Le poste de papa: bon anniversaire, France-Info!

Le poste de papa

 

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Le poste de papa était un Grundig, qui avait sans doute transité au nez et à la barbe des douaniers, en cette époque bénie d’avant Schengen, lorsque mes frères et sœur et moi, dormant à l’arrière de la 404 familiale, cachions les trésors teutons rapportés par mon père de cette Allemagne florissante des Gründerjahre, durant les longs trajets entre notre Sud-Ouest et la Rhénanie de maman…

Le soir, le poste grésillait. Mon père nous appelait parfois pour nous faire écouter quelque émission de la Deutsche Welle, voire même « Voice of America » ; les yeux brillants, il montait le son en nous faisant rêver à ces terres lointaines qui, soudain, envahissaient dans notre petit salon de province. Bien avant internet, le monde toquait ainsi à notre porte, merveilleux et si vaste, puisqu’il suffisait de tourner un bouton…Plus tard, lorsque papa fit des essais de CB, nous franchîmes encore une étape, admirant ce père radio amateur, qui savait franchir toutes les frontières…

Chez mes grands-parents français, on écoutait « le poste », une minuscule radio à piles. Et mon grand-père, parfois, entre deux extractions de son bon miel de montagne,  d’évoquer le Général, et puis les camarades du maquis, avant de monter le son si Mireille chantait…De l’autre côté du Rhin, dans la luxueuse maison bourgeoise de mes grands-parents allemands, trônait le même Grundig que chez nous. Je voyais parfois ma grand-mère fermer les yeux en écoutant, en pleine après-midi, quelque valse de Vienne, tandis que la voix grave des speakers allemands énonçait les nouvelles, enfin bonnes…Comme je suis reconnaissante à mes parents d’avoir su traverser les frontières, au fil des ondes, eux aussi, et d’avoir osé cette réconciliation franco-allemande, si peu de temps après les bombes…

Moi aussi, très vite, on m’offrit un transistor. Je n’étais pas peu fière, du haut de mes treize ans, avec ma radio orange, bien dans les tons des seventies, assortie à mon électrophone et aux grosses fleurs du papier peint! Hélas, le pauvre pré ados que nous étions n’avions droit qu’à quelques stations qui se battaient en duel…Heureusement, existait déjà le fameux Hit-parade, et aussi le  Programme à la lettre d’RMC ! Une lettre tirée au sort me valut ainsi une quasi célébrité, lorsque ma programmation exclusivement composée de musiques de film traversa même la Méditerranée ! Une dizaine d’étudiants maghrébins m’écrivirent cet été-là à ma maison de campagne, prêts à m’épouser, ignorant, grâce à la burqa des ondes et à son manque d’image, que je n’étais qu’une jeune fille boulotte et disgracieuse !!! De mon côté, je dormais avec la photo dédicacée de mes animateurs préférés sous l’oreiller…

Et puis un jour, j’eus enfin vingt ans. La radio semblait avoir grandi avec moi, car soudain elle prit toutes les libertés…Les « radios libres » étaient nées, et mes contestations de jeune gauchiste avec elles. Ensemble, nous refîmes le monde et décidâmes de changer la vie. De la musique avant toute chose, et, surtout, la liberté !

Et un matin, le monde, une fois de plus, vint à moi ; j’étais à Toulouse, dans l’appartement de ma sœur et de son copain, et nous prenions le petit déjeuner.

C’est le premier souvenir concret, réfléchi, que j’ai de France Info. Alain, qui faisait des études de droit, m’a longuement expliqué les avantages de cette radio innovante, américanisée, qui allait nous permettre d’être informés de tout, en permanence.

Dans un monde dépourvu de Twitts et de chats, dans ce monde lisse où il fallait encore mettre des pièces dans un appareil pour appeler nos parents le dimanche, et un timbre sur une enveloppe pour donner de nos nouvelles à nos grands-parents, dans un monde dont on suivait le cours en lisant les journaux, ce nouveau fil des « flash infos » toutes les heures, assurément, c’était de la Bombe.

Bien sûr, il y avait la valise RTL, et le Téléphone Sonne, et le hit-parade d’RMC, et le Téléphone Rouge sur Europe, tous ces moments où, entre plaisir et information, les auditeurs, déjà, avaient la parole, et une emprise directe sur la vie.

Mais là, c’était novateur. Minute après minute, le monde venait à nous. À n’importe quelle heure du jour et de la nuit, en se servant le café où en terminant la vaisselle du soir, nous étions, déjà, « connectés », et de façon presqu’incarnée, sans l’image, certes, mais par les voix de ces journalistes qui finirent, au fil des ans, par devenir partie intégrante de notre quotidien.

De fait, aujourd’hui, j’ai des radios partout. Avec une savante gymnastique des ondes, jonglant entre France Info, quasiment en boucle dans ma cuisine, Gascogne FM, dans la salle de bains, France Culture, au salon (pour assortir à Télérama, négligemment posé sur un fauteuil, au cas où un bel homme de gauche croiserait ma route…)

J’ai même une radio à piles, c’est mon fils qui a insisté, il a appris à l’école qu’en cas de catastrophe naturelle ou de guerre, c’est bien.

Bon, en fait, je triche; souvent, pour faire la vaisselle, je mets Virgin, c’est plus dansant que Bernard Thomasson -Bernard, si vous me lisez, je vous embrasse-, voire même, si je suis en arrêt maladie, L’amour la vie etc., pour me faire des sensations en pleine journée…Sans oublier Nostalgie, histoire de me souvenir des chemises blanches de Michel Delpech et de mes maisons bleues…

Mais la plupart du temps, sans rire, je suis une dingue de France Info, depuis le début, une afficionada, capable d’écouter dix fois le même flash, voire même les commentaires sportifs…

Je suis sans doute une femme Barbara Gould, mais je suis avant tout une femme France Info.

J’ai grandi avec cette radio, je suis devenue épouse et mère, j’ai étudié, travaillé, déménagé, divorcé, voyagé…Il y a eu la Chute du Mur de Berlin, et je pleurais à chaudes larmes puisque, enceinte et clouée chez moi, nantie d’un époux communiste, hostile à la fois à la chute de l’Empire soviétique et à l’obtention d’un poste de télévision, je ne pouvais que suivre cet événement depuis ma chambre ; métisse rhénano tarnaise, allemande de cœur, je vibrais, moi aussi grâce aux récits à chaud des correspondants, et j’ai presque eu ainsi l’impression de casser un petit bout du mur…

Avec la radio, oui, j’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, des Tréteaux de la nuit écoutés sous la couette, en ces lointains samedis d’avant Ruquier, à ces nouvelles insupportables, écoutées en boucle, les larmes aux yeux, quand des tours s’effondrent ou que les océans noient le monde, en passant par toutes ces nuits où je m’endors entre Nashville et Frisco, bercée par la Collection Georges Lang …

La radio, c’est l’imagination au pouvoir.

Les Visiteurs du soir #Cannes

 

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Ils étaient là, tous, dans la belle pénombre de ce crépuscule unique, avec les ors du couchant et les légers clapotis de la marée montante.

Certains souriaient, habitués qu’ils étaient de ces retrouvailles annuelles. On s’embrassait, on se demandait des nouvelles, et toi, vieux, quoi de neuf, oh , darling, comment allez-vous depuis le festival 2010, vous êtes ravissante…D’autres, presque intimidés, se tenaient en retrait, observant, légèrement mal à l’aise. Somme toute, c’était une impression de déjà vu, un peu comme lorsqu’ils faisaient leurs début, dans quelque cour du off en Avignon, ou dans l’arrière salle d’un café-théâtre du douzième…Cette présence impalpable d’un public dont ils n’étaient pas encore les héros, cette attente un peu fébrile devant un avenir incertain…

Marylin s’empara du micro, toute virevoltante et pulpeuse dans sa robe blanche que le vent faisait gonfler ; coquette, elle mettait systématiquement cette robe là, sachant que les bourrasques printanières de la Côte ne manquerait pas de rejouer cette scène, même en l’absence de bouche de métro. Françoise l’accompagnait, chapeautée, gantée, égale à elle-même, pimpante et distinguée. La langue officielle de ces retrouvailles était, bien entendu, le français, puisque tous, à présent, étaient devenus polyglottes. C’était un des avantages de leur situation ; plus de traductions pénibles, finies, les nuits passées à répéter un texte dans une langue qui vous écorchait l’âme : à présent, leur Croisette, c’était Babel. Et Marcello déployait son charme auprès de Grâce, tandis qu’Yves continuait à poursuivre Marylin, sous les regards amusés de Simone…

Les deux jeunes femmes s’éclaircirent la gorge et souhaitèrent la bienvenue au public, de plus en plus nombreux. Les anciens avaient pris place sur les fauteuils marqués à leur nom. Orson fumait, bien peu sensible aux interdictions de cette France qui le faisait sourire avec ses répressions nouvelles. Clark tripotait sa moustache, tandis que James et Marlon, inséparables, buvaient une bière, adossés au bar de la plage.

  • Nous déclarons officiellement ouverte la soixante-quatrième séance d’ouverture du Festival de Cannes et souhaitons la bienvenue aux participants de notre Cannes 2011. Ce festival off aura pour invité d’honneur Monsieur…Laurent Terzieff !

Un tonnerre d’applaudissements coupa la parole à Françoise, qui sourit en regardant un grand monsieur au sourire lumineux s’avancer vers l’estrade. Il monta les quelques marches du podium de bois et se tourna vers la plage, et tous se turent, en admirant le Maître qui, dos à la mer, parla :

  • « L’illusion n’est-elle pas notre combustible pour continuer à vivre ? », voilà une phrase dont la presse s’était emparée…Mes chers amis, j’aimerais tout d’abord vous dire la joie, l’ineffable joie que j’éprouve à être devant cette mer mêlée au soleil et avec vous, ici, malgré la vie qui n’est plus. Vous me faites un grand honneur en m’ayant désigné comme votre hôte de marque cette année, et je vous en remercie. Mais sachez une chose : je ne suis rien. Je suis le vent sur cette plage, je suis l’écume sur la mer, je suis la voix de ceux qui sont partis, je suis la mer, la mer toujours renouvelée. Restent les images, et les cœurs. Hauts les cœurs, mes amis ! Que la fête commence !

 

A quelques centaines de mètres de là, Alice longeait la Croisette. Elle regardait les mouettes et les grandes silhouettes blanches des yachts amarrés au loin. Elle songeait à cet autre printemps, il  ya a longtemps, lorsque, en 2005, elle avait foulé le tapis rouge à ses côtés…Elle frissonna. Il lui en avait fallu, du courage, pour accepter de revenir cette année, pour confier son petit à son amie, mais le temps était venu. Le nouveau tournage et son rôle de femme-flic lui avait permis de reprendre pied dans sa réalité, dans sa vie. Elle rayonnait, à nouveau, pleine de projets et d’envies.

Elle fit quelques pas en regardant la plage qui s’endormait au couchant. Curieusement, elle se sentait observée. Des badauds, bien sûr, et puis elle était à Cannes, et elle jouait le jeu, heureuse de sa célébrité recouvrée. Mais cette sensation était étrange. Et étonnamment douce.

Appuyé à la jetée, Jocelyn regardait son épouse, fasciné et ébloui. Jamais il n’aurait pensé la revoir. Elle était si belle, comme dans son souvenir. Il tremblait, et se souvenait, lui aussi, de cet autre printemps, et puis de leurs journées, de leurs nuits, de leur bonheur. Il tressaillit lorsqu’une main se posa doucement sur son épaule.

  • Hey, mec, on n’est pas au cinéma, hein !!

Patrick éclata de rire. Il avait retrouvé son corps d’athlète, et bénissait celui qu’ils nommaient « Seigneur », « Dieu », « Allah » ou « Providence », de cette transformation ; les derniers mois avant son départ avaient été terribles, et Patrick se réjouissait d’être à nouveau le danseur de « Bébé », le surfeur de Point Break

  • T’as beau jeu, Pat’, de me dire ça ! Et Ghost, alors, c’était bidon ? Et la scène où tu la touchais, ta Demi, c’était pour de faux ?
  • Jocelyn, fais gaffe. Tu es « border line », là, à la limite. Tu ne pourras pas. Tu n’as pas le droit. Même pour un instant. Et puis ce n’est pas non plus Les ailes du désir, tu le sais, on n’est pas des anges…On revient une fois par an, c’est tout, pour la gloire, parce que c’est notre petit rituel que de mélanger les années, les époques, les genres, et que notre présence apporte cette aura unique au Festival. C’est tout. Ce dont tu viens de rêver à l’instant ne s’est jamais produit. Jamais, tu m’entends ? Hey, men, listen to me !!!
  • Oui, Patrick, merci…Allez, viens, rentrons, allons retrouver les autres…Au fait, il paraît que cette année, il y a des auteurs, aussi ?
  • M’en parle pas ! Je viens de me taper une heure avec votre « Françoise », my godness, elle parle tellement vite ! D’ailleurs, elle est à ta table, puisqu’ « ils » ont eu la bonne idée, cette année, de nous installer par «départs »…Pff, so silly !! Je suis dégoûté, j’aurais vraiment préféré être avec toi et James, à parler moteurs…

Les deux hommes s’éloignèrent en riant, tandis qu’Alice regagnait le Plazza et se préparait à enfiler sa tenue de rêve…

 

L’ambiance était bon enfant. Le Festival battait son plein. Tandis que la Croisette brassait son lot habituel de starlettes et de glamour et que les spectateurs assistaient, tantôt comblés, tantôt agacés, et toujours émerveillés par la beauté de cette geste cinématographique unique en son genre, aux différentes projections, le off se caractérisait par ce kaléidoscope de genres et d’époques qui en faisait la singularité. West side story succédait aux Visiteurs du soir, Vacances Romaines à La Fureur de vivre, et le théâtre aussi était à l’honneur, magnifié par la présence de quelques auteurs, qui avaient eu le droit d’échanger leur présence au Salon du Livre contre l’aventure cannoise.

Bien sûr, il avait fallu expliquer, guider, rassurer. Certains n’en menaient pas large, Keats par exemple faisait bande à part, avait même refusé de participer à la projection de Bright Star, se contentant d’errer sur la grève… « Bah, il a toujours eu un pet au casque, lui », répétait, amusé, Marcel, entre deux verres de petit jaune bien frappé. Shakespeare, au contraire, était dans son élément et passait des heures, en tête à tête avec Laurent, assis sur le sable, à refaire le monde, à monter des projets aussi fous les uns que les autres. Bruno fumait, impassible, silencieux, étonné encore d’avoir quitté les habits d’un commissaire contre ceux d’un esprit.

Jocelyn et James étaient devenus inséparables. Les deux gueules d’ange du off avaient en commun cet appétit de la vie, cette intelligence du corps, et l’amour des femmes. Ce soir là, ils cheminaient le long du rivage, encore un peu sonnés par cette projection des Visiteurs du soir. Le cycle Cinéma français avait pris fin dans un silence religieux, de telle sorte que les battements de cœur au creux de la pierre résonnaient encore à l’oreille des deux jeunes gens.

  • Je veux entrer en contact avec elle. Je le veux, l’occasion ne se reproduira peut-être jamais…
  • Mais comment veux-tu y arriver, Jocelyn ? Tu le sais bien, il n’y a aucune passerelle.
  • Les garçons, attendez-moi, j’ai une idée !!! Mais quittons la plage, par pitié, vous savez bien que je déteste l’eau, à présent.

Natalie arrivait en courant, merveilleuse dans sa robe moulante. La jeune femme avait les cheveux mouillés, en une sorte de défi permanent, qui rappelait à tous sa fin tragique …

  • Je sais comment tu pourrais lui parler, écoute…

Et elle se lança à mi-voix dans un récit qui fit sourire ses amis, tandis que le vent ramenait les vaguelettes argentées vers l’horizon et qu’ils quittaient le sable pour rentrer à leurs pénates.

 

La salle retenait son souffle. Le palmarès 2011 allait être dévoilé, et tous, acteurs, metteurs en scène, musiciens, scénaristes, étaient à présent dans le nomansland de l’incertitude, entre espérances et grand frisson. Alice avait fermé les yeux, un court instant. Soudain, la lumière s’éteignit, et le petit film dont on avait annoncé la surprise fut projeté. Il devait d’agir, apparemment, d’un court-métrage interprété par le jeune Terzieff, numérisé avec les dernières prouesses technologiques, puisque le numérique était l’autre invité d’honneur de cette cuvée 2011…Mais l’image hésita, balbutia comme au temps des Frères Lumière, et, en lieu et place du court-métrage annoncé, les spectateurs, médusés, découvrirent une plage venteuse, aménagée en campement, dans un film nerveux, qui ressemblait à du super huit.

  • Bon, encore un coup des intermittents, je suis sûre qu’ils ont squatté la plage et qu’ils vont nous jouer les Roms expulsés, murmura son voisin à Alice.

Elle le fusilla du regard et il se rendit compte que la jeune femme n’avait sans doute pas la même sensibilité politique que lui. Elle tourna à nouveau son beau visage vers l’écran, et sourit, émerveillée de ce petit film presque muet, où l’on avait filmé des gestes, des moments, un peu comme lorsqu’un cousin se promène, caméra à l’épaule, et fige pour toute éternité les visages empourprés de quelque communion ou Bar Mitsva. Isabelle murmura à l’oreille d’Alice, de son incomparable voix rauque, quelques mots qui la firent frissonner. Elle se pencha en avant, soudain attentive, et puis elle le vit, lui, souriant, caché à moitié par la pose alanguie de James, adossé à cette portière, et il la regardait, et elle pouvait lire « Je t’aime, Alice », sur ses lèvres qui répétaient cette phrase comme un mantra.

Elle sourit à travers ses larmes, étonnée, comme le reste de la salle, par ce qui ressemblait à un merveilleux montage numérique ; on leur avait annoncé une surprise sous forme de prouesse technique, un film qui rendrait la couleur au noir et blanc, la parole à Lilan Guish, un film qui reconstruirait Tara. Mais il n’avait jamais été question de « lui », jamais, et Alice s’étonna de plus belle en reconnaissant sur l’écran Laurent Terzieff, écharpe blanche au vent, qui récitait, face à la mer, la Lettre à un jeune poète. Mais ce n’était pas le jeune comédien, non, c’était le Laurent lumineux, transparent, transfiguré de la fin, un homme fragile et incandescent, dont la beauté irradiait comme un feu d’artifice :

« …alors tout vous deviendra plus facile, vous semblera plus harmonieux et, pour ainsi dire, plus conciliant. Votre entendement restera peut-être en arrière, étonné : mais votre conscience la plus profonde s’éveillera et saura. Vous êtes si jeune, si neuf devant les choses, que je voudrais vous prier, autant que je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre cœur. Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses. »

Les lumières se rallumèrent et une jeune actrice monta sur l’estrade pour excuser le jury de cette impardonnable erreur. Il devait s’agir d’une farce, personne ne comprenait, et elle s’en tira avec ses pirouettes habituelles, faisant éclater de rire une salle déjà conquise, qui ne pensait qu’au palmarès. Alice, cependant, s’était levée, à la limite de la syncope. Elle se répétait la phrase de Rilke et revoyait le visage radieux de son amour. Elle courut vers les coulisses, dévala des escaliers, se précipita vers la petite pièce où s’affairaient les techniciens. Elle demanda à voir la bande, tout de suite. Un homme au visage bon la lui tendit, presque gêné, lui répétant qu’il ne comprenait pas, lui non plus. Et la date était bien celle de la veille ; oui, ces images dataient de la veille.

Elle sortit en courant, en volant presque. Elle se précipita dans la nuit étoilée, son châle glissant sur ses épaules, et elle courut vers la jetée, elle entendait mille musiques au fond de son cœur, des chabadabadas et des violons, et elle imaginait la voile d’un Eternel Retour, et aussi que Catherine ne remontait pas dans la voiture, dans cette triste station service, à Cherbourg ; elle voulait soudain arrêter le temps, remonter les siècles, elle se faisait son cinéma, et c’était si bon, d’espérer…

 

Sur la plage abandonnée, elle ne trouva qu’une immense sculpture de sable, dressée face à la mer. Deux personnages se tenaient côte à côte, et quelques mots étaient dessinés sur le sable. Elle se pencha et découvrit un titre de film, qu’elle avait adoré, et vu plusieurs fois avec Jocelyn : Les Visiteurs du soir… Elle ne fut pas surprise de découvrir son propre visage, et le sien, si beau, si tendre, dans les traits des figures de sable. Et alors même qu’elle voyait la douce marée méditerranéenne monter et, lentement, commencer à lécher inexorablement le travail de l’artiste, elle entendit, très distinctement, battre deux cœurs au rythme des flots.

 

Une portière claqua sur la route surplombant la mer, une voiture démarra en trombe. Alice se retourna juste à temps pour apercevoir, entre ses larmes d’émotion, une Porsche. Une femme aux cheveux courts conduisait en riant, cigarette aux lèvres, tandis que deux têtes blondes se confondaient, à l’arrière, sous les projecteurs illuminant la Croisette.

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Rainer Maria Rilke par Laurent Terzieff…

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Ce texte « Les visiteurs du soir »a été finaliste lors d’un concours organisé par les cinémas d’Art et d’Essai en vue d’assister au Festival de Cannes 2011, sur Castres-81.

Il a été lu ici:

 http://yeuxetoreilles.canalblog.com/archives/2012/06/12/24479249.html

Et voilà un autre petit texte dédié à Jocelyn Quivrin…

http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2009/11/17/1794572_james-dean-au-tunel-de-saint-cloud.html

 

 

 

 

Attention, ceci est un message de prévention…Billet d’humeur…#froid #radios

         Attention, ceci est un message de prévention…Billet d’humeur…

 

Lac de L'Isle-Jourdain...
Lac de L’Isle-Jourdain…

http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/evenement_climatique/froid/campagne.asp

Je ne sais pas vous, mais moi ils commencent à me les briser menu.

Je parle de ces annonces qui passent en boucle sur nos radios et télévisions, comme si nous étions en alerte chimique ou à l’orée d’un conflit international.

  • Attention, ceci est un message de prévention du minsitère de la Santé. Il va faire très froid. Ne sortez pas sans vos bonnets, couvrez les extrémités du corps, etc etc…

On croit rêver. Que les étés de canicule, quand il fait quarante degrés à l’ombre des terrasses et que nos Anciens tombent comme des mouches, on leur rappelle de s’hydrater, passe encore. Tout le monde sait que l’on oublie de boire, passé un certain âge, et que cela peut vite s’avérer problématique.

Mais là, vraiment, on prend les Français pour des cons.

Peut-être nos dirigeants pensent-ils, depuis l’obscure commission constituée en urgence pour constituer un groupe de réflexion qui se chargera de donner des directives aux millions de coincés du cervelet, (en partenariat avec l’agence de communication dépensant les deniers du contribuable à lui expliquer comme s’habiller le matin), que les habitants de l’hexagone sont tous atteints de quelque maladie orpheline qui les empêcherait de ressentir les températures extérieures et ferait que, par moins dix, la plupart de nos concitoyens décideraient d’aller en tongues au bureau, ou, par trente-huit, de sortir promener Médor en chaussures de ski.

Parce que voyez-vous, c’est là où je vois rouge : d’une part, notre argent sert, visiblement, non seulement à faire de la France le premier exportateur d’armes au monde – et là, comment vous dire, ce matin, j’ai juste envie de voter Mélenchon jusqu’à la fin des temps, voire même de quitter mon appart pour une ZAD – et donc à élaborer des « campagnes de prévention » à l’usage dudit contribuable, mais, d’autre part, à infantiliser totalement les Français…Cela avait commencé il y a longtemps, avec les « un verre, ça va, etc », et c’est de pire en pire…

Voici en effet la politique du « care » portée à son apogée,  le summum de l’état providence, contrepartie rêvée de l’état d’urgence, 1984 mâtinée de Grey’s Anatomy : nous vivons donc à présent dans une société qui nous surveille et nous piste de la naissance à la mort, 24 h sur 24, mais qui plus est nous ordonne de prendre soin de nous, à tous les niveaux.

Certaines choses ne me semblent pas absurdes : oui par exemple aux images de cancer du poumon sur les paquets de Camel filtre, en espérant que les ados – qui grillent leurs clopes par centaines devant les établissements scolaires où, normalement, les «attroupements» sont prohibés – cesseront de trouver hyper cool de sortir fumer pour finir avec un respirateur pas bien glamour…Oui aux limitations de vitesse, bien sûr, parce que qui aurait envie de se retrouver sur une petite chaise roulante, regardant l’océan des heures durant depuis le centre de rééducation, après avoir décimé les cinq membres de sa famille ?

Par contre, quand mon gouvernement me rappelle avec des flashs d’info répétés toute la journée que je dois mettre un bonnet et des moufles, et que je dois éviter de sortir mon nourrisson parce que sinon il sera tout bleu de froid, que je dois bien fermer mes fenêtres, à moins de vouloir chauffer les oiseaux, je me demande jusqu’où ils pousseront l’absurdité de leurs recommandations…

J’imagine déjà les grosses pluies du printemps :

  • Attention, ceci est un message de prévention du ministère de la Santé.
  • La pluie, ça mouille.
  • N’oubliez pas de sortir avec un parapluie. Mettez un ciré, (ou un burberry si vous habitez dans le seizième, ou une houppelande de grosse laine tissée si vous êtes berger).
  • Ne sortez pas sans vos bottes, car il pourrait y avoir des flaques d’eau.
  • Ne laissez pas les bébés dans les poussettes juste sous les gouttières, ils pourraient vous en vouloir à moins d’avoir adoré « Singing in the rain »…
  • Ceci est un message réservé aux automobilistes : attention à l’aquaplaning. Et surtout mettez en marche vos essuie-glace, sinon vous feriez vite l’ange sur le camion de devant.
  • Enfin, une recommandation toute particulière est adressée aux personnes vivant sous les toits : fermez les velux, sinon votre moquette aura une drôle de la tête à votre retour.
  • PS : si tu vis dans la rue et que t’as oublié de piquer des sacs poubelles à l’Intermarché pour t’en mettre sur ton vieux pardessus râpé, tant pis pour ta tronche, tu seras trempé et sentiras encore plus mauvais.

Je trouve aussi qu’il faudrait nommer encore plus de commissions et rémunérer encore davantage d’agences de communication. C’est vrai, pourquoi ne pas étendre ces annonces de prévention à tous les domaines de la société, cela créerait de nombreux emplois de fonctionnaires et de community managers.

Et puis sur nos radios, ça nous ferait des vacances, à nous, les filles, qui passons la moitié du temps à essayer de changer de station tous les quarts d’heures, quand il y a soudain le mercato, ou le Vendée Globe, ou la Fed Cup, ou le Mundial, ou les poules du dimanche, et que, franchement, on en a rien, mais rien à carrer, et que si nous on s’amusait à interrompre les programmes en permanence pour faire un point maquillage, ou people, ou femmes battues, ou viols, ou pensions alimentaires impayées, ou glamour, ou écologie, ou littérature, ou poésie, ou théâtre, bref, la vie, nous quoi, et pas seulement vous, chers messieurs, mais c’est un autre sujet, pardon, je m’égare, donc, ça nous ferait des vacances, de jolies petites annonces bien tournées…

Alors je suggère les annonces du dimanche soir :

  • Attention, n’oubliez pas : demain, c’est lundi !
  • La semaine commence, le WE est bel et bien FINI, ter-mi-né, capito?
  • Allez, on bouge ses fesses du canap, on se couche, sinon, demain, ça fera mal…
  • On lâche la télécommande, allez, zou, au lit !
  • Et on n’oublie pas de préparer le chèque de la cantine, les goûters, et/ou son cartable.

PS : si t’es prof et que t’as pas corrigé tes copies, fais gaffe, ton principal va remplacer ton inspecteur avec la réforme du collège, alors on t’aura prévenu…

Les annonces de la veille des grandes vacances :

  • Attention, demain, c’est les vacances !
  • En ce qui concerne la canicule, si vous n’avez pas écouté il y a cinq minutes, tant pis pour vous !
  • Donc, la valise : n’oubliez pas les maillots, l’été, il fait chaud.
  • Ne mettez pas de bonnets ni d’écharpes dans vos sacs, ce n’est pas la peine : l’été, il ne neige que rarement.
  • Mesdames, si vous tenez à conserver votre époux et éviter qu’il ne parte avec une jolie suédoise, n’oubliez pas les rasoirs !
  • Monsieur, puisque de toutes manières vous risquez fort de prendre un petit moment pour aller jusqu’aux dunes, ne partez pas sans vos Durex…Ce serait dommage de revenir de Biarritz avec la chtouille.
  • Les enfants, psst, ceci est juste pour vous : les cahiers de vacances sont planqués sous les maillots de maman, il vous suffit de les virer discretos de la valise et hop, ni vu ni connu, à vous la belle vie !

Les annonces réservées aux filles à qui on va passer la bague au doigt :

  • Alors les poulettes, ceci est un message destiné à vous faciliter la vie !
  • Un mec, ça ne pense qu’à une seule chose; c’est pas le mariage qui changera la donne. CQFD, débrouillez-vous pour rester des clones de Beyonce même quand vous serez enceintes jusqu’aux dents.
  • Le mariage, c’est fait pour assoir les règles d’une société d’hommes, et ce dans tous les pays, et en France, vous veillerez à : toujours préparer des repas à votre homme, parce qu’un homme, ça a souvent faim ; faire la vaisselle, les courses, le ménage, en plus des heures sup’ que votre boss vous oblige à faire, et même le WE – ceci est une annonce rédigée dans un esprit d’anticipation filloniste ou macronniste – parce qu’une femme, c’est fait avant tout pour s’occuper de son foyer ; ne pas vous plaindre si votre mec rentre tard et/ou vous trompe, de toutes manières, estimez-vous heureuse qu’il ne soit pas allé chercher une Ukrainienne sur Meetic.
  • Puisqu’une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon, faites vos stats, et puis faites gaffe, aussi : un divorce, ça ne se demande pas à la légère…Somme toute, hein, une baffe de temps en temps vaut mieux que de finir égorgée devant un commissariat, non ?

Oui, ce matin, que voulez-vous, je me suis dit que j’allais faire d’une pierre deux coups, anticiper le huit mars, rattraper la journée des violences faites aux femmes, dire mon énervement face aux radios totalement sous mainmise machiste et, surtout, exprimer mon agacement profond devant ces gens qui nous gouvernent et qui pensent que nous sommes des imbéciles incapables de mettre notre bonnet quand il neige et de fermer nos fenêtres pour ne pas faire sauter le réseau d’ERDF…

Je repensais aussi à ces hivers de mon enfance où nous sortions faire de la luge, même dans le Tarn, bien loin de mon Allemagne où mes amis et ma famille se gondolent quand je leur parle de ces spots radiophoniques, eux qui chaque hiver sont capables de mettre un thermolactyl sous leur manteau, comme mes amis canadiens, d’ailleurs, qui rient chaque fois que je leur raconte la panique du salage des chaussées, eux qui vivent des mois durant avec moins quinze ou même trente sans que la vie ne s’arrête pour autant…Je repensais aussi à l’hiver de l’Abbé Pierre, celui dont ma belle-mère m’a souvent parlé, quand l’eau de Garonne gelait comme l’eau de la Seine, et puis aussi à tous ces Migrants dont plus personne, par contre, ne parle dans nos radios bien trop occupées, frileuses et dociles, à protéger les Français de leur ignorance, ces Migrants qui grelottent sous de maigres couvertures dans leurs camps de fortune…

Bon, en même temps, ces gens qui nous gouvernent n’ont peut-être pas tort sur toute la ligne…Nous sommes bien des imbéciles puisque…nous les avons élus…

Sur ce : sortez couverts !

http://inpes.santepubliquefrance.fr/10000/themes/evenement_climatique/froid/campagne.asp

 

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Un peu de poésie pour se réchauffer:)