Voter Le Pen, c’est noyer un migrant #MLP #Présidentielles #extrêmedroite

Voter Le Pen, c’est noyer un migrant.

Voter Le Pen, c’est regarder des noirs de Louisiane, lynchés par des Le Pens.

Voter Le Pen, c’est aimer la balle qui a tué Lennon, JFK ou Martin Luther King.

Voter Le Pen, c’est comme une quenelle.

Voter Le Pen, c’est tenir le lance-flamme qui tue Romy dans « Le Vieux Fusil. »

Voter Le Pen, c’est dénoncer Anne Franck.

Votre Le Pen, c’est noyer un migrant.

Voter Le Pen, c’est violer Jeanne d’Arc.

Voter Le Pen, c’est interdire Woodstock.

Voter Le Pen, c’est faire assoir Rosa Parks et couper les cheveux d’Angela Davis.

Voter Le Pen, c’est porter des galons de Waffen SS.

Voter Le Pen, c’est passer le 93 au karcher.

Voter Le Pen, c’est noyer un migrant.

Voter Le Pen, c’est brûler l’église d’Oradour.

Voter Le Pen, c’est conduire les enfants du Vel d’Hiv jusqu’au train.

Voter Le Pen, c’est dessiner un cochon sur une mosquée.

Voter Le Pen, c’est apprendre à son chien à mordre les Arabes.

Voter Le Pen, c’est rêver de gégène et d’Algérie Française.

Voter Le Pen, c’est noyer un migrant.

Voter Le Pen, c’est tenir le fouet du kapo dans le camp.

Voter Le Pen, c’est penser que les noirs sont inférieurs aux Le Pens.

Voter Le Pen, c’est risquer une France 100% bleu marine.

Voter Le Pen, c’est oublier 68, les pavés et la plage.

Voter Le Pen, c’est traiter les homos de « pédés » et les lesbiennes de « gouines ».

Voter Le Pen, c’est faire du « triangle rouge » un triangle des Bermudes où les libertés seront oubliées.

Voter Le Pen, c’est conspuer Jaurès, Brecht et Mandela.

Voter Le Pen, c’est noyer un migrant.

Voter Le Pen, c’est battre une femme, et aussi des enfants.

Voter Le Pen, c’est interdire la pilule, et la PMA, aussi.

Voter Le Pen, c’est regretter le Ku Klux Klan, l’apartheid et Louis Seize.

Voter Le Pen, c’est jeter les Arabes à la Seine.

Voter Le Pen, c’est préférer Pétain à De Gaulle, et Hitler à Churchill.

Voter Le Pen, c’est noyer un migrant.

(reprise d’un texte hélas déjà écrit…
https://sabineaussenac.blog/2017/04/28/voter-blanc-cest-noyer-un-migrant-fnjamais-pasmapresidente/ )

http://www.arnoldlagemi.com/?p=836

Le Principal porte un costume…#SamuelPaty #école #attentat #laïcité #jesuisprof

J’ai écrit ce texte en 2008. Je le retrouve en remettant en ligne mon ouvrage « #jesuislalaïcité« , que j’avais publié il y a quelques années. Les larmes me montent aux yeux en le lisant. En pensant à Samuel Paty, notre brillant collègue, mon frère, notre frère.

**

Le chef d’établissement et son adjoint, toujours tirés à quatre épingles, veillent au grain tels des capitaines de frégate. Le Principal porte un costume et semble toujours prêt à recevoir quelque délégation ministérielle.

Au fronton du collège, les mots « Liberté, égalité, fraternité », et ce drapeau qui vole au vent mauvais.

Un îlot. Notre collège est un îlot de résistance.

Mais nous ne sommes pas en terre inconnue, non, ni en terre ennemie. Non, nous sommes en France, juste en France.

La France qui, dans cette cité, comme dans des milliers d’autres, a la couleur des ailleurs. Ce sont ces serviettes de toilette qui sèchent à même le trottoir, sur l’étendoir, devant l’échoppe du petit coiffeur-barbier.

Ce sont ces femmes voilées, en majorité dans la cité, et parfois même entièrement voilées, malgré l’interdiction républicaine, qui se promènent, entre cabas et poussette, depuis le ED jusque chez le boucher hallal. La boulangerie aussi est hallal ; et puis la cantine du collège, aussi.

Ce sont les tours immenses, et les trottoirs salis. Et ces hommes, tous ces hommes désœuvrés, assis aux terrasses des cafés, ou faisant mine de conspirer avant quelque mauvais coup devant la station de métro. C’est que nous avons eu deux meurtres en deux semaines, dans le quartier…

Si l’on marche dans les rues, les seuls signes d’appartenance à la France sont les sigles des bâtiments administratifs : CAF, ASSEDIC… Pour tout le reste, on pourrait se croire à Tunis, Alger ou Marrakech. Pas de Monoprix ou de Zara, ici, seuls quelques magasins de décorations du Maghreb…

Les boutiques aussi sont tournées vers La Mecque.

Seule la pharmacie, courageuse en ces temps de l’Avent, a osé un sursaut de fierté chrétienne, disposant deux petits sapins sur le trottoir.

Au collège, pourtant, la République veille : la technique et les moyens mis en œuvre par l’Etat sont partout ; ordinateurs et rétroprojecteurs dans chaque salle, CDI flambant neuf… Les partenariats sont innombrables, les « dispositifs » bien rodés, bref, on a l’impression, plus que jamais, d’être au cœur de cette « école de la République », celle qui se bat pour ses enfants. Certains enseignants sont là depuis plusieurs années, en poste, heureux et motivés. Allant de « projet » en « parcours découverte 

Mais au collège, il y a aussi ce mégaphone utilisé pour appeler les élèves ; car la cour ressemble davantage à une jungle qu’à un couloir de Janson de Sailly… Et les traits tirés des assistants d’éducation ; et l’épuisement de quelques collègues. Car l’insularité a ses limites…

La réunion de parents, par exemple, où les dits parents ne viennent voir que le professeur principal, puisqu’ils doivent entrer en possession des bulletins en main propre. –bon, parfois, si, ils se déplacent, enfin les papas, mais là, c’est juste pour incendier une collègue, entre quatre yeux, et de façon extrêmement violente…

Les enfants, eux, dont certains sont brillants et motivés, débordent d’énergie. Une heure de cours en ZEP ne ressemble en rien à une heure de cours classique, puisqu’il s’agit aussi bien de transmettre du pédagogique que de l’éducatif…En troisième, encore et encore, leur dire qu’on ne se lève pas en cours…Et puis expliquer encore et toujours qu’on n’élève pas la voix, qu’on ne parle pas arabe en classe, qu’on ne s’insulte pas…

Certains m’ont fait une petite rédaction, sur leur vision de leur avenir. C’était édifiant, touchant, mais aussi très inquiétant.

Car si tous s’imaginaient riches, et exerçant un « bon métier », tous, aussi, comptaient épouser une femme « musulmane » (« elle portera le voile si elle le souhaite »), et, surtout, donner des prénoms arabes à leurs enfants.

Et c’est bien ce petit détail-là qui, plus que les voitures brûlées, plus que le port du voile intégral dans le métro, plus que le désœuvrement et la violence, m’interpelle : si, au bout d’une ou deux générations, les enfants des « quartiers », pourtant « français » à 90%, continuent à imaginer donner des prénoms arabes à leurs propres enfants, l’intégration ne se fera jamais. JAMAIS.

Et ce en dépit des énormes moyens que l’Etat investit dans l’éducatif ; et ce en dépit du « modèle républicain »… Et ce n’est pas tant lié à ce sentiment d’exclusion de nos élèves- la plupart d’entre eux ne se rendent jamais en centre-ville, vivant en vase clos dans le hors monde de la cité…- qu’à cette dérive protectionniste et communautariste dont ces enfants font preuve, dès leur plus jeune âge : leur pays, c’est… le « bled » ! Pourtant, certains viennent de décrocher des stages dans de prestigieuses entreprises de la région toulousaine, et rêvent de devenir PDG un jour. Mais on a l’impression toujours que leurs valeurs demeureront celles d’une autre culture, et d’un autre âge, quant à leur vision de traiter les femmes, par exemple…

Alors quand je pousse la grille de mon petit collège de ZEP, et que je vois cette devise républicaine en orner timidement le fronton, et toutes ces équipes pédagogiques et administratives motivées, mais épuisées, je me demande quelles solutions nous pourrions mettre en œuvre pour que Marine Le Pen n’ait PAS raison.

Comment, oui, comment arriver à une dynamique réelle d’intégration ? Comment arriver à transmettre ce creuset républicain à ces générations d’élèves n’ayant de la vie et du monde qu’une vision tronquée, muselée par leurs communautarismes ? Comment revitaliser ces cités où la France n’est plus représentée que par ses administrations ? Comment y faire régner non pas seulement l’ordre, mais la paix, et, surtout, la joie ?

Il me semble que ce que nous faisons et transmettons ne suffit pas, et que nous lâchons trop de lest. Certes, la loi sur la laïcité existe, mais elle n’est pas respectée, puisque de plus en plus de cantines sont hallal d’office. Certes, la loi sur l’interdiction du port de la burqa existe, mais elle est loin de faire la part des choses et de régler le problème des fillettes voilées de plus en plus jeunes.

J’ai peur que peu à peu, notre pays ne se clive et ne se détourne des processus d’intégration qui ont fait sa grandeur et sa force, j’ai peur que les métissages ne se fassent que dans un sens.

Je souhaiterais que soient mises en place de véritables heures d’éducation civique spécialement orientées vers l’idéal d’intégration et vers la place des femmes ; je souhaiterais que des commerces « non hallal » soient à nouveau implantés dans les cités, de grandes enseignes, des magasins de chaussures, de vêtements-et pas seulement des échoppes de babouches et de robes à paillettes-, des franchises « classiques », et aussi des magasins d’alimentation « lambda » ; je souhaiterais que des librairies non religieuses ouvrent dans nos cités, et des magasins de musique, et des salles de sport…Et des centres d’épilation, et des parfumeries, et des magasins de lingerie…Et des magasins de jouets, et des salons de thé sans menthe !

Je souhaiterais que la vie vienne vers la cité, puisque la cité ne vient plus vers la vie, hormis pour faire des « descentes »en ville, dont on sait qu’elles sont parfois liées à des dérives, à des vols en bande organisée, à des exactions de casseurs…

Ce qui nous manque, c’est une normalité intégrative, c’est un désir réciproque de partage. Quand j’ai dit, par exemple, que j’allais parler de Noël en cours, puisque Noël est la plus grande fête allemande et un moment fort de la culture germanique, « ils » m’ont tous rétorqué qu’ils ne fêtaient pas Noël, que c’était une fête chrétienne, etc. Mais nous avons malgré tout ouvert les fenêtres et mangé les chocolats du petit calendrier de l’Avent, et fait quelques activités. Et si j’en avais eu le temps et les moyens, j’aurais aimé les emmener voir un marché de Noël en Allemagne…

Je remarque chaque jour que mes élèves vivent dans un nomansland culturel, malgré le Centre Culturel du quartier, et malgré l’énergie remarquable dont font preuve les équipes administratives et pédagogiques du collège… Que soit au niveau des partages économiques ou intellectuels, ces enfants et ados sont dans une zone de non droit, dans un endroit où les échanges de base ne se font plus.

Et c’est à la République de se donner les moyens de changer cela, avant qu’il ne soit trop tard, avant que les camps ne se forment de façon définitive, avant que le FN ne prenne peut-être un jour le pouvoir, avant que les « Frères Musulmans » ne remplacent peu à peu sécu, ASSEDIC, école et loisirs…

Je ne veux pas que mon pays renonce à l’idéal des Lumières : éduquer, enrichir, élever les esprits.

Liberté de pensée, égalité entre les femmes et les hommes, fraternité entre nos cultures : agissons !

**

Ce texte a donc été écrit il y a plusieurs années et était paru dans « Le Post », ancêtre du Huffington Post, bien avant les attentats…

Quelques années plus tard, en 2012, j’avais à nouveau été en poste dans ces quartiers, au moment de l’affaire Merah… Car Samuel Paty n’a pas été, hélas, le premier professeur assassiné par un islamiste…

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Aujourd’hui je pense à ces collégiens victimes de leur naïveté et/ou de leur bêtise fomentée par le salafisme qui gangrène notre démocratie, et je pleure aussi sur cette situation inacceptable… Sur notre école qui n’a pas su prévenir l’horreur, faire corps défendant autour d’un collègue mis à mal par une fatwa. Et j’ai une pensée émue pour mes collégiens de l’époque, pour la brillance intellectuelle de certains, pour les garçons qui m’ouvraient la porte en disant « Ich bin ein Berliner », pour le petit mot de fin d’année où ils avaient écrit « Ich liebe dich ». Je les espère loin, loin de ces mouvances, et je souhaite que nous puissions, ensemble, faire front, nous relever, agir et apaiser.

Pour que « Monsieur Paty » ne soit pas mort mutilé, égorgé et décapité pour « rien ».

Et quelques liens vers les innombrables textes écrits après les attentats…

https://sabineaussenac.blog/tag/attentats/

Je suis Pays de France, et je me tiens debout

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis la passerelle

entre peuples lointains,

un creuset des sourires,

un infini destin.

Je suis le garde-fou

contre l’intolérance,

ce grand phare qui brille,

un flambeau qui jaillit.

Je suis la vie qui danse

en immense rivière

de nos espoirs dressés.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis l’enfant qui joue

à ses mille marelles,

regardant ces ballons

aux éclats d’arc-en-ciel.

Je suis l’aïeul qui tremble,

son regard ne faiblit

quand mémoire caresse

les fiertés de sa vie.

Je suis femme au beau ventre

palpitant d’espérance.

Tout enfant en son sein

sera nommé Français,

elle est la Marianne,

et elle nous tient la main.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu as voulu salir

tous nos siècles de lutte,

croyant que de tes fers

tu ôterais le jour.

Tu as en vrai barbare

conspué l’innocence,

éventrant d’un seul geste

une nation de paix.

Mais nulle arme ne peut

gommer nos insolences,

nul canon ne saurait effacer

ces couleurs, ces dessins magnifiques,

ces libertés qui dansent,

et nul boucher ne fera de nos cœurs

des agneaux.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu es ce porc ignoble qui

attend les cent vierges

en violant tant de femmes

dont tu voiles les corps.

Tu es coupeur de têtes,

tu es sabre levé, tu es balle qui tue,

mais tu ne comprends pas

que tout ce sang versé ne devient que lumière.

Tu attends paradis

mais iras en enfer,

car ton Dieu punira toute ta route impie.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis le poing levé,

quand de douleur intense

d’un pays tout entier le cœur

s’est arrêté.

Je suis la place immense,

un vaisseau de courage,

un grand galion qui vole,

en espoir rassemblé.

Je suis la dignité, le partage et l’audace,

je suis mille crayons

qui dessinent soleils,

je suis cette ironie au devoir d’insolence,

je suis million de pages,

et le feutre qui offre

ces immenses fous-rires,

je suis l’impertinence,

comme une encre jetée

pour amarrer demain.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Dédié à Cabu, Wolinski, Charb, Frédéric, Ahmed, Franck, Elsa, Michel, Bernard, Honoré, Tignous, Moustapha, Clarissa, et aux victimes dont j’entends parler à l’heure où j’écris ce texte, dans l’épicerie casher…

(Poème paru dans mon blog du Monde après les attentats de janvier 2015.)

Allemagne, 8 mai 1945 // France, 8 mai 2019

Allemagne, 8 mai 1945 // France, 8 mai 2019

Ma mère et l’un de ses petits frères.

 

 

Allemagne, année zéro.

Dans Berlin dévastée, privée d’eau, de gaz, d’électricité, des milliers d’êtres hagards errent parmi les ruines.

De nombreuses autres villes, petites bourgades ou grandes agglomérations, se trouvent dans le même état. Dresde, qui avait subi le déluge de feu des « bombardements tapis » du 14 février 1945 et n’était plus que béance incendiée, Cologne, qui déjà en 1942 avait subi le premier raid aérien engageant plus de 1000 bombardiers, tant de cités énuclées, réduites à néant et à reconstruire…

Bientôt, des millions d’Allemands seront à nouveau jetés sur les routes, prenant la suite de toutes les populations déplacées par le régime national-socialiste et de tous les habitants du Reich ayant fui devant l’avancée des troupes soviétiques.

Ce qui reste de l’Allemagne est exsangue. Ma mère me parle souvent de la faim qu’elle a cruellement connue, petite fillette aux nattes blondes, née en été 1938, ayant grandi dans un pays devenu fou. Elle me parle aussi des bombes qui la terrifiaient lorsqu’avec ses trois frères et sœurs elle devait se jeter dans les fossés en allant à l’école. Aujourd’hui encore, elle frémit en entendant un avion, 72 ans après la fin de la guerre.

Dresde bombardée…

Partout, des familles sont démantelées, exilées, séparées. Les hommes, souvent, sont morts, ou ont été blessés, ou resteront des mois, voire des années en captivité. Mon propre grand-père, officier de la Wehrmacht, qui avait été envoyé sur le front de l’Est, ne rentrera que très tard, après un périple de plusieurs milliers de kilomètres faits à pied. Ma grand-mère avait un temps été évacuée dans le « Westerwald », à la campagne, pour quitter Duisbourg, l’une des capitales de la Ruhr si souvent visée par les bombardements alliés. Elle a monnayé ses bijoux auprès des paysans pour un demi-litre de lait.

La population civile a payé un immense tribut au Reich. Et lorsque j’entends aujourd’hui les médias parler de la « célébration de la victoire contre l’Allemagne nazie », j’aimerais aussi avoir une pensée pour les Allemands qui, à l’époque, comme ma mère, ses frères et sœurs et ses amis, n’étaient que des enfants. Des enfants, comme les enfants dont nous déplorons chaque jour la mort atroce en Syrie, comme les enfants qui fuient la terreur en Afghanistan, comme les enfants qui fuient la famine au Soudan.

Ces « enfants blonds de Göttingen », nous les oublions trop souvent. Ils ont été la génération sacrifiée, à la fois par les sbires du régime hitlérien et par les bombardements alliés souvent, puis, à l’est, dans ce qui était devenu la RDA, par la dictature soviétique…

Très vite, après la capitulation du 8 mai 45, la vie a repris ses droits. Dénazification dans les quatre zones occupées, mise en place rapide des administrations, reprise des cours, de la vie culturelle, de la presse, pendant que les millions de « Trümmerfrauen », littéralement, « femmes de ruines » déblayaient ce qui était à reconstruire, fichu sur la tête et courage au cœur.

Les enfants, en ces temps où l’on ne parlait pas de traumatisme ni de pédospychiatrie, ont dû réapprendre à vivre, au-delà de ce qui était jusqu’en ce 8 mai la simple survie. Il a fallu oublier l’emprise des Jeunesses Hitlériennes, la terreur sous les bombardements, la faim des années de privations, l’uniforme des pères et les bruits de bottes de la soldatesque nazie, et, je ne l’oublie pas, les fumées des camps d’extermination et les barbelés de tous ces camps de concentration et/ou de travail qui parsemaient le territoire et qu’aucun Allemand, n’eut-il été qu’un enfant, ne pouvait ne PAS avoir vu.

Cette génération-là est celle de nos parents, celle qui a eu le courage de faire table rase de la haine pour re-construire notre Europe.

Cette même Europe que de nombreuses voix, en ces temps d’élections, voudraient détruire, avec la même hargne presque qu’autrefois, lorsque notre monde entier était à feu et à sang, du Japon sacrifié aux bataillons de tirailleurs sénégalais, des plaines d’Ukraine aux familles désespérés des Boys venus nous délivrer de la barbarie.

Notre Europe. Mon Europe. Celle que mes parents ont eu le courage, en se mariant, le 9 août 1959, si peu de temps après la fin de la guerre, de sceller à leur façon par leur union. La fille d’un officier de la Wehrmacht et le fils d’un Résistant. Ensemble, envers et contre tous, dans l’insouciance de leur jeunesse aux allures de Rock’n Roll et de voyages en cette Europe enfin pacifiée, entre Paris, Duisbourg et Londres, malgré les remarques perfides contre la « fille de Boches » et les craintes justifiées de la famille de ma mère, ils ont osé ces noces improbables, mais si importantes, résilientes et d’espérance.

Puisse retentir longtemps l’ode à la joie européenne, et en ce 8 mai, commémorant ce qui aurait pu sonner le glas de l’Europe, faisons aussi rappel de nos racines communes en ce terreau fertile, mais si fragile encore.

N’oublions jamais. N’oublions jamais les enfants de ceux qui ont capitulé sans condition et qui, innocentes victimes de l’Histoire, ont, avec nos parents, des deux côtés du Rhin, osé dépasser la barbarie, leurs traumatismes, leur passé, donnant naissance à une autre génération qui vient d’accueillir sur le territoire allemand des millions de nouveaux réfugiés.

N’oublions jamais les millions de victimes de la Shoah et de la guerre, toutes ces familles juives et tziganes, toutes ces victimes homosexuelles et handicapées, tous ces combattants tombés au combat et/ou déportés, et ces millions de victimes civiles dans les deux camps.

N’oublions jamais que notre Europe a réussi à se relever, et prouvons au monde que les populismes n’ont pas encore gagné!

Vive la France, vive l’Europe, vive la Paix.

(texte remanié, écrit le 8 mai 2017…
Toulouse, le 8 mai 2019)

Mes grands-parents allemands.

Pour aller plus loin dans nos chiasmes familiaux:

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2016/02/26/de-lorelei-a-marianne-duisbourg-le-18-juillet-1958/

Voter blanc, c’est noyer un migrant #FNjamais #pasmaprésidente

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Voter blanc, c’est noyer un migrant.

Voter blanc, c’est regarder des noirs de Louisiane, lynchés par des blancs.

Voter blanc, c’est aimer la balle qui a tué Lennon, JFK ou Martin Luther King.

Voter blanc, c’est comme une quenelle.

Voter blanc, c’est tenir le lance-flamme qui tue Romy dans « Le Vieux Fusil. »

Voter blanc, c’est dénoncer Anne Franck.

 

Votre blanc, c’est noyer un migrant.

Voter blanc, c’est violer Jeanne d’Arc.

Voter blanc, c’est interdire Woodstock.

Voter blanc, c’est faire assoir Rosa Parks et couper les cheveux d’Angela Davis.

Voter blanc, c’est porter des galons de Waffen SS.

Voter blanc, c’est passer le 93 au karcher.

 

Voter blanc, c’est noyer un migrant.

Voter blanc, c’est brûler l’église d’Oradour.

Voter blanc, c’est conduire les enfants du Vel d’Hiv jusqu’au train.

Voter blanc, c’est dessiner un cochon sur une mosquée.

Voter blanc, c’est apprendre à son chien à mordre les Arabes.

Voter blanc, c’est rêver de gégène et d’Algérie Française.

 

Voter blanc, c’est noyer un migrant.

Voter blanc, c’est tenir le fouet du kapo dans le camp.

Voter blanc, c’est penser que les noirs sont inférieurs aux blancs.

Voter blanc, c’est risquer une France 100% bleu marine.

Voter blanc, c’est oublier 68, les pavés et la plage.

Voter blanc, c’est traiter les homos de « pédés » et les lesbiennes de « gouines ».

Voter blanc, c’est faire du « triangle rouge » un triangle des Bermudes où les libertés seront oubliées.

Voter blanc, c’est conspuer Jaurès, Brecht et Mandela.

 

Voter blanc, c’est noyer un migrant.

Voter blanc, c’est battre une femme, et aussi des enfants.

Voter blanc, c’est interdire la pilule, et la PMA, aussi.

Voter blanc, c’est regretter le Ku Klux Klan, l’apartheid et Louis Seize.

Voter blanc, c’est jeter les Arabes à la Seine.

Voter blanc, c’est préférer Pétain à De Gaulle, et Hitler à Churchill.

Voter blanc, c’est noyer un migrant.

 

Le 7 mai, par pitié, votez!

 

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/la-chienlit-ou-comment-dire-non-au-fn/

Douce France : une fable contre le FN

« la révolte consiste à fixer une rose »…Mon année 2015

la révolte consiste à fixer une rose

à s’en pulvériser les yeux : mon année 2015…

A4 prends soin mon amour de la beauté du monde

Je me souviens.

De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 7 janvier 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.

De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’un étalage.

De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée.

(….) la ville alors cessa

d’être. Elle avoua tout à coup

n’avoir jamais été, n’implorant

que la paix.

Rainer Maria Rilke, Promenade nocturne.

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Je me souviens.

De mes vacances de février en outre-Rhin, les premières depuis dix ans. Enfin sortie d’un épuisant burn-out social et financier, j’osai enfin revenir au pays de l’enfance.

De la maison de mes grands-parents allemands revisitée comme une forêt de contes, du souvenir des usines au bord du Rhin comme autant de merveilles.

Du froid glacial dans ce grand cimetière empli de sapins et d’écureuils où, en vain, je chercherai la tombe de mon grand-père.

De ma joie d’enfant en mordant dans un Berliner tout empreint du sucre des mémoires.

Un étranger porte toujours

sa patrie dans ses bras

comme une orpheline

pour laquelle il ne cherche peut-être

rien d’autre qu’un tombeau

Nelly Sachs, Brasiers d’énigmes.

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Je me souviens.

Des cris parsemant ce mois de mars qui jamais n’aura aussi bien porté le nom de guerre.

Des sourires explosés des corps d’athlètes de Florence, Camille et Alexis dans cet hélicoptère assassin. De tous ces anonymes mutilés au grand soleil de l’art, du Bardo couleur de sang.

Des 142 victimes yéménites si vite oubliées en cette Afrique au cœur devenu fou.

Des coups inutiles contre une porte blindée et de l’abominable terreur des enfants et des jeunes prisonniers d’un avion cercueil.

Un regard depuis l’égout

peut-être une vision du monde

 

la révolte consiste à fixer une rose

à s’en pulvériser les yeux

Alejandra Pizarnik, Arbre de Diane.

3

 

Je me souviens.

De Mare nostrum présentée à mon fils de 16 ans qui n’avait jamais vu la Méditerranée, oui, c’est possible, en 2015, même dans les meilleures familles si elles sont confrontées à une paupérisation.

De l’éblouissant soleil de Sète et des mouettes qui rient au-dessus du Mont Saint-Clair.

Des tombes grisonnantes et moussues du cimetière marin, où nous entendons la voix de Jean Vilar et le vent qui bruisse dans les pins en offrande.

De la plaque de l’Exodus devant la mer qui scintille et de mon émotion devant les couleurs de l’été des enfances, enfin retrouvées au cœur de cet avril.

Pourtant non loin de là 700 Migrants mouraient dans ces mêmes eaux turquoises, ma mer bien aimée devenue fosse commune en épouvante.

Et ailleurs aussi le vacarme déchirait l’innocence, quand 152 étudiants supplièrent en vain leurs bourreaux de Garissa, quand 7800 Népalais et touristes suffoquaient au milieu des drapeaux de prières aux couleurs de linceuls, quand une seule fillette, Chloé, succombait à la perversité d’un homme.

 

Un manteau de silence, d’horreur, de crainte sur les épaules. On est regardé jusqu’à la moelle.

Paul Valéry, Forêt.

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Je me souviens.

De ce contrat faramineux autour d’avions de chasse, pourtant signé par ma République avec un pays aux antipodes de la démocratie, qui maltraite les ouvriers et musèle les femmes.

Des voix d’outre-tombe de  Germaine Tillon, Genviève De-Gaulle-Antonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette entrant au Panthéon, quand je tentai d’expliquer à des élèves malveillants la beauté du don de soi, au milieu de ricanements d’adolescents désabusés. De ma désespérance devant la bêtise insensible au sacrifice et aux grandeurs.

De ce mois de mai aux clochettes rougies par un énième « drame familial », dans le Nord, celui-là, deux tout petits assassinés par un père, comme chaque mois, silencieux hurlement au milieu du génocide perpétré dans le monde entier, depuis des millénaires, par les hommes violant, tuant, égorgeant, mutilant, vitriolant, brûlant vives leurs compagnes et souvent leurs enfants.

Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle(…)

Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,

Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…

Louis Aragon.

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Je me souviens.

Des révisions du bac de mon puîné, des dissertations et des textes à apprendre, de Rimbaud et de Proust, de Verlaine et Stendhal, comme un collier de perles toujours renouvelé.

De ces adolescents déguisés en marquis pour une fête baroque, des duchesses et des contes, des froufrous et des rires, quand les joues de l’enfance en disputent avec les premières canettes de bière, quand on hésite entre un joint et un dessin animé…Chuuuuuuut. Prenez le temps…Profitez…On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans le jour de la Saint-Jean…

Du soleil fou de Sousse qui voit mourir les sourires des touristes, de la plage rougie, et de la tête en pique d’un patron français, quand cet Islam qui prétend vivre la foi n’est que mort absurde et gratuite.

Des gospels montant vers ce ciel rougi de Charleston, quand un homme fauchera des vies noires dans une église, insulte à l’Amérique des droits civiques : j’ai fait un cauchemar, encore un…

 

Ce matin de juin s’est posé sur mon cœur

comme un vol de colombes sur la vieille petite église,

frémissant d’ailes blanches et de roucoulements d’amour

et de soupirs tremblants d’eau vive.

Louisa Paulin, Lo bel matin

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Je me souviens.

Du chapeau blanc de Dylan et de sa voix éraillée, d’Albi la Rouge toute vibrionnante des accords de Pause Guitare, de cette nuit passée sur un banc avec un « Conteux » acadien, et du sourire de Zachary Richard, aussi pur que dans nos adolescences lorsqu’il clamait « travailler, c’est trop dur ».

De notre conversation téléphonique où déjà la poésie avait traversé l’Atlantique au rythme des échanges, et de son incroyable présence, quand il offre au monde tous les ouragans de Louisiane et toutes les histoires de son peuple oublié.

De la brique rouge et de Sainte-Cécile comme un vaisseau dans la nuit, du Tarn empli d’accords virevoltants et de notes insensées, de ce mois de juillet aussi gai qu’un violoneux un soir de noces.

 

La nuit, quand le pendule de l’amour balance

entre Toujours et Jamais,

ta parole vient rejoindre les lunes du cœur

et ton œil bleu

d’orage rend le ciel à la terre.

Paul Celan, in Poésie-Gallimard

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Je me souviens.

De la Bretagne qui danse comme une jeune mariée au son de la Grande Parade, de Lorient enrubanné, des guipures et de l’océan dentelé qui tangue au son des binious.

Des flûtiaux et des cornemuses, de l’âme celte qui m’enivre, des jambes levées sous les robes de crêpe et des verts irlandais ; des Canadiens qui boivent et de la lune qui rit, des roses trémières caressées par la joie et de mon fils si heureux de danser le quadrille.

D’un autre port, au bout du monde, où 173 personnes périront dans les explosions causées par l’incurie des hommes.

Du courage de ces passagers de l’improbable, quand des boys modernes rejouent le débarquement dans un Thalys sauvé de justesse de la barbarie.  Quand un 21 août ressemble à une plage de Normandie.

 Le Bleu ! c’est la vie du firmament(…)

Le Bleu ! c’est la vie des eaux-l’Océan

et tous les fleuves ses vassaux(…)

John Keats, Poèmes et poésies.

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Je me souviens.

Du calme d’Angela Merkel annonçant qu’elle devenait la mère de l’Europe en ouvrant les bras de l’Allemagne aux réfugiés et Migrants.

D’une Mère Courage qui soudain fait du pays de l’Indicible celui de l’accueil, quand 430 000 personnes ont traversé la Méditerranée entre le 1er janvier et le 3 septembre 2015, et qu’une seule photo semble avoir retourné les opinions publiques…

Du corps de plomb du petit Aylan et des couleurs vives de ses vêtements, dormeur du val assassiné par toutes les guerres des hommes, à jamais bercé par les flots meurtriers de notre Méditerranée souillée.

De mon étonnement toujours renouvelé en cette rentrée de septembre, quand soudain chaque journée de cours me semble thalasso, tant c’est un bonheur que d’enseigner la langue de Goethe à ces enfants musiciens, surdoués et charmants, toute ouïe et en demande d’apprentissages : ma première année scolaire agréable dans mes errances de « TZR », sans trajets insupportables et sans stress pédagogique.

 

Il n’est d’action plus grande, ni hautaine, qu’au vaisseau de l’amour.

Saint-John Perse, Amers.

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Je me souviens.

De ces pauvres gens morts noyés en voulant sauver une voiture quand des enfants de Migrants continuent, eux, en ce mois d’octobre, à n’être sauvés par personne…

Des hurlements d’Ankara, quand 102 personnes perdent la vie au pied de la Mosquée Bleue, le Bosphore rougi de tout ce sang versé.

De cette famille lilloise décimée par le surendettement, un Pater Familias ayant utilisé son droit de mort sur les siens, mais nous sommes tous coupables, nous, membres de cette odieuse société de surconsommation.

Du silence de ma cadette en cet anniversaire de notre rupture de cinq longues années, de sa frimousse enjouée et de son bonnet rouge lors de notre dernière rencontre, il y a un siècle, avant qu’elle ne rompe les ponts. Du petit bracelet de naissance qui dort dans ma trousse et ne me quitte jamais. De ma décision de vivre, malgré tout.

Argent ! Argent ! Argent ! Le fol argent céleste de l’illusion vociférant ! L’argent fait de rien ! Famine, suicide ! Argent de la faillite ! Argent de mort !

Allen Ginsberg, in Poètes d’aujourd’hui, Seghers.

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 Je me souviens.

« De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 13 novembre 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.

De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’une terrasse.

De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée. »

De cette structure cyclique qui a mutilé la Ville Lumière, de notre sidération, de la peur de mes enfants et des larmes de mes élèves, de la chanson « Imagine » entonnée en pleurant.

De Bamako et Tunis endeuillées elles aussi, de nos désespérances devant tant de victimes, et puis la terre, n’oublions pas la terre, qui se lamente aussi.

De la COP 21 qui passe presque inaperçue au milieu de tous ces bains de sang.

Si tu mérites ton nom

Je te demanderai une chose,

« Oiseau de la capitale » :

La personne que j’aime

Vit-elle ou ne vit-elle plus ?

Ariwara no Narihira, 825-879, in Anthologie de la poésie japonaise classique.

Place du Capitole, 14 novembre 2015
Place du Capitole, 14 novembre 2015

 

Je me souviens.

Du visage grimaçant de la haine et de la barbarie qui heureusement ne s’affichera PAS dans le « camembert ».

De nos piètres victoires, de mon pays où des jeunes votent comme des vieux aigris, de ma République en danger.

De toutes ces mitraillettes à l’entrée des églises, des santons menacés par les « laïcards » et par les djihadistes, d’un Noël au balcon, comme sous les tropiques.

De ces sabres lasers prétendument rassembleurs, quand tous ces geeks pourraient se retrousser les manches, réfléchir et agir.

D’une partie de croquet dans un jardin baigné de lumière et de douceur un 26 décembre, les maillets et les boules étant ceux de mon enfance allemande, le regard bienveillant de nos quatre grands-parents comme posé sur nous, microcosme familial dans le macrocosme de l’Europe si fragile, du monde si vacillant, de l’Univers si mystérieux.

De nos espérances.

De nos forces.

De nos amours.

Je me souviens de 2015.

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À la lumière de nos aïeux nous marchons.

Elle nous éclaire comme les étoiles de la nuit guidant le marcheur.

Al-Hutay’a, in Le Dîwân de la poésie arabe classique.

 

 

Enfin cette phrase, dédiée à tous ces disparus :

Je t’aimais. J’aimais ton visage de source raviné par l’orage et le chiffre de ton domaine enserrant mon baiser. (…) Aller me suffit. J’ai rapporté du désespoir un panier si petit, mon amour, qu’on a pu le tresser en osier.

René Char, La compagne du vannier.

 

 

 

Douce France : une fable contre le FN

Douce France 

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Je vous salue ma France, arrachée aux fantômes !

Ô rendue à la paix ! Vaisseau sauvé des eaux…

Pays qui chante : Orléans, Beaugency, Vendôme !

Cloches, cloches, sonnez l’angélus des oiseaux !

 

Marcel Dupont se réveilla en sursaut. Il avait rêvé qu’il était en primaire et qu’il récitait ce beau poème d’Aragon, que son père, ancien résistant, aimait tant…Il jeta un coup d’œil rapide vers son réveil en forme de coq et pesta intérieurement. Germaine avait encore oublié de changer les piles. Elle savait pourtant qu’il détestait arriver en retard au bureau ! Il s’habilla à la hâte avec les vêtements qu’il avait soigneusement déposés la veille et descendit à la cuisine. Il maugréa, puis se souvint avec satisfaction du bon score que son parti avait récolté hier au soir, lors du premier tour des Municipales. Allons, cette semaine s’annonçait bien, malgré tout…

Un étrange silence régnait dans la petite pièce méticuleusement rangée. Marcel s’étonna de ne pas voir son épouse affairée aux fourneaux, et pensa qu’elle était peut-être déjà partie au marché. Il alluma machinalement la radio avant de passer son café avec sa cafetière Krups, se réjouissant une fois de plus d’avoir investi dans la qualité allemande… Tiens, c’était amusant, d’ailleurs, la radio diffusait un chant militaire allemand, Heili Heilo, que Marcel n’avait pas entendu depuis la fin de la guerre…

Le quinquagénaire s’assit à sa place et déplia soigneusement sa serviette aux couleurs du drapeau tricolore, assortie d’ailleurs à la toile cirée et aux voilages. Avant de beurrer son toast avec le bon beurre de Normandie, il voulut se servir son jus de fruit favori, le bon jus de pamplemousse du LIDL, son magasin fétiche – comme il aimait à le répéter à son entourage, même dans le discount, la qualité allemande ne le décevait jamais… –, mais, étrangement, il ne trouva que du jus de pomme dans le réfrigérateur Miele. Décidément, ce n’était pas son jour…

Le chant militaire allemand laissa place au flash info de ce qu’il pensait être sa station favorite, RMC news. Mais un jingle inconnu le fit tressaillir : il sourit en reconnaissant… la Marseillaise ! Il sourit, et se dit que le Président était sans doute mort dans la nuit. Mais non, le speaker ouvrit son journal sur autre chose, et commença à parler d’une rencontre au sommet entre Madame Le Guen et le leader du parti d’extrême-droite italien. Marcel laissa tomber son bol de café en entendant le journaliste parler de « la Présidente de la République » en évoquant Martine Le Guen ! Il se leva pour chercher l’éponge sur l’évier, soudain très énervé. Mais qu’est-ce-que c’était que cette mascarade, on n’était pas le premier avril, quand même !

Il allait de ce pas appeler sa radio, pour leur prouver qu’il faisait partie de ces auditeurs qui prennent la parole, selon le slogan qui avait fait leur renommée… Se moquer de la présidente de son parti, de son cher Front Radical, était intolérable ! Satanés journalistes, toujours à vouloir rabaisser cette femme de tête, quelle honte…Ils étaient tous à la solde du lobby juif, c’était certain !

Mais il se souvint qu’il était déjà en retard, et éteignit le poste d’un geste rageur. Il écouterait la suite du programme dans sa BM, et il appellerait la radio ce soir… Il ferma soigneusement la porte blindée du petit pavillon après avoir enclenché l’alarme et vérifié qu’Adolf, son bouvier des Flandres, était bien détaché.

Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,

Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop.

Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,

Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…

Puis il sortit la voiture de l’allée. Et pila, aussitôt.

La promenade François Mitterrand, habituellement noire de monde en ce matin de marché, était presque totalement déserte. Seuls quelques stands étaient dressés le long des murs grillagés de ce petit quartier pavillonnaire. Quelques femmes déambulaient le long de la promenade, un panier à la main. Marcel Dupond se frotta les yeux, et commença à douter de sa raison… Il n’avait jamais vu ces imposantes villas flambant neuves, aux allures de mirador, entourées de grilles et de barbelés… Il avait soudain l’impression de vivre un mauvais rêve. Pourtant, il ne se souvenait pas avoir abusé de Schnaps la veille au soir…Non, il lui semblait avoir terminé la lecture d’une biographie de Franco après avoir sorti le chien…

Il redescendit de sa voiture et s’avança, presque chancelant, vers le premier stand, où un vieil homme était en train de déballer des choux fleurs. Où étaient donc passés les dizaines d’étals multicolores, et toute la foule bigarrée qui, d’ordinaire, se pressait en ce marché de plein vent ? Où étaient les stands de fruits et légumes, flanqués des étals de bijoux et de sacs, où se cachaient les grands noirs souriant qui vendaient leur bimbeloterie, et toutes les mamans voilées qui, poussette contre poussette, flânaient en rentrant de l’école Jean-Jaurès ? La rue était réellement vide, et, fait très étrange, semblait avoir été totalement désertée par la population du quartier, composée d’une majorité d’immigrés…

Marcel aborda le vendeur :

  • Dites, Monsieur, que s’est-il passé ? Où sont les autres stands ? Et où sont les… enfin bon, les… les gens, quoi, les gens du Maghreb, et puis les… africains ?
  • Ben dites donc, vous rentrez de la lune, vous ! Ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant, depuis presqu’un an que Martine a nettoyé le pays !! Ha ha, vous étiez dans le coma, peut-être ?

Le visage rubicond du vieil homme s’éclaira pendant qu’il se fendait d’un rire gras. Marcel tressaillit. Il essayait de comprendre, et relança la conversation :

  • Vous… vous voulez dire que Martine Le Guen est au pouvoir ? En France ?
  • Ben oui ! Un peu, oui ! On la voulait, et on l’a eue, notre Martine !
  • Et… où sont les immeubles qui étaient là, et les petits pavillons, et… les gens ?
  • Mais tu te moques de moi ! Tu sais bien que tout a été rasé, et que le quartier a été racheté par la famille Le Guen ! Toutes les familles immigrées sont parquées dans le Camp de la Zone, et les Français de souche qui n’ont pas eu de quoi se repayer une villa sont partis en banlieue. Faut lire le journal, mon pauvre vieux! Et puis je vais te dire, moi, j’en suis bien content, de ce nettoyage !!

Marcel recula d’un pas en remerciant le vendeur, sans s’offusquer du fait d’avoir été tutoyé. Il tenta de masquer sa surprise et s’éloigna d’un pas mal assuré, en se demandant si le maraîcher n’avait pas raison… Il avait peut-être eu un accident, ou une maladie. Peut-être avait-il été, oui, dans le coma, après tout ? Il remonta dans sa berline et actionna son kit mains libres. Il essaya de joindre Germaine, sans succès. Il ne tomba même pas sur le répondeur, mais sur un disque lui disant qu’il n’y avait pas d’abonné au numéro demandé. De plus en plus énervé, il composa le numéro d’Éva, leur fille aînée. Normalement, elle était en cours, au lycée Pompidou, à l’autre extrémité de la ville, en train d’enseigner les rudiments de la langue de Goethe à tous ces gamins des cités, mais avec un peu de chance ce serait l’interclasse.

Je vous salue, ma France, où les vents se calmèrent !

Ma France de toujours, que la géographie

Ouvre comme une paume aux souffles de la mer

Pour que l’oiseau du large y vienne et se confie.

Justement, elle répondit à la première sonnerie.

  • Papa ? C’est gentil de m’appeler, je me demandais si tu voulais que je passe faire le ménage, ou si tu t’étais arrangé avec la femme de Benito.
  • Mais… depuis quand ma fille et ma belle-fille font-elles le ménage chez nous ? cria Marcel, de plus en plus perturbé.

Il entendait, en arrière-fond, des pleurs et des disputes, et ne comprenait pas non plus ce qui se passait au lycée de sa fille. Elle n’était pas institutrice, quand même ! Décidément, c’était de pire en pire, avec ces gamins venus d’ailleurs…La pauvrette, elle ne l’avait pas écouté, à l’époque, elle avait refusé de faire hypokhâgne et était allée à cette université si mal fréquentée…Elle le payait chèrement, aujourd’hui, son idéalisme…Elle reprit la parole, sa voix couvrant les pleurs :

  • Papa, mon papounet, tu sais bien que depuis que maman est au camp, c’est Jennifer et moi qui nous relayons pour te seconder… D’ailleurs tu sais, pour le jus de pamplemousse, laisse tomber… Le mari de ma copine Anne est responsable marketing chez Deschamps, et les rayons sont de plus en plus vides… Depuis que ta chère Martine a décrété toutes ces mesures d’embargo, c’est fichu… Te voilà condamné à consommer français, point barre. Mais c’est ce que tu voulais, non ?
  • Mais qu’est-ce-que tu racontes ? Quel camp ? Quel embargo ?
  • Papa !! Papa, tu as oublié que maman est d’origine juive ? Et que c’est toi qui l’as conduite au camp, soi-disant pour une simple formalité ? Tu ne te souviens déjà plus de ses larmes, de toutes ces histoires de Vel d’Hiv dont elle te rabattait les oreilles, de ses cris ? Quant à l’embargo, tu comptais parmi ses plus fervents partisans… Alors ne te plains pas, c’est trop tard ! Bon, je te laisse, les enfants vont finir par me rendre chèvre… Ils ont tellement faim, je ne sais plus quoi faire… Depuis que je n’ai plus le droit de travailler, j’ai perdu toute mon énergie. Finalement, ils me manquent terriblement, mes Ahmed, mes Youssouf, et même les petits Roms qui m’en faisaient voir de toutes les couleurs… Maman me l’avait dit, je n’ai vraiment pas l’âme d’une femme au foyer ! Allez, mon papounet, courage, on se voit bientôt, pour la cérémonie de Jean-Martin qui doit entrer au Panthéon, mon Dieu, pépé se retournerait dans sa tombe… Tu avais promis que tu en profiterais pour parler au chef de quartier et au préfet de la situation de maman…Gros bisous, je vais essayer d’aller au jardin, voir si les tomates sont mûres…

Je vous salue, ma France, où l’oiseau de passage,

De Lille à Roncevaux, de Brest au Montcenis,

Pour la première fois a fait l’apprentissage

De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid !

Marcel Dupont était comme sonné. Il comprit à demi-mot que la dépouille de Jean-Martin Le Guen devait apparemment entrer au Panthéon, et eut lui aussi une pensée émue pour son père, qui avait été un résistant de la première heure et n’avait jamais accepté les engagements de son fils… Il leva machinalement les yeux avant de démarrer, et chercha des yeux la plaque de la Promenade François Mitterrand. Elle aussi avait disparu… Il lut, éberlué, « Promenade Augusto Pinochet », avant de faire marche arrière pour vérifier le nom de l’école Jean Jaurès ; elle aussi avait été rebaptisée. Un drapeau tricolore flottait au vent, sous le grand panneau « École Dieudonné ». En roulant, il se demanda aussi par quel miracle son intello de fille ainée s’était mise à cultiver son jardin… Elle qui était déjà incapable de réussir correctement une recette…

Il conduisit ensuite très lentement, se dirigeant vers sa banque, s’étonnant des rues absolument dépeuplées de voitures, et put constater l’étendue des changements… La plupart des noms des rues avaient été changés, et la grande statue du Général de Gaulle avait été remplacée par un buste de Bénito Mussolini. Les rues étaient très, très propres, et quasi désertes. Seules quelques mères promenaient leurs enfants. Il n’y avait plus aucun SDF devant la gare, ni devant la fontaine, et quasiment chaque maison arborait un drapeau tricolore. En passant sur le pont des treilles, il constata aussi que les baraquements Roms, installés sur la prairie des berges, s’étaient volatilisés… Marcel avait aussi tenté d’allumer son autoradio et pu constater que ce dernier ne diffusait qu’une seule station, toujours RMC news. Soudain, il freina, et blêmit en voyant l’immense étendue de tentes qui se dressaient à l’emplacement de l’ancien stade de Coubertin. C’était donc là. Il était arrivé au « Camp de la Zone ».

Des soldats en armes en gardaient l’entrée principale. De part et d’autre de ce qui avait été une pelouse et une piscine olympique, fierté de l’ancienne municipalité communiste, Marcel apercevait les imposants miradors. L’un d’entre eux semblait avoir été simplement dédié à une nouvelle fonction, puisque dans le souvenir du quinquagénaire, c’était là que se dressait le minaret de la Mosquée, ce fameux minaret qu’il n’avait pas réussi à faire interdire, malgré les pétitions…Comme ils avaient été actifs, pourtant, avec ses camarades frontistes, démarchant les cafés, les commerces…Mais en vain, puisque la Mosquée avait fini par se construire…

Une foule impressionnante grouillait à l’intérieur du camp. Il y avait là essentiellement des femmes et des enfants de tous âges. Aucun d’entre eux ne semblait aller à l’école. Tout au fond, vers l’ancienne usine, Marcel apercevait un ballet de bus, et il eut l’impression que des hommes, sous la garde d’autres soldats armés, montaient dans ces véhicules. Il aborda l’un des militaires.

  • Excusez-moi, soldat. Que font ces hommes, là-bas ?
  • Ils partent pour le camp de travail, monsieur, comme tous les matins !
  • Et… ces enfants, pourquoi ne sont-ils pas scolarisés ?

Le soldat fixa Marcel d’un air interloqué, avant de le tancer vertement :

  • Vous êtes de la presse underground ? Je croyais qu’on avait nettoyé le pays de toute la racaille du « Petit Journal », pourtant ! Du balai, vite ! Vous savez très bien que les Français de souche sont les seuls à pouvoir envoyer leurs gamins à l’école ! Toute cette racaille traîne dans le camp à longueur de journée ! Enfin, heureusement, Martine a lancé la campagne de stérilisation, je peux vous dire que ça va faire du bien à la France ! Allez, faut pas rester là, circulez ! Et puis je vous déconseille de continuer en voiture, vous pourriez éveiller des convoitises…

Patrie également à la colombe ou l’aigle,

De l’audace et du chant doublement habitée !

Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles

Mûrissent au soleil de la diversité…

Marcel se mit à trembler. Il vivait un cauchemar, il en était à présent certain. Il allait se réveiller, et retrouver la ville sous son aspect habituel, avec les petits Roms qui mendiaient sous la fontaine, avec les ados des cités qui, appuyés sur leurs scooters, s’interpelaient en riant…Il irait boire son café au Bar de la Marine, et échangerait des souvenir du Djebel avec le vieil Ahmed, qui, même s’il était du bled, n’était pas un mauvais bougre… Sa fille l’appellerait à la récréation pour lui raconter que Mohamed s’était évanoui parce qu’il respectait le Ramadan. Germaine lui préparerait une tresse au pavot et voudrait faire Shabbat, et ils se disputeraient avant sa réunion du Parti, puisqu’il lui dirait qu’il ne voulait plus entendre parler de ses origines juives, et qu’il œuvrait, lui, Marcel Dupont, depuis sa province, aux côtés de la dirigeante du FR, pour rendre à la France sa grandeur déchue…

Il tremblait parce qu’il n’aurait jamais imaginé, en fait, que le FR mettrait, en cas de victoire, toutes ses idées en pratique… Oui, Marcel était un exalté, qui  militait depuis la naissance du parti de Jean-Martin Le Guen, dans les années quatre-vingt.  Il était de tous les combats, faisant activement circuler les pétitions des sites extrémistes à ses contacts, collant les affiches, ne manquant aucune réunion… Il ne ratait jamais l’occasion de faire une blague raciste, et il avait, en vain, tenté d’imposer les idées du FR à ses enfants, qu’il avait appelés, sans l’accord de sa femme clouée à la maternité, Éva et Bénito, en hommage à ses héros…

Comme il avait été heureux, au moment de la fameuse « Manif pour tous »…Ah, quelle immense joie de voir son pays se dresser à l’appel des  Zénour, des Rigide Barlot, de tous ceux qui, enfin, aspiraient à un ordre nouveau…Il se souvenait des débats agités dans le petit écran, autour des questions du voile et de la laïcité…

Mais là, il se rendait bien compte de l’absurdité de cette situation… Rassemblant son courage à deux mains, il reprit le volant et se dirigea vers la banque. En se garant au parking, totalement désert, sous les grands platanes qui, eux, étaient heureusement à leur place ancestrale, il aperçut la foule de gens qui faisaient la queue devant la superette et devant la pharmacie, le long du trottoir…Le cinéma, fermé à cette heure, proposait un documentaire sur le scoutisme et une rétrospective Marlène Dietrich.  La banque aussi était pavoisée, un grand drapeau tricolore voletait fièrement à la baie vitrée de l’étage, comme si le bâtiment faisait partie de quelque administration nationale…

Marcel remonta la file et passa son badge avant de regagner, interloqué, son bureau. Là non plus, il ne reconnaissait rien. De grandes affiches appelaient à venir déposer les euros à la Banque de France et invitaient les gens à rendre leurs cartes bancaires. En passant devant le guichet, il vit Élodie, la petite stagiaire, qui portait une sorte d’uniforme bleu, et qui semblait avoir pris du galon car elle donnait du liquide à une vieille dame qui tendait une immense valise à la jeune femme : Élodie y déposait des liasses de billets, et Marcel se frotta les yeux en reconnaissant les coupures… Il s’agissait de… francs, oui, les billets étaient des billets de cent francs !

Un grand homme blond et élancé sortit d’une belle pièce lumineuse, décorée d’un immense portrait de Martine Le Guen. Il s’avança en souriant vers Marcel :

  • Alors, mon cher, vous voilà de retour ? Je suis désolé que vous ayez manqué la cérémonie d’investiture de notre Directeur Général, à Vichy. C’était magnifique, vraiment !
  • Mais… mais, bredouilla Marcel. Ou est Monsieur Zherbi, notre Directeur ?

Le visage de son interlocuteur s’empourpra.

  • Dites-donc, mon vieux, calmez-vous immédiatement. Je me demande si les médecins ont bien fait de donner leur aval pour votre sortie de clinique…Vous ne me semblez pas totalement rétabli…Pour votre gouverne, je vous rappelle que Zherbi et les gens de son acabit ont été parqués comme leurs petits camarades, à la Zone…Ce brave type casse des cailloux comme tout le monde, et j’espère qu’il sera bientôt de retour parmi les siens !
  • Mais… Monsieur Zherbi avait fait Sciences Po, et…et son père avait été décoré pour services rendus à la patrie…Je me souviens encore de la pétition que nous avions fait circuler pour protester, en 2014…
  • Justement, mon cher, réjouissez-vous ! À l’époque, la pétition avait atterri dans la corbeille du gouvernement socialiste… Nous avons mangé notre pain noir, et la justice a enfin été rétablie ! Ces gens sont à présent à leur place ! Bon, sur ce, je vous laisse, nous avons tous du travail. Et n’oubliez pas, le chef de quartier passera à dix-huit heures pour le bilan du jour ! Vous signerez l’ensemble et ce sera ensuite visé par la Kommandantur.

Je vous salue, ma France, où le peuple est habile

À ces travaux qui font les jours émerveillés

Et que l’on vient de loin saluer dans sa ville

Paris, mon cœur, trois ans vainement fusillé !

Marcel se dirigea à pas lourds vers son bureau et alluma son ordinateur. Il s’étonna de la lenteur de la connexion et vit ensuite un étrange logo s’afficher à l’écran : http://www.cocorico.net. Il tenta en vain de se connecter à Google, à Yahoo…Tous les moteurs de recherche semblaient dysfonctionner. Pourtant, cela faisait longtemps que la banque était sortie de l’intranet…Il réussit enfin, au bout de longues minutes, à accéder à ce qui semblait être un site d’informations. Il fit défiler les actualités, lisant les titres sans croire tout à fait à la réalité de ce qu’il apprenait…

  • Le dernier camp de Roms du 95 nettoyé au karscher : une centaine de victimes, parmi lesquelles de nombreux enfants. Les survivants ont été reconduits en camions blindés à la frontière.
  • Martine Le Guen en route pour le Panthéon après une cérémonie d’hommage à Domrémy.
  • Yann Barthès condamné ! L’ex-humoriste ira rejoindre Ruquier et la bande des Guignols au Bagne de Papeete.
  • Ouverture du Festival de Cannes avec le film « Gégene, mon amour », déjà pressenti pour le Coq d’Or.
  • Une équipe entièrement blanc-bleue ! Le Stade de France va voir jouer cette équipe enfin débarrassée des colorés, comme disait Jean-Martin Le Guen !

Marcel chercha en vain des informations à propos de la situation économique du pays. Pourtant, il avait lui-même constaté, depuis le marché vide du matin jusqu’à cette valise de billets, que la France semblait avoir plongé dans un protectionnisme délirant. Abandonner l’Euro, pourquoi pas, mais fermer les frontières, museler le net ? Que se passait-il ? Il ne comprenait rien à la situation.

Il voulut en avoir le cœur net et, vers midi, il se dirigea vers le petit Casino de la place. Le magasin était désert, et fort peu achalandé. Seules quelques rares denrées poussiéreuses restaient en rayons, des conserves de cassoulet, des pruneaux…Une radio diffusait en boucle de la chanson française. Marcel aborda la jeune caissière.

  • Vous n’avez pas de sandwichs ? Ni de coca ? Et où sont les fruits et légumes, le sucre, les produits de beauté ?
  • Vous savez bien, Monsieur, nous n’avons plus de pain depuis longtemps, puisqu’il n’y a plus de quoi faire rouler les tracteurs, ni les camions de livraison…Un an, ce n’est pas suffisant pour redresser l’économie, la Présidente l’a dit hier soir sur Chaîne 1, et puis il faut se serrer la ceinture. Moi, j’ai déjà perdu vingt kilos. Maman est morte il y a deux mois, faute de soins, puisque nous ne parvenons plus à recevoir les médicaments génériques de Chine, mais que pouvons-nous faire, nous, les petits?

La jeune femme fixait Marcel d’un air un peu hagard. Ce dernier sortit, chancelant, retrouver la lumière du jour. Il pénétra ensuite dans la pharmacie, il lui fallait absolument de l’aspirine, sinon, sa tête allait éclater…Mais la pharmacienne, qui, il s’en souvenait, à présent, était déjà à son poste dans les années soixante-dix, et qui lui expliqua avoir été obligée de reprendre su service, faute de droits à la retraite,  n’avait que des tisanes à lui proposer…

Chancelant, Marcel alla s’assoir sur un banc de la place, un quotidien à la main. Il feuilleta les pages de ses mains tremblantes, parcourant les dépêches autour des cérémonies locales récompensant des mères méritantes et les rares articles de fond consacrés au redressement du pays…Une caricature montrait l’ancien président Hollande accroché aux barreaux de sa prison, au bagne de Papeete, une rose entre les dents, et criant « Je vois enfin la vie en rose ! »…Marcel mangeait sans grand appétit un pain au chocolat rassis, et il scrutait la place dans l’espoir d’y retrouver ses anciens repères. En vain :

Le kébab n’existait plus, il avait été remplacé par un vendeur d’armes. Le petit restaurant chinois avait fait place à un pressing ; Marcel, interloqué, déchiffra la publicité de l’enseigne :

  • Votre uniforme propre en moins de deux heures ! Réduction pour les membres du FR !

La librairie avait fermé, de même que le magasin de jouets. Quant à la fontaine, la majestueuse et plantureuse sirène qui y crachotait de l’eau s’était volatilisée au profit d’un buste de Pétain.

Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe

Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus,

Liberté dont frémit le silence des harpes,

Ma France d’au-delà le déluge, salut !

Soudain, Marcel sursauta et se retourna. Un adolescent aux yeux brillants lui avait tapé sur l’épaule, et lui chuchota qu’il le suivait depuis le matin, depuis son arrivée au parking. Il avait aussi entendu sa conversation avec la caissière, et il lui proposa de le suivre.

Marcel n’hésita pas. Il se leva prestement et emboîta le pas au jeune homme ; il se retrouva bientôt dans une petite ruelle sombre, puis, après avoir monté quelques marches branlantes d’un escalier vermoulu, dans un grand appartement recouvert d’affiches rouges et noires. Un groupe de personnes de tous âges était assis à même le sol et discutait avec passion. Il reconnut aussitôt l’ancien adjoint du maire, et aussi la proviseure du lycée de sa fille. Il y avait aussi deux jeunes filles très typées et un grand noir drapé d’une houppelande, malgré la chaleur étouffante.

  • Monsieur Dupond ! Merci d’être venu. Je sais que vous avez été absent longtemps suite à votre amnésie, et je voulais vous témoigner ma sympathie, malgré les différents que nous avons eus par le passé. Je suis désolée de l’internement de votre épouse. Je l’aimais beaucoup, vous savez, nous discutions, les samedis, au marché…Une belle personne, vraiment !

La proviseure s’était levée et se dirigea vers Marcel. Elle l’invita ensuite à s’assoir sur l’unique chaise de ce qui semblait être une sorte de permanence, et se mit à lui raconter comment elle avait, en vain, essayé de sauver Germaine du Camp de la Zone. Elle continua ensuite à dresser le bilan alarmant de la situation. Fatima et Warda, deux anciennes étudiantes, avaient échappé à la Rafle de janvier, tout comme Ramtoudjiné, le vigile des Galeries, et Paul, l’adolescent qui avait abordé Marcel.

Tous les quatre avaient commencé à organiser ce qu’ils nommaient la « résistance » au sein de leur petite ville, mais ils étaient bien démunis face à l’emprise gouvernementale. La proviseure en appela à la lucidité de Marcel. Certes, il avait été un militant de la première heure, mais maintenant qu’il était face au fait accompli de la dictature du FR, qu’allait-il décider ? Serait-il prêt, en mémoire de son père, à changer son fusil d’épaule, et à les aider, grâce à ses positions privilégiées ? Il n’était pas possible de rester les bras croisés. Il fallait se relever, agir, mobiliser le pays muselé. On ne pouvait impunément laisser une jeunesse grandir sans aucun accès à l’éducation, ni obliger les femmes à revenir à la maison, ni expulser des étrangers qui vivaient en France depuis des générations…

Marcel, soudain, se sentit transformé. Il se revit, petit  garçon, juché sur les épaules de son père, ce père qui l’avait eu sur le tard et qui était si fier de ce fils qu’il éduquait dans les lumières de la République. Et puis il se souvint aussi des fréquentations étranges de son adolescence, lorsqu’il avait commencé à se rebeller contre « la gauche », et à se muer en mouton noir de la famille. Peu à peu, tout avait basculé…

Sa belle-famille, épouvantée, avait tenté de détourner Germaine de l’emprise de ce gendre devenu peu à peu antisémite, mais il était trop tard…Marcel avait pris des galons au sein du FR,  militant tant et plus pour libérer la France, voulant imposer ses valeurs aux siens…Il était de tous les combats, avait fait interdire les cantines hallal, monté la milice de surveillance, et même fait expulser la famille roumaine du HLM voisin…Oui, Marcel revit soudain toute son histoire de militant, et comprit combien il s’était fourvoyé…

Et il se retrouva, en un instant de grâce, dans ce petit appartement devenu l’antre de la rébellion, investi d’une étrange mission : il allait se faire pardonner, il allait, lui aussi, devenir un héros de la Résistance, il allait lutter contre la dictature. Il serait le digne héritier de ceux qui avaient, en leur temps, libéré la France d’autres jougs…

Il se redressa et s’adressa au groupe, les yeux brillants, et hurla d’une voix de stentor :

  • Vous avez raison ! La France a besoin de liberté ! Nous allons nous redresser, ouvrir les camps et les frontières, lutter contre cette folle de Martine Le Guen ! Sus au racisme, sus à la dictature de l’extrême-droite, vive l’Europe, vive l’Euro !

Une main douce caressait son front. Marcel, en sueur, se dressa dans son lit. Il tremblait. Il aperçut la silhouette familière de Germaine qui lui souriait, étonnée.

  • Dis donc, tu en dis, de drôles de choses, dans tes cauchemars ! De quels camps s’agissait-il ? Et tu n’es plus raciste ?

Elle tapota l’oreiller avant d’ouvrir les volets sur la belle lumière de mai. Une rumeur agréable parvint aux oreilles de Marcel, une sorte de brouhaha. Il sauta du lit et courut à la fenêtre : de l’autre côté du jardin, il vit les couleurs du marché de plein vent, il contempla, ému, les étals multicolores, il sourit en voyant la foule bigarrée se presser sur la promenade. Il se retourna, tout joyeux, et adressa un regard plein d’amour à son épouse.

  • Ma Germaine, tu es là, bien là…Comme tu m’as fait peur !
  • Mais c’est toi, Marcel, qui nous a fait peur ! Comment te sens-tu, ce matin ? Tu veux vraiment reprendre ? Et tu te sens capable de tenir le bureau de vote, dimanche ?
  • Ma chérie…Ma chérie, c’est fini ! Je vais rendre ma carte, je vais vous montrer qui je suis vraiment ! Terminé, le FR ! Pourras-tu un jour me pardonner ? Je voudrais que tu invites tes parents et que tu fasses un repas de Shabbat, vendredi soir…Et puis demain j’irai aider Éva, je sais qu’elle loge cette famille de Roms expulsés et qu’elle a besoin d’un coup de main !

Marcel embrassa son épouse et descendit prendre son café ; une belle journée s’annonçait. Un poème  lui revint en mémoire, la belle ode à la liberté de Paul Eluard :

 

Liberté

 

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J’écris ton nom

Sur les images dorées

Sur les armes des guerriers

Sur la couronne des rois

J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert

Sur les nids sur les genêts

Sur l’écho de mon enfance

J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits

Sur le pain blanc des journées

Sur les saisons fiancées

J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur

Sur l’étang soleil moisi

Sur le lac lune vivante

J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon

Sur les ailes des oiseaux

Et sur le moulin des ombres

J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore

Sur la mer sur les bateaux

Sur la montagne démente

J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages

Sur les sueurs de l’orage

Sur la pluie épaisse et fade

J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes

Sur les cloches des couleurs

Sur la vérité physique

J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés

Sur les routes déployées

Sur les places qui débordent

J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume

Sur la lampe qui s’éteint

Sur mes maisons réunies

J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux

Du miroir et de ma chambre

Sur mon lit coquille vide

J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre

Sur ses oreilles dressées

Sur sa patte maladroite

J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte

Sur les objets familiers

Sur le flot du feu béni

J’écris ton nom

Sur toute chair accordée

Sur le front de mes amis

Sur chaque main qui se tend

J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises

Sur les lèvres attentives

Bien au-dessus du silence

J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits

Sur mes phares écroulés

Sur les murs de mon ennui

J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir

Sur la solitude nue

Sur les marches de la mort

J’écris ton nom

Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l’espoir sans souvenir

J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté.

 

 

 

 

Elle te plaît pas, ma chanson ? « Imagine », la Corse, la langue arabe et la Fête de la Musique!!

Elle te plaît pas, ma chanson ?

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 (Prenez la peine de visionner toutes les vidéos, vraiment, elles en valent la peine !!)

 

 Imagine there’s no heaven,

Imagine qu’il n’y ait aucun Paradis,

It’s easy if you try,

C’est facile si tu essaies,

No hell below us,

Aucun enfer en-dessous de nous,

Above us only sky,

Au-dessus de nous, seulement le ciel…

La Corse, quand on se l’imagine, c’est comme un petit paradis…Avec, au-dessus de nous, ce ciel, bleu comme en enfer, et puis les chants corses, les cigales, un souffle de vent léger, et toute cette grande Histoire insulaire exotique qui rencontre les petites histoires des gens et des rêves, entre Napoléon, Colomba, les jolis ânes tout poilus et le fromage…

Pourtant, il y a quelques jours, des gens sans histoires, justement, se sont mis martel en tête à cause d’une chanson. Des gens qui, au lieu de vivre « pour aujourd’hui », dans le présent, dans le moment, sont allées chercher midi à quatorze heures et ont vu le mal là où simplement des instits avaient imaginé un beau moment de paix et de partages…

Imagine all the people,

Imagine tous les gens,

Living for today…

Vivant pour aujourd’hui…

http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/corses-des-enseignantes-menacees-pour-avoir-voulu-faire-chanter-leurs-eleves-en-arabe-693020

C’est incroyable. Incroyable et tellement mal venu, à quelques jours du début du Ramadan, que notre petite île d’irréductibles nationalistes se soit soudain recroquevillée sur elle-même au point de vouloir bouter la langue sarrasine hors de ses eaux bleues, utilisant qui plus est l’innocence enfantine pour assouvir d’étroites idées corporatistes et chauvines. Je ne sais ce qui m’a le plus choquée, entre cette exploitation immonde d’une fête dédiée aux plus jeunes et le fait que ce soit la chanson « Imagine » qui ait mis le feu aux poudres…

Imagine there’s no countries,

Imagine qu’il n’y a plus aucun pays,

It isn’t hard to do,

Ce n’est pas si dur à faire,

Nothing to kill or die for,

Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir,

No religion too,

Aucune religion non plus,

Imagine all the people,

Imagine tous ces gens,

Living life in peace…

Vivant leurs vies en paix…

Ah, ils en sont loin, de la paix, ces parents d’élèves qui ont osé salir la mémoire de Lennon et de son rêve. Les voilà, les idolâtres de lointains bruits de botte, les adoreurs de quenelles,  les moustachus à la Cabu, emplis de leur beauf attitude, n’ayant pas honte de porter haut le drapeau de la bêtise et de l’ignorance, se cherchant au seuil d’un bel été et d’innocents lâchers de ballons des « causes pour tuer ou mourir », vilipendant une langue, l’arabe, comme si une langue pouvait être responsable de l’incurie des hommes…

You may say I’m a dreamer,

Tu peux dire que je suis un rêveur,

But I’m not the only one,

Mais je ne suis pas le seul,

I hope some day you’ll join us,

J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,

And the world will live as one.

Et que le monde vivra uni

 

On en est loin, de ce monde uni imaginé par le poète. Ils existent, pourtant, les rêveurs qui croient au pouvoir de la paix. On les retrouve dans le monde entier, à lutter pour des idéaux malmenés par les dictatures et les violences, et parfois même leurs efforts aboutissent, comme pour Daniel Barenboïm et son orchestre du Divan d’Orient et d’Occident, qui vient de trouver un lieu pérenne à Berlin, à défaut de s’être installé en Israël…

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2015/06/19/le-rossignol-et-la-burqa-et-lacademie-barenboim-said/

Et ils en ont, de l’imagination, les rêveurs…C’est cette petite fille qui croit au pouvoir de l’éducation, quitte à presque mourir d’une balle dans la tête ; c’est cet Africain du Sud qui passe la moitié de son existence en prison, avant de devenir président de la nation arc-en-ciel ; c’est ce chanteur de Liverpool qui chantait la paix depuis ses lunettes rondes, avant de s’écrouler sous les balles d’un tireur fou…

Imagine no possessions,

Imagine qu’il n’existe plus aucune possession,

I wonder if you can,

Je me demande si tu en es capable,

No need for greed or hunger,

Aucun besoin d’avidité ou de faim,

A brotherhood of man,

Une fraternité humaine,

Imagine all the people,

Imagine tous les gens,

Sharing all the world…

Qui se partageraient le monde…

Mais à quoi pensaient-ils donc, ces parents d’élèves corses, menaçant des institutrices jusqu’à faire interdire toute une kermesse de par leurs cris de guerre ? Pensaient-ils peut-être que le monde leur appartiendrait, sous prétexte qu’ils seraient les détenteurs d’une seule vérité linguistique ? L’autre jour, sur ma chère Place du Capitole, s’est tenu justement le Forum des langues du monde, un superbe moment d’universalité au cœur des briques roses, et sous le beau soleil toulousain ont éclaté mille chants bariolés, tandis que des enfants émerveillés  découvraient les particularismes de langues mortes ou vivantes, en perdition ou éclatantes, du latin au chinois, en passant par l’occitan, le créole, le lingala…Car une langue, c’est avant tout le meilleur moyen de partager le monde, d’accéder à la fraternité humaine, au-delà de toutes nos différences…

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!20655&authkey=!AErwH5Nft1T2SII&ithint=video%2cmp4

Alors bien sûr, d’aucuns ont peur. Cette peur de l’Autre, chevillée à nos cœurs et à nos histoires, cette peur ancestrale de l’ennemi, du village voisin, du territoire inconnu qui empiète sur notre pré-carré. Et je vais vous faire une confidence : moi aussi, j’ai peur. J’ai peur depuis des années, bien avant Charlie, DAESH et les gangs des barbares, j’ai peur de cet islamisme qui fait d’une des grandes religions du monde une déviance dangereuse, lorsque ses préceptes sont malmenés. Je suis, même, terrifiée, en voyant les eaux bleues des Maldives se noircir de burqas, en lisant l’horreur dans les yeux des Chrétiens d’Orient. Et pourtant j’ai souhaité un bon Ramadan à mes amis musulmans, qui sont nombreux. Je l’ai souhaité à des commerçants des kébabs de la Ville Rose, à des femmes voilées avec lesquelles je papote dans le bus, et à tous mes amis poètes et enseignants si chers à mon cœur….

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=53448&forum=2

Car je sais bien la différence entre les folies et l’innocence, entre le Bien et le Mal, toute rêveuse que je suis. Et je souhaiterais que ces parents d’élèves réfléchissent au mal qu’ils ont fait à leurs enfants et à leurs maîtresses, en actant la bêtise, l’ignorance et la haine.

J’espère qu’un jour les enfants de ces parents leur chanteront qu’ils volent, comme dans le superbe film de la Famille Bélier…Au-delà des clivages, de la peur, et des nationalismes.

 You may say I’m a dreamer,

Tu peux dire que je suis un rêveur,

But I’m not the only one,

Mais je ne suis pas le seul,

I hope some day you’ll join us,

J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,

And the world will live as one.

Et que le monde vivra uni

(mon modeste fils…)

Enfin, cette superbe « cover » par le groupe corse Incantèsimu !

https://ghjuventucorsa.wordpress.com/incantesimu-groupe/

http://www.sabine-aussenac.com/cv/portfolios/photo2633

Photo2633

 Bonus 🙂

https://www.youtube.com/watch?v=VlxI2fAUymw

https://www.youtube.com/watch?v=LgWa4gUGZFE

https://www.youtube.com/watch?v=rk43kgy_M0o

https://www.youtube.com/watch?v=DTeEwpam2Z0

 

 

 

 

 

Conte de fées

Conte de fées

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Une fois, une seule fois peut-être, dirait Desnos dans son « Conte de fées », j’ai vu, sur ma ligne de TER Auch-Toulouse, empruntée quasi quotidiennement durant sept ans, un contrôleur noir.

J’imagine qu’en région parisienne, c’est différent, mais ici, dans le Sud-Ouest, mes propres statistiques sont formelles : cela ne m’est arrivé qu’une fois, j’en avais d’ailleurs parlé avec l’intéressé.

Jamais, en trente et un  ans de carrière, je n’ai eu eu de chef d’établissement noir ou arabe. Je dis « arabe » parce que « d’origine maghrébine », c’est plus long. Et puis les gens qui ont voté FN et qui me liront comprendront plus vite…

Donc jamais de principal ou de proviseur noir ou arabe pour me donner ma note administrative, me rappeler à l’ordre à cause de mes nombreuses absences ou pour me féliciter de mon dynamisme.

Je pourrais presque dire de même en ce qui concerne les collègues…J’en ai eus, des collègues, des centaines, avec mon statut de prof itinérante…Croyez-le ou pas : les profs noirs ou arabes croisés depuis l’obtention de mon CAPES, en 1984, se comptent…sur le doigt de la main ! Je ne peux même pas compter Fabrice, un ancien « pion » de Blaise-Pascal devenu, je crois, prof d’allemand ; il était antillais…Sérieusement, hormis quelques contractuels de math ou de techno, une collègue d’anglais, elle, certifiée –Samira, je t’embrasse !- et un collègue d’allemand très compétent –Rachid, Kuss !-, rien, nada, le désert des tartares…Les salles des profs sont d’une blancheur quasi immaculée…

Jamais mes enfants n’ont eu de pédiatre noir ou arabe. Jamais je n’ai consulté d’ORL, d’ophtalmo, de dermato, de gynéco…noir ou arabe. Jamais je n’ai eu de médecin traitant noir ou arabe. Une fois, mon fils a vu spécialiste iranien dans une clinique, et, une autre fois, j’ai moi-même consulté, à Auch, un rhumato d’origine libanaise. Mais jamais un toubib black ou rebeu n’a croisé ma route.

J’ai eu hélas affaire à de nombreux avocats et juges… Entre les huit longues années de mon divorce et le cauchemar de mon surendettement, sans oublier la longue procédure internationale pour récupérer quatre ans de pension alimentaire, j’en ai croisés, des hommes en robe, des jeunes, des vieux, des beaux, des moches, des sympas, des cons finis, des compétents, des imbéciles… Mais jamais, je vous l’assure, j’ai croisé d’avocat ou de juge arabe. Par contre, un avocat black, oui. – Il y a toujours des exceptions à une règle, n’est-ce pas ? (coucou, Hervé, si tu me lis… )

Je me creuse la tête pour me souvenir si j’ai déjà croisé la route d’un directeur de banque noir ou arabe…Non, j’en suis certaine. Pourtant, j’en ai éclusées, des agences, avec mes multiples déménagements…Ni à la BP, ni au Crédit Agricole, ni à la Banque Postale, ni à la BNP, je n’ai eu de directeur d’agence issu de l’immigration…

J’ai rarement eu l’occasion de fréquenter de grands hôtels, des thalassos, des restaurants très étoilés, mais, là aussi, je ne peux me rappeler d’un seul visage de couleur qui en aurait tenu les rênes…

Même les « petits Casino », que j’ai souvent arpentés à la recherche d’une bricole manquante, ou les néo « Casino Shop », relookés et moins chers, ne m’ont jamais, jamais présenté de « couple de gérants » blacks ou arabes…

Par contre, me revient en mémoire la cohorte fatiguée d’innombrables visages inconnus croisés dans des gares, des métros, des bâtiments publics…Souvent, ils poussaient des chariots ou tenaient des balais de leurs mains gantées non pas de chevreau, mais de latex rose, ilotes sans visages de notre société de pseudo mixité sociale.

Je me souviens aussi des rires et des sourires de mes copines caissières à Casino ou Atac, à Carrefour ou Vival, de nos complicités et papotages.

Dans les hôpitaux ou cliniques où j’ai pu trembler, seule ou avec mes enfants, j’ai souvent été réconfortée par le sourire simple et sincère d’un personnel venu refaire le lit, ou par une aide-soignante, qui, là, oui, étaient bien souvent noirs ou arabes…

Alors sans même évoquer la situation scandaleuse des médias, où Rachid Arhab et Harry Roselmack font mine de représenter leurs communautés, vous voyez, il me semble évident que, dans notre pays si fier de sa « mixité sociale », nul n’est besoin de « statistiques ethniques » pour être en colère quand un gouvernement prétendument socialiste enterre le CV anonyme comme il enterre le latin, l’allemand et les cathédrales.

http://www.liberation.fr/societe/2015/05/19/sans-emploi-le-cv-anonyme-abroge_1312633

Il est tard, je suis épuisée à cause d’une grève des bus dont aucun média national ne parle et qui pourtant paralyse depuis deux mois une ville de 500 000 habitants, je suis désespérée par le décret venant d’officialiser la réforme du collège, mais je voulais malgré tout pousser ma chansonnette pour dénoncer les scandaleuses inégalités qui règnent dans cette France que d’aucuns voudraient encore blanchir, et qui pourtant n’offre que peu de place à l’ascenseur social quand on est noir, ou arabe.

Et je ne vais même pas parler des femmes, pour une fois. Tiens, j’ai une idée : vous irez plutôt lire Free d’hommes …

http://www.amazon.fr/Free-dhommes-Sabine-Aussenac-ebook/dp/B00JZWH5RK

http://www.sudouest.fr/2013/11/30/free-d-hommes-1244971-2277.php

 

 

 

 

 

 

 

Nos chers départements

 

Nos chers départements

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Nous guettions les voitures du haut du muret de pierres sèches, lorsqu’elles foulaient le thym et les herbes folles du sentier, serpentant jusqu’à notre toit du monde tarnais. Lorsqu’elles tournaient, au coin de la source, ce sont les plaques que nous regardions en premier, tout en écoutant les joyeux coups de klaxon. Le 33 annonçait les cousins de Bordeaux, le chat Titus et des semaines de rires et chatouilles, de confidences et de promenades ; le 31, c’était une plaque rare, celle des cousins de Vacquiers, les quatre frères farceurs qui nous tiraient les tresses et nous poursuivaient jusqu’au ruisseau ; un été, j’en vins à guetter le 08, car nous avions repris contact avec ces amis des Ardennes, où mon père était un temps allé civiliser le Nordiste, et j’avoue que les beaux yeux de Franck me semblaient couleur de Meuse : je savais que nous évoquerions la Place Ducale, nos enfances et Rimbaud…

Nos départements. Nos chers départements. Ceux dont nous apprenions, les doigts pleins d’encre violette, la liste interminable que nous n’utilisions qu’assis, sans ceinture, dans la 404 qui nous menait vers les plages, l’été, ou vers l’autre côté de moi, là-haut, en terre rhénane…Je les revois, les jeux de nos enfances sans game boy, ni IPod, ni smartphone, quand seuls les paysages et les voitures croisées ou dépassées égayaient nos trajets : il y avait le 11, qui nous faisait passer la Montagne Noire et nous offrait, à peine dépassée Labastide-Rouairoux, le concert des cigales et cette belle odeur de garrigue…Et puis le 34, tellement festif, tellement estival, l’apercevoir au dos d’une DS nous amenait d’un coup d’un seul à sentir la brûlure du sable sous nos pieds nus, il nous guidait vers Sète, vers sa digue et son cimetière marin…En « montant » vers l’outre-Rhin, on en croisait, des 75, et l’immanquable « Parisien, tête de chien » résonnait dans la Peugeot, tandis que notre père nous reparlait de ses années à l’ENSET de Saint-Cloud et que notre mère nous racontait l’année où elle avait été fille au pair chez Piem.

Plus tard, j’ai grandi. Sans passer jamais mon permis, mais je sillonnais notre belle région en vélo, et rêvais, là aussi, en voyant passer les 12 qui fleuraient bon le Roquefort, les 46 aussi éblouissants que le Quercy Blanc, les 09 aux allures de névés et de torrents…Parce que les départements, et leurs fameux numéros, pour moi qui détestait les maths, c’était le repère de cette France que j’aimais tant, joli découpage aussi précieux que les dentelles de l’Histoire, aussi logique et attachant que les spécialités qui faisaient et font toujours leurs renommée…Pensez-donc, à Toulouse, ma chère ville rose, impossible de trouver un « poumpet » (prononcer « poummpètt » ), ce délicieux étouffe-chrétiens au parfum inimitable, pourtant fabriqué à quelques encablures du Capitole…

http://lesfeesmaisons.canalblog.com/archives/2012/09/21/25151273.html

Vous ne pourrez pas non plus acheter de « Melsat », ce boudin blanc tarnais, pourtant si apprécié passé Revel ou Lavaur…

http://www.keldelice.com/produits-du-terroir/vente/melsat

C’est que si nos régions ont du talent, comme dit la Réclame, nos départements en ont encore plus, chaque commune recelant en ses recoins la véritable couleur de la France…Et c’est aussi de cela qu’il sera question dimanche, lorsque vous irez, bien sûr, voter !

Je ne vais pas dans ce petit texte vous parler des compétences dévolues à nos élus, puisque de toutes façons, elles sont encore un peu floues…Mais je peux vous dire, en tant que fille d’un Conseiller Général honoraire, le dévouement sans faille dont mon père a fait preuve durant les longues années où il a été taillable et corvéable à merci, s’impliquant jour et nuit dans la vie de son canton, œuvrant à l’amélioration du quotidien de centaines de familles, répondant au téléphone, parfois même en patois, parfois même pour un souci de bestiaux égarés, et, toujours, avec sincérité. Même si je n’ai pas toujours partagé ses opinions politiques, je peux vous assurer que les élus locaux font battre le cœur de la Nation et en sont le maillon fort, car ils occupent le terrain, car ils sont, loin des ors de la République, au plus près de ses joies et de ses peines.

Alors dimanche, votez ! Souvenez-vous de l’institutrice qui frappait vos mains tremblantes de sa règle de bois lorsque vous hésitiez à placer la Marne ou la Haute-Loire…Et, si possible, ne votez pas FN…Ne laissez pas un parti aux relents de fascisme salir nos belles provinces, ne laissez pas le Bleu Marine envahir les Lumières de la République de ses outrances populistes et de ses déviances identitaires, quand tant d’autres élus se proposent, ensemble, enfin en binômes de femmes et d’hommes égaux en droits et en devoirs, de colorier avec vous l’image de cette France que nous aimons tant !

Nous, les petits, les humbles, les sans-voix, donnons de la voix, justement, pour que les ombres du 3° Reich, du Franquisme et de l’Italie Mussolinienne ne planent pas sur nos départements. Bien sûr, des problèmes, nous en rencontrons, et je ne nierai ni l’insécurité, ni les déviances crapuleuses, ni la menace terroriste. Mais je sais aussi qu’un vote identitaire n’est JAMAIS la bonne réponse, et que seuls des élus réellement républicains, qu’ils soient du PS, de l’UMP, du Front de Gauche, du Centre, ou Verts, pourront être à la hauteur de nos attentes.

Alors dimanche, votez, votez pour la République, votez pour la belle France que nous aimons, votez pour les petits «  Pays », qui, de l’Artois jusqu’au Pays Basque, au long des fleuves qui serpentent et des Nationales qui nous mènent jusqu’à la mer, font de nos départements le plus beau pays du monde !

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/journees-patrimoine-2012_b_1867589.html

http://www.arnoldlagemi.com/?p=836

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/front-national-presidentielle_b_1464158.html

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=152741&forum=2

Lettre à un jeune voyageur

Quitter Paris, me demandes-tu ?
Tu me dis la vitesse, et les gens, et le stress.
Tu m’écris que tu ne peux plus vivre « ici ».

Je ne sais que te dire, mon tendre et jeune ami. Si ce n’est d’écouter et ton cœur et ta vie. Parcourir ses voyages, oser prendre des trains, c’est aussi quelque part le pari d’un demain.

Il faudra découvrir, et oser, et plonger. Dans des villes inconnues, aux senteurs différentes, en des terres où les femmes seront moins insolentes.

Tu verrais à Bordeaux une ville océane, des embruns, des secrets, des voiliers immobiles. Et puis non loin de là ces vignobles aux tons roux, où l’automne vendange les soleils les plus fous.

A Toulouse les cambrures d’une Espagne affolée, tant de nuits où Garonne prend des airs d’Alhambra ; tu lirais notre histoire en mon beau Capitole, tu saurais qu’en l’Autan mes écrits caracolent…

Si tu vas à Marseille, ton passé sourira. Arme-toi de sourires plutôt que de courage, et sache qu’au-delà des rumeurs malveillantes, la blancheur algéroise est parfois bienveillante.

Lyon saurait t’accueillir en secrètes traboules, tu verrais des soieries, et quand tu serais ivre d’avoir bu tant de foules, tu irais vers les Alpes respirer en névés.

Mais peut-être veux-tu parcourir les silences, quitter ports et fracas, découvrir les absences ? La campagne saurait te donner abondance, quand les vents sont les seuls à parler au marcheur, quand les blés et les bois te seront un seul toit…

Rimbaud lui est parti, il allait vers l’Afrique, mais sa muse est restée, toute seule, en sa Meuse.

Garde, toi, tous tes mots, ils seront ton armure, ta potion, ton calice, quand des plaines du Nord aux soleils de Galice tu iras vers ta vie comme on aime une étoile.

Je t’attendrai toujours, pour te dire parfois, quand les nuits seront belles, les secrets des abeilles et des textes-soleils.

Déni de judaïsme

Déni de judaïsme

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 Ils sont venus tuer les pierres, lapider les morts de leur bêtise crasse.

Ils ont griffé la terre de leurs doigts ignorants, fossoyeurs de l’immonde, dépeçant le silence.

Tels des vautours affamés, ils ont conspué l’Éternité, crevant les yeux du granit, éventrant le sein des marbres : charognards de l’Indicible.

Qu’on ne vienne pas me parler de leur jeunesse, de leur innocence, de leur maladresse. Seraient-ils simples d’esprit qu’ils auraient pu voir la différence entre un cimetière « catholique », avec ses grands caveaux, ses cyprès, ses lourdes croix rouillées, et ce cimetière juif, dont les pierres taisantes dormaient, ornées simplement de quelques étoiles, envahies par l’oubli des errements des hommes.

Certes, profaner un cimetière chrétien aurait été tout aussi atroce, répréhensible, odieux. Détrousser les cadavres de leurs ultimes honneurs, dépouiller les victimes du dernier rempart de leur humanité, voilà qui insulte à la fois l’Humain et le Divin, en un acte sacrilège qui défie la raison.

Mais profaner un cimetière juif, à quelques heures d’un nouvel attentat antisémite commis sous le regard de bronze de la « petite sirène », alors que des badauds se pressent, sans être arrêtés, pour fleurir le lieu où le terroriste a été abattu par la police danoise, quand la France pleure encore les victimes de l’Hyper Cascher, est inexcusable.

Même pour des mineurs.

Qui sont ces ados ? Ont-ils ri, en écoutant les pitoyables vomissures du prétendu humoriste, visionnant quelque vidéo où le massacre de millions de juifs est repris en chansons ? Ont-ils « kiffé » les derniers faits de guerre des barbares islamofachistes qui coupent des têtes comme on moissonnerait un champ ?

Que faire de ces ados ? Leur montrer des documentaires de la Shoah ? Leur faire lire Primo Lévi, Simone Veil ? Les emmener à Auschwitz ?

Comment leur cerveau a-t-il pu, en France, en 2015, alors que l’école est obligatoire jusqu’à seize ans, alors qu’on étudie l’Holocauste et le nazisme en classe de troisième, et les différentes religions monothéistes en classe de sixième et de cinquième, être assez poreux pour ignorer le massacre de millions d’êtres humains qu’ils sont venus, de leur abjecte intention, de leur actes barbares, assassiner une nouvelle fois ?

Il me semble, encore une fois, que l’école est en grande partie responsable de ce manque de culture générale. Quelque part, la France, la République et l’Éducation Nationale ont failli. Laissant des adolescents aller plus encore que dans le caillassage de voiture de flics, dans le deal ou dans la simple délinquance. Laissant des jeunes commettre un crime contre l’humanité. On nous a assez répété, ces derniers temps, cette magnifique phrase du Coran qui dit que quand un homme tue son prochain, c’est comme s’il tuait toute l’humanité…

Profaner un cimetière juif, c’est, là aussi, commettre à nouveau tous les massacres, tous les pogroms, toute l’horreur de la barbarie nazie.

Nous sommes tous responsables de cet état de fait. Non seulement parce que nous ne sommes pas descendus dans la rue en scandant « Je suis Myriam » après les meurtres commis à Toulouse, comme l’a justement dit Marceline Loridan-Ivens…Mais aussi parce que nous avons laissé le conflit israélo-palestinien s’installer dans nos banlieues, et surtout parce qu’à force de vouloir instaurer de façon sacro-sainte la loi sur la laïcité, l’école s’est rendue coupable d’un déni de judaïsme.

Je m’explique : voilà trente ans que j’enseigne l’allemand, et que, comme certains de mes collègues, je me sens moi aussi investie d’un certain « devoir de mémoire ». (Tous les profs d’allemand ne partagent pas ce point de vue, certains prétendant que « cette période » n’est pas assez glorieuse pour la langue de Goethe, préférant les déclinaisons et les textes sur l’écologie aux poèmes de Brecht, mais j’ai connu quelques germanistes qui n’hésitaient pas à parler du nazisme-lequel est d’ailleurs très légitimement évoqué dans nos programmes de lycée …)

J’adapte donc mes cours en fonction de mon public, faisant faire des exposés sur Anne Frank au collège, étudiant au lycée des poèmes de Brecht…- j’ai même une année fait écrire des « Lettres de Guy Môquet » en collège de ZEP, recevant d’émouvantes épîtres…J’ai pu remarquer que la plupart des élèves, que ce soit dans des collèges de grandes villes ou en rase campagne, ne connaissent PRESQUE RIEN au judaïsme !

Sur une classe, à peine un ou deux élèves lèvent le doigt pour répondre, et, souvent, leurs connaissances sont extrêmement limitées. Certes, c’est, de nos jours, le cas  pour la plupart des religions…De toutes façons, vous aurez toujours un élève qui dira « On n’a pas le droit de parler de religion à l’école », preuve on ne peut plus évidente que la loi sur la laïcité est déjà totalement dévoyée de sa mission première… « Ils » sont quasi ignares, ne sachant presque rien des terminologies, rites, récits, mais cette ignorance-là est la même que celle qui concerne la littérature, les sciences, la géographie… ( Ce ne sera pas mon propos de ce jour, mais j’ai vu un élève de terminale ne pas connaître le nom d’Hiroshima, des élèves de collège n’avoir « jamais lu de livres », etc…)

Comment s’étonner ? Comment s’étonner que, chaque année, depuis 1984, année d’obtention de mon CAPES, je sois obligée d’expliquer encore et encore, et même en terminale, non seulement quelques termes simples concernant le judaïsme, mais, surtout, quelle a été l’histoire du peuple juif ? Oh, ne vous inquiétez pas, je ne suis ni juive, ni historienne, et je ne pars pas sur la fuite des Hébreux, ni même sur le Shabbat ! Non, je tente simplement de parler rapidement de cette histoire doublement millénaire où les juifs ont été parqués dans des ghettos, assassinés dans des pogroms, chassés, exterminés, avant de terminer dans la Solution Finale des Camps. Je tente de dire l’antisémitisme. Tout simplement. Et j’affine toujours un peu mes propos en expliquant la différence entre un génocide et un massacre, quand – il y en a toujours un par classe qui va évoquer Gaza…- je parle de la particularité ABSOLUE de la Shoah…

Et je pose la question aujourd’hui, à l’heure où notre Ministre a promis de former 1000 enseignants sur la laïcité, qui eux-mêmes formeront leurs collègues : comment la « Question Juive » sera-t-elle traitée désormais à l’Éducation Nationale, du primaire à la terminale?

Qu’on ne vienne pas me parler des massacres de la Saint-Barthélemy. Rien n’est comparable avec la Shoah. Qu’on ne vienne même pas me parler de Daesh. Les profanations de cimetières juifs se multiplient   depuis des années, en France, tout comme des milliers d’autres actes clairement antisémites…

Je veux savoir comment seront ENFIN abordés, auprès de nos élèves, dignement, sciemment, systématiquement, avec délicatesse mais insistance, avec doigté mais avec clarté, les problèmes liés à l’antisémitisme EN FRANCE. Forcément, il faudra que l’histoire du peuple juif soit abordée, dans son éclairage unique. Et même dans les établissements où personne n’est Charlie.

Car nous faisons face, dans les programmes, à un vide intersidéral entre l’histoire des Hébreux –classe de sixième :

http://www.histoire-geo.org/4a-les-debuts-du-judaisme-c1736-p1.html

et le cours souvent unique –les programmes sont lourds !- que nos élèves auront ensuite en troisième sur l’extermination du peuple juif par le régime d’Hitler. Le reste…n’existe pas ! Certes, on peut revenir sur l’antisémitisme en éducation civique, ou à l’occasion des commémorations comme le 8 mai –mais…mes chers collègues, à gauche toute pour la plupart, c’est statistique, ne sont pas très « branchés commémorations », souvenons-nous par exemple du tollé qu’avait provoqué Nicolas Sarkozy avec cette fameuse lettre de Guy Môquet…

Bien sûr, j’exagère. Il y a quelques actions ciblées, comme le magnifique programme du Concours de la Résistance et de la Déportation :

http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=79102

( Et j’engage tous les collègues d’histoire à faire visionner à leurs élèves le superbe film « Les héritiers », où Ariane Ascaride incarne une enseignante qui va faire participer une classe de banlieue à ce concours, modifiant définitivement la vision de ces élèves sur le monde et sur…les juifs ! )

Mais cela ne suffit plus. Nous devons réfléchir à d’autres enseignements.

Je ne suis pas juive. Je ne suis jamais allée à Auschwitz. Aucun ami juif ne m’a jamais conviée à partager Shabbat. Je suis fonctionnaire française, républicaine, et j’enseigne dans des établissements laïcs. Mais je me refuse à accepter plus longtemps que le déni de judaïsme entraîne des actes aussi immondes que celui de la profanation du cimetière de Sarre-Union.

Ils sont venus

tuer les

pierres , lapider les morts

de leur bêtise crasse.

Ils ont griffé la

terre de leurs doigts

ignorants, fossoyeurs

de l’immonde,

dépeçant le silence.

Tels des vautours

affamés, ils ont conspué

l’Éternité,

crevant les yeux du granit,

éventrant le sein

des marbres :

charognards de

l’Indicible.