Cousin, cousine…

Cousin, cousine…

 J’ai revu G.

Cela faisait une bonne quarantaine d’années que nous ne nous étions plus rencontrées.Ma superbe

Non, ce n’était pas un repas d’anciens élèves. G. est ma cousine. Une cousine « issue de germain », comme le dit merveilleusement notre belle langue. Et elle l’est à tous les sens du terme, puisque c’est la fille d’un des nombreux frères de ma grand-mère…allemande !

Je l’ai vue arriver, toute jolie, derrière la vitre de l’hôtel où j’étais descendue outre-Rhin, pour mon pèlerinage mémoriel, et j’ai reconnu en elle, en une fraction de seconde, cette sororité mâtinée d’altérité, ce « petit quelque chose » qui fait de nous des « parentes », des alliées, des proches.

Nous nous étions déjà parlé au téléphone depuis quelques semaines, nous avions échangé des mails. Ce soir-là, nous avons parlé une bonne partie de la nuit, intarissables, comme si nous nous étions quittées la veille, alors que des pans entiers de nos existences nous étaient encore inconnus quelques jours auparavant.

Un peu comme dans la chanson de Bécaud, nous avons tout mélangé ; pas de Lénine ni de Champs-Élysées pour nous deux, mais nos parcours respectifs, et surtout tous ces récits familiaux croisés : mes filles et celles de son mari, son petit frère mort si jeune, la fratrie de son père et de ma grand-mère, la guerre, l’après-guerre, toutes nos « histoires de famille » se confondant avec l’autre, la Grande Histoire…

« Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance unique. », disait René Char. Nous avons ri, aussi, comme des collégiennes, toutes excitées par ces retrouvailles, sans même toucher au bon vin italien du petit restaurant où la patronne est venue plusieurs fois écouter nos délires, toute contente pour nous.

Et puis nous nous sommes quittées en nous promettant, cette fois, de ne plus perdre le contact, parce que soudain il nous apparaissait capital de ne pas s’oublier à nouveau, de nous souvenir de cet héritage mémoriel qui revenait à nous comme une surprise inespérée.

Parce qu’un cousin, c’est cette improbable magie qui à la fois nous ancre dans l’enfance et peut, comme un cordage de navire, voguer avec nous contre vents et marées, tout en nous laissant libre comme le vent. Nous ne nous devons rien, dénués de toute contrainte, de toute vassalité parentale ou filiale, mais nous savons aussi que nous pouvons à tout moment faire acte de parentèle, retrouver l’union sacrée de ce terreau familial qui nous fonde et nous porte.

Loin des rivalités fréquentes qu’entraîne le lien fraternel, le cousinage devient ainsi alliance éternelle, comme une amitié dont on sait qu’elle durera toujours, plus solide qu’un amour, pérenne car dénuée d’enjeu, et, surtout, liée au substrat générationnel qui, quelque part, a créé en nous ces invisibles fils d’Ariane qui nous renvoient non seulement vers l’enfance, mais sans doute aussi vers ce que les psychogénéalogistes qualifient d’empreinte mémorielle…

Lorsque j’étais enfant, j’ai amèrement regretté de n’avoir que des cousins germains beaucoup plus petits que moi. Je trouvais injuste d’avoir une dizaine d’années de plus que les fils de mon oncle allemand, deux petits diablotins élevés de façon « anti-autoritaire » (souvenir ému de K. et D. qui faisaient ainsi leurs besoins à même la toile de tente et que leur mère, ma tante, ne grondait même pas !) ou que mes adorables cousines de Lyon, filles de la sœur de ma mère. (Vous ne rêvez pas, elle aussi avait épousé un Français, une vraie manie !)

Il a fallu attendre mes trente ans, mon divorce et de belles journées d’été pour que mes cousines, ayant grandi, m’accompagnent en vacances pour, le jour, baby-sitter mes fillettes et, la nuit, sortent en boîte avec leur grande cousine…Te souviens-tu, I., de cette nuit où nous rentrions du Lydia, ce grand paquebot échoué à Port-Barcarès, transformé en discothèque ? Nous avions dansé comme des folles, nous marchions dans l’eau qui clapotait sous la lune et parlions de ton avenir…J’ai aussi en mémoire la visite de C. à Clermont-Ferrand, son sourire de Madonne…Et puis ces vacances ratées à Biarritz avec la belle E., qui fut cette année-là aussi capricieuse que l’océan…Nous nous voyons rarement, hélas, aujourd’hui, notre cousinage s’abrite derrière un simple « réseau social », et je déplore ce manque de temps et la distance qui grignote notre mémoire familiale…

Quant à mes cousins allemands, eux-aussi avaient fini par grandir. K. a même été l’un des piliers d’un mémorable réveillon dans notre maison nichée dans la campagne tarnaise, son regard bleu azur ne se voilant que pour un mini coma éthylique. Toutes les cousines que nous étions, d’ailleurs, craquions pour sa fossette, et pour son corps d’athlète.

C’est dans cette même maison de famille que je rencontrais, chaque été, mes chères cousines « au deuxième degré » (je précise pour mon fils, qui rame complètement dans ces termes que notre époque propice aux familles monoparentales et réduites à la portion congrue ignore, que ce sont les filles d’un cousin germain de mon père : leurs papas étaient deux frères, issus des « Aussenac du Payssel », une fratrie de …neuf enfants !)

Je guettais l’arrivée de F. et S. en brûlant d’impatience. Elles arrivaient de Bordeaux avec une voiture pleine à craquer et Titus, le chat. Leur famille possédait un cabanon au bord d’une rivière, non loin de notre maison, mais j’ai le souvenir que souvent, nous passions des journées et des nuits ensemble, dans ce paradis aux couleurs des étés. Souvent, quatre garçons dans le vent venaient compléter la joyeuse troupe : JL., B., D. et F. , fils de la sœur du père de mes cousines, débarquaient avec leur accent du midi à couper au couteau, et nous poussaient à faire les 400 coups…

À nous les longues journées emplies de grillons que nous « tuttions » et de mûres dont le jus nous barbouillait le visage, quand les ronces griffaient nos jambes nues lorsque nous partions escalader quelques roches…Nous partions en tongues traverser le ruisseau, nous allions chercher le lait en ces temps bénis où l’on laissait les enfants faire plusieurs kilomètres sur des départementales désertes sans craindre qu’ils ne soient dépecés ; le soir, nos parents veillaient très tard, et sous la nuit très étoilée, à la lumière des lampes à pétrole, ils parlaient de politique et d’amour.

Puis nous nous couchions dans « La cabane », l’annexe de la maison, sur des lits de camps inconfortables, mais qui étaient prétexte à la nouvelle aventure de ces nuits interminables où nous nous chuchotions des secrets. Au matin, M., la maman de mes cousines, déjeunait de pain grillé avant d’aller lire Elle, alors que notre mère à nous écossait des haricots, et je la trouvais terriblement belle dans cette nonchalance estivale.

Les jours de pluie, nous restions à l’intérieur et nous écoutions des disques sur l’électrophone. Il y avait Richard Anthony et son train, Bécaud et sa Nathalie, et puis nos pères faisaient du feu, et il était extrêmement doux de s’ennuyer. S., surnommée « la puce », faisait rire tout le monde de ses pitreries.

J’enviais aussi la complicité de mes cousines, le rapport sain et naturel qu’elles avaient avec leur corps, moi, la « grosse », toujours engoncée dans mon surpoids et mes complexes…Les jours où nous partions à la rivière, elles étaient sympas, elles ne se moquaient pas de mes maladresses, quand nous courions dans les hautes herbes et les joncs, en méduses, pour aller plonger dans l’eau glacée où filaient des anguilles.

Un jour, nous avons grandi. F. et moi étions, je crois, un peu amoureuses de JL., le plus grand des cousins, déjà au lycée…Je revois encore son magnifique sourire quand il nous racontait ses exploits. Mes cousines, hélas, ont peu à peu préféré des horizons nouveaux. L’océan leur a tendu les bras, elles ont passé leurs vacances non loin des Sables, en Vendée, dans une autre demeure de famille, et nos liens, peu à peu, se sont distendus…

Aujourd’hui, nous ne voyons plus…qu’aux enterrements…C’est lors d’une bien triste cérémonie que j’ai repris contact avec JL., il y a maintenant une vingtaine d’années, et nous savons tous les deux que nous pouvons compter l’un sur l’autre. Il est « mon cousin de cœur », presqu’un frère, mais un peu plus, aussi…Un homme que je peux serrer dans mes bras, avec lequel je peux marcher en bord de Garonne, auquel je pourrais chuchoter des secrets, comme quand nous étions enfants. Un de ses frères est déjà parti au paradis, et c’est un morceau de notre enfance qui a disparu, abruptement, injustement…

Avec F., nous nous sommes promis de ne pas attendre le prochain enterrement pour nous revoir ! Elle est superbe, une magnifique quinqua. Elle a gardé ce regard malicieux et cette voix un peu rauque, cet humour décapant et cette sensibilité qui, lorsque nous étions petites, me fascinaient déjà.

Nous aurons toujours dix ans, vingt ans. À chacune de nos rencontres, nous verrons certes la vie qui défile, merveilleuse et impitoyable, mais aussi ces années où nous étions innocentes et gaies, partageant l’espérance de nos lendemains.

Je lui dédie ce texte : bon anniversaire, ma cousine !!!!

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