J’ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l’infini silence…
Georges Séféris
Il n’est point de terre plus douce que sa propre patrie.
Homère ; L’Odyssée
‘Le 2 octobre la veille de l’incendie, ils couraient vers moi lançant leur cartable par-dessus leur tête……..
J’ai pris une photo ce jour-là. Elle est là, devant moi .Le lendemain,il n’y avait plus rien de ma vie : ma femme et mes enfants étaient morts ; au-dessus du Tanneron s’effilochait une fumée noire. Je n’avais pas vu de flammes si hautes depuis le temps où brûlait le ghetto de Varsovie.
Alors aussi j’étais resté seul : de ma vie, alors aussi, il n’y avait plus rien, que moi vivant.
J’étais sorti des champs de ruines, j’étais sorti des égouts, j’étais sorti de Treblinka et tous les miens avaient disparus. Mais j’avais vingt ans, une arme au poing, les forêts de Pologne étaient profondes et ma haine comme un ressort me poussait jour après jour à vivre pour tuer.
Puis pour moi, après la solitude, semblait venu le temps de la paix : ma femme, mes enfants.
Et oui cet incendie, le Tanneron en flammes, le crépitement du feu, cette odeur et la chaleur comme à Varsovie. Et on m’a tout repris, tout ce qu’on avait semblé me donner : ma femme, mes enfants, ma vie. Une deuxième fois il ne reste que moi vivant.’
Martin Gray, Au nom de tous les miens
Ce roman m’a terrifiée lorsque j’étais enfant.
Les images venues de Grèce sont atroces. L’idée de ces gens morts enlacés, comme à Pompéi, est insupportable.
Il ne peut rester que la poésie et la musique.
Pour qu’un jour la vie continue…
Nous avons beau avoir brisé leurs statues, nous avons beau les avoir chassés de leurs temples, les dieux n’en sont pas morts le moins du monde. Ô terre d’Ionie, c’est toi qu’ils aiment encore, de toi leurs âmes se souviennent encore. Lorsque sur toi se lève un matin du mois d’août, une vie venue d’eux passe en ton atmosphère ; une forme adolescente, parfois, aérienne, indécise, au pas vif, passe au-dessus de tes collines.
Quand les mots tombent sur le corps de la nuit On dirait des vaisseaux qui labourent les mers Les hommes à bord semant et les femmes parlant Parmi les baisers qui claquent Des lézards passent dans les frissons des crêtes D’une mer qui s’étend jusqu’au sable Avec ressacs et clapotis Peu avant que le soleil se lève quand résonnent Les voix des rhapsodes de la matière Et les clameurs d’un coq debout Sur une colonne de sel des contrées du midi Quand gonflent les désirs des multitudes sur le rivage Qui s’avancent dans les rafales du vent Sous les yeux des filles bienheureuses Penchées les seins touchant l’onde L’eau pure des ruisseaux Jusqu’à sentir dans leur corps et leur âme Sans conditions et sans limites La montée acquise du plaisir.
(Extrait)
Andrèas Embirìkos , “Ce jour d’hui comme hier et demain”
***
…Le printemps est insoluble. Comment apprendre la flamme à la goutte ? L’angoisse transcende la vie rendant ainsi les plaisirs inutiles. Ah, quel trou de ténèbres où naguère tenant sur ma tête un coq pour affoler la nuit j’ai hurlé soudain comme si l’on m’avait planté une balle : — Un rosier au clair de lune ! Horreur, les secondes le dévorent ! Comment conserver le daimon intact ? Mais si l’on ne peut — alors suffit, je pense pour un bout de bénédiction, de guérison peut-être ce chien rêveux, ce typhus gris… Ave César ! Mes yeux sont des trouvailles de la mort.
Ce soir est comme un rêve qui nous grise ; ce soir le val est un lieu enchanté. Dans le pré vert que la pluie a quitté, lasse, la jeune fille s’est assise. Ses lèvres s’ouvrent, on dirait deux cerises ; profond, son souffle plein de volupté fait sur son sein doucement palpiter une rose d’avril, la plus exquise. Quelques rayons échappés aux nuées hantent ses yeux ; un citronnier sur elle a fait tomber deux gouttes de rosée qui sur ses joues font deux diamants vermeils et l’on croirait qu’une larme étincelle tandis qu’elle sourit face au soleil.
Matin et toutes choses au monde posées à la distance idéale du duel. On a choisi les armes, toujours les mêmes, tes besoins, mes besoins. Celui qui devait compter un, deux, trois, feu était en retard, en attendant qu’il vienne assis sur le même bonjour nous avons regardé la nature. La campagne en pleine puberté, la verdure se dévergondait. Loin des villes Juin poussait des cris de sauvagerie triomphante. Il sautait s’accrochant de branche d’arbre et de sensations en branche d’arbre et de sensations, Tarzan de court métrage pourchassant des fauves invisibles dans la petite jungle d’une histoire. La forêt promettait des oiseaux et des serpents. Abondance venimeuse de contraires. La lumière tombait catapulte sur tout ce qui n’était pas lumière, et la splendeur érotomane dans sa fureur embrassait même ce qui n’était pas l’amour, et jusqu’à ton air morose. Dans la petite église personne à part son nom pompeux, Libératrice. Un Christ affairé comptait avec une passion d’avare ses richesses : clous et épines. Normal qu’il n’ait pas entendu les coups de feu.
Pas sur Dieu ni les saints ni les rois affairés , Pas non plus sur l’amour autrement qu’il se doit , Je n’écrirai de vers , et je m’excuserai : Poète assis , comptant les sujets sur ses doigts . Je fleurirai le monde et les cours fastueuses , Les femmes , les ronds-points , les sentiments , les villes , Et ne salirai plus les traditions tueuses : Ni la foi ni l’argent ni leurs maisons serviles . Je dormirai , bien sûr , d’un sommeil éthylique Souffrant ce cauchemar par la voie symbolique …. Puis rirai au réveil de cette mascarade . Car jamais , non jamais , je ne renoncerai , A versifier sans frein ni collier mes tirades . Non par droit mais devoir , je nous blasphémerai .
Il est temps que je parte. Je connais un pin qui se penche sur la mer. À midi, il offre au corps fatigué une ombre mesurée comme notre vie, et le soir, à travers ses aiguilles, le vent entonne un chant étrange comme des âmes qui auraient aboli la mort à l’instant de redevenir peau et lèvres. Une fois, j’ai veillé toute la nuit sous cet arbre. À l’aube, j’étais neuf comme si je venais d’être taillé dans la carrière. Si seulement l’on pouvait vivre ainsi ! Peu importe…
***
Encore un peu
Et nous verrons les amandiers fleurir
Les marbres briller au soleil
La mer, les vagues qui déferlent.
Encore un peu
Élevons-nous un peu plus haut.
***
Donne-moi tes mains, donne-moi tes mains, donne-moi tes mains.
dans la nuit j’ai vu
la cime aiguë de la montagne,
regardant par-delà la plaine inondée
avec la clarté de la lune invisible,
en tournant la tête, j’ai vu
des pierres noires recroquevillées,
et ma vie comme une corde tendue
début et fin,
Moment final
mes mains.
Celui coulera qui soulève de grandes pierres
ces pierres je les ai soulevées tant que j’ai pu
ces pierres je les ai aimés tant que j’ai pu
ces pierres, mon destin.
Blessé par ma propre terre
torturé par ma propre tunique
condamné par mes propres dieux,
Ces pierres.
Je sais qu’ils ne savent pas, mais moi qui tant de fois ai suivi
le chemin qui va de l’assassin à la victime
de la victime au châtiment
du châtiment au prochain meurtre,
À tâtons
dans l’inépuisable pourpre
la nuit de ce retour
Quand les Erinnyes ont commencé à siffler
Parmi l’herbe maigre
J’ai vu des serpents mêlés avec des vipères
noués sur la génération maudite
Notre destin.
Voix jaillies de la pierre de sommeil
plus profondes ici où le monde s’assombrit.
mémoire du labeur ancré dans le rythme
frappé sur la terre par les pieds oubliés
Corps coulés dans les fondations
de l’autre fois, nus.
Yeux, yeux
fixés sur un point
que tu ne peux lire, comme tu le voudrais :
l’âme
qui se bat pour devenir ton âme
maintenant même le silence n’est plus à toi
ici où les meules ont cessé de tourner.
***
…On nous disait, vous vaincrez quand vous vous soumettrez.
Nous nous sommes soumis et nous avons trouvé la cendre.
On nous disait, vous vaincrez quand vous aurez aimé.
Nous avons aimé et nous avons trouvé la cendre.
On nous disait, vous vaincrez quand vous aurez abandonné votre vie.
Nous avons abandonné notre vie et nous avons trouvé la cendre.
Nous avons trouvé la cendre.
Il ne nous reste plus qu’à retrouver notre vie maintenant que nous n’avons plus rien.
O malheureux Ajax, qu’as-tu été, et qu’es-tu à cette heure ? C’est au point que tu mérites les pleurs de tes ennemis mêmes.
Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages
Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages, et ces grues qui s’envolent vers leurs pays lointains, et aussi des enfants aux yeux gourmands et sages, dévorant des bonbons comme au premier matin.
Je vous souhaite la joie, qui crépite et qui chante, surprenante parfois et allégresse enfin, la joie des collégiennes qui pouffent et qui pépient, oiselles folles dansant à l’orée de leurs vies.
Je vous souhaite du pain fleurant bon la campagne, le pain d’avant les villes, tout gonflé de levain, avec mies ondulantes, le pain aux belles tranches toutes ornées de saindoux.
Je vous souhaite du temps, celui qu’on apprivoise, le temps de ces horloges au balancier serein, le temps qui goutte à goutte nous ramène au silence, à tous ces autrefois qui nous voulaient du bien, le temps des diligences, des voyages en bateau, du transsibérien et des péniches lentes.
Je vous souhaite printemps débordant de jonquilles, avec des prés si verts qu’on en oublie la nuit, et puis mille clairières où palpite une biche, ses grands yeux vous offrant la confiance et la paix.
Je vous souhaite la mer, une plage au matin qui se donne au soleil, quand vaguelettes tendres sont caresses à nos âmes, et puis ce sable blanc, tout ourlé de destin.
Je vous souhaite des livres, des romans incroyables, et tant de nuits passées à en suivre la vie, et puis de vrais poètes, qui vous offrent en un mot l’univers paradis.
Je vous souhaite la foule qui ondule aux gradins, et puis les ballons ronds comme autant de sourires, mais aussi l’Ovalie, que chacun soit heureux.
Je vous souhaite ce ventre nubile et jaillissant qui soudain portera de doux rires à venir, et aussi les mains douces de cette aïeule folle, acceptons de l’aimer quand elle ne se sait plus.
Je vous souhaite l’été tout brûlant de cigales, le ressac qui murmure et les cheveux au vent, la montagne à gravir, le marché qui bourdonne, et mille mirabelles au panier rebondi.
Je vous souhaite la paix qui fait de nos déserts cette rose éclatante quand l’arme est déposée, la paix des lendemains, la paix dans les familles, la paix qui fraternise au Noël des tranchées.
Je vous souhaite un automne aux couleurs de vendanges, quand cette guêpe tangue d’avoir tant butiné, quand les grappes sont lourdes comme ventre de femme portant cette promesse comme on chante un secret.
Je vous souhaite l’amour, celui qui nous élève en calcinant joyeux tous nos doutes apaisés, celui des océans devenus des cours d’eau, quand le delta est source et la pluie fécondée, l’amour qui envahit, tourneboule et chavire, l’amour immaculé des amants de toujours.
Je vous souhaite des noces, des tablées de cousins, des épousailles folles, farandoles et festins, quand sous le grand tilleul on a dressé couverts, et que l’accordéon fait l’amour aux étoiles.
Je vous souhaite maisons aux draps de lin émus, surprenantes cuisines aux cuivres odorants, et des tapis moelleux qui rêvent d’Orient, quand un piano distrait rencontre un Darjeeling et que de la fenêtre on guette un beau retour.
Je vous souhaite un grand parc bondissant d’écureuils, des lilas audacieux, la chênaie toute fière, et cette roseraie qui ploie sous vermillons, la fontaine dressée vers ce patio dolent où comme en crinoline vous attendrez vos rêves.
Je vous souhaite un hiver tout ourlé de guirlandes, des cannelles enivrant le gingembre et le gui, des joues rosies d’enfants, un sapin odorant, et vos pas sur la neige qui crissent et qui s’enfoncent dans la ouate fragile de nos Noëls d’antan.
Je vous souhaite un travail, une tâche accomplie, ce qui relie les hommes et partage la terre, peut-être création, thaumaturge ou d’ilote, mais un travail surtout, pour demeurer debout.
Je vous souhaite courage si la nuit est partout, si un mal vous dévore, si la faim vous poursuit, si l’amour s’est enfui sous les traits d’une blonde, si on vous a trahi.
Je vous souhaite espérance des grands soirs aux drapeaux, quand on croyait en l’Homme en reniant les Dieux, car pour changer le monde il faut d’abord rêver.
Je vous souhaite des villes aux bruissements exquis, des klaxons en délire, des musées en folies, la culture partout, la musique hors les murs, le piano sur la place et les artistes en vol.
Je vous souhaite l’école en forêt buissonnière, l’instituteur qui rit et rassure et rayonne, les passions dévorantes pour l’atome ou le vers, l’école qui accompagne et le riche et le pauvre dans la fraternité.
Je vous souhaite des plages sous tous vos pavés, et l’imagination défiant les pouvoirs, des chars rouillant au loin, le lilas et les roses unis vers le destin.
Je vous souhaite mémoire de tant de vies des hommes, pour ne pas oublier les charniers et les camps, pour les enfants perdus à chérir dans les guerres, celles du temps présent, celles qu’on n’entend plus, celles qui surviendront malgré tous nos efforts.
Je vous souhaite la force, pour transcender l’horreur, les éclats des obus fracassant la Syrie, les migrants qui se noient dans cette mer atroce, les peurs du Bataclan et tous nos chers Charlie. Pour oublier Bruxelles et les cris des enfants, Nice vêtue de noir, Berlin ensanglantée et tous ces êtres éteints qui étaient de lumière, qui de notre planète ont fait un cimetière, pour oublier que l’Homme décapite et éventre, pour oublier les femmes qui partout sont souillées.
Pour oublier les maux, les souffrances et les nuits, ceux qui sont si malades, ceux qui errent sans vie dans nos villes sans cœur, pour oublier réel qui souvent n’est que fiel.
Je vous souhaite confiance en un monde nouveau, que l’Humain se relève, que tous les gens qui rêvent dessinent leurs destins, je vous souhaite de changer la vie, de transformer nos mondes, et que 2017 s’envole comme mille hirondelles vers un soleil nouveau.
Je n’ai pas le permis. Je ne l’ai jamais passé ; et j’ai 55 ans.
Quand je lance cette phrase lors d’une conversation, entre amis ou dans une salle des profs, on me regarde comme si j’étais la grande sœur d’ET et que j’arrivais d’une autre planète.
Mais tu l’as raté ?
C’est à cause de ta myopie ? (Oui, on me confond parfois avec Nana Mouskouri…)
Et tu ne veux pas le passer, maintenant que tu as eu l’agreg ? (Sous-entendu : « Depuis 30 ans que tu la passais, on te comprend, tu n’as pas trouvé le temps pour le permis… »)
Non, je n’ai pas envie de « le » passer.
Parce que je vis très bien sans. Parce que j’ai élevé trois enfants sans l’avoir, parce que je vais travailler sans voiture, parce qu’il m’arrive même de voyager..
Comment fait-on pour vivre comme une star de l’empreinte carbone, et comment peut-on en arriver à ce défi écologique permanent ?
Au début, il y eut l’accident. Je vous parle d’un temps où les ceintures n’existaient pas…Une petite fille de six ans a donc été projetée depuis la banquette arrière, où elle dormait, sous le siège du conducteur où dormait aussi le cric – mon père a toujours eu un sens assez personnel du rangement. Fracture du crâne, solitude d’hôpital, cicatrice visible, et très vite kilos en trop liés à l’interdiction de courir, de bouger comme « avant » …Bon, c’était sympa, ça a permis de varier les surnoms, à « Hitler » – mes origines allemandes- se sont ajoutés « Bouboule » ou « Patate ».
Ma peur de la vitesse et mon vertige sont bien entendu liés à ce traumatisme, et, faute d’avoir vu des psys – ce n’était pas encore tendance -, je vis donc sans prendre l’escalator qui descend, et n’ai jamais imaginé pouvoir emprunter, au volant d’un véhicule, une rocade ou une autoroute…
Ensuite, il y eut mon premier mari, le cheminot. Nous nous mariâmes alors que j’avais encore les joues rondes de l’enfance et arpentâmes l’Europe en vélo…et en train gratuit ! Que de beaux souvenirs dans ce passé de cyclotouriste, entre lacs de montagne autrichiens et pistes landaises…J’en ai gardé des mollets de campeuse, le goût des petites routes de campagne et une nostalgie délicieuse du vent qui fouette le visage, même si depuis un autre accident, en 2013, lorsque j’embrassai, pourtant à pied, mais en frontal et avec élan et sans les mains une plaque d’égout, je n’ai plus osé enfourcher de bicyclette…
C’est à la même époque, d’ailleurs, que je me déclarai officiellement « écolo », entre un mémoire de maîtrise consacré aux mouvements alternatifs allemands, mes premiers Birkentocks et ma tendresse pour Dany le Rouge. De voiture, il n’était absolument pas question, puisque nous vivions en moulant le café au moulin à grain et en nous chauffant avec un poêle à charbon, rêvant, en bons post soixante-huitards, d’un retour à la terre ; d’ailleurs j’avais aussi en tête l’exemple de ma marraine hollandaise qui nous rendait visite chaque année et nous parlait de ce pays où, déjà, la « petite reine » était reine !
Ce sont donc les trois arguments que, ma vie durant, j’ai avancés pour justifier ma déviance non motorisée.
Oui, c’est effectivement possible : de vivre sans posséder le fameux sésame rose, d’amener les enfants à l’école à pied ou en bus, de faire les courses avec un caddy, de partir au travail grâce aux transports en commun, et de prendre le train pour rejoindre la plage ou la montagne…
Bon, je ne vous cache pas que tout n’est pas rose, et qu’il faut à la fois posséder un sens de l’organisation quasi germanique et faire preuve d’inventivité ; il faut jongler avec les horaires de train, de bus, de métro, se lever plus tôt, renoncer aux grandes surfaces, voyager (en principe) léger, et ne pas craindre la pluie et le froid.
Certains moments sont extrêmement désagréables, comme lorsque vous traversez des dizaines de wagons d’un train d’été en portant 5 ou 6 sacs, une enfant en bas âge, poussant en plus un landau et tirant un teckel, sous le regard impavide des voyageurs. De même qu’il est fort ennuyeux de monter marche à marche des escaliers de métro avec un caddy empli à ras bord, que vous rentriez des courses ou que vous partiez en WE – je sais, ce n’est pas très glam, mais il m’arrive de voyager avec ce fameux caddy que j’ai surnommé « ma Ferrari ».
Déménagement de Auch vers la Ville Rose…Et en partie en caddy!
Je me souviens aussi de cette année où le rectorat m’a envoyée à St Girons, alors que je vivais à Toulouse…Lever 4 h 30, puis bus-métro-TER-car, avec une heure complète de ce dernier, pour arriver en cours à 8 h (et avec le sourire !) Je vous passe les années où je vivais à Auch en travaillant à L’Isle-Jourdain ET Toulouse -respectivement 40 et 80 km de distance-, les petits matins blêmes où je me sentais très parisienne avec mes deux heures trente de transport – 1 h 30 de TER plus les trajets à pied et bus…(sans compter les centaines de journées de grève et/ou de travaux de la SNCF…)
Pour les courses, je jongle aussi, le LIDL du Canal, les moyennes surfaces du quartier, le Leader Price en rentrant du travail, le marché…On fractionne, on réfléchit, et on tire la charrette comme une marchande de quatre saisons, badant avec les commerçants et évitant la cohue des grandes surfaces…Oui, j’ai une névralgie cervico-brachiale chronique – une « sciatique du bras » – , non, je ne peux pas prendre d’anti-inflammatoires, oui, ça fait mal, et j’ai en plus des lumbagos et des soucis de genou, mais si j’avais une voiture je pense que je pèserais dans les 100 kilos, alors je me dis que c’est pas mal de marcher…
Je connais tous les chauffeurs de ma ligne de bus par les prénoms, et aussi les caissières. Ne pas avoir le permis, cela renforce aussi le lien social, on se parle, on se connaît, on se sourit.
Bien sûr, cela génère aussi des frustrations que de ne pas pouvoir s’évader « librement ». Pas tellement lorsque l’on habite en ville -Toulouse, Clermont-Ferrand, Bruxelles…m’ont ravie par les libertés de circulation qu’elles offrent -, même s’il est aussi très frustrant de ne pas pouvoir facilement faire une petite virée dans une ville pourtant toute proche…Mes enfants ne sont jamais allés, par exemple, visiter l’Aveyron ou le Lot, j’aurais rêvé de leur faire découvrir la craie blanche et la vierge noire de Rocamadour, ou les caves de Roquefort et l’abbaye de Conques…Pour aller « à la mer », depuis la Ville Rose, il faut, l’été, se lever dès potron-minet pour prendre le Train des Plages, c’est vraiment contraignant, sans parler du parasol à caser sur les filets…Et il n’est quasiment pas possible d’aller « en forêt » depuis Toulouse, car les bus du Conseil Départemental, qui rallient les villages, ne circulent qu’en semaine…Pas de bras, pas de chocolat, pas de voiture, pas de châtaignes, pas de cèpes, pas de clairières…
Et c’est bien lorsque l’on vit dans une petite ville que les choses se corsent, avec les rares bus qui ne circulent pas le WE, qui s’arrêtent à 19 h, et avec l’immense sensation de frustration engendrée par une merveilleuse nature à portée de vue, mais factuellement inaccessible. De mes sept années passées dans le Gers, je garde en mémoire beaucoup de belles choses, mais hélas aussi ce terrible sentiment d’impuissance devant le manque cruel d’infrastructures de transport : j’ai été privée non seulement des festivals de musique – Jazz in Marciac, la Country de Mirande – quand je ne trouvais pas de covoiturage, mais aussi des marchés de nuit, de belles randonnées collinaires, bref, de tout ce qui fait le charme d’un département rural, faute de véhicule. Et il est clair que vivre en pleine campagne, ou dans un village, relève d’une gageure lorsque l’on n’est pas motorisé…
C’est aussi en ce sens que je suis si douloureusement privée de ma maison de famille tarnaise, faute de pouvoir m’y rendre quand bon me chante…
La balle est dans le camp de nos dirigeants. Et, à mon humble avis, pas seulement avec ces histoires de plaques impaires et de particules fines, car ces dernières sont bien là à l’année, pas seulement les jours de pollution aggravée…
Oui, on peut vivre sans voiture, oui, c’est un choix de vie intelligent, mais qui ne mérite pas tant de sacrifices. Il suffirait de peu de choses -et cela créerait tant d’emplois et redynamiserait tant de communes rurales et de déserts médicaux…- pour redonner vie aux campagnes françaises en instaurant des infrastructures adaptées, qui permettraient aussi à de jeunes familles de vivre au Vert même sans véhicule ; lignes de bus, lignes de train, et aussi maillage assidu des pourtours d’agglomérations, à l’image de ce qui se fait par exemple en Allemagne, où vous pouvez vivre à Berlin, mais aussi au fin fond de la Bavière ou des îles de la Baltique avec des dizaines de transports en commun devant votre porte, de jour comme de nuit…
Oui, on pourrait aussi à l’instar de ce qui se fait dans les pays nordiques interdire presque entièrement l’usage des véhicules en ville.
Et imaginer de nouvelles et/ou d’anciennes solutions…En vrac, le téléphérique, les voies navigables, des TER à foison, le cheval – et pourquoi pas ?-…
Ensemble, agir.
Et, comme le disait déjà l’empereur Guillaume II :
(en réponse à ce mot: « Je te lis avec un plaisir qui est augmenté par le fait que le vent s’est calmé dans cette période habituée aux ouragans, et il me manque. Ce vide est rempli heureusement par tes paroles. Merci. » )
-hommage à mon ami, le chanteur Zachary Richard, à l’occasion de son anniversaire…
Là-bas, au fin fond des bayous de Louisiane,
s’entrelacent moiteurs comme on aime une femme.
L’eau dormante frissonne, caressée par le temps,
et tu chantes les dormances de l’oiseau
voyageur de ta voix étonnement
douce, comme un ricochet dans les
verts éclats des mousses émeraude.
Là-bas, au fin fond des bayous de Louisiane,
les eaux folles des méandres épousent les
galions du vent et les rumeurs océanes :
les déferlantes ensauvagent l’espace, le lit
défait du fleuve est comme bataille
amoureuse, et au milieu coule ta voix rocailleuse qui
cogne et canonne contre
ouragans et marées noires, récif de beauté et d’espérance.
Ici, bien loin des bayous de Louisiane,
je n’ai qu’à glisser le cercle argenté dans le lecteur
d’émotions pour revoir tes mains parcourant
l’accordéon qui danse, tes yeux dardant
un public en transes, ton sourire comme un arc-en-ciel
en épousailles d’infini dans l’épure des temps.
Et ta voix me berce, archet promenant
la fougue ou la tristesse des violoneux en goguette,
resplendissante révolte des Marrons ou
tendre onyx de mille hirondelles.
Alors, émerveillée comme une enfant qui verrait
les étoiles, je marche à tes côtés sous vos grands arbres ployant
vers notre mère, la Terre, et te souris.
-hommage à mon ami, le chanteur Zachary Richard, à l’occasion de son anniversaire…
Une conférence pour changer le monde, un sommet de la terre, et quelques poèmes pour en dire la beauté primitive et essentielle.
Mais aussi et surtout les blessures infligées par l’Homme, devenues ouragans et tornades, tempêtes et tsunamis, incendies, explosions nucléaires et dévastations…
Il n’est jamais trop tard. Martin Luther disait qu’à la veille de la fin du monde il planterait néanmoins un pommier en son jardin. Agissons !
Ensemble, nous serons.
Chants tutélaires des tribus rassemblées
Longtemps, ils s’étaient couchés de
bonne heure, quand barrissaient
bêtes des forêts
émeraude. Puis vint
le feu.
Liberté adoubée aux grottes,
bisons et sanguines.
Au ventre rond
des femmes, l’Humanité
s’éveille.
Chants tutélaires des tribus rassemblées.
Le jazz est mort
Bayou balayé. Des eaux fourbes serpentent
en chantant. La vague déchire
alligators éventrés avant de
déguster la Ville.
Scarlett inachevée pleure sa Louisiane
noyée. Le jazz est
mort. Ouragan mélomane,
et chimie dans les
ports.
Et l’Arctique frissonne
Vois le trou rougi ! Tu te
penches, mais nul phoque n’y meurt. Ta banquise
a fondu
et l’Arctique frissonne.
Alcools, rennes perdus des innocences, les igloos
te regardent, eskimo boréal qui
boit au lait d’un Cercle devenu fou.
La Canopée, cantatrice chauve
Le fleuve lisse avale les lianes
des mémoires.
Orpailleurs vilipendent les terres
calcinées, la Canopée, cantatrice chauve,
surplombe les silences.
Un hamac balance ta tristesse
aux seins lourds.
Vie poisseuse au vert émeraude des temps
enfuis.
Sur des haïkus déserts
Delta et source
en un même
chagrin. Yeux vides
des mères. La vague a laissé cerfs-volants
aux branches énuclées.
Saumâtres, les âmes
mortes geignent au Tsunami.
La fleur de cerisier flotte, seule,
sur des haïkus déserts.
Dans les bouleaux déchus
Des sapins au corps tordu se convulsent
de haine. Silence des écureuils.
Sibérie des silos esseulés,
légumes dégénérés, enfants nés sans
tête.
La Centrale perle ses eaux mortes en
neige avariée.
Les femmes n’engendrent plus que ce vent obscène
venu pleurer dans
les bouleaux
déchus.
Le bush se contorsionne
Flammes, feux-follets des enfers,
le bush se contorsionne.
Un diable de Tasmanie se consume, des kangourous
fondus, fumerolles funestes,
fuient Lucifer.
Soleil darde sa mort, peaux
laiteuses des surfeurs, bientôt parcheminées
de scories
cancéreuses. L’arborigène
pleure, la terre rouge plie.
En Vendée orpheline
Lucioles au marais, feux-follets
comme un phare. Pré salé des
roses trémières,
Ré, ta blancheur.
La tempête a gonflé les maisons
apeurées. Enfançons
surpris hurlent en eau saumâtre.
En Vendée orpheline, un vieux Chouan
a pleuré.
Ces vers en peupleraie
Farandoles des tribus,
guirlande de
peuplades, comme accrochées à l’arc-en-ciel
des temps.
Terre, alma mater souillée de nos
violences, ton climat
derviche tourneur,
comme en vengeance.
Toujours je dirai
tes beautés, hommage aux
ancêtres innocents.
Granit des souvenances, ces vers
en peupleraie, au halo des lumières.
D’autres textes, consacrés aux peuples anciens, aux tribus disparues ou dévastées, parsèment encore ce recueil que vous trouverez sur Amazon et qui cherche un éditeur…
« Paru à l’occasion de la Journée de la Terre, le recueil de poésies de Sabine Aussenac est une offrande à la mémoire des hommes et de leur planète qui agonise. Dans une langue épurée, l’auteur évoque ces tribus disparues, mais aussi les cicatrices que la Nature exacerbée inflige à notre humanité à la dérive. Entre allégresse solaire et déserts erratiques, ces chants tutélaires des tribus rassemblées résonneront à vos cœurs comme un tambour des retrouvailles. »