Comme autant d’arcs-en-ciel #fraternité #paix #vivreensemble #femmes

Comme autant d’arcs-en-ciel

 

Quelques ombres déjà passent, furtives, derrière les persiennes. L’air est chargé du parfum des tilleuls, les oiseaux font du parc Monceau l’antichambre du paradis ; l’aube va poindre et ils la colorent de mille chants…

Devant moi, sur le lit, la boîte cabossée déborde ; depuis minuit, fébrile, je m’y promène pour m’y ancrer avant mon envol… Je parcours tendrement les pages jaunies, je croise les regards malicieux et dignes, j’entends les voix chères qui se sont tues depuis si longtemps…

Je me souviens.

Des sourires moqueurs de mes camarades quand j’arrivais en classe, vêtue de tenues démodées, parfois un peu reprisées, mais toujours propres.

Des repas à la cantine, quand tous les élèves, en ces années où l’on ne parlait pas encore de laïcité et d’autres cultures, se moquaient de moi parce que je ne mangeais pas le jambon ou les rôtis de porc.

Je me souviens.

Des sombres coursives de notre HLM avec vue sur « la plage ». C’est ainsi que maman, toujours si drôle, avait surnommé le parking dont des voitures elle faisait des navires et où les trois arbres jaunis devenaient des parasols. Au loin, le lac de la Reynerie miroitait comme la mer brillante de notre Alger natale. Maman chantait toujours, et papa souriait.

Je me souviens.

De ces années où il rentrait fourbu des chantiers à l’autre bout de la France, après des mois d’absence, le dos cassé et les mains calleuses. J’entendais les mots « foyer », et les mots « solitude », et parfois il revenait avec quelques surprises de ces villes lointaines où les contremaîtres aboyaient et où la grue dominait des rangées d’immeubles hideux que papa devait construire. Un soir, alors que son sac bleu, celui que nous rapportions depuis le bateau qui nous ramenait au pays, débordait de linge sale et de nuits tristes, il en tira, triomphant, un bon morceau de Saint-Nectaire et une petite cloche que les Auvergnats mettent au cou des belles Laitières : il venait de passer plusieurs semaines au foyer Sonacotra de Clermont-Ferrand la noire, pour construire la « Muraille de Chine », une grande barre d’immeubles qui dominerait les Volcans. Nous dégustâmes le fromage en rêvant à ces paysages devinés depuis la Micheline qui l’avait ramené vers la ville rose, et le lendemain, quand j’osais apporter la petite cloche à l’école, toute fière de mon cadeau, les autres me l’arrachèrent en me traitant de « grosse vache ».

Je me souviens.

De maman qui rentrait le soir avec le 148, bien avant que le métro ne traverse Garonne. Elle ployait sous le joug des toilettes qu’elle avait récurées au Florida, le beau café sous les arcades, et puis chaque matin elle se levait aux aurores pour aller faire d’autres ménages dans des bureaux, loin du centre-ville, avant de revenir, alors que son corps entier quémandait du repos, pour nettoyer de fond en comble notre modeste appartement et nous préparer des tajines aux parfums de soleil. Jamais elle n’a manqué une réunion de parents d’élèves. Elle arrivait, élégante dans ses tailleurs sombres, le visage poudré, rayonnante et douce comme les autres mamans, qui rarement la saluaient. Pourtant, seul son teint un peu bronzé et sa chevelure d’ébène racontaient aux autres que ses ancêtres n’étaient pas des Gaulois, mais de fiers berbères dont elle avait hérité l’azur de ses yeux tendres. En ces années, le voile n’était que rarement porté par les femmes des futurs « quartiers », elles arboraient fièrement le henné flamboyant de leurs ancêtres et de beaux visages fardés.

Je me souviens.

Du collège et de mes professeurs étonnés quand je récitais les fables et résolvais des équations, toujours en tête de classe. De mes premières amies, Anne la douce qui adorait venir manger des loukoums et des cornes de gazelle quand nous revenions de l’école, de Françoise la malicieuse qui essayait d’apprendre quelques mots d’arabe pour impressionner mon grand frère aux yeux de braise. De ce chef d’établissement qui me convoqua dans son bureau pour m’inciter, plus tard, à tenter une classe préparatoire. Et aussi de nos premières manifestations, quand nous quittions le lycée Fermat pour courir au Capitole en hurlant avec les étudiants du Mirail « Touche pas à mon pote ! »

Je me souviens.

Des larmes de mes parents quand je partis pour Paris qui m’accueillit avec ses grisailles et ses haines. De ces couloirs de métro pleins de tristesse et de honte, de ce premier hiver parisien passé à pleurer dans le clair-obscur lugubre de ma chambre de bonne, quand aucun camarade de Normale ne m’adressait la parole, bien avant qu’un directeur éclairé n’instaure des « classes préparatoires » spéciales pour intégrer des jeunes « issus de l’immigration ». Je marchais dans cette ville lumière, envahie par la nuit de ma solitude, et je lisais, j’espérais, je grandissais. Un jour je poussai la porte d’un local politique, et pris ma carte, sur un coup de tête.

Je me souviens.

Des rires de l’Assemblée quand je prononçais, des années plus tard, mon premier discours. Nous étions peu nombreuses, et j’étais la seule députée au patronyme étranger. Les journalistes aussi furent impitoyables. Je n’étais interrogée qu’au sujet de mes tenues ou de mes origines, alors que je sortais de l’ENA et que j’officiais dans un énorme cabinet d’avocats. Là-bas, à Toulouse, maman pleurait en me regardant à la télévision, et dépoussiérait amoureusement ma chambre, y rangeant par ordre alphabétique tous les romans qui avaient fait de moi une femme libre.

Je me souviens.

Des youyous lors de mon mariage avec mon fiancé tout intimidé. Non, il ne s’était pas converti à l’Islam, les barbus ne faisaient pas encore la loi dans les cités, nous nous étions simplement envolés pour le bled pour une deuxième cérémonie, après notre union dans la magnifique salle des Illustres. Dominique, un ami, m’avait longuement serrée dans ses bras après avoir prononcé son discours. Il avait cité Voltaire et le poète Jahili, et parlé de fraternité et de fierté. Nous avions ensuite fait nos photos sur la croix de mon beau Capitole, et pensé à papa qui aurait été si heureux de me voir aimée.

Je me souviens.

Des pleurs de nos enfants quand l’Histoire se répéta, quand eux aussi furent martyrisés par des camarades dès l’école primaire, à cause de leur nom et de la carrière de leur maman. De l’accueil différent dans les collèges et lycées catholiques, comble de l’ironie pour mes idées laïques qui se heurtaient aux murs de l’incompréhension, dans une république soudain envahie par des intolérances nouvelles. De mon fils qui, alors que nous l’avions élevé dans cette ouverture républicaine, prit un jour le parti de renouer follement avec ses origines en pratiquant du jour au lendemain un Islam des ténèbres. Du jour où il partit en Syrie après avoir renié tout ce qui nous était de plus cher. Des hurlements de douleur de ma mère en apprenant qu’il avait été tué après avoir égorgé des enfants et des femmes. De ma décision de ne pas sombrer, malgré tout.

Je me souviens.

De ces mois haletants où chaque jour était combat, des mains serrées en des petits matins frileux aux quatre coins de l’Hexagone. De tous ces meetings, de ces discours passionnés, de ces débats houleux, de ces haines insensées et de ces rancœurs ancestrales. De ces millions de femmes qui se mirent à y croire, de ces maires convaincus, de ces signatures comme autant d’arcs-en-ciel, de ces applaudissements sans fin, de ces sourires aux parfums de victoire.

Je me souviens.

De mes professeurs qui m’avaient fait promettre de ne jamais abandonner la littérature. De ces vieilles dames, veuves d’anciens combattants, qui m’avaient fait jurer de ne jamais abandonner la mémoire des combats. De ces enfants au teint pâle qui, dans leur chambre stérile, m’ont dessiné des anges et des étoiles en m’envoyant des bisous à travers leur bulle. De ces filles de banlieue qui, même après avoir été violées, étaient revenues dans leur immeuble en mini-jupe et sans leur voile, et qui m’avaient serrée dans leurs bras fragiles de victimes et de combattantes.

Hier soir, vers 19 h 45, mon conseiller m’a demandé de le suivre. L’écran géant a montré le « camembert » et le visage pixellisé du nouveau président de la République. La place de la Bastille était noire de monde, et je sais que la Place du Capitole vibrait, elle aussi, d’espérances et de joies.

Un cri immense a déchiré la foule tandis que l’écran s’animait et que mon visage apparaissait, comme c’était le cas dans des millions de foyers guettant devant leur téléviseur.

Le commentateur de la première chaîne hurlait, lui aussi, et gesticulait comme un fou : « Zohra M’Barki – Lambert! On y est ! Pour la première fois, une femme vient d’être élue Présidente de la République en France ! »

Le réveil sonne.

Je me souviens que je suis française, et si fière d’être une femme. Je me souviens que je dois tout à l’école de la République, et à mes parents qui aimaient tant la France qui ne les aimait pas.

Je referme la boîte et me penche à l’embrasure de la fenêtre, respirant une dernière fois le parfum de la nuit.

(Cette nouvelle a remporté le premier prix du concours de nouvelles du CROUS Occitanie en 2018…)

 

Elle te plaît pas, ma chanson ? « Imagine », la Corse, la langue arabe et la Fête de la Musique!!

Elle te plaît pas, ma chanson ?

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 (Prenez la peine de visionner toutes les vidéos, vraiment, elles en valent la peine !!)

 

 Imagine there’s no heaven,

Imagine qu’il n’y ait aucun Paradis,

It’s easy if you try,

C’est facile si tu essaies,

No hell below us,

Aucun enfer en-dessous de nous,

Above us only sky,

Au-dessus de nous, seulement le ciel…

La Corse, quand on se l’imagine, c’est comme un petit paradis…Avec, au-dessus de nous, ce ciel, bleu comme en enfer, et puis les chants corses, les cigales, un souffle de vent léger, et toute cette grande Histoire insulaire exotique qui rencontre les petites histoires des gens et des rêves, entre Napoléon, Colomba, les jolis ânes tout poilus et le fromage…

Pourtant, il y a quelques jours, des gens sans histoires, justement, se sont mis martel en tête à cause d’une chanson. Des gens qui, au lieu de vivre « pour aujourd’hui », dans le présent, dans le moment, sont allées chercher midi à quatorze heures et ont vu le mal là où simplement des instits avaient imaginé un beau moment de paix et de partages…

Imagine all the people,

Imagine tous les gens,

Living for today…

Vivant pour aujourd’hui…

http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/corses-des-enseignantes-menacees-pour-avoir-voulu-faire-chanter-leurs-eleves-en-arabe-693020

C’est incroyable. Incroyable et tellement mal venu, à quelques jours du début du Ramadan, que notre petite île d’irréductibles nationalistes se soit soudain recroquevillée sur elle-même au point de vouloir bouter la langue sarrasine hors de ses eaux bleues, utilisant qui plus est l’innocence enfantine pour assouvir d’étroites idées corporatistes et chauvines. Je ne sais ce qui m’a le plus choquée, entre cette exploitation immonde d’une fête dédiée aux plus jeunes et le fait que ce soit la chanson « Imagine » qui ait mis le feu aux poudres…

Imagine there’s no countries,

Imagine qu’il n’y a plus aucun pays,

It isn’t hard to do,

Ce n’est pas si dur à faire,

Nothing to kill or die for,

Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir,

No religion too,

Aucune religion non plus,

Imagine all the people,

Imagine tous ces gens,

Living life in peace…

Vivant leurs vies en paix…

Ah, ils en sont loin, de la paix, ces parents d’élèves qui ont osé salir la mémoire de Lennon et de son rêve. Les voilà, les idolâtres de lointains bruits de botte, les adoreurs de quenelles,  les moustachus à la Cabu, emplis de leur beauf attitude, n’ayant pas honte de porter haut le drapeau de la bêtise et de l’ignorance, se cherchant au seuil d’un bel été et d’innocents lâchers de ballons des « causes pour tuer ou mourir », vilipendant une langue, l’arabe, comme si une langue pouvait être responsable de l’incurie des hommes…

You may say I’m a dreamer,

Tu peux dire que je suis un rêveur,

But I’m not the only one,

Mais je ne suis pas le seul,

I hope some day you’ll join us,

J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,

And the world will live as one.

Et que le monde vivra uni

 

On en est loin, de ce monde uni imaginé par le poète. Ils existent, pourtant, les rêveurs qui croient au pouvoir de la paix. On les retrouve dans le monde entier, à lutter pour des idéaux malmenés par les dictatures et les violences, et parfois même leurs efforts aboutissent, comme pour Daniel Barenboïm et son orchestre du Divan d’Orient et d’Occident, qui vient de trouver un lieu pérenne à Berlin, à défaut de s’être installé en Israël…

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2015/06/19/le-rossignol-et-la-burqa-et-lacademie-barenboim-said/

Et ils en ont, de l’imagination, les rêveurs…C’est cette petite fille qui croit au pouvoir de l’éducation, quitte à presque mourir d’une balle dans la tête ; c’est cet Africain du Sud qui passe la moitié de son existence en prison, avant de devenir président de la nation arc-en-ciel ; c’est ce chanteur de Liverpool qui chantait la paix depuis ses lunettes rondes, avant de s’écrouler sous les balles d’un tireur fou…

Imagine no possessions,

Imagine qu’il n’existe plus aucune possession,

I wonder if you can,

Je me demande si tu en es capable,

No need for greed or hunger,

Aucun besoin d’avidité ou de faim,

A brotherhood of man,

Une fraternité humaine,

Imagine all the people,

Imagine tous les gens,

Sharing all the world…

Qui se partageraient le monde…

Mais à quoi pensaient-ils donc, ces parents d’élèves corses, menaçant des institutrices jusqu’à faire interdire toute une kermesse de par leurs cris de guerre ? Pensaient-ils peut-être que le monde leur appartiendrait, sous prétexte qu’ils seraient les détenteurs d’une seule vérité linguistique ? L’autre jour, sur ma chère Place du Capitole, s’est tenu justement le Forum des langues du monde, un superbe moment d’universalité au cœur des briques roses, et sous le beau soleil toulousain ont éclaté mille chants bariolés, tandis que des enfants émerveillés  découvraient les particularismes de langues mortes ou vivantes, en perdition ou éclatantes, du latin au chinois, en passant par l’occitan, le créole, le lingala…Car une langue, c’est avant tout le meilleur moyen de partager le monde, d’accéder à la fraternité humaine, au-delà de toutes nos différences…

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!20655&authkey=!AErwH5Nft1T2SII&ithint=video%2cmp4

Alors bien sûr, d’aucuns ont peur. Cette peur de l’Autre, chevillée à nos cœurs et à nos histoires, cette peur ancestrale de l’ennemi, du village voisin, du territoire inconnu qui empiète sur notre pré-carré. Et je vais vous faire une confidence : moi aussi, j’ai peur. J’ai peur depuis des années, bien avant Charlie, DAESH et les gangs des barbares, j’ai peur de cet islamisme qui fait d’une des grandes religions du monde une déviance dangereuse, lorsque ses préceptes sont malmenés. Je suis, même, terrifiée, en voyant les eaux bleues des Maldives se noircir de burqas, en lisant l’horreur dans les yeux des Chrétiens d’Orient. Et pourtant j’ai souhaité un bon Ramadan à mes amis musulmans, qui sont nombreux. Je l’ai souhaité à des commerçants des kébabs de la Ville Rose, à des femmes voilées avec lesquelles je papote dans le bus, et à tous mes amis poètes et enseignants si chers à mon cœur….

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=53448&forum=2

Car je sais bien la différence entre les folies et l’innocence, entre le Bien et le Mal, toute rêveuse que je suis. Et je souhaiterais que ces parents d’élèves réfléchissent au mal qu’ils ont fait à leurs enfants et à leurs maîtresses, en actant la bêtise, l’ignorance et la haine.

J’espère qu’un jour les enfants de ces parents leur chanteront qu’ils volent, comme dans le superbe film de la Famille Bélier…Au-delà des clivages, de la peur, et des nationalismes.

 You may say I’m a dreamer,

Tu peux dire que je suis un rêveur,

But I’m not the only one,

Mais je ne suis pas le seul,

I hope some day you’ll join us,

J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,

And the world will live as one.

Et que le monde vivra uni

(mon modeste fils…)

Enfin, cette superbe « cover » par le groupe corse Incantèsimu !

https://ghjuventucorsa.wordpress.com/incantesimu-groupe/

http://www.sabine-aussenac.com/cv/portfolios/photo2633

Photo2633

 Bonus 🙂

https://www.youtube.com/watch?v=VlxI2fAUymw

https://www.youtube.com/watch?v=LgWa4gUGZFE

https://www.youtube.com/watch?v=rk43kgy_M0o

https://www.youtube.com/watch?v=DTeEwpam2Z0