Comme par un orage de coquelicots #commémoration #14/18

Comme par un orage de coquelicots

Arthur Bourgail, tu es mort le 5 novembre 1918. Je vois ton nom au passage,  chaque fois que je descends du bus, au coin de ma rue.

Cent ans, cent ans déjà, aujourd’hui, que ton beau sourire s’est effacé au détour d’un obus ou d’une embuscade, et que tu es tombé, comme ils disent, « au champ d’honneur », ta capeline bleu horizon rougie comme par un orage de coquelicots.

Je t’imagine petit garçon, grandissant non loin de notre place Pinel, qui ne s’appelait d’ailleurs pas encore ainsi, puisqu’elle n’a été baptisée du nom de ce syndicaliste qu’en 1929… Ton père prenait sans doute le tramway pour revenir de son travail au centre-ville, puisque depuis le 12 avril 1910, le tramway hippomobile était devenu électrique, et que le conducteur annonçait « Tïn, tïn, Còsta Pavada » en arrivant non loin des belles toulousaines de notre Côte Pavée…

Arthur, petit Arthur, je gage que tu as fréquenté, bel enfant brun aux yeux de braise, le collège du Caousou, puisque ce dernier, malgré les lois du « petit père Combes », ouvrait encore ses portes à l’aube du vingtième siècle, avant de fermer, le 23 décembre 1912, et de devenir un hôpital durant la der des der… Tu jouais au cerceau, aux quilles, et tu apprenais les poésies de Victor Hugo avant de rentrer goûter dans ton jardin, dont les lilas embaumaient à chaque printemps, dans quelque ruelle ensoleillée croisant l’avenue de Castres…

J’espère, cher Arthur Bourgail, que tu as eu le temps d’être heureux. Que tu as aimé apprendre, que tes professeurs ont loué ton intelligence, que tes études, peut-être à Paris, si tu as eu le temps d’y « monter », ou tout simplement dans quelque faculté toulousaine, ont fait de toi un jeune homme curieux et passionné. Je te rêve, dans ton costume élégant, arpentant fièrement les allées du Jardin Royal au bras d’une délicieuse jeune femme pétillante et amoureuse, que tu courtiseras ardemment juste avant de partir au Front… Je vous souhaite des baisers fougueux et des étreintes douces, et de longues lettres aux pleins et aux déliés violets parfumés de pétales de roses, que tu serreras contre ton cœur, la nuit, pour oublier la pluie de feu de fer de sang.

Je pense à ta fiancée, Arthur, à ces torrents de larmes versées, à sa vie blessée, amputée de l’espérance, brisée, tout comme la tienne, par la folie des hommes… Je pense à ta mère, Arthur, qui se vêtira de noir le restant de sa vie, comme tant de voisines, devant lesquelles on s’inclinait en silence, sans oser évoquer le nom des fils disparus. Je pense à ton père qui fièrement te laissa partir défendre une patrie qui lui vola son âme.

Et, surtout, je pense à toi, plongé, à peine sorti de l’adolescence, dans l’enfer des tranchées, si loin de ta ville rose et de l’eau verte du Canal, embourbé dans la nuit indicible des combats, volé à la vie par la barbarie des gouvernants impavides, victime innocente et oubliée d’une guerre inutile, comme toutes les guerres… Je pense à tout ce que tu n’auras pas fait, pas vu, pas vécu, à ta ville qui va grandir sans toi, à cette femme qui portera d’autres enfants que les tiens, à ton nom qui n’existe aujourd’hui que sur ce monument adossé à une école mais que les enfants, plongés dans les écrans des portables, n’ont sans doute jamais lu…

Je ne t’oublie pas, Arthur Bourgail. Tu n’as pas eu de rue de Toulouse à ton nom, google ne te connait pas, ton nom d’ailleurs n’existe pas sur les moteurs de recherche, il manque le « h » qui orne les « Bourgailh », eux, beaucoup plus présents… Mais je ne veux pas t’oublier. Tu es parti six jours, six jours seulement avant la signature de l’Armistice, six petites journées de novembre qui ont séparé ta mort de la fin de cet interminable conflit. Il s’en est fallu de si peu pour que tu rentres à Toulouse, comme tes camarades épargnés, non pas la fleur au fusil mais la rage et la peur au ventre, mais, au moins, en vie… Tu aurais sans doute gardé pour toi la bouillie innommable des Tranchées, préférant épargner tes parents et ta Douce, et puis tu aurais repris le cours de ta vie, même si tu étais revenu unijambiste ou borgne…

Mais non : le destin, ce farceur de destin, en a décidé autrement, et, en ce 5 novembre 1918, a fauché ta jeune vie de Poilu.

Arthur Bourgail, aujourd’hui tu reviens à la vie, à quelques jours des commémorations de la fin de la Grande Guerre ; je te rends, le temps d’une lecture, toutes les briques de notre ville rose, le clocher carillonnant de la basilique Saint-Sernin, les courbes de Garonne et les senteurs pastelières de Toulouse…

Tiens, prends ma main, je montre ta ville qui a un peu changé, regarde, le lycée du Caousou est toujours là, avec son magnifique parc boisé, et puis notre avenue qui dégringole vers le Canal, sans tramway, mais avec la ligne L1, et sur la place qui se nomme aujourd’hui Pinel il y a un magnifique kiosque aux poteaux murmurants… Regarde, la Place du Capitole est de plus en plus belle, et les grands marronniers du Jardin des Plantes abritent toujours des baisers au printemps…

Arthur Bourgail, aujourd’hui je t’adoube immortel.

« C’est bien plus difficile d’honorer la mémoire des anonymes que celle des personnes célèbres. La construction historique est consacrée à la mémoire de ceux qui n’ont pas de nom. » Walter Benjamin

Sabine Aussenac.

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Je t’interdis d’aller faire la guerre…Hommage aux Poilus…

Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages #vœux 2017

 Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages

 

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Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages, et ces grues qui s’envolent vers leurs pays lointains, et aussi des enfants aux yeux gourmands et sages, dévorant des bonbons comme au premier matin.

Je vous souhaite la joie, qui crépite et qui chante, surprenante parfois et allégresse enfin, la joie des collégiennes qui pouffent et qui pépient, oiselles folles dansant à l’orée de leurs vies.

Je vous souhaite du pain fleurant bon la campagne, le pain d’avant les villes, tout gonflé de levain, avec mies ondulantes, le pain aux belles tranches toutes ornées de saindoux.

Je vous souhaite du temps, celui qu’on apprivoise, le temps de ces horloges au balancier serein, le temps qui goutte à goutte nous ramène au silence, à tous ces autrefois qui nous voulaient du bien, le temps des diligences, des voyages en bateau, du transsibérien et des péniches lentes.

Je vous souhaite printemps débordant de jonquilles, avec des prés si verts qu’on en oublie la nuit, et puis mille clairières où palpite une biche, ses grands yeux vous offrant la confiance et la paix.

Je vous souhaite la mer, une plage au matin qui se donne au soleil, quand vaguelettes tendres sont caresses à nos âmes, et puis ce sable blanc, tout ourlé de destin.

Je vous souhaite des livres, des romans incroyables, et tant de nuits passées à en suivre la vie, et puis de vrais poètes, qui vous offrent en un mot l’univers paradis.

Je vous souhaite la foule qui ondule aux gradins, et puis les ballons ronds comme autant de sourires, mais aussi l’Ovalie, que chacun soit heureux.

Je vous souhaite ce ventre nubile et jaillissant qui soudain portera de doux rires à venir, et aussi les mains douces de cette aïeule folle, acceptons de l’aimer quand elle ne se sait plus.

Je vous souhaite l’été tout brûlant de cigales, le ressac qui murmure et les cheveux au vent, la montagne à gravir, le marché qui bourdonne, et mille mirabelles au panier rebondi.

Je vous souhaite la paix qui fait de nos déserts cette rose éclatante quand l’arme est déposée, la paix des lendemains, la paix dans les familles, la paix qui fraternise au Noël des tranchées.

Je vous souhaite un automne aux couleurs de vendanges, quand cette guêpe tangue d’avoir tant butiné, quand les grappes sont lourdes comme ventre de femme portant cette promesse comme on chante un secret.

Je vous souhaite l’amour, celui qui nous élève en calcinant joyeux tous nos doutes apaisés, celui des océans devenus des cours d’eau, quand le delta est source et la pluie fécondée, l’amour qui envahit, tourneboule et chavire, l’amour immaculé des amants de toujours.

Je vous souhaite des noces, des tablées de cousins, des épousailles folles, farandoles et festins, quand sous le grand tilleul on a dressé couverts, et que l’accordéon fait l’amour aux étoiles.

Je vous souhaite maisons aux draps de lin émus, surprenantes cuisines aux cuivres odorants, et des tapis moelleux qui rêvent d’Orient, quand un piano distrait rencontre un Darjeeling et que de la fenêtre on guette un beau retour.

Je vous souhaite un grand parc bondissant d’écureuils, des lilas audacieux, la chênaie toute fière, et cette roseraie qui ploie sous vermillons, la fontaine dressée vers ce patio dolent où comme en crinoline vous attendrez vos rêves.

Je vous souhaite un hiver tout ourlé de guirlandes, des cannelles enivrant le gingembre et le gui, des joues rosies d’enfants, un sapin odorant, et vos pas sur la neige qui crissent et qui s’enfoncent dans la ouate fragile de nos Noëls d’antan.

Je vous souhaite un travail, une tâche accomplie, ce qui relie les hommes et partage la terre, peut-être création, thaumaturge ou d’ilote, mais un travail surtout, pour demeurer debout.

Je vous souhaite courage si la nuit est partout, si un mal vous dévore, si la faim vous poursuit, si l’amour s’est enfui sous les traits d’une blonde, si on vous a trahi.

Je vous souhaite espérance des grands soirs aux drapeaux, quand on croyait en l’Homme en reniant les Dieux, car pour changer le monde il faut d’abord rêver.

Je vous souhaite des villes aux bruissements exquis, des klaxons en délire, des musées en folies, la culture partout, la musique hors les murs, le piano sur la place et les artistes en vol.

Je vous souhaite l’école en forêt buissonnière, l’instituteur qui rit et rassure et rayonne, les passions dévorantes pour l’atome ou le vers, l’école qui accompagne et le riche et le pauvre dans la fraternité.

Je vous souhaite des plages sous tous vos pavés, et l’imagination défiant les pouvoirs, des chars rouillant au loin, le lilas et les roses unis vers le destin.

Je vous souhaite mémoire de tant de vies des hommes, pour ne pas oublier les charniers et les camps, pour les enfants perdus à chérir dans les guerres, celles du temps présent, celles qu’on n’entend plus, celles qui surviendront malgré tous nos efforts.

Je vous souhaite la force, pour transcender l’horreur, les éclats des obus fracassant la Syrie, les migrants qui se noient dans cette mer atroce, les peurs du Bataclan et tous nos chers Charlie. Pour oublier Bruxelles et les cris des enfants, Nice vêtue de noir, Berlin ensanglantée et tous ces êtres éteints qui étaient de lumière, qui de notre planète ont fait un cimetière, pour oublier que l’Homme décapite et éventre, pour oublier les femmes qui partout sont souillées.

Pour oublier les maux, les souffrances et les nuits, ceux qui sont si malades, ceux qui errent sans vie dans nos villes sans cœur, pour oublier réel qui souvent n’est que fiel.

Je vous souhaite confiance en un monde nouveau, que l’Humain se relève, que tous les gens qui rêvent dessinent leurs destins, je vous souhaite de changer la vie, de transformer nos mondes, et que 2017 s’envole comme mille hirondelles vers un soleil nouveau.

 

http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-djihad-d-amour-l-emouvant-message-du-mari-d-une-victime-des-attentats-de-bruxelles?id=9489481&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=twitter_share

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Ma première matraque m’a frappée rue du Taur…dédié aux policiers de la Grande Borne

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Tag découvert ce jour dans une grande université française…

« Ma première matraque m’a frappée rue du Taur ». Bon, d’ordinaire, je ne me cite pas –d’ailleurs je ne connais aucun vers de mes propres poèmes…-, mais cette phrase, extraite de ma « Lettre à Toulouse » que Carole Bouquet avait lue lors d’un Marathon des Mots, je la trouve chouette.

C’est que j’ai été jeune, comme tout le monde, et de gauche avant de virer à droite, car, comme le dit un dicton célèbre, « Qui n’est pas de gauche à 20 ans est fou. Qui n’est pas de droite à 40 ans l’est aussi ». – je plaisante.

Mais bon, avec un père Conseiller Général RPR qui monnayait les WE entre copains à notre maison de campagne en échange des timbres collés sur ses enveloppes de vœux à ses administrés, comme me l’a rappelé hier un ami d’adolescence croisé par hasard, je n’avais d’autre choix qu’une belle rébellion, orchestrée par quelques saines lectures, de Marx à Krishnamurti, en passant par Neruda et Allen Ginsberg, au son de « El pueblo, unido, jamas sera vencido » -mais oui, chers Zadistes, vous n’avez pas l’apanage des sarouels et du cœur ! Les seventies aussi furent flamboyantes…

Bref, les flics, les keufs, la maison poulaga, les poulets, je les ai conspués, comme tout le monde, ou presque…Mélangeant dans un joyeux tintamarre insultes et autres « CRS-SS, étudiants-diants diants » (mon plus grand regret a longtemps été de n’avoir eu que sept ans en Mai 68…), photo de cette fleur tendue à un Police Man américain et tous les autres poncifs, bien avant que les cailleras des Cités et les grosses chaînes des rappeurs aux pantalons baissés ne niquent les mères de tous les Français, et la police aussi…J’ai donc couru gaillardement devant quelques bataillons, et arpenté les pavés en tenant des banderoles à bouts d’idéaux. Bref : j’ai eu 20 ans.

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Et puis un jour, j’ai grandi. Et réfléchi, un peu. Et puis j’ai eu plein d’enfants, avec plein de nuits blanches au moment de la naissance de « la Cinq », et entre deux tétées, hagarde, j’avoue avoir regardé moults séries et blockbusters qui me détendaient un peu…Cruchot, Maigret et Julie Lescaut sont devenus mes amis, et puis Derrick, aussi – je plaisante encore, là !- , j’ai succombé à la voix si douce et à la poigne de fer d’une « Femme d’honneur », et surtout à l’humour irrésistible de mon Bruce adoré (sa photo est punaisée dans mon armoire, si si…) et aux frasques flamboyantes de Mel…

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Plus sérieusement, en devenant membre actif et responsable de la société civile, puisque je suis enseignante et maman, je n’ai pu que comprendre l’utilité de notre « Police Nationale », et de la Gendarmerie, aussi. Bien sûr, je ne me sens toujours pas très proche des CRS, surtout lorsqu’ils dérapent en assassinant un Rémi Fraisse dans une ZAD. Et je suis la première à pleurer avec mes amis américains lorsque je compte les citoyens noirs que les US Cops tirent comme des lapins…Mais j’ai aussi frémi avec la France entière et applaudi quand le grand Charles a dit en souriant « On  a éliminé le terroriste » et que les petits sont sortis, blottis dans les bras des hommes du GIGN, de la maternelle de Neuilly. Et quand plus tard j’ai passé des heures dans des commissariats aux lumières blêmes, lors d’innombrables plaintes déposées à mon encontre par un ex vindicatif – qui pourtant m’avait laissé des milliers d’euros de dettes et ne payait plus de pension-, j’ai pu voir la bienveillance des officiers de police devant une citoyenne lambda, leur désir de séparer le bon grain de l’ivraie, et le zèle dont ils sont fait preuve pour rétablir la vérité.

J’ai vu aussi leur humanité, et puis leurs maigres moyens, les ordinateurs vétustes, les toilettes sales, les mines défaites, les néons fatigués…Eux qui défendent les Ors de la République vivent un quotidien de misère, et doivent s’en contenter…

Et puis j’ai enseigné parfois au cœur des Quartiers. J’ai vu des élèves qui chantaient « joyeux anniversaire ! » en hurlant lorsque des voitures brûlaient devant le collège, et les coursives désertes et délabrées où se hâtent les mamans épuisées, et les « espaces verts » qui ressemblent à des nomandsland désertiques. C’est là qu’ils étaient, l’autre jour, Jenny et Vincent, au cœur des Quartiers, avec leurs deux autres collègues, quand on est venu les assassiner. Car c’est bien de tentative d’assassinat dont il s’agit, quand on lapide des gens enfermés dans une voiture avant de les bourrer de coups de poing et de les faire brûler vifs après avoir lancé des cocktails Molotov…Ces quatre policiers étaient simplement en train de faire de la surveillance, postés à un carrefour stratégique, plaque tournante de drogue et d’autres dérives, en mission donc, mission de protection des populations.

Nous avons ici un jeune homme de 28 ans, dont le rêve était de devenir gardien de la paix  – oui, on peut rire devant le sketch des Inconnus mais respecter ce rêve-là, un beau rêve d’intégration sociale et de mise au service d’autrui…-, atrocement mutilé, et une jeune femme, maman de trois enfants, brûlée elle aussi, après 19 ans de bons et loyaux services…Ce ne sont pas des « sauvageons », comme l’a dit Manuel Valls, qui ont commis cette tentative d’homicide, non, ce sont des barbares, de la même veine que ceux qui ont tué Ilan Halimi, des êtres humains dégénérés, qui ont depuis longtemps perdu toute trace d’humanité, justement, assez désabusés pour vouloir abattre froidement des « flics », la tête sans doute pleine de mauvais rap et de scènes de violence, de pauvres crapules capables de rire en voyant un homme hurler en brûlant sous leurs yeux.

Alors hier, j’aurais attendu que, devant les commissariats, à midi, nous soyons un peu plus nombreux. Il était loin, l’esprit Charlie, il était même carrément absent. Très peu de « je suis policier » sur les réseaux sociaux, aucune manifestation de soutien dans les petites villes, et quelques rares personnes seulement à Toulouse, Bordeaux, Strasbourg…

Cela ne m’étonne qu’à moitié…Il y a quelques mois, lors d’une conversation presque de comptoir, au détour d’une salle des profs, j’ai entendu des collègues post soixante-huitards conspuer la police comme si ils rentraient tout juste du Larzac…Quelques jours après seulement, à Magnanville, deux policiers étaient pourtant sauvagement assassinés…Mais voilà : nous sommes en France, et, chez nous, il est de bon ton de critiquer l’État, de mettre en cause les règles sociétales, même quand on ne joue plus au gendarme et au voleur depuis longtemps, même quand on est de l’autre côté de la barrière.

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Sachez en tous cas, Jenny, Vincent, et vous, les autres « flics » de France, que je vous tire mon chapeau. Merci d’être là pour nous, pour nous tous.

http://www.huffingtonpost.fr/2016/10/11/lun-des-policiers-de-lagression-de-viry-chatillon-raconte/

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Deux poids et deux mesures…#rentrée #enseignement #TZR

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Quand tu es prof « normal », en « poste fixe », ta rentrée c’est :

 

  • Une bonne demi-heure de plus sur l’horaire indiqué pour la pré rentrée, quand tu arriveras tranquillement dans la grande salle du self qui bourdonne de voix connues qui t’interpellent. Un quart d’heure durant, ce ne sont que rires, sourires, embrassades, compliments sur ton bronzage, photos échangées, potins et commérages, cris de joie en revoyant tel collègue de retour après une longue absence ou en apercevant le ventre rebondi d’une jeune prof, clins d’œil en attendant le sempiternel discours hyper supra méga rasoir du chef d’et’ qui pourtant fera de son mieux pour captiver son auditoire…
  • La salle des profs qui t’accueille comme une matrice bienveillante et chaleureuse, « ton » casier que tu avais vidé en juin qui déborde déjà de tracts syndicaux, de spécimens offerts par les éditeurs espérant toujours que tu changeras de manuel à la Toussaint, de consignes de rentrée –selon ton établissement invitation à la réunion de rentrée du Rotary, date du Ramadan, et j’en passe…Ton code ENT est déjà dans le casier, super, tu pourras dès demain faire l’appel et dès ce soir rédiger tes cours jusqu’à la Toussaint en les mettant sur l’Espace Numérique de Travail…(Tu savais dès juin que tu aurais tel ou tel niveau, tu as pu préparer tout un tas de choses à l’avance…)
  • « Ton » coin qui n’a pas changé, à droite de la photocopieuse et la machine à café à portée de main, tu sais aussi où tu accrocheras ton manteau par les petits matins blêmes, entre les premières gastros et les conseils de mi-trimestre, quand ton bronzage se sera dissipé depuis longtemps. Tu te souviens d’ailleurs avec émotion de ces salles des profs des débuts de ta carrière, quand il y avait encore la petite pièce réservée aux non-fumeurs, les casiers des agrégés séparés des casiers des certifiés, et puis les gros registres d’emploi du temps, aussi lourds que les cahiers de textes des classes et que ces bulletins que vous remplissiez à la main…

Et puis tu claqueras des bises sonores à une centaine de personnes : au concierge qui te parlera de ses petits-enfants ; au chef cuistot qui te parlera de l’Euro ; aux dames de la cantine qui te taperont sur l’épaule pour t’encourager car elles sauront que tu as la 4° 4 ou la seconde 8 ; aux petites stagiaires un peu rougissantes à qui tu expliqueras qu’elles doivent te tutoyer car dans l’EN, tout le monde se tutoie ; à la boulangère du coin de la rue toute contente de te revoir quand tu iras chercher ta baguette ; au patron du bistrot d’en face où tu te réfugieras quand tu auras d’énormes trous dans ton emploi du temps ; aux collègues du CDI, ravis de te monter les nouveaux abonnements…

  • Ce premier repas au self, entre le sus-dit discours -durant lequel tu n’as pas arrêté de bavarder, de pouffer, de pousser tes voisins du coude, d’interpeller ton collègue trois rangées de chaises devant toi pour lui monter, furibond-e, ton emploi du temps pourri, avant de te calmer en voyant la présentation des nouveaux collègues car tu as repéré un jeune prof d’EPS qui semble sorti du calendrier des pompiers et/ou une jeune stagiaire d’espagnol qui ressemble traits pour traits à JLo- et les « conseils d’enseignement » que tes collègues de la même discipline et toi avez pliés en 5 minutes avant d’aller vous faire l’apéro au café d’en face. Le collègue de philo et/ou de techno aura apporté un petit Gaillac de derrière les fagots pour renouer avec la tradition, et à l’heure où il faudra reprendre les « réunions » vous aurez tous l’air ragaillardi de ceux qui savent que de toutes manières, cette journée-là finira vers 15 h.
  • Le bureau de la secrétaire du Proviseur et/ou Principal avec laquelle tu vas discuter une bonne demi-heure à la récré du matin, en signant ton PV d’installation quasiment prêt depuis juin avant de demander un RV au « chef » que souvent tu tutoies, depuis le temps, pour savoir si on ne pourrait pas changer cette heure du jeudi matin. Tu auras d’ailleurs apporté aussi une boîte de chocolat à l’administration, parce qu’il faut commencer l’année avec quelques douceurs, dans le grand sac où tu avais aussi ramené ton thermos, tes feutres, ton mug « Irlande » et ou « PSG », ton tapis de yoga, les photos pour coller sur le casier, etc…
  • « Ta » salle que tu retrouves avec un sourire presque ému, en revoyant les exposés des 3°5 ou les photos du voyage des terminales à Barcelone, et puis « ton » placard avec les manuels accumulés depuis 5, 10, 15, 20 ans…, les punaises, le scotch, les ciseaux, du matériel confisqué et jamais rendu…Tu soupireras d’aise en voyant les nouveaux rideaux ou le nouveau rétro projecteur, ou alors tu iras râler direct en constatant qu’on ne t’a pas changé la télé. Au passage tu iras faire les premières photocops pour demain, ton code n’a pas changé, et puis tu auras déjà les clefs, badges et divers sésames que tu gardes d’une année sur l’autre.

Quand tu es TZR (et/ou contractuel), ta rentrée c’est :

 

  • Une bonne heure de recherches après t’être levé-e dès potron-minet pour trouver la route de ton nouvel établissement –tu auras été informé la veille de cette affectation-, entre GPS énervé ou trois transports en commun. Un peu échevelé, tu te précipiteras dans cette cour déserte, cherchant en vain des humains pour t’indiquer le lieu de rassemblement, puisque tout le monde sera, justement, au self que tu ne trouveras pas avant 9 h. Confus, tu t’assoiras tout au fond, te faisant le plus discret possible (tu apprendras plus tard que le chef d’et aura été presque en colère de ne pas te voir lors de « l’appel des nouveaux », quand tes autres nouveaux collègues étaient en train de rougir en se levant, sous les regards impitoyables des « anciens »…)

Tu ne connaîtras personne, complètement perdu-e au milieu de ce brouhaha et, si c’est ta première rentrée, tu hallucineras littéralement en prenant la mesure du vacarme et du manque de fermeté du chef d’et ou de son adjoint, qui se contenteront de frapper mollement dans les mains en disant « allons, allons » sans pouvoir en placer une avant que l’intendant, à la voix qui porte, ne fasse taire les récalcitrants…

  • L’établissement qui te semble énorme et où pourtant tu ne disposes que d’une journée pour « trouver tes marques », c’est-à-dire pour en comprendre le fonctionnement, les couloirs, pour repérer la salle des profs, les toilettes, l’administration…Personne ne te dira grand-chose, tu devras toi-même penser à tout, donc chercher ta carte de cantine, mais aussi tes codes de photocopieuse, tes codes ENT –sinon tu ne pourras pas faire l’appel ni remplir ton cahier de textes !-, sans oublier les clefs du portail, le vigik du parking…(si tu as de la bouteille, et que tu es TZR depuis 10, 20 ans, et prof depuis 30, tu te souviendras que c’était pareil à tes débuts, quand on te disait « Tiens, voilà les craies et la salle de ronéo », tu en souriras, presque ému-e…)
  • La salle des profs où personne ne t’adressera la parole parfois, et d’ailleurs si tu es prof depuis longtemps tu sais que tu peux pénétrer dans tous les établissements de France et de Navarre en disant que tu es professeur, aller dans la salle des profs, manger ton sandwich, aller aux toilettes, voire aller aux ordis en demandant qu’on te passe un code –testé deux fois l’an passé, à Agen pour aller vérifier une admissibilité et à Paris entre deux épreuves d’agreg à l’école de commerce voisine, impeccable, je vous donne le tuyau en me demandant quand ce laxisme cessera en ces temps agités et menaçants…

Tu devras aller demander qu’on te donne un casier, avant de vérifier comment ça fonctionne avec le café –cotisation à l’ »Amicale » ? Machine ? Dosettes ?- et avant d’aller quérir tes livres au CDI, mais une fois sur deux on te dira que l’établissement est en rupture de stock, que tu dois te débrouiller. Tu passeras un bon mois à préparer fébrilement en catastrophe tes cours pour quatre niveaux différents, puisque tu n’auras appris la teneur de tes classes que le jour de la pré rentrée…

  • Le self où on te laissera manger même sans tickets le premier jour si tu fais un beau sourire au chef cuistot qui, ma foi, aura l’air sympa, et si tu bades un peu avec les dames de cantines en leur disant que ça sent bon. Si tu es extraverti-e, tu t’installeras à une table en te présentant et en demandant comment ça se passes pour tel ou tel sujet dans cet établissement ; sinon, il faudra patiemment manger tes carottes râpées en baissant un peu la tête, mais je te souhaite de faire partie de la première catégorie, sinon il te faudra du courage dès le lendemain….
  • La course dès le début de l’aprem pour aller signer ton PV d’installation dans ton autre établissement, ton » RAD » -« établissement de rattachement administratif » pour les non-initiés au jargon du mammouth, voire la course pour aller faire ta deuxième pré rentrée dans ton autre établissement, à une heure de route et/ou de train –oui, car le rectorat se fiche comme d’une guigne que tu n’aies pas le permis.

Mais quel que soit ton statut, ne l’oublie jamais : tu exerces LE PLUS BEAU MÉTIER DU MONDE !!!♥♥♥

 

 

« la révolte consiste à fixer une rose »…Mon année 2015

la révolte consiste à fixer une rose

à s’en pulvériser les yeux : mon année 2015…

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Je me souviens.

De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 7 janvier 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.

De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’un étalage.

De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée.

(….) la ville alors cessa

d’être. Elle avoua tout à coup

n’avoir jamais été, n’implorant

que la paix.

Rainer Maria Rilke, Promenade nocturne.

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Je me souviens.

De mes vacances de février en outre-Rhin, les premières depuis dix ans. Enfin sortie d’un épuisant burn-out social et financier, j’osai enfin revenir au pays de l’enfance.

De la maison de mes grands-parents allemands revisitée comme une forêt de contes, du souvenir des usines au bord du Rhin comme autant de merveilles.

Du froid glacial dans ce grand cimetière empli de sapins et d’écureuils où, en vain, je chercherai la tombe de mon grand-père.

De ma joie d’enfant en mordant dans un Berliner tout empreint du sucre des mémoires.

Un étranger porte toujours

sa patrie dans ses bras

comme une orpheline

pour laquelle il ne cherche peut-être

rien d’autre qu’un tombeau

Nelly Sachs, Brasiers d’énigmes.

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Je me souviens.

Des cris parsemant ce mois de mars qui jamais n’aura aussi bien porté le nom de guerre.

Des sourires explosés des corps d’athlètes de Florence, Camille et Alexis dans cet hélicoptère assassin. De tous ces anonymes mutilés au grand soleil de l’art, du Bardo couleur de sang.

Des 142 victimes yéménites si vite oubliées en cette Afrique au cœur devenu fou.

Des coups inutiles contre une porte blindée et de l’abominable terreur des enfants et des jeunes prisonniers d’un avion cercueil.

Un regard depuis l’égout

peut-être une vision du monde

 

la révolte consiste à fixer une rose

à s’en pulvériser les yeux

Alejandra Pizarnik, Arbre de Diane.

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Je me souviens.

De Mare nostrum présentée à mon fils de 16 ans qui n’avait jamais vu la Méditerranée, oui, c’est possible, en 2015, même dans les meilleures familles si elles sont confrontées à une paupérisation.

De l’éblouissant soleil de Sète et des mouettes qui rient au-dessus du Mont Saint-Clair.

Des tombes grisonnantes et moussues du cimetière marin, où nous entendons la voix de Jean Vilar et le vent qui bruisse dans les pins en offrande.

De la plaque de l’Exodus devant la mer qui scintille et de mon émotion devant les couleurs de l’été des enfances, enfin retrouvées au cœur de cet avril.

Pourtant non loin de là 700 Migrants mouraient dans ces mêmes eaux turquoises, ma mer bien aimée devenue fosse commune en épouvante.

Et ailleurs aussi le vacarme déchirait l’innocence, quand 152 étudiants supplièrent en vain leurs bourreaux de Garissa, quand 7800 Népalais et touristes suffoquaient au milieu des drapeaux de prières aux couleurs de linceuls, quand une seule fillette, Chloé, succombait à la perversité d’un homme.

 

Un manteau de silence, d’horreur, de crainte sur les épaules. On est regardé jusqu’à la moelle.

Paul Valéry, Forêt.

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Je me souviens.

De ce contrat faramineux autour d’avions de chasse, pourtant signé par ma République avec un pays aux antipodes de la démocratie, qui maltraite les ouvriers et musèle les femmes.

Des voix d’outre-tombe de  Germaine Tillon, Genviève De-Gaulle-Antonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette entrant au Panthéon, quand je tentai d’expliquer à des élèves malveillants la beauté du don de soi, au milieu de ricanements d’adolescents désabusés. De ma désespérance devant la bêtise insensible au sacrifice et aux grandeurs.

De ce mois de mai aux clochettes rougies par un énième « drame familial », dans le Nord, celui-là, deux tout petits assassinés par un père, comme chaque mois, silencieux hurlement au milieu du génocide perpétré dans le monde entier, depuis des millénaires, par les hommes violant, tuant, égorgeant, mutilant, vitriolant, brûlant vives leurs compagnes et souvent leurs enfants.

Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle(…)

Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,

Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…

Louis Aragon.

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Je me souviens.

Des révisions du bac de mon puîné, des dissertations et des textes à apprendre, de Rimbaud et de Proust, de Verlaine et Stendhal, comme un collier de perles toujours renouvelé.

De ces adolescents déguisés en marquis pour une fête baroque, des duchesses et des contes, des froufrous et des rires, quand les joues de l’enfance en disputent avec les premières canettes de bière, quand on hésite entre un joint et un dessin animé…Chuuuuuuut. Prenez le temps…Profitez…On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans le jour de la Saint-Jean…

Du soleil fou de Sousse qui voit mourir les sourires des touristes, de la plage rougie, et de la tête en pique d’un patron français, quand cet Islam qui prétend vivre la foi n’est que mort absurde et gratuite.

Des gospels montant vers ce ciel rougi de Charleston, quand un homme fauchera des vies noires dans une église, insulte à l’Amérique des droits civiques : j’ai fait un cauchemar, encore un…

 

Ce matin de juin s’est posé sur mon cœur

comme un vol de colombes sur la vieille petite église,

frémissant d’ailes blanches et de roucoulements d’amour

et de soupirs tremblants d’eau vive.

Louisa Paulin, Lo bel matin

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Je me souviens.

Du chapeau blanc de Dylan et de sa voix éraillée, d’Albi la Rouge toute vibrionnante des accords de Pause Guitare, de cette nuit passée sur un banc avec un « Conteux » acadien, et du sourire de Zachary Richard, aussi pur que dans nos adolescences lorsqu’il clamait « travailler, c’est trop dur ».

De notre conversation téléphonique où déjà la poésie avait traversé l’Atlantique au rythme des échanges, et de son incroyable présence, quand il offre au monde tous les ouragans de Louisiane et toutes les histoires de son peuple oublié.

De la brique rouge et de Sainte-Cécile comme un vaisseau dans la nuit, du Tarn empli d’accords virevoltants et de notes insensées, de ce mois de juillet aussi gai qu’un violoneux un soir de noces.

 

La nuit, quand le pendule de l’amour balance

entre Toujours et Jamais,

ta parole vient rejoindre les lunes du cœur

et ton œil bleu

d’orage rend le ciel à la terre.

Paul Celan, in Poésie-Gallimard

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Je me souviens.

De la Bretagne qui danse comme une jeune mariée au son de la Grande Parade, de Lorient enrubanné, des guipures et de l’océan dentelé qui tangue au son des binious.

Des flûtiaux et des cornemuses, de l’âme celte qui m’enivre, des jambes levées sous les robes de crêpe et des verts irlandais ; des Canadiens qui boivent et de la lune qui rit, des roses trémières caressées par la joie et de mon fils si heureux de danser le quadrille.

D’un autre port, au bout du monde, où 173 personnes périront dans les explosions causées par l’incurie des hommes.

Du courage de ces passagers de l’improbable, quand des boys modernes rejouent le débarquement dans un Thalys sauvé de justesse de la barbarie.  Quand un 21 août ressemble à une plage de Normandie.

 Le Bleu ! c’est la vie du firmament(…)

Le Bleu ! c’est la vie des eaux-l’Océan

et tous les fleuves ses vassaux(…)

John Keats, Poèmes et poésies.

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Je me souviens.

Du calme d’Angela Merkel annonçant qu’elle devenait la mère de l’Europe en ouvrant les bras de l’Allemagne aux réfugiés et Migrants.

D’une Mère Courage qui soudain fait du pays de l’Indicible celui de l’accueil, quand 430 000 personnes ont traversé la Méditerranée entre le 1er janvier et le 3 septembre 2015, et qu’une seule photo semble avoir retourné les opinions publiques…

Du corps de plomb du petit Aylan et des couleurs vives de ses vêtements, dormeur du val assassiné par toutes les guerres des hommes, à jamais bercé par les flots meurtriers de notre Méditerranée souillée.

De mon étonnement toujours renouvelé en cette rentrée de septembre, quand soudain chaque journée de cours me semble thalasso, tant c’est un bonheur que d’enseigner la langue de Goethe à ces enfants musiciens, surdoués et charmants, toute ouïe et en demande d’apprentissages : ma première année scolaire agréable dans mes errances de « TZR », sans trajets insupportables et sans stress pédagogique.

 

Il n’est d’action plus grande, ni hautaine, qu’au vaisseau de l’amour.

Saint-John Perse, Amers.

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Je me souviens.

De ces pauvres gens morts noyés en voulant sauver une voiture quand des enfants de Migrants continuent, eux, en ce mois d’octobre, à n’être sauvés par personne…

Des hurlements d’Ankara, quand 102 personnes perdent la vie au pied de la Mosquée Bleue, le Bosphore rougi de tout ce sang versé.

De cette famille lilloise décimée par le surendettement, un Pater Familias ayant utilisé son droit de mort sur les siens, mais nous sommes tous coupables, nous, membres de cette odieuse société de surconsommation.

Du silence de ma cadette en cet anniversaire de notre rupture de cinq longues années, de sa frimousse enjouée et de son bonnet rouge lors de notre dernière rencontre, il y a un siècle, avant qu’elle ne rompe les ponts. Du petit bracelet de naissance qui dort dans ma trousse et ne me quitte jamais. De ma décision de vivre, malgré tout.

Argent ! Argent ! Argent ! Le fol argent céleste de l’illusion vociférant ! L’argent fait de rien ! Famine, suicide ! Argent de la faillite ! Argent de mort !

Allen Ginsberg, in Poètes d’aujourd’hui, Seghers.

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 Je me souviens.

« De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 13 novembre 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.

De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’une terrasse.

De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée. »

De cette structure cyclique qui a mutilé la Ville Lumière, de notre sidération, de la peur de mes enfants et des larmes de mes élèves, de la chanson « Imagine » entonnée en pleurant.

De Bamako et Tunis endeuillées elles aussi, de nos désespérances devant tant de victimes, et puis la terre, n’oublions pas la terre, qui se lamente aussi.

De la COP 21 qui passe presque inaperçue au milieu de tous ces bains de sang.

Si tu mérites ton nom

Je te demanderai une chose,

« Oiseau de la capitale » :

La personne que j’aime

Vit-elle ou ne vit-elle plus ?

Ariwara no Narihira, 825-879, in Anthologie de la poésie japonaise classique.

Place du Capitole, 14 novembre 2015
Place du Capitole, 14 novembre 2015

 

Je me souviens.

Du visage grimaçant de la haine et de la barbarie qui heureusement ne s’affichera PAS dans le « camembert ».

De nos piètres victoires, de mon pays où des jeunes votent comme des vieux aigris, de ma République en danger.

De toutes ces mitraillettes à l’entrée des églises, des santons menacés par les « laïcards » et par les djihadistes, d’un Noël au balcon, comme sous les tropiques.

De ces sabres lasers prétendument rassembleurs, quand tous ces geeks pourraient se retrousser les manches, réfléchir et agir.

D’une partie de croquet dans un jardin baigné de lumière et de douceur un 26 décembre, les maillets et les boules étant ceux de mon enfance allemande, le regard bienveillant de nos quatre grands-parents comme posé sur nous, microcosme familial dans le macrocosme de l’Europe si fragile, du monde si vacillant, de l’Univers si mystérieux.

De nos espérances.

De nos forces.

De nos amours.

Je me souviens de 2015.

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À la lumière de nos aïeux nous marchons.

Elle nous éclaire comme les étoiles de la nuit guidant le marcheur.

Al-Hutay’a, in Le Dîwân de la poésie arabe classique.

 

 

Enfin cette phrase, dédiée à tous ces disparus :

Je t’aimais. J’aimais ton visage de source raviné par l’orage et le chiffre de ton domaine enserrant mon baiser. (…) Aller me suffit. J’ai rapporté du désespoir un panier si petit, mon amour, qu’on a pu le tresser en osier.

René Char, La compagne du vannier.