auteur ni à personne de même. La compréhension exige l’attention et l’intérêt. Le poète a son monde intérieur qu’il dévoile à peine car tellement jaloux de cette magie-là qu’il possède. Le poème est comme un enfant dont le poète a peur qu’il soit maltraité par le lecteur. Le poème qui mérite la survie survivra malgré tout. Le poète qui est reconnu l’est car il est véridiquement poète ; le vrai poète méconnu et mal compris sera ultérieurement reconnu. La beauté, la bonté, la sagesse, la générosité demeurent des vertus qui ne meurent.

Amitiés

Farid . »

  30/4/2008 23:21
Plume d’or

Inscrit le: 30/4/2008

De: Neiges sud sapins lumières

Envois: 1148

Re: Poésie,poète et lecteur( dédié à Abdeslam Nassef )

Farid,

Au détour d’une douce et solitaire soirée en terre gasconne, j’ai trébuché sur ce site et me suis pris l’âme dans vos mots, d’une infinie sagesse, d’un beau réconfort.
Merci pour ce message d’outre-mare nostrum, aussi précis qu’un mirage qui se profile au détour d’une dune, muvant et ferme, défintivement vrai.

Je vous offre « ma »poétesse ce soir, celle à qui j’ai dédié un petit travail universitaire, « Rose Ausländer, une poétesse juive en sursis d’espérance ».
Puisse ses mots venir vous trouvez, sinon, je vous la traduirai.

Salam,
Sabine.

Oh, bien sûr, j’avais déjà balbutié quelques textes auparavant, rédigé mon mémoire de DEA sur la poésie de Rose Ausländer en 2005, et puis surtout commis année après année d’indigestes dissertations d’agreg au fil de mes tentatives de passages de concours -concours que je travaillais pas, d’ailleurs souvent, je ne lisais même pas les œuvres…Mon texte sur notre maison de campagne, « Les Rochers du Moulin du Roy », avait été publié dans la Revue du Tarn ; j’avais ébauché quelques textes pour un concours de nouvelles de… Marie-Claire !

Et un jour, étrangement, d’un seul coup d’un seul, le 30 avril, j’ai compris qu’il était temps de renouer avec le vœu pieux formulé dès l’âge de huit ans, quand j’avais écrit dans une rédaction que je voulais écrire, comme Andersen. C’est vraiment grâce à ce petit électrochoc de la rencontre littéraire, sur les pages d’expression de ce site, que je me suis soudain souvenue de la dizaine de cahiers que mon amie Marie-Claude et moi-même noircissions, sur les bancs du lycée…La poésie…Celle que nous avions découverte dans les cours de notre cher Monsieur Crostes, que nous déclamions, cheveux au vent, sur les rives du lac de la Borde-Basse, dévorant Rimbaud, Baudelaire, Eluard…Avant de coucher nous-mêmes nos émotions sur ces petits mots échangés en cours de maths (« petit mot », explication à l’intention des jeunes lecteurs : SMS écrit sur un bout de papier et passé de la main à la main dans une salle…) et dans nos cahiers…

C’est ainsi que je m’inscrivis sur « Oasis ». Sur ce site, je devins Rosam, puis Scarlett, puis Louandrea. C’est là aussi que je découvris les « réseaux sociaux », peu de temps avant Facebook (« Delechat », un poète d’Oasis et peintre, alias le talentueux Tony Sossi, devint d’ailleurs mon premier « ami Facebook » !), les joies des discussions en ligne, au gré des amitiés avec des poètes de tous les pays…

http://www.artzoom.org/pdf/tonysossi_30.pdf

Car sur Oasis se retrouvent aussi de nombreux poètes du Maghreb. J’ai l’honneur de fréquenter depuis dix ans maintenant deux poètes marocains de grand talent, Farid et Mostafa, qui sont mes frères en littérature et en humanité. Même si nous ne nous sommes jamais rencontrés, j’ai un immense respect envers leur talent et nourris une réelle affection pour ces poètes ! J’ai d’ailleurs eu la joie de préfacer le dernier livre de Mostafa Houmir, dont les cartes postales ornent mon bureau…

https://www.youtube.com/watch?v=BPafOWjvMbk

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Farid_Zalhoud

Si j’ai pris différents « pseudos » pour écrire sur Oasis, c’est que… j’ai parfois pris part à quelques discussions houleuses, et ai été « bannie »… J’en souris aujourd’hui, mais Oasis est une grande famille, et, comme dans toute famille qui se respecte, il y a parfois des pleurs et des grincements de dents… Quoiqu’il en soit, même si j’ai bien peu le temps de participer à ce forum aujourd’hui, en raison d’obligations diverses, et même si les textes qu’on y trouve ne sont pas toujours du niveau de « la Blanche » de Gallimard, la poésie y est VIVANTE. Et  à quelques encablures de la fin du Printemps des poètes et juste avant le Marché de la poésie, je voudrais insister sur cette parole poétique plurielle qui fleurit sur internet et qui est trop souvent oubliée et décriée.

Quelle désolation, en France, que ces querelles de clocher autour d’un art minoré de force, avec d’une part ces « concours de poésie «-vaches à lait des organisateurs qui parfois réclament des sommes folles et offrent ensuite trois poussières de livres et des « médailles », comme à des généraux-poètes-, et où l’on exige de surcroît souvent de la « poésie classique », et d’autre part les grandes maisons qui paradoxalement ne publient que l’épure de la modernité, loin de tout classicisme.
Car un bon poète est un poète « mort », ou alors un poète dont de rares mots, jetés sur page blanche comme neige fragile, nous interpellent faiblement, derniers mohicans d’un art compassé, qui se murmure en alcôves de mots, ou qui se beugle, lorsque les dits poètes se piquent de hurler leur modernité en festivals de rues, nouveaux baladins, faisant du poème un gueuloir…Et il est bien difficile d’oser se « dire poète » (mais je le fais…) si l’on n’est ni un chantre de la poésie moderne si « minimaliste » et surtout sans rires, sans vers (le vers, c’est péché…), souvent sans musicalité, ni un « bruissonnant » , s’époumonant au gré de scènes ouvertes dans d’étranges variations vocales…

Au milieu de ces assourdissants silences, circulant presque sous le manteau, se vendent les « revues », caviar intellectuel circulant parmi une élite d’initiés… Pour « en être », bien sûr, il faut se plier aux carcans de la modernité, car l’alexandrin en est banni, le sonnet chassé, et la rime exilée.

Mais tout autour, loin des places fortes -et souvent un peu élitistes, parisiennes, boboïsées…- que sont les manifestations publiques dédiées, se pressent donc ces milliers d’internautes poètes et/ou amoureux de la poésie, décriés par certains, car dépeints comme maladroits, et parfois méprisés, car traités ouvertement, sur d’autres forums ou dans des essais, d’incultes…Alors que leurs mots sont merveilles vives, cristaux de vérité, pépites parfois…

Car la poésie VIVANTE, c’est aussi la leur…Et je tenais ce soir à remercier l’équipe des créateurs et modérateurs de m’avoir accueillie en ce lieu qui m’a…donné des ailes…

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/search_auteurs.php?uid=13361

29/6/2008 23:05

Curriculum vitae

Rhénane 

Pour les étés de mon enfance

Bercés par une Lorelei

Parce que née de forêts sombres

Et bordée par les frères Grimm

Je me sens Romy et Marlène

Et n’oublierai jamais la neige 

Rémoise 

Pour un froid matin de janvier

Parce que l’Ange au sourire

A veillé sur ma naissance

Pour mille bulles de bonheur

Et par les vitraux de Chagall

Je pétille toujours en Champagne

Carolopolitaine 

Pour cinq années en cœur d’Ardennes

Et mes premiers pas en forêt

Pour Arthur et pour Verlaine

Et les arcades en Place Ducale

Rimbaud mon père en émotion

M’illumine en éternité

Albigeoise 

Pour le vaisseau de briques rouges

Qui grimpe à l’assaut du ciel bleu

Pour les démons d’un peintre fol

Et ses débauches en Moulin Rouge

Enfance tendre en bord de Tarn

D’une inaliénable Aliénor 

Tarnaise 

Pour tous mes aïeuls hérétiques

Sidobre et chaos granitiques

Parce que Jaurès et Lapeyrouse

Alliance des pastels et des ors

Arc-en-ciel farouche de l’Autan

Montagne Noire ma promesse  

Occitane

De Montségur en Pays Basque

De la Dordogne en aube d’Espagne

Piments D’Espelette ou garigues

De d’Artagnan au Roi Henri

Le bonheur est dans tous les prés

De ma Gascogne ensoleillée

Toulousaine 

Pour les millions de toits roses

Et pour l’eau verte du canal

Sœur de Claude et d’Esclarmonde

Le Capitole me magnétise

Il m’est ancre et Terre promise

Garonne me porte en océan

Bruxelloise

Pour deux années en terre de Flandres

Grâce à la Wallonie que j’aime

Parce que Béguinage et Meuse

Pour Bleus de Delft et mer d’Ostende

En ma Grand Place illuminée

Belgique est ma troisième patrie 

Européenne 

Pour Voltaire Goethe et Schiller

Pour oublier tous les charniers

Les enfants blonds de Göttingen

Me sourient malgré les martyrs

Je suis née presqu’en outre-Rhin

Lili Marleen et Marianne 

Universelle 

Pour les mots qui me portent aux frères

Par la poésie qui libère

Parce que j’aime la vie et la terre

Et que jamais ne désespère

Pour parler toutes les langues

Et vous donner d’universel.

(« Rosam »)

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/search_auteurs.php?uid=14042

8/6/2009 2:13

J’aurais aimé sauver Celan

 

J’aurais aimé sauver Socrate

Jeter sa ciguë aux orties

Conspuer tous ces démocrates

Faire d’Athènes son paradis

J’aurais aimé sauver Werther

Charlotte ne vaut pas une messe

Fou d’un bas bleu là le bât blesse

J’aurais enrayé revolver

J’aurais aimé sauver Rimbaud

Le rendre fou d’une vraie femme

Son Ophélie son oriflamme

J’aurais vendu tous ses chameaux 

J’aurais aimé sauver James Dean

Au carrefour de l’impensable

J’aurais été sa Marilyn

Diamant dans sa décapotable 

J’aurais aimé sauver Celan

L’empêcher de goûter la Seine

Pont Mirabeau couleur de haines

Les méridiens coupés de sang

J’aurais aimé sauver le monde

Soeur Emmanuelle en Bruce Willis

Avec l’amour comme seule police

Capable d’arrêter les secondes 

Mais je ne sais que mélanger

Brasser les mots les injustices

Mes héros sur papier coucher

En attendant nouveau solstice.

(« Scarlett »)

 

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/search_auteurs.php?uid=15405

31/10/2015 2:23

La pastorale du ciel

Pastorada del cèl

La poësia

es lutz e dança,

palomba dins la nuèit,

revolum del cant de las fuehlas,

terra nòstra e vin d’alegrança,

sosc inatengible dins la votz d’amor.

La poësia

es crit de revòlta que canta

come los ausels,

ama de fuòc sacrat,

breçairòlas del lop e croisada de la colomba,

raives de las montanhetas,

luna e esteletas : pastorada del cèl.

La poësia

es lo silenci de fum,

la Menina e l’ostal, sorga e fòrça,

alas blancas, e aigueta que camina sus

mon còr.

***

Sabine Aussenac, en occitan. 

La pastorale du ciel 

La poésie

c’est la lumière et la danse,

palombe dans la nuit,

tourbillon du chant des feuilles,

notre terre et vin d’allégresse,

songe inaccessible dans la voix d’amour.

La poésie

c’est un cri de révolte qui chante

comme les oiseaux,

âme du feu sacré,

berceuses du loup et croisade de la colombe,

rêves de petites montagnes,

lune et étoiles: la pastorale du ciel.

La poésie

c’est le silence de la brume,

la grand-mère et la maison, source et force,

ailes blanches, et eau vive qui chemine sur

mon cœur.

(« Louandrea »)

Merci aussi infiniment à mon amie Geneviève, qui a créé tout au long de ces années de magnifiques mises en pages à mes textes et m’a toujours été un précieux soutien…

Et bien sûr à Adeline, créatrice du site.

Tout naturellement, un jour, je suis redevenue « Sabine Aussenac ». L’écriture m’avait beaucoup aidé, d’ailleurs, durant de longues et sombres années où, suite à un divorce international et aux escroqueries de mon ex époux, je m’étais retrouvée confrontée à une descente aux enfers, subissant un surendettement et une lourde paupérisation. Il n’a plus jamais été question de me taire, vis-à-vis de quiconque.

26/12/2009

Quand on connaît Voltaire on ne peut plus tomber

On m’a dit de me taire et je me suis levée :

Quand on connaît Voltaire on ne peut plus tomber ;

Quand on meurt seul à terre en pays dépeuplé,

En songeant à naguère et aux vents déployés.

On m’a dit de partir, alors j’ai insisté ;

Tous ces mots à franchir, et Verlaine qui pleurait…

Mon cœur git en déroute, éternel vagabond :

Un métèque qui doute, sans logis et sans nom.

On m’a dit de l’attendre, alors j’ai patienté.

Quand on aime on est tendre : Othello le sentait.

Ophélie sans ses voiles, en apnée des soleils,

Orpheline ou marquise :je bois l’eau des merveilles,

Mais demeure insoumise aux apprentis tyrans.

Balafrée en mon âme je provoque à tous vents.

Voilà, la boucle est bouclée : il est des choses qui perdurent, de l’enfance à la mort, quand on sent qu’on doit aimer cet enfant qui veille en nous et qui, déjà, devinait nos routes. Mon écriture a grandi, s’est déployée différemment ; j’ai remporté de nombreux concours de poésie, mais surtout de nouvelles, j’ai écrit deux romans, (Jim, si tu me lis…), je « blogue », couvre des festivals… La poésie m’arrive aussi parfois en allemand (j’ai remporté le prix de poésie de Hildesheim) et en occitan…

http://sabine-aussenac-dichtung.blogspot.fr/2015/04/komm-lass-uns-nach-worpswede-wandern.html

Elle demeure ma source vive.

http://www.poesie-sabine-aussenac.com/cv/portfolios/une-poupee-dans-la-ghouta

Et j’aimerais qu’elle aussi prenne une place essentielle dans la société, qu’elle ne soit pas cantonnée à un seul « Printemps des poètes » de quelques semaines, ou à un seul « Marché » parisien… Puisque mon ministre a décidé de « revenir aux fondamentaux », je souhaiterais aussi que les enfants aient la possibilité d’apprendre à nouveau des poèmes par cœur, de découvrir, au fil de leur scolarité, les auteurs, leur lecture et leur déclamation…

http://www.tv5monde.com/TV5Site/publication/galerie-263-2-Demain_des_l_aube_a_l_heure_ou_blanchit_la_campagne.htm

Internet, vous le voyez, est merveilleux. Bien utilisé, il nous permet de superbes voyages et des échanges passionnés. La poésie y est vivante, sachons la débusquer, la partager. Je salue ici tous les auteurs de notre « Oasis » qui m’a été terre adoptive. Et bien sûr les merveilleux poètes que j’ai aussi eu l’occasion de croiser sur d’autres réseaux sociaux, que je lis avec un infini plaisir. Certains, reconnus et édités, parcourent le monde et lisent leurs textes au Festival de poésie de Sète, d’autres font simplement le bonheur de leurs lecteurs, sur la toile ou ailleurs… Salah Stétié, Khal Torabully, José Le Moigne, Volker C. Jacoby, Jacques Viallebesset, Suzanne Dracius, Éric Dubois,, Martine Biard, François Teyssandier, Xavier Lainé, Evelyne Charasse, Mohamed El Jerroudi, Robert Notenboom, Élaine Audet… je vous embrasse !

Pour terminer, je souhaite vous offrir les mots d’une merveilleuse poétesse iranienne dont le fils, Hossein, un ami, avait traduit en persan « ma » poétesse de la Shoah, Rose Ausländer.

***

PS : Bon anniversaire, chère Marie-Claude, enfant du premier mai et des libertés…

 06/08/78…

« Le ciel
Une maison bleue
Un champ de blé
Des fleurs
Une fille
Une guitare
Des enfants
Des gens
Elle parle quatre langues
A étudié Hölderlin et Dante
C’est sa maison
Perdue au milieu des bois
C’est sa vie
Souvent entourée d’amis
Manger son pain
Pétri à la main
Et les fruits de son verger
Soleil
Bonheur
A travers chaque sourire
On offre son cœur
Plus de rancœur
Culture intelligence
Mais plus de concurrence
Seulement amour et paix
Peut-être à jamais. »

***

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=76681&forum=4

 

15/5/2009 

Les soleils de nos robes indiennes (Scarlett et Marie)

De patchouli ou de verveine
Elles combattaient toutes déveines
Tressant fils d’or et rêves tendres
Tissées sur la carte du Tendre

Woodstock c’était tous les matins
Des fleurs Dylan ou Donovan
Thé au jasmin et vent d’autan
Nous nous rêvions loin du satin

Il nous fallait de la campagne
Nous détestions tous les champagnes
Si pures si fières de nos envies
Hostiles à tous les compromis

Toutes les fêtes nous étaient d’ambre
Et nos émois de palissandre
Quand il gelait à pierre fendre
Et qu’il fallait savoir attendre

Le jour prochain toujours trop loin
Et le mot « libre » pour refrain
En plis froissés les jours de cendre
Elles ravivaient l’aube à surprendre

En elles s’engouffrait tout printemps
En leur odeur de bleu lavande
Brise légère sur vieille lande
Couleur grand large au mauvais temps

Des jours anciens ils nous reviennent
Les soleils de nos robes indiennes
Quand il fait froid dans la mémoire
Et que la lune nous est noire

Nous les ressortons au grand jour
Tous nos tissus couleur d’amour
Bleues nos maisons tout comme l’herbe
Jamais nous ne serons acerbes

Car ces voilages au goût santal
Lorsque nous deux petites vestales
Parcourions rêves en femmes fatales
Nous ont pétri un idéal

Marie-Claude et Sabine

**

http://www.poesie-sabine-aussenac.com/cv/portfolios

http://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/document_rose-auslander-une-poetesse-juive-en-sursis-d-esperance

http://www.lulu.com/fr/fr/shop/sabine-aussenac/prends-soin-mon-amour-de-la-beaut%C3%A9-du-monde/paperback/product-15581966.html

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Un grand souffle joyeux inonde les vitraux #Toulouse #PianoauxJacobins

 

La lumière est divine et le mal bien lointain,
Dans l’église apaisée le jour se fait serein:
Un grand souffle joyeux inonde les vitraux
Qui s’élancent en corolle, embrassant le Très Haut.

Aux Jacobins l’Histoire caracole, immobile,
Et les touristes prient au doux cœur de la ville…
Le palmier irradie sa splendeur purpurine
Et la pierre respire, embrasée et mutine,

Ces mille chatoyances quand soleil déluré
Vient saluer les ombres des gisants et des cierges.
Dans le cloître fleuri un piano se fait fugue;

On croirait voir furtives des moniales pressées
Rejoignant leur autel pour adorer la Vierge…
À Toulouse le futur au passé se conjugue.

http://www.poesie-sabine-aussenac.com 

http://www.pianojacobins.com/-Programme-.html

https://www.facebook.com/pianojacobins/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ensemble_conventuel_des_Jacobins

32, rue des Paradoux

Cela fait déjà plus d’un mois, mais les notes résonnent encore allègrement dans les mémoires…

C’était le 21 juin, en cette nuit si spéciale depuis qu’un ministre la dédia toute entière à la musique, il y a mille ans, lorsque j’avais 20 ans…

Des Fêtes de la musiques j’en ai bien entendu vécues des dizaines…Celles des début, virevoltantes de passion, lorsqu’en chaque coin de rue de Clermont-Ferrand, (où l’Éducation Nationale m’avait exilée…) soudain solaire et primesautière sous la pierre noire de Volvic, des guitares déchiraient la nuit, ou qu’un violon égrenait les étoiles sous quelque saule du Jardin Lecoq… J’y croisais mes anciens élèves, nous nous embrassions, je les écoutais jouer et mes filles applaudissaient.

Celles des dernières années ne m’enchantèrent guère, devenues des parades commerciales pour artistes recrutés par des municipalités, envahies de fumées de merguez et de relents de bière, prétextes à beuveries et non plus au partage des talents, et même restituées sur écran géant, depuis deux ans, depuis mon Capitole aux allures de grosse caisse… J’avoue que cette surenchère sonore des bars propulsant pour une nuit des enceintes monumentales sous les briques roses ne ressemble plus vraiment, je pense, au projet initial de Jack le rêveur…

C’est donc presque à reculons que je me mis en route pour une soirée privée, espérant enfin y voir s’y produire le fameux ensemble des « Mâles au Chœur de Tolosa » dans lequel chante un non moins célèbre adjoint au Maire de Toulouse aux mille casquettes…

J’avais lu son appel sur un réseau social…

« Pour la fête de la musique, les Mâles au Choeur de Tolosa chantent rue des Paradoux… ceux qui savent, savent… »

Il fallut traverser la Ville Rose déjà jonchée de bruits plus moins pétaradants, éviter le Capitole en liesse, admirer rapidement quelque gros son de Métal ou de rock, avant d’atteindre le Graal, non loin de Garonne toute ondulante de cet été commençant, au creux de l’une de ces rues anciennes qui font de Toulouse un livre d’histoire à ciel ouvert…

Une lourde porte cochère nous découvrit une cour aussi secrète qu’un joyau de la couronne, trébuchante de pavés, lovée dans sa beauté. Des chaises y étaient disposées – nous apprendrons plus tard qu’elles étaient gracieusement prêtées par Convergencia Occitana -, un buffet semblait se dresser – superbement orné par la Maison des vins de Fronton – , bref, nous comprîmes très vite qu’une véritable institution  se tenait là, au 32, rue des Paradoux (et en effet, c’était loin d’être la première des soirées organisées par la copropriété, en partenariat avec l’association  Tous Mécènes en Midi-Pyrénées et avec Amadeus Piano… !)

On nous expliqua, malgré l’heure peu avancée, qu’il était bon de réserver ses chaises, car les places allaient être chères…Et nous nous fondîmes donc en ce décor de rêve, guettant impatiemment les bérets des « Mâles » qui se faufilaient vers les coulisses, heureux d’avoir pu nous glisser dans l’antre de ces happy fews…

Tout d’abord, il y eut les hirondelles.

Fières, insolentes, libres, indifférentes à nos activités et prétentions humaines, elles filaient, indomptables, frisant les tuiles, frôlant les briques, embrassant les pierres, inlassable ballet rythmant la soirée, puis la nuit.

Cet onyx lumineux étourdissait nos sens.

Les invités de cette fête privée n’eurent d’égal que la qualité du lieu ; nobles, inclassables, uniques, talentueux, ils transportèrent l’assemblée vers des hauteurs que la foule agglutinée devant mes chères Arcades ne pouvait pas imaginer, toute occupée qu’elle était à applaudir le commerce des médias – mais c’est bien entendu tout aussi respectable, et tous les frissons se valent, je n’écris pas pour Télérama et confesse écouter Radio Nostalgie aussi souvent que FIP et sourire devant The Voice, tout comme j’aime Bruce Willis ET Woody Allen…

Cependant, dans cette cour privée ceinte des brûlures et beautés de l’Histoire, allaient se succéder des voix et des talents rares, puisque nous entendîmes Sonia Menen, superbe soprano qui avait été lauréate en juin 2016 du deuxième prix Femme d’ « Opéra en Arles », ou la mezzo-soprano Nadia Yermani, elle aussi lauréate de nombreux concours d’art lyrique, professeur au conservatoire de musique du Tarn, qui nous régalèrent de Saint Saëns, de Puccini et du sublime Lakmé en passant par Gounod et Strauss…

Ce fut un plaisir intense que d’entendre ces voix divines disputer l’azur de cette presque Saint-Jean aux hirondelles qui fusaient au ras de la scène. Le son, lové timidement dans la chaleur de la pierre, s’élançait ensuite en droite ligne vers le ciel, comme en harmonie avec les éléments…

Le public se taisait comme à l’office, vibrait puis se déchaînait après chaque morceau. Les instruments n’étaient pas en reste. Cyril Kubler, pianiste accompagnateur et chef de chant, dont la carrière tourbillonne brillamment de la Turquie à Brême, a sublimé les airs lyriques de sa patte particulière, tandis que le QuarteXperience, qui réunit quatre professeurs du conservatoire de Toulouse, transformé en quintette exceptionnel avec la présence de Francis Tropini, ancien clarinettiste soliste de l’Orchestre du Capitole, réinventa les répertoires romantiques et contemporains, de Mozart à Piazzolla.

Le 32, rue des Paradoux était ce soir-là baigné de passion et de tendresse, le partage de ces copropriétaires allant bien au-delà de quelque réunion visant à sabler un mur ou à payer des charges. Nous oscillions entre une fête de voisins et un moment d’intensité culturelle exceptionnelle, car vous imaginez bien les heures de préparation et d’investissement qui sont nécessaires à de tels moments de bonheur… Oui, l’esprit de la Fête régnait particulièrement en ce lieu, devenu quintessence de ce qui avait été imaginé il y a  longtemps, en ce temps où la rose tenait soudain le haut du pavé: nous vivions bien une nuit spéciale, dédiée au talent, au partage et à l’allégresse des sens, pour faire la nique aux longs mois d’hiver, à nos heures inlassables de travail, comme une promesse estivale infinie…

Et puis vint Constant Despres.

Je ne m’y attendais pas, j’avoue humblement que je n’avais pas entendu parler de ce jeune prodige, pourtant récemment révélé par l’émission éponyme…

Un regard, avant tout, d’immenses yeux ourlés de cils à faire pâlir tous les mascaras du monde.

Un sourire, modeste, mais aussi sûr de lui, souverain devant la musique, humble devant le public.

Et surtout, un talent fou du haut de ses dix printemps… C’est sans partitions qu’il a interprété de nombreuses compositions, faisant valser la pierre avec Chopin, fuguant vers Garonne en compagnie de Jean-Sébastien, rivalisant de dextérité avec les plus grands déjà, éblouissant de fraîcheur et de maestria.

Il rentrait tout juste de Lille, où il avait participé à l’émission Prodiges et joué le final du Carnaval des animaux avec l’orchestre national de Lille, devant 45000 spectateurs, et j’ai senti en lui la grâce de ces êtres que la vie a dotés d’un don exceptionnel…

Pour exemple, un extrait de l’émission de décembre…

Fidèle de « Piano aux Jacobins », j’avais en mémoire les doigtés mélodieux d’une Zhu Xiao-Mei sur les Variations Goldberg, ou les malices d’un David Lively, et je peux vous assurer que le jeune Constant est de cette étoffe-là.

Bien sûr, sa radieuse maman était à ses côtés au moment du bouquet de fleurs, et j’ai appris plus tard que puisque les chats ne font pas des chiens, son papa, exceptionnel lui aussi, avait en son temps enchanté Toulouse et la France entière de ses propres talents!

Toute l’assemblée semblait elle aussi portée par la grâce en écoutant Constant, et c’est donc dans cet état quasi extatique que les Mâles au Chœur, last but not least, trouvèrent un public grisé déjà par mille notes.

Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises.

Car le final de cet ensemble polyphonique exclusivement masculin vagabonda du Pays Basque à la Corse, ourlant les Pyrénées et mare nostrum de ses voix graves aux tessitures mélodieusement accordées à trois ou quatre voix, faisant résonner la cour de toutes les chaleurs méditerranéennes et de toute la puissance de la côte atlantique…

Ils nous régalèrent de leur pointe d’accent qui me fait toujours frissonner de toute mon âme occitane:

Je fus très émue de découvrir enfin cette nouvelle facette des engagements de mon élu préféré, qui, lorsqu’il ne supervise pas des chantiers de métro toulousain ni ne corrige de partiels ou ne tourne de films Place Pinel, se fait l’écho de ses chères montagnes en en entonnant les refrains…

Les Mâles faisant ici vibrer le Capitole:

Nous repartîmes à regret, tout étourdis de sensations et de notes.

Il nous avait semblé assister à tout un festival, nous avions eu l’impression d’être venus écouter « Un violon sur le sable » en Charentes, ou les cigales enivrées de piano à La Roque d’Anthéron…

Car la musique classique, lorsqu’elle ose pousser les murs des salles de concert, n’en est que plus majestueuse, rejoignant en synesthésie les respirations de la nature…

Et nous partîmes au gré des briques roses, espérant secrètement que nous serions, un jour prochain de juin, entre copies de bac et effluves de monoï, à nouveau invités à nous glisser au 32, rue des Paradoux…

***

Lundi 5 février 2018. West Side Story avec VM Ballet et le QuarteXperience…

http://lesmalesauchoeur.org/

http://www.tousmecenes.org/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Convergence_occitane

Et pour continuer le concert, quelques notes imaginaires…

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2016/08/17/le-rossignol-et-la-burqa-une-ancienne-nouvelle/

Lettre à Myriam, 5 ans après la tuerie de Toulouse…

Texte paru le 22 mars 2012 dans le Huffington Post.

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam/

 

Si tu savais, Myriam, comme j’aurais aimé t’avoir comme élève…Oh, je ne sais pas si l’allemand est enseigné dans ton école, mais j’imagine qu’un jour, peut-être, tu aurais eu envie d’en apprendre davantage sur « la langue des bourreaux », qui, bien avant qu’on ne la nomme ainsi, avait été celle des « Penseurs et des philosophes »…Je t’aurais parlé de Rilke, Myriam, et de Celan, allemand ET juif, et puis nous aurions vu ces images de réconciliation, ces images d’au-delà du Pardon…Je sais bien que tous les Kippour de l’éternité ne suffiraient pas à pardonner à mes ancêtres ; mais nous pouvons essayer, n’est-ce-pas, essayer de parler de poésie, aussi. Si tu avais été un jour mon étudiante, Myriam, je t’aurais dit que je ne suis pas d’accord avec Adorno, car je pense que la poésie doit exister, même après Auschwitz. Mais tu sais, ce soir, j’en doute. Ce soir, j’ai froid. Ce soir, tu me manques, même si je ne te connaissais pas.

J’aurais tellement aimé te croiser un jour, dans notre ville rose, petite fille jolie et rieuse. Tu aurais traversé les allées du Jardin des Plantes en courant, ou tu aurais mangé une glace chez Octave, toute barbouillée de framboise -bon, peut-être pas chez Octave, car je ne pense pas qu’ils fassent des glaces casher, là bas, mais bon, tu comprends bien ce que je veux dire.

Au lieu de ça, ma belle petite Myriam, c’est de sang qu’il t’a barbouillée, l’Immonde, la Bête, le Monstre. Et tu as eu beau courir, il ne t’a laissé aucune chance.

Oui, ma Myriam, j’aurais aussi voulu te voir, un peu plus grande, pouffer de rire avec tes copines dans les travées des Nouvelles Galeries, ou chez Virgin. Car bon, bien sûr, ta maman t’aurait un peu interdit de te maquiller, mais tu aurais bien fini par y aller, à Monoprix, et aussi chez Zara, et puis pour la Bar-mitsva de ton cousin, vous vous seriez toutes retrouvées au Bibent, à comploter sous la magnifique coupole, vous murmurant des secrets, racontant les derniers potins de l’école. Oui, Myriam, je le sais bien ; tu aurais ressemblé à toutes les jeunes filles de Toulouse, aux Virginie, aux Laurie, aux Nour, même, tu sais, celles que j’ai cette année comme élèves, qui rigolent comme des tordues, elles aussi, même lorsqu’elles portent le voile le vendredi. Parce qu’elles aussi, sous le voile, elles sont comme tout le monde, avec des paillettes et du gloss, et puis ne va pas croire qu’elles n’écoutent que Khaled, tiens, bien sûr que non, elles écoutent Justin Bieber et Lady Gaga, comme tu l’aurais fait aussi…

Mais tu n’écouteras plus jamais de musique, ma chérie, parce qu’un autre que toi a oublié que, lui aussi, quand il était plus jeune, il écoutait du rap et du r n’ b, et puis même du métal, va savoir… Je m’en souviens bien, de ce jeune garçon encore innocent. Je l’ai sûrement croisé, au LIDL de la gare, ou au Florida, ou aux Puces, un dimanche, à Arnaud-Bernard… Il aura sans doute souvent traîné avec des frères et ses cousins autour du lac de la Reynerie, et puis le samedi il descendait notre rue Saint-Rome, et il faisait le mariol devant les filles de la cité, sur son scoot. Un scoot, oui, Myriam, tu te rends compte ? Ce garçon là a eu un scoot, bon, allez, on ne va pas raconter qu’il l’avait peut-être volé, non, faisons lui confiance, le moment est très mal choisi pour étaler des lieux communs, on va simplement dire qu’il l’avait acheté à un cousin. Un scooter, oui, comme celui…

Myriam, Myriam, comme tu aurais été belle, le jour où je t’aurais croisée, à l’EdJ, à notre Espace du Judaïsme, pour cette conférence de Jonathan, ton professeur de religion… Oh, je dis « notre », mais tu le sais bien, je ne suis pas juive. Je fais ma juive, parfois, je ne sais pas bien pourquoi, sans doute par culpabilité, parce que je suis à moitié allemande ; et puis depuis que, à peine plus âgée que tu ne l’étais le 19 mars, il y a deux jours, j’avais lu le Journal d’Anne Franck, je ne peux pas vraiment t’expliquer pourquoi, mais… Je me suis sentie proche de toi, de « vous », et puis voilà, j’ai beaucoup lu, j’ai parlé, j’ai rencontré des rabbins, des Justes, des amis. Oui, tu m’as vue, hier, lorsque je suis allée faire la minute de silence au Capitole, dans la belle Cour Henri IV, tu sais, « notre Bon Roi Henri », qui prêchait la tolérance, qui a aidé notre France d’autrefois à accepter le multi communautarisme, tu m’as vue, alors que j’écoutais le beau discours, simple et clair, de notre maire, Pierre Cohen : je l’avais mise, ma petite étoile de David, celle que j’ai achetée dans le Marais… Comme ça, parce que je voulais te dire qu’au fond de mon cœur nous sommes tous des juifs, tous des juifs allemands.

Aucun professeur, ma chérie, ma petite Myriam, ne t’expliquera plus qui a dit ça, il y a longtemps, quand on lançait des pavés, au joli mois de mai… Et puis je ne t’y verrai pas, non plus, dans cette superbe cour Henri IV, juste derrière le Capitole, quand tu aurais descendu les escaliers depuis la salle des Illustres… Personne ne te photographiera au bras de ton époux, devant le tableau d’Henri Martin, dans ta merveilleuse robe de mariée, et personne ne vous lancera des pétales de rose, ni ne brisera de verre, le jour de ton mariage. Tiens, j’ai revu La Vérité si je mens, avec mon garçon, à peine plus âgé que toi, et nous avions bien ri, lorsque Richard Anconina appelle le Rabbin « mon Père »… Comme j’aurais aimé rire un jour avec toi, Myriam… Comme j’eusse aimé que toute leur vie, tes parents te chérissent et rient à tes côtés, au lieu de t’accompagner vers ta dernière demeure…

La petite étoile, Myriam, celle que j’ai portée hier, je l’ai gardée, dans le métro. Il était bien désert, d’ailleurs, le métro. Tu sais, les gens ont peur, les gens sont vite lâches, mais je crois que ce qui t’est arrivé a été tellement insoutenable que plus personne n’a osé sortir. Oui, nous étions terrifiés. En tous cas, je l’ai gardée au cou, oui, même si c’est interdit d’arriver dans un collège public en arborant des signes d’appartenance religieuse – bon, tu sais, je souris, parce que dans mon collège, on mange hallal, mais… c’est un autre débat… Je voulais montrer à mes élèves, à mes Moktar, Ali, Rachida, comment on traitait les allemands pendant la guerre, je voulais qu’ils touchent cette étoile, parce que je trouvais intolérable que ce qui t’est arrivé soit en lien avec la Shoah… Et tu sais, Myriam, ils ont été contents : parce qu’au début de l’année, j’avais dû me fâcher: ils n’arrêtaient pas de vouloir parler du « Führer » en cours – tu sais bien, Adolf Hitler, tes grands-parents et tes professeurs t’en ont sûrement parlé…-, parce que tu vois, ces élèves là, ils confondent tout, ils écoutent ce qui se raconte dans les banlieues, et sur les chaînes de télévision câblées qu’ils regardent avec leurs parents… Alors ils confondent les millions de juifs morts de la Shoah avec les soldats israéliens qui tirent les roquettes sur Gaza, et… tu ne vas pas me croire, mais au début de l’année ils me l’avaient dit, ils « adorent Hitler » !! Alors bon, moi, c’est simple, je leur ai fait écrire sur le carnet de correspondance: « Il est interdit de prononcer le nom du Führer à tout bout de champ en cours d’allemand ».

Mais hier, donc, je leur ai permis d’en parler. Alors oui, Myriam, au début, ils ont souri. Mais ne t’inquiète pas. Très vite, j’ai vu dans leurs yeux qu’eux aussi, ils avaient très peur. Très très peur. Même Moha, qui faisait son malin. Et puis leurs mamans aussi, il paraît qu’elles n’avaient parlé que de ton école et de toi, le matin, dans les magasins de Bellefontaine, et puis ils ont encore un peu plaisanté, ils m’ont dit « Mais Madame, nous, on est tristes qu’ils sont morts. Ils auraient pu se convertir, ils seraient peut-être devenus musulmans, un jour… » Mais tu sais, moi, j’ai bien vu qu’ils étaient tristes, inquiets, et aussi leurs mamans, que j’ai croisées le soir, au conseil de classe. Tiens, pour la petite histoire, Myriam, je te raconte encore que la petite étoile, je l’avais enlevée, avant le conseil. Mais figure-toi que quand j’ai vu entrer une des mamans entièrement voilée, sauf son visage, dans la salle des conseils, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu un sursaut de colère, un sursaut d’intolérance. Je me suis dit que ce jour là, justement, notre « école de la République » aurait dû davantage jouer son rôle de creuset de la laïcité. Mais non. Alors, j’ai eu envie que tu sois un peu avec moi, dans cette école, dans mon collège, avec la petite étoile. Je l’ai donc bien ostensiblement sortie de mon sac à mains, et je l’ai mise autour de mon cou, comme pour dire « moi aussi, je suis libre »…

Et puis dans mon autre établissement, je m’étais fâchée aussi, tu sais. Parce qu’un de mes collègues, au moment même où nous venions d’apprendre qu’un homme même pas fou venait de te tirer par les cheveux avant de te loger une balle en pleine tête, après avoir tué trois autres personnes, dans votre école juive, avait osé prétendre que ce n’était pas certain qu’il s’agisse d’un acte « antisémite ». Tu vois, là, ma chérie, une colère immense m’avait envahie. Une colère aussi forte que mon chagrin. Devant la bêtise de mon collègue, de mon collègue aveugle, sourd et muet, comme les trois singes de l’histoire…

Ma chérie, je commence à employer des mots un peu trop compliqués. Pardon. C’est que j’oublie, j’oublie déjà que tu n’es plus là. J’oublie que jamais, jamais, jamais plus tu ne verras les hirondelles tournoyer au-dessus de Garonne ; que jamais plus tu ne te promèneras un soir autour de l’église Saint-Sernin, en respirant le parfum des tilleuls ; j’oublie que notre ville rose a perdu un de ses enfants, ou plutôt trois de ses enfants. Car les petits Arieh et Gabriel non plus n’iront plus courir le long de notre Canal du Midi. Plus jamais. Et leur merveilleux papa, le si brillant Jonathan, dont des centaines de lecteurs se régalaient de lire les commentaires théologiques, jamais plus, lui non plus, il ne s’assoira à une table de conférence pour nous enchanter de son savoir. Mais ne t’inquiète pas, non, je vais faire attention, je vais garder ton souvenir contre mon cœur, toujours. Et je n’oublierai pas non plus ces trois jeunes hommes si beaux, si confiants dans notre pays, qui sont tombés au champ du déshonneur de la République, un peu avant vous quatre… Abel, Mohamed, Imad… Je pense à vous…

Myriam, je vais te laisser. Je sais que depuis quelques heures tu reposes en paix, dans ta Terre Promise, et je vais chaque jour que notre même Dieu fait prier pour que tes chers parents trouvent la paix. En ce moment même, la Bête est traquée. Je n’ai pas voulu, ici, parler d’elle trop longuement. Elle ne mérite que mon mépris.

Je voulais, ma Myriam, te parler à toi, te dire que toute notre ville se joint à moi pour t’embrasser, pour t’entourer de lumière et d’amour. Je voulais te dire que tout un pays se joint à moi pour te serrer dans nos bras, pour accompagner ta mémoire, pour que cette façon que tu as eue de quitter la vie, cette façon si abominable que je ne peux même pas l’écrire, devienne comme un rempart contre les haines et les horreurs. Je veux, petite Myriam, que ton nom devienne celui de la paix, du respect, de la fraternité.

Je veux, Myriam, toi dont le nom ressemble à celui de « Marianne », que tu deviennes le visage d’une nouvelle France. D’une France du « plus jamais ça. » Je voudrais que notre futur président, celui qui était assis, aujourd’hui, aux côtés de ses « rivaux », dans une même cérémonie, qu’il soit d’un parti ou de l’autre, aide notre France à devenir la France de tous, pour que plus jamais la haine ne prenne le pas sur le respect.

Ton amie pour l’éternité,

Sabine.

***

Chère Myriam,

cinq années ont passé. Et bien du sang a coulé encore, en France, à Paris et Nice, dans une modeste église, en bord de mer radieux, dans une salle de rédaction et dans un concert joyeux; mais aussi à Bruxelles, à Berlin, en Tunisie, et aussi tant de fois dans de lointains pays à feu et à sang.

Je pourrais aussi te parler de tous ces actes odieux qui entachent notre démocratie, quand les loups noirs de l’antisémitisme n’ont plus peur de se cacher et hantent nos cités…

Sache une chose, ma belle petite amie: dans quelques semaines, au moment de voter, c’est à toi que je penserai, et à toutes les victimes des attentats, en espérant que notre pays ne basculera pas définitivement dans la haine et l’obscurantisme.

Je t’embrasse, petite étoile.