Je suis Pays de France, et je me tiens debout #CharlieHebdo #attentats

Peut être une image de mur de briques

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

**

Je suis la passerelle

entre peuples lointains,

un creuset des sourires,

un infini destin.

Je suis le garde-fou

contre l’intolérance,

ce grand phare qui brille,

un flambeau qui jaillit.

Je suis la vie qui danse

en immense rivière

de nos espoirs dressés.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis l’enfant qui joue

à ses mille marelles,

regardant ces ballons

aux éclats d’arc-en-ciel.

Je suis l’aïeul qui tremble,

son regard ne faiblit

quand mémoire caresse

les fiertés de sa vie.

Je suis femme au beau ventre

palpitant d’espérance.

Tout enfant en son sein

sera nommé Français,

elle est la Marianne,

et elle nous tient la main.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu as voulu salir

tous nos siècles de lutte,

croyant que de tes fers

tu ôterais le jour.

Tu as en vrai barbare

conspué l’innocence,

éventrant d’un seul geste

une nation de paix.

Mais nulle arme ne peut

gommer nos insolences,

nul canon ne saurait effacer

ces couleurs, ces dessins magnifiques,

ces libertés qui dansent,

et nul boucher ne fera de nos cœurs

des agneaux.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu es ce porc ignoble qui

attend les cent vierges

en violant tant de femmes

dont tu voiles les corps.

Tu es coupeur de têtes,

tu es sabre levé, tu es balle qui tue,

mais tu ne comprends pas

que tout ce sang versé ne devient que lumière.

Tu attends paradis

mais iras en enfer,

car ton Dieu punira toute ta route impie.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis le poing levé,

quand de douleur intense

d’un pays tout entier le cœur

s’est arrêté.

Je suis la place immense,

un vaisseau de courage,

un grand galion qui vole,

en espoir rassemblé.

Je suis la dignité, le partage et l’audace,

je suis mille crayons

qui dessinent soleils,

je suis cette ironie au devoir d’insolence,

je suis million de pages,

et le feutre qui offre

ces immenses fous-rires,

je suis l’impertinence,

comme une encre jetée

pour amarrer demain.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

7 janvier 2015

Peut être une image en noir et blanc de 5 personnes, personnes debout et intérieur

Une femme est morte qui aimait la #Country #Rambouillet #Stéphanie #attentat #

Récemment, une femme est morte qui aimait la Country.

Ce n’était pas n’importe quelle femme. C’était une belle âme, que tous s’accordent à louer, une maman aimante, une collègue dévouée, engagée dans son quotidien et dans la vie associative.

Elle s’appelait Stéphanie, elle est morte assassinée de la façon la plus barbare qui soit.

Je ne compte plus les textes que j’ai écrits suite à des attentats, textes de blogs, poèmes, nouvelles… Aujourd’hui, simplement, en hommage à une femme qui aimait la Country, je vais reposter un petit texte écrit il y a quelques années au sujet du festival de Mirande, qui avait été publié dans La Dépêche et dans Reflets du Temps.

Et puis j’égayerai la page avec quelques photos de santiags et aussi de mes jambes sous mon Stetson, pour em… tous les barbus contempteurs de corps et de joie.

Le Stetson, acheté à Mirande, je le porte encore, et je quitte rarement mes santiags… Pour moi qui n’ai jamais pu porter de talons, enfiler ces bottes, c’est comme me promener en escarpins : je me sens forte, femme et fière. Invincible. Libre.

Aucune description de photo disponible.

Je ne sais pas très bien comment l’expliquer, mais cette musique, que d’aucuns récrient comme étant de la « soupe » campagnarde et réac, moi, elle m’évoque justement le contraire. Sans doute parce que j’ai été biberonnée aux westerns, à la dégaine de John Wayne, et que j’ai découvert la Country en même temps que la littérature et le cinéma américains. Sans avoir jamais fait le voyage transatlantique, je suis une enfant de la Grosse Pomme et de Big sur, du bayou et des grandes plaines du Montana, des Rocheuses et du Vermont… Je sais, je ne suis pas objective, mais j’ai leur melting pot dans le sang, même s’il est virtuel. La culture amérindienne me bouleverse ; Walt Whitman et Steinbeck m’ont guidée vers les mots ; le onze septembre m’a dévastée ; et j’ai la Country dans la peau.

Peut être une image de 1 personne

Il me semble percevoir, entre les vestes frangées et les santiags, les chemises à carreaux et les dentelles, non seulement des scènes poussiéreuses où sautillent des passionnés, mais aussi ces ambiances survoltées des saloons où virevoltent les notes au son des bières et des burgers, et surtout ces grands espaces, ces prairies infinies, ces canyons majestueux… Ceux qui me lisent savent que je n’ai pas le permis, et pourtant, quand j’entends de la Country, je sauterais bien dans quelque Cadillac rose pour filer le long de la route 66, à moins de prendre un Greyhound qui me ramènerait vers quelque océan, vers les Keys ou vers le Golden Gate…

Et puis les « Country Girls » sont libres, belles et sexy ! Même en se vêtant d’une chemise de bûcheron, on laisse entrevoir la dentelle d’un corsage, et puis on ose souvent le short ou les jupes volantées.

Alors vous savez quoi ? La prochaine fois que vous entendrez Dolly Parton ou un bon vieux refrain Country, montez le son du « transistor » ou de l’enceinte, et ayez une petite pensée pour une femme libre, forte et belle qui est morte en faisant son travail au service de l’Autre, saignée à blanc par un barbare portant en lui la haine de cet Autre, de l’occident, des USA, de la musique et des femmes libres.

Ils ne gagneront jamais. Jamais. Il y aura toujours quelqu’un pour prendre une guitare et pour chanter la liberté et la vie.

https://www.rtl.fr/emission/wrtl-country

Little Big Festival

https://www.countryinmirande.com/

Bien sûr, d’aucuns trouvent que la « Kountry »-c’est comme ça qu’on dit, nous autres, dans le Gers !-, ce n’est pas bien « classe ». Ce serait même über beauf… Bien loin de l’ambiance des « Festayres » de Vic, ou des bobos branchés de Jazz in Marciac…

Bien sûr, en un sens, ils n’ont pas tort. A Mirande, dans le 32, les bouseux parlent aux bouseux, et si, au début, on s’étonne un peu de croiser de grands types en Stetson et tiags handicapés par un fort accent du terroir, peu à peu, on se laisse griser par cette ambiance Aubrac-city, et on perçoit tous les infimes cousinages entre les ploucs du fin fond de nos campagnes et les beaufs du Grand Ouest :

Même goût immodéré pour la boisson et le kitch, même rires gouailleurs…Oui, très vite, on comprend comment la greffe « kountry » a pris dans la paisible bourgade gersoise. Ici, on parle cajun et occitan. De La Fayette aux Cadets de Gascogne, il n’y a qu’un pas…

Pourtant moi, franchement, ce festival, je l’adore. Et je voudrais le dire haut et fort à tous les pisse-vinaigre qui ne le trouvent pas assez « branché », à tous ces néo-gersois qui se posent en gascons de toujours et reprennent le poncif habituel des « Oh, moi je ne vais qu’à la Salsa… » -traduisez : à Vic-Fezensac, où « Tempo Latino » draine les aficionados des rythmes chauds et des Mojitos, ou du « Je préfère nettement Marciac » -traduisez : « Moi, je ne lis que Télérama et j’écoute Delli Fiori sur Inter »…

Ils sont jaloux, c’est tout. Ils croient cracher sur le Grand Satan américain, alors que Mirande foisonne de gens tous simples, venus des quatre coins du globe, unis par la passion de la « Line Dance ». Et cette façon qu’a le Gersois lambda de snober cette manifestation, je la trouve indigne de notre tradition de l’accueil méridional.

Ce que j’aime, à la « Kountry », justement, ce sont les métissages ; il y a les vieux bikers tatoués, tout rouillés sous leurs cheveux attachés, presqu’exotiques devant leurs bécanes flambant neuves, qui côtoient les sempiternels stands d’indiens péruviens-oui, à Mirande, on a enterré la hache de guerre… Et au détour d’un effluve d’El Condor Passa, on plonge soudain dans la parade des belles Américaines, alors que retentissent déjà les premiers accords de Country roads.

Et puis la Line Dance, et toutes ces mamies fardées et chapeautées qui semblent avoir le diable au corps, sautillant dignement aux côtés de grands Custers dégingandés, tout décorés de turquoises, aussi burinés que doués en quadrilles : « Rien qui vaille la joie ! » (Sophocle.)

Bien sûr, je ne peux vous parler que du festival « off »-voir mon précédent article « Assignée à résidence ». Mais je m’en contente, en petite fille sage qui attend de grandir. Un jour, je le sais, j’aurai la permission de minuit, et je pourrai entendre Kenny Rogers au son des grillons de Gascogne.

Peut être une image de une personne ou plus, personnes debout, bottes et intérieur

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/scarlett-for-ever_b_2072059.html

https://sabineaussenac.blog/tag/attentat/

Le Principal porte un costume…#SamuelPaty #école #attentat #laïcité #jesuisprof

J’ai écrit ce texte en 2008. Je le retrouve en remettant en ligne mon ouvrage « #jesuislalaïcité« , que j’avais publié il y a quelques années. Les larmes me montent aux yeux en le lisant. En pensant à Samuel Paty, notre brillant collègue, mon frère, notre frère.

**

Le chef d’établissement et son adjoint, toujours tirés à quatre épingles, veillent au grain tels des capitaines de frégate. Le Principal porte un costume et semble toujours prêt à recevoir quelque délégation ministérielle.

Au fronton du collège, les mots « Liberté, égalité, fraternité », et ce drapeau qui vole au vent mauvais.

Un îlot. Notre collège est un îlot de résistance.

Mais nous ne sommes pas en terre inconnue, non, ni en terre ennemie. Non, nous sommes en France, juste en France.

La France qui, dans cette cité, comme dans des milliers d’autres, a la couleur des ailleurs. Ce sont ces serviettes de toilette qui sèchent à même le trottoir, sur l’étendoir, devant l’échoppe du petit coiffeur-barbier.

Ce sont ces femmes voilées, en majorité dans la cité, et parfois même entièrement voilées, malgré l’interdiction républicaine, qui se promènent, entre cabas et poussette, depuis le ED jusque chez le boucher hallal. La boulangerie aussi est hallal ; et puis la cantine du collège, aussi.

Ce sont les tours immenses, et les trottoirs salis. Et ces hommes, tous ces hommes désœuvrés, assis aux terrasses des cafés, ou faisant mine de conspirer avant quelque mauvais coup devant la station de métro. C’est que nous avons eu deux meurtres en deux semaines, dans le quartier…

Si l’on marche dans les rues, les seuls signes d’appartenance à la France sont les sigles des bâtiments administratifs : CAF, ASSEDIC… Pour tout le reste, on pourrait se croire à Tunis, Alger ou Marrakech. Pas de Monoprix ou de Zara, ici, seuls quelques magasins de décorations du Maghreb…

Les boutiques aussi sont tournées vers La Mecque.

Seule la pharmacie, courageuse en ces temps de l’Avent, a osé un sursaut de fierté chrétienne, disposant deux petits sapins sur le trottoir.

Au collège, pourtant, la République veille : la technique et les moyens mis en œuvre par l’Etat sont partout ; ordinateurs et rétroprojecteurs dans chaque salle, CDI flambant neuf… Les partenariats sont innombrables, les « dispositifs » bien rodés, bref, on a l’impression, plus que jamais, d’être au cœur de cette « école de la République », celle qui se bat pour ses enfants. Certains enseignants sont là depuis plusieurs années, en poste, heureux et motivés. Allant de « projet » en « parcours découverte 

Mais au collège, il y a aussi ce mégaphone utilisé pour appeler les élèves ; car la cour ressemble davantage à une jungle qu’à un couloir de Janson de Sailly… Et les traits tirés des assistants d’éducation ; et l’épuisement de quelques collègues. Car l’insularité a ses limites…

La réunion de parents, par exemple, où les dits parents ne viennent voir que le professeur principal, puisqu’ils doivent entrer en possession des bulletins en main propre. –bon, parfois, si, ils se déplacent, enfin les papas, mais là, c’est juste pour incendier une collègue, entre quatre yeux, et de façon extrêmement violente…

Les enfants, eux, dont certains sont brillants et motivés, débordent d’énergie. Une heure de cours en ZEP ne ressemble en rien à une heure de cours classique, puisqu’il s’agit aussi bien de transmettre du pédagogique que de l’éducatif…En troisième, encore et encore, leur dire qu’on ne se lève pas en cours…Et puis expliquer encore et toujours qu’on n’élève pas la voix, qu’on ne parle pas arabe en classe, qu’on ne s’insulte pas…

Certains m’ont fait une petite rédaction, sur leur vision de leur avenir. C’était édifiant, touchant, mais aussi très inquiétant.

Car si tous s’imaginaient riches, et exerçant un « bon métier », tous, aussi, comptaient épouser une femme « musulmane » (« elle portera le voile si elle le souhaite »), et, surtout, donner des prénoms arabes à leurs enfants.

Et c’est bien ce petit détail-là qui, plus que les voitures brûlées, plus que le port du voile intégral dans le métro, plus que le désœuvrement et la violence, m’interpelle : si, au bout d’une ou deux générations, les enfants des « quartiers », pourtant « français » à 90%, continuent à imaginer donner des prénoms arabes à leurs propres enfants, l’intégration ne se fera jamais. JAMAIS.

Et ce en dépit des énormes moyens que l’Etat investit dans l’éducatif ; et ce en dépit du « modèle républicain »… Et ce n’est pas tant lié à ce sentiment d’exclusion de nos élèves- la plupart d’entre eux ne se rendent jamais en centre-ville, vivant en vase clos dans le hors monde de la cité…- qu’à cette dérive protectionniste et communautariste dont ces enfants font preuve, dès leur plus jeune âge : leur pays, c’est… le « bled » ! Pourtant, certains viennent de décrocher des stages dans de prestigieuses entreprises de la région toulousaine, et rêvent de devenir PDG un jour. Mais on a l’impression toujours que leurs valeurs demeureront celles d’une autre culture, et d’un autre âge, quant à leur vision de traiter les femmes, par exemple…

Alors quand je pousse la grille de mon petit collège de ZEP, et que je vois cette devise républicaine en orner timidement le fronton, et toutes ces équipes pédagogiques et administratives motivées, mais épuisées, je me demande quelles solutions nous pourrions mettre en œuvre pour que Marine Le Pen n’ait PAS raison.

Comment, oui, comment arriver à une dynamique réelle d’intégration ? Comment arriver à transmettre ce creuset républicain à ces générations d’élèves n’ayant de la vie et du monde qu’une vision tronquée, muselée par leurs communautarismes ? Comment revitaliser ces cités où la France n’est plus représentée que par ses administrations ? Comment y faire régner non pas seulement l’ordre, mais la paix, et, surtout, la joie ?

Il me semble que ce que nous faisons et transmettons ne suffit pas, et que nous lâchons trop de lest. Certes, la loi sur la laïcité existe, mais elle n’est pas respectée, puisque de plus en plus de cantines sont hallal d’office. Certes, la loi sur l’interdiction du port de la burqa existe, mais elle est loin de faire la part des choses et de régler le problème des fillettes voilées de plus en plus jeunes.

J’ai peur que peu à peu, notre pays ne se clive et ne se détourne des processus d’intégration qui ont fait sa grandeur et sa force, j’ai peur que les métissages ne se fassent que dans un sens.

Je souhaiterais que soient mises en place de véritables heures d’éducation civique spécialement orientées vers l’idéal d’intégration et vers la place des femmes ; je souhaiterais que des commerces « non hallal » soient à nouveau implantés dans les cités, de grandes enseignes, des magasins de chaussures, de vêtements-et pas seulement des échoppes de babouches et de robes à paillettes-, des franchises « classiques », et aussi des magasins d’alimentation « lambda » ; je souhaiterais que des librairies non religieuses ouvrent dans nos cités, et des magasins de musique, et des salles de sport…Et des centres d’épilation, et des parfumeries, et des magasins de lingerie…Et des magasins de jouets, et des salons de thé sans menthe !

Je souhaiterais que la vie vienne vers la cité, puisque la cité ne vient plus vers la vie, hormis pour faire des « descentes »en ville, dont on sait qu’elles sont parfois liées à des dérives, à des vols en bande organisée, à des exactions de casseurs…

Ce qui nous manque, c’est une normalité intégrative, c’est un désir réciproque de partage. Quand j’ai dit, par exemple, que j’allais parler de Noël en cours, puisque Noël est la plus grande fête allemande et un moment fort de la culture germanique, « ils » m’ont tous rétorqué qu’ils ne fêtaient pas Noël, que c’était une fête chrétienne, etc. Mais nous avons malgré tout ouvert les fenêtres et mangé les chocolats du petit calendrier de l’Avent, et fait quelques activités. Et si j’en avais eu le temps et les moyens, j’aurais aimé les emmener voir un marché de Noël en Allemagne…

Je remarque chaque jour que mes élèves vivent dans un nomansland culturel, malgré le Centre Culturel du quartier, et malgré l’énergie remarquable dont font preuve les équipes administratives et pédagogiques du collège… Que soit au niveau des partages économiques ou intellectuels, ces enfants et ados sont dans une zone de non droit, dans un endroit où les échanges de base ne se font plus.

Et c’est à la République de se donner les moyens de changer cela, avant qu’il ne soit trop tard, avant que les camps ne se forment de façon définitive, avant que le FN ne prenne peut-être un jour le pouvoir, avant que les « Frères Musulmans » ne remplacent peu à peu sécu, ASSEDIC, école et loisirs…

Je ne veux pas que mon pays renonce à l’idéal des Lumières : éduquer, enrichir, élever les esprits.

Liberté de pensée, égalité entre les femmes et les hommes, fraternité entre nos cultures : agissons !

**

Ce texte a donc été écrit il y a plusieurs années et était paru dans « Le Post », ancêtre du Huffington Post, bien avant les attentats…

Quelques années plus tard, en 2012, j’avais à nouveau été en poste dans ces quartiers, au moment de l’affaire Merah… Car Samuel Paty n’a pas été, hélas, le premier professeur assassiné par un islamiste…

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Aujourd’hui je pense à ces collégiens victimes de leur naïveté et/ou de leur bêtise fomentée par le salafisme qui gangrène notre démocratie, et je pleure aussi sur cette situation inacceptable… Sur notre école qui n’a pas su prévenir l’horreur, faire corps défendant autour d’un collègue mis à mal par une fatwa. Et j’ai une pensée émue pour mes collégiens de l’époque, pour la brillance intellectuelle de certains, pour les garçons qui m’ouvraient la porte en disant « Ich bin ein Berliner », pour le petit mot de fin d’année où ils avaient écrit « Ich liebe dich ». Je les espère loin, loin de ces mouvances, et je souhaite que nous puissions, ensemble, faire front, nous relever, agir et apaiser.

Pour que « Monsieur Paty » ne soit pas mort mutilé, égorgé et décapité pour « rien ».

Et quelques liens vers les innombrables textes écrits après les attentats…

https://sabineaussenac.blog/tag/attentats/

Je suis Pays de France, et je me tiens debout

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis la passerelle

entre peuples lointains,

un creuset des sourires,

un infini destin.

Je suis le garde-fou

contre l’intolérance,

ce grand phare qui brille,

un flambeau qui jaillit.

Je suis la vie qui danse

en immense rivière

de nos espoirs dressés.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis l’enfant qui joue

à ses mille marelles,

regardant ces ballons

aux éclats d’arc-en-ciel.

Je suis l’aïeul qui tremble,

son regard ne faiblit

quand mémoire caresse

les fiertés de sa vie.

Je suis femme au beau ventre

palpitant d’espérance.

Tout enfant en son sein

sera nommé Français,

elle est la Marianne,

et elle nous tient la main.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu as voulu salir

tous nos siècles de lutte,

croyant que de tes fers

tu ôterais le jour.

Tu as en vrai barbare

conspué l’innocence,

éventrant d’un seul geste

une nation de paix.

Mais nulle arme ne peut

gommer nos insolences,

nul canon ne saurait effacer

ces couleurs, ces dessins magnifiques,

ces libertés qui dansent,

et nul boucher ne fera de nos cœurs

des agneaux.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu es ce porc ignoble qui

attend les cent vierges

en violant tant de femmes

dont tu voiles les corps.

Tu es coupeur de têtes,

tu es sabre levé, tu es balle qui tue,

mais tu ne comprends pas

que tout ce sang versé ne devient que lumière.

Tu attends paradis

mais iras en enfer,

car ton Dieu punira toute ta route impie.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis le poing levé,

quand de douleur intense

d’un pays tout entier le cœur

s’est arrêté.

Je suis la place immense,

un vaisseau de courage,

un grand galion qui vole,

en espoir rassemblé.

Je suis la dignité, le partage et l’audace,

je suis mille crayons

qui dessinent soleils,

je suis cette ironie au devoir d’insolence,

je suis million de pages,

et le feutre qui offre

ces immenses fous-rires,

je suis l’impertinence,

comme une encre jetée

pour amarrer demain.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Dédié à Cabu, Wolinski, Charb, Frédéric, Ahmed, Franck, Elsa, Michel, Bernard, Honoré, Tignous, Moustapha, Clarissa, et aux victimes dont j’entends parler à l’heure où j’écris ce texte, dans l’épicerie casher…

(Poème paru dans mon blog du Monde après les attentats de janvier 2015.)

Comme autant d’arcs-en-ciel #fraternité #paix #vivreensemble #femmes

Comme autant d’arcs-en-ciel

 

Quelques ombres déjà passent, furtives, derrière les persiennes. L’air est chargé du parfum des tilleuls, les oiseaux font du parc Monceau l’antichambre du paradis ; l’aube va poindre et ils la colorent de mille chants…

Devant moi, sur le lit, la boîte cabossée déborde ; depuis minuit, fébrile, je m’y promène pour m’y ancrer avant mon envol… Je parcours tendrement les pages jaunies, je croise les regards malicieux et dignes, j’entends les voix chères qui se sont tues depuis si longtemps…

Je me souviens.

Des sourires moqueurs de mes camarades quand j’arrivais en classe, vêtue de tenues démodées, parfois un peu reprisées, mais toujours propres.

Des repas à la cantine, quand tous les élèves, en ces années où l’on ne parlait pas encore de laïcité et d’autres cultures, se moquaient de moi parce que je ne mangeais pas le jambon ou les rôtis de porc.

Je me souviens.

Des sombres coursives de notre HLM avec vue sur « la plage ». C’est ainsi que maman, toujours si drôle, avait surnommé le parking dont des voitures elle faisait des navires et où les trois arbres jaunis devenaient des parasols. Au loin, le lac de la Reynerie miroitait comme la mer brillante de notre Alger natale. Maman chantait toujours, et papa souriait.

Je me souviens.

De ces années où il rentrait fourbu des chantiers à l’autre bout de la France, après des mois d’absence, le dos cassé et les mains calleuses. J’entendais les mots « foyer », et les mots « solitude », et parfois il revenait avec quelques surprises de ces villes lointaines où les contremaîtres aboyaient et où la grue dominait des rangées d’immeubles hideux que papa devait construire. Un soir, alors que son sac bleu, celui que nous rapportions depuis le bateau qui nous ramenait au pays, débordait de linge sale et de nuits tristes, il en tira, triomphant, un bon morceau de Saint-Nectaire et une petite cloche que les Auvergnats mettent au cou des belles Laitières : il venait de passer plusieurs semaines au foyer Sonacotra de Clermont-Ferrand la noire, pour construire la « Muraille de Chine », une grande barre d’immeubles qui dominerait les Volcans. Nous dégustâmes le fromage en rêvant à ces paysages devinés depuis la Micheline qui l’avait ramené vers la ville rose, et le lendemain, quand j’osais apporter la petite cloche à l’école, toute fière de mon cadeau, les autres me l’arrachèrent en me traitant de « grosse vache ».

Je me souviens.

De maman qui rentrait le soir avec le 148, bien avant que le métro ne traverse Garonne. Elle ployait sous le joug des toilettes qu’elle avait récurées au Florida, le beau café sous les arcades, et puis chaque matin elle se levait aux aurores pour aller faire d’autres ménages dans des bureaux, loin du centre-ville, avant de revenir, alors que son corps entier quémandait du repos, pour nettoyer de fond en comble notre modeste appartement et nous préparer des tajines aux parfums de soleil. Jamais elle n’a manqué une réunion de parents d’élèves. Elle arrivait, élégante dans ses tailleurs sombres, le visage poudré, rayonnante et douce comme les autres mamans, qui rarement la saluaient. Pourtant, seul son teint un peu bronzé et sa chevelure d’ébène racontaient aux autres que ses ancêtres n’étaient pas des Gaulois, mais de fiers berbères dont elle avait hérité l’azur de ses yeux tendres. En ces années, le voile n’était que rarement porté par les femmes des futurs « quartiers », elles arboraient fièrement le henné flamboyant de leurs ancêtres et de beaux visages fardés.

Je me souviens.

Du collège et de mes professeurs étonnés quand je récitais les fables et résolvais des équations, toujours en tête de classe. De mes premières amies, Anne la douce qui adorait venir manger des loukoums et des cornes de gazelle quand nous revenions de l’école, de Françoise la malicieuse qui essayait d’apprendre quelques mots d’arabe pour impressionner mon grand frère aux yeux de braise. De ce chef d’établissement qui me convoqua dans son bureau pour m’inciter, plus tard, à tenter une classe préparatoire. Et aussi de nos premières manifestations, quand nous quittions le lycée Fermat pour courir au Capitole en hurlant avec les étudiants du Mirail « Touche pas à mon pote ! »

Je me souviens.

Des larmes de mes parents quand je partis pour Paris qui m’accueillit avec ses grisailles et ses haines. De ces couloirs de métro pleins de tristesse et de honte, de ce premier hiver parisien passé à pleurer dans le clair-obscur lugubre de ma chambre de bonne, quand aucun camarade de Normale ne m’adressait la parole, bien avant qu’un directeur éclairé n’instaure des « classes préparatoires » spéciales pour intégrer des jeunes « issus de l’immigration ». Je marchais dans cette ville lumière, envahie par la nuit de ma solitude, et je lisais, j’espérais, je grandissais. Un jour je poussai la porte d’un local politique, et pris ma carte, sur un coup de tête.

Je me souviens.

Des rires de l’Assemblée quand je prononçais, des années plus tard, mon premier discours. Nous étions peu nombreuses, et j’étais la seule députée au patronyme étranger. Les journalistes aussi furent impitoyables. Je n’étais interrogée qu’au sujet de mes tenues ou de mes origines, alors que je sortais de l’ENA et que j’officiais dans un énorme cabinet d’avocats. Là-bas, à Toulouse, maman pleurait en me regardant à la télévision, et dépoussiérait amoureusement ma chambre, y rangeant par ordre alphabétique tous les romans qui avaient fait de moi une femme libre.

Je me souviens.

Des youyous lors de mon mariage avec mon fiancé tout intimidé. Non, il ne s’était pas converti à l’Islam, les barbus ne faisaient pas encore la loi dans les cités, nous nous étions simplement envolés pour le bled pour une deuxième cérémonie, après notre union dans la magnifique salle des Illustres. Dominique, un ami, m’avait longuement serrée dans ses bras après avoir prononcé son discours. Il avait cité Voltaire et le poète Jahili, et parlé de fraternité et de fierté. Nous avions ensuite fait nos photos sur la croix de mon beau Capitole, et pensé à papa qui aurait été si heureux de me voir aimée.

Je me souviens.

Des pleurs de nos enfants quand l’Histoire se répéta, quand eux aussi furent martyrisés par des camarades dès l’école primaire, à cause de leur nom et de la carrière de leur maman. De l’accueil différent dans les collèges et lycées catholiques, comble de l’ironie pour mes idées laïques qui se heurtaient aux murs de l’incompréhension, dans une république soudain envahie par des intolérances nouvelles. De mon fils qui, alors que nous l’avions élevé dans cette ouverture républicaine, prit un jour le parti de renouer follement avec ses origines en pratiquant du jour au lendemain un Islam des ténèbres. Du jour où il partit en Syrie après avoir renié tout ce qui nous était de plus cher. Des hurlements de douleur de ma mère en apprenant qu’il avait été tué après avoir égorgé des enfants et des femmes. De ma décision de ne pas sombrer, malgré tout.

Je me souviens.

De ces mois haletants où chaque jour était combat, des mains serrées en des petits matins frileux aux quatre coins de l’Hexagone. De tous ces meetings, de ces discours passionnés, de ces débats houleux, de ces haines insensées et de ces rancœurs ancestrales. De ces millions de femmes qui se mirent à y croire, de ces maires convaincus, de ces signatures comme autant d’arcs-en-ciel, de ces applaudissements sans fin, de ces sourires aux parfums de victoire.

Je me souviens.

De mes professeurs qui m’avaient fait promettre de ne jamais abandonner la littérature. De ces vieilles dames, veuves d’anciens combattants, qui m’avaient fait jurer de ne jamais abandonner la mémoire des combats. De ces enfants au teint pâle qui, dans leur chambre stérile, m’ont dessiné des anges et des étoiles en m’envoyant des bisous à travers leur bulle. De ces filles de banlieue qui, même après avoir été violées, étaient revenues dans leur immeuble en mini-jupe et sans leur voile, et qui m’avaient serrée dans leurs bras fragiles de victimes et de combattantes.

Hier soir, vers 19 h 45, mon conseiller m’a demandé de le suivre. L’écran géant a montré le « camembert » et le visage pixellisé du nouveau président de la République. La place de la Bastille était noire de monde, et je sais que la Place du Capitole vibrait, elle aussi, d’espérances et de joies.

Un cri immense a déchiré la foule tandis que l’écran s’animait et que mon visage apparaissait, comme c’était le cas dans des millions de foyers guettant devant leur téléviseur.

Le commentateur de la première chaîne hurlait, lui aussi, et gesticulait comme un fou : « Zohra M’Barki – Lambert! On y est ! Pour la première fois, une femme vient d’être élue Présidente de la République en France ! »

Le réveil sonne.

Je me souviens que je suis française, et si fière d’être une femme. Je me souviens que je dois tout à l’école de la République, et à mes parents qui aimaient tant la France qui ne les aimait pas.

Je referme la boîte et me penche à l’embrasure de la fenêtre, respirant une dernière fois le parfum de la nuit.

(Cette nouvelle a remporté le premier prix du concours de nouvelles du CROUS Occitanie en 2018…)

 

Sonnet du Poilu #armistice2018 #GrandeGuerre

Sonnet du Poilu

 

Oh rendez-moi nos Armistices,

Mes tombes blanches et mes flambeaux,

J’y écrirai nouveaux solstices

En champs de fleurs sous ces corbeaux.

 

Bien sûr il y eut Chemin des Dames,

Verdun Tranchées et lance-flammes.

Mais en ce jour combien d’enfants

S’égorgent sous cent métaux hurlants ?

 

C’est cette femme au beau sourire

Offerte aux chiens en leurs délires,

C’est ce Syrien encore imberbe,

 

Criant Jihad, mort au désert…

Sans paradis. Juste en enfer :

Dormeurs du val sans même une herbe.

 

Ou pas (Hommage aux victimes des attentats #Bataclan)

Aucun texte alternatif disponible.

Putain ils assurent les gars incroyable ça déchire grave c’est vraiment dommage que Fred soit pas là il aurait kiffé grave en plus j’adore le look du type à la batterie faudra que je pense à me dégotter un blouson aux Puces un de ces quatre attends c’est quoi ça merde des pétards n’importe quoi ça craint c’est pas cool en plein concert oh merde non c’est pas des pétards putain ça tire là non je rêve ça tire sur nous putain ils déconnent là les gars de la sécurité y a un dingue qui nous vise ou quoi pas le choix je me jette au sol je vais ramper jusqu’à la scène et me planquer je rêve et dire que la semaine dernière on a encore fait l’exercice de PPMS avec les gamins j’ai passé l’heure à les rassurer je rigolais intérieurement je me disais que c’était du grand n’importe quoi leurs lois sur la sécurité l’état d’urgence tout ça bon cool mec respire un grand coup ça va le faire oh non la fille devant moi vient de se prendre une balle elle hurle et son ventre m’éclate à la gueule je détourne le visage une seconde trop tard quel con j’ai du boyau sur la joue mais je m’en balance complet parce que là ça tire de plus en plus fort je rampe comme un fou je ne vois plus rien j’ai du sang sur les yeux c’est un cauchemar bon ils font quoi là les flics elle est où la police putain de bordel quand on a besoin d’elle et les pompiers putain quoi merde on est en France en 2015 on paye des impôts pour être protégés non ça beugle de partout ça tire je crois qu’ils sont plusieurs j’ai vu des gens arriver à partir par des portes de derrière la scène semble vide mais je vais jamais arriver à passer les mecs et les nanas sont agglutinés au sol devant moi y en a des dizaines qui pissent le sang qui hurlent qui appellent leur mère je vois la blonde qui m’avait filé du feu dans la queue qui me regarde avec les yeux emplis d’effroi elle est touchée on dirait elle me supplie du regard de rester avec elle je cherche au fond de ma poche je tire mon bandana je lui file et je l’aide à entourer son bras ça pisse dru elle en a plein son chemisier blanc je lui murmure ça va aller reste cool reste au sol ne parle pas et juste là on entend les mecs s’approcher je vois rien j’ai la tête penchée vers le sol je bouge pas je suis couvert de sang et de bouts de cervelle putain pourvu qu’ils pensent que je suis mort putain Seigneur si t’existes et que là tu me files un coup de main je te jure je fais tout ce que tu veux genre je vais voir mes parents chaque semaine je touche plus un verre de ma vie j’arrête Tinder je passe le CAPES au lieu de jouer les contractuels depuis des années je me range des voitures putain je te jure attends là ça craint ils tirent apparemment sur tous les gens qui leur adressent la parole qui disent pitié pitié épargnez moi j’ai des enfants bam une rafale ils descendent tout ce qui bouge on est des lapins dans leurs phares ils nous foncent dessus comme des malades je veux pas voir ça je veux me réveiller Seigneur faites que je me réveille merde non ils m’ont touché je sens une douleur atroce qui explose mon genou ils m’ont tiré dessus les salauds je bouge pas je mords ma main jusqu’au sang faut qu’ils croient que je suis mort je bouge pas un cil je suis un cadavre je suis un cercueil je suis ailleurs je n’existe pas putain on dirait que ça a marché ils sont partis à l’autre bout de la salle punaise je regarde vers le bas mon jean est rouge vif je chope un truc qui traîne par terre sous une nana qui regarde vers le ciel vide avec ses grands yeux ouverts horrifiés je crois que c’est un tee shirt il est plein de trucs mouillés mais je m’en sers comme d’un garrot putain voilà enfin ça me sert de m’être farci la formation de secouriste l’an dernier allez mon gars t’es fort t’es un killer tu vas t’en sortir t’es John McClane je sais maintenant pourquoi je préfère Bruce Willis à Woody Allen au moins ça peut servir de bouffer des pizzas devant Piège de Cristal allez respire t’es encore là attends je sens que je pars non c’est trop con pas maintenant non non putain c’est pas vrai ça a pas changé combien de temps je suis resté dans les vaps je glisse un œil à ma montre merde deux heures chuis resté deux heures dans ce boxon y a moins de bruit que tout à l’heure on dirait on entend presque plus rien sauf de temps en temps un sanglot ou un cri suivi d’une rafale ils vont finir par partir non c’est pas possible je les entends de nouveau s’approcher j’ose lever les yeux ils sont jeunes merde mon âge ils regardent de l’autre côté je me glisse sous un type qui a l’air complètement froid déjà je fous ma tête sous son torse et je prie putain je prie de nouveau Allah Vishnou Jéhovah Bouddha allez les gars qui que vous soyez je m’en tape je suis avec vous j’irai au temple chaque dimanche putain ils arrivent ils vont voir le mec bouger avec ma respiration pourvu qu’ils tirent sur lui il s’en fout il est mort putain allez ou alors qu’on en finisse tant pis pour tous ces pays que j’ai pas vus tant pis pour mon job de toutes façons j’y croyais à moitié tant pis pour ce putain d’amour de toutes façons depuis Mathilde j’y crois plus mais je jure je jure devant Dieu que si je m’en sors je prends mon billet pour NY et je lui hurle devant la Statue de la Liberté que je l’aime depuis des années putain quel con j’ai été de l’avoir laissée filer ils arrivent ils tirent mais ouf ils ont dégainé sur son bide la balle frôle mon visage mais je vais bien merci merci merci Seigneur et puis merde ça tire encore non ils sont encore plus nombreux mais c’est pas vrai ah non on dirait que les flics sont là enfin j’espère je vois des corps qui bougent autour de moi je croyais que c’étaient des cadavres non c’était un leurre c’est l’armée des ombres ou la nuit des morts vivants je sais pas mais bordel on dirait le clip de Thriller du coup je tente de me relever aussi je pousse un beuglement d’enfer mais c’est bon plus personne ne tire j’essaye de ramper sur un côté et là la blonde de tout à l’heure qui tient un mec par la main me dit de la suivre elle me tend l’autre main on avance éclopés débraillés ensanglantés on gémit y a des grands gars en cagoule et uniforme qui nous montrent une porte je passe sur des dizaines de corps à terre y a des jeunes des vieux des gamins des couples encore enlacés les yeux grands ouverts une gamine éventrée un vieux motard barbu qui fait un doigt d’honneur dans son sang y a des trucs horribles genre on dirait la Syrie ou les camps de la mort mais je m’en fous je suis là je vais peut-être m’en tirer je sors c’est la nuit mais c’est fini fini fini

 

ou pas

 

 

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https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/je-suis-pays-de-france-et-je-me-tiens-debout-un-an-pres-les-attentats-lhommage-dune-toulousaine-aux-victimes_3773478.html

Des mères, de leurs fils et des lumières qui deviennent des nuits… #Barcelone #attentat

Goya, Saturne.

Elle était belle, ta maman. Je l’imagine, toute fière de te serrer dans ses bras, tu avais ces yeux de braise, aussi flamboyants que le soleil sur le Riff, et puis tu ressemblais à ton père, et tes parents t’aimaient.

Elle passait tendrement la main sur tes cheveux tout brillants de la sueur de l’enfance, le soir, en te murmurant des comptines qui parlaient de palmiers et de mirages, d’espérances et de grand vent.

Ta maman, tu lui tenais souvent la main, parce que tu n’as pas toujours été ce guerrier sûr de toi, non, tu étais un petit garçon tendre et affectueux, et elle te nommait « habibi », et tu te cachais en riant derrière les coussins brodés, et elle te trouvait en éclatant de rire aussi, et à la tante Fatima elle disait toujours :

  • Tu vois, mon fils, comme tu le vois il ira loin, il sera docteur, ou peut-être avocat.

Ta maman, je ne sais pas très bien si elle t’a élevé dans les Quartiers Nord de Marseille ou dans un village de l’Atlas, ou peut-être sous le soleil d’Alep ou dans une rue fleurie d’Andalousie, mais je suis certaine d’une chose, c’est une maman, une de ces mamans douces et bienveillantes, qui t’a sans doute gavé de sucreries et de loukoums, qui a essuyé tes larmes, la nuit, lorsque tu faisais des cauchemars parce que le maître criait trop fort, et qui longuement t’a bercé pendant les fièvres de l’enfance.

Elle était belle, aussi, cette maman qui tenait la main de son fils sur les Ramblas. Elle sentait, elle aussi, comme sentent les mamans, tu sais bien, ce mélange de vanille et de fleur d’oranger, elle souriait à son petit garçon, et ce petit garçon te ressemblait, on aurait dit un jumeau de celui que tu étais quand tu tenais la main de ta maman, et il faisait beau sur Barcelone, et cette maman qui aurait pu, peut-être, pourquoi pas, par le hasard des rencontres, de la génétique, de la vie, être TA maman, cette maman tu l’as délibérément écrasée, comme on écrase un insecte nuisible d’un coup de pied rageur ; tu as tenu le volant entre tes mains et tu t’es imaginé être Dieu, tu as eu soudain le droit de vie et de mort sur cette femme qui avait enfanté comme ta mère t’avait enfanté et tu l’as réduite en bouillie, et son fils aussi, et tout ce sang rouge qui a coulé t’a mis en joie, puisque tu as continué, au volant de ta camionnette blanche.

 

Elle est magnifique, ta sœur. Tes parents l’ont appelée Nour, parce qu’elle a été la lumière de leurs vieux jours, et tu te souviens encore de la fragilité de ce petit être qui peu à peu est devenue cette gazelle souriante dont tous tes amis étaient fous amoureux.

Vous étiez si complices, t’en souviens-tu ? Je ne sais pas si c’était devant les dessins animés de TF1 ou sur la plage de l’Escala ou en courant dans les allées encombrées du souk, mais vous vous adoriez, et puis en grandissant vous avez lu les mêmes livres, c’est toi qui l’as accompagnée le jour de son entrée au lycée, tu étais fier et protecteur.

Ensuite, tu as tout fait pour qu’elle te suive dans tes cheminements, mais elle était têtue, la petite Nour, devenue Nour l’indomptable, elle se moquait même de toi quand elle te voyait partir de plus en plus souvent à la Mosquée, et elle t’a carrément ri au nez quand tu as voulu lui faire porter le voile intégral.

  • Mais tu es majnoun, frère ? Tu m’as bien regardée ? Je ne suis pas Beyoncé, mais je me sens bien comme ça, je me sens belle et libre, et je n’ai pas besoin de me voiler pour afficher ma foi. La lumière du Prophète brille dans mon cœur.

Est-ce à elle que tu as pensé, aujourd’hui, en fonçant sur ce groupe d’adolescentes en short, leurs belles jambes brunies battant gaiment le pavé des Ramblas, leurs cheveux au vent qui ondulaient tandis qu’elles chaloupaient en pouffant, se tenant par la taille ? Elles auraient pu être tes sœurs, belles, libres, jeunes et fières de leur beauté et de leur jeunesse. Chez elles, en Chine, en Belgique, en Allemagne, en Grèce, il y a sûrement dans chacun de leurs foyers un frère en train de hurler de douleur à l’idée que jamais plus il ne rira, un beau soir d’été, en regardant les étoiles, avec sa petite sœur. Parce que toi, au volant de ta voiture folle, tu as délibérément écrasé ces sœurs qui auraient pu être les tiennes, sectionnant leurs artères, brisant leurs os, réduisant leurs voix et leurs âmes au néant.

 

Et ton ami Juan, t’en souviens-tu ? Vous vous étiez rencontrés sur les bancs de la fac, ou peut-être dans un atelier de chaudronnerie, ou encore devant une agence pour l’emploi, à Perpignan, ou à Madrid, ou à Rome, est-ce si important ?

Juan, comme un frère pour toi. Tu te souviens encore de cette première soirée passée à regarder la Finale, vos cris, les bières partagées, parce qu’à cette époque tu n’étais pas le dernier à lever le coude, et puis votre virée en Andorre, et puis les vacances au camping vers Narbonne. Juan, toutes filles n’en avaient que pour lui mais tu n’étais pas jaloux, et vous pouviez parler des nuits entières, ou simplement rester là, au pied de la Cité, à fumer des pétards, à l’époque où tu en fumais encore, à moins que vous n’ayez partagé des manifs et des colloques…

Il était là, Juan, tu ne le savais pas, tu ne l’as même pas reconnu, de toutes façons cela fait des mois, des années que tu ne l’as plus vu, lui, ton presque frère, ton jumeau astral comme disait sa mère que tu aimais tant aussi, la douce Carmen, justement, elle se tenait devant ce petit magasin avec son fils que tu n’as pas reconnu car tout s’est passé si vite que quand tu l’as heurté de plein fouet et sa mère aussi, tu n’as rien vu, ni leurs visages soudain déformés par l’indicible douleur, ni leurs corps déchiquetés, tu as juste entendu le bruit épouvantablement sourd du choc et tu t’en es réjoui car tes nouveaux amis, les Barbus, t’avaient ordonné de faire le plus de dégâts possibles et tu as obtempéré, tu as donc aujourd’hui tué des mères qui auraient pu être ta mère, des enfants qui auraient pu être tes frères et sœurs et des jeunes qui auraient pu être tes amis, peut-être même Juan, ton ami, et moi je te demande comment tu en es arrivé là, ce qui s’est passé pour que le petit garçon tendre que tu étais, l’adolescent timide, le travailleur acharné, ou peut-être l’étudiant rêveur, ou encore le chômeur taciturne, mais sympa, serviable, toujours prêt à donner un coup de main, pour que ce fils, ce frère, cet ami devienne un assassin, un tueur en série, un tueur à gages à la solde des Mafieux de DAESH, et au-delà du fait qu’il est hors de question que nous cédions d’un pouce à l’asservissement de la terreur et que cette terreur devienne aussi douce qu’une habitude, j’exige de nos gouvernants qu’ils prennent la mesure des enjeux psychologiques de ces embrigadements, de ces détournements d’esprit qui font de nos jeunes des bêtes immondes.

 

Je ne sais pas où tu as oublié que ta mère t’avais aimé, jusqu’à trouver la force d’aller de sang-froid tuer des dizaines d’autres mères, je ne sais pas qui t’a ordonné de vouloir mettre ta sœur en cage et sous verre et sous voile et même, au-delà, d’oublier que tu avais aimé cette jeune fille jusqu’à aller en pleine conscience en écraser d’autres qui lui ressemblaient, je ne sais pas pourquoi tu as oublié que tu avais des amis qui comme toi riaient et buvaient de la bière en écoutant du rock pour t’imaginer aujourd’hui faire la justice en ce monde et assassinant tous ces jeunes qui innocemment s’amusaient sur les Ramblas, mais il me semble qu’il est urgent de renouer avec l’éducation, avec l’idée de la déradicalisation, car c’est possible, les Allemands et les Alliés nous l’ont prouvé après le nazisme, quand eux aussi ont réussi à transformer un peuple de délateurs zélés, de partisans illuminés et de racistes fous en une nation partenaire, respectueuse et engagée dans la défense des Droits de l’Homme et des valeurs de paix.

 

Je ne connais pas ton nom. Peut-être es-tu, ce soir, mort, comme l’assassin de ma ville rose, dont je n’écrirai même pas le nom, qui avait été tué après avoir abattu d’une balle dans la tête la petite Myriam, et les enfants du rabbin, et le rabbin, enfants qui là aussi auraient pu, qui sait, être ses petits frères, s’il avait vu le jour de l’autre côté du périf, sur l’autre berge de Garonne ou dans l’autre quartier de Jérusalem…Toutes ces vies croisées, celles des victimes et celles de leurs assassins, toutes ces explosions, tous ces hurlements, quand au départ il y a eu toujours la même histoire : celle d’une mère qui tendrement donne le jour et le sein à un enfant.

Une mère te pleure sans doute ce soir, toi, odieux meurtrier devenu enfant soldat de DAESH, toi qui as osé ôter tant de vies quand cette mère t’avait donné la lumière.

Je ne veux en aucune façon t’excuser, et je pense que si tu avais touché à un cheveu de ma famille je serais peut-être venue en personne t’arracher les yeux. Mais je souhaiterais que nos sociétés, en urgence, mettent en place des réflexions et surtout des actions efficaces de lutte contre la radicalisation.

J’aurais voulu te parler de la France…#Nice

 

Ich bin eine Berlinerin!

Je suis Charlie ou l’Invincible été

Je suis Pays de France, et je me tiens debout

Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore

Cinq façons de ne pas devenir fou après un attentat #Bruxelles

Little girl from Manchester…

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Little girl from Manchester…

Aucun texte alternatif disponible.

Little girl from Manchester,

Come with me and take my hand:

You have to listen to the rainbow,

Just become light, forget the shadow!

Our song so glad like a funny big band…

**

Come with me, the sun is waiting,

Don’t be afraid, the night is shining.

**

Little girl from Manchester,

All your dreams a blossom in the night…

Your sweet laugh like butterfly’s dancing,

Stay like a princess in roses, so charming,

Whisper of gold calming your soul, so bright.

**

Come with me, the sun is waiting,

Don’t be afraid, the night is shining.

**

Little girl from Manchester,

The entire world is singing with you

And you can be sure we’ll never forget:

In the raindrop, in the smiles forever and yet,

In every second: eternity will come true.

**

Come with me, the sun is waiting,

Don’t be afraid, the night is shining.

Rassemblement à Albert Square, mardi 23 mai.

Rassemblement à Albert Square, mardi 23 mai. BEN STANSALL / AFP
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/05/24/a-manchester-il-s-en-est-pris-a-des-enfants-avec-des-serre-tetes-en-forme-d-oreilles-de-chat_5132927_3214.html#Oveo5sYsRCayGE3y.99

Dédié à Saffie Rose Roussos et à toutes les victimes…

Dedicated to Safie Rose Roussos and to all the victims…

***

Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore

Les trois lumières…Une fiction qui recoupe tant de réalités…#migrants

 – texte écrit à l’été 2015 pour le Prix Hans Bernhard Schiff…Le thème était:  » Tout ce qui nous a animés a disparu. »

Je n’ai pas gagné ce prix… Mais tant de Migrants continuent de traverser mers et frontières… Accueillons-les!

La petite Mercy, une heure après sa naissance.
http://www.varmatin.com/faits-de-societe/mercy-37-kg-est-nee-ce-mardi-matin-a-bord-de-laquarius-123339

Trois lumières. Trois lumières avaient guidé leurs pas depuis des millénaires : car les habitants de Lalesh, « le levain », au cœur de la vallée de Ninive, racontaient fièrement qu’ils vivaient au centre du monde, dans ce creuset où s’embrassaient la vieille Europe, l’Asie millénaire et les effluves du golfe arabo-persique…Et ils accueillaient les pèlerins yézidis avec une immense bienveillance, les guidant vers la grotte sacrée sise au fond du temple, vers ce lieu saint où il convient de se laver à l’eau lustrale de la source avant de jeter un tissu sur la roche et d’allumer la torche de vie.

Oui, les Yézidis aimaient à se dire les gardiens de ces frontières de sable et de roche, en leur pays sans nation, eux, le peuple sans terre, passagers de ce Kurdistan irakien, absorbeurs des lumières des grandes traditions qui certes avaient produit l’Histoire, mais au prix de tant de déboires que, somme toute, ils préféraient rester ce peuple du secret, à l’image de leur temple enfoui dans la montagne…

Salim et Adi, assis dans la grande tente de la Croix-Rouge, fixaient les trois lumières des lampes torches d’un regard vide de toute expression. Les deux frères, âgés de dix et quatorze ans, avaient sombré dans le mutisme depuis plusieurs semaines. Ils regardaient les lueurs aveuglantes des plafonniers, mais ne voyaient que la nuit. Cette nuit de terreur innommable qui durait depuis que les hommes de ce pseudo-État avaient détruit tout ce en quoi ils croyaient depuis leur enfance.

Là où régnait la douceur des mains maternelles, en ce pays de l’enfance, demeurait à présent l’aspérité des sabres qui avaient décapité leur père, leurs oncles, leur grand-père et tous les hommes du hameau proche de celui de Lalesh. Là où s’élevaient les mélopées des femmes lavant les tissus chatoyants au lavoir, hurlaient dans leurs mémoires les vociférations et les insultes de ces barbares sanguinaires qui s’étaient amusés à noyer tous les nouveaux-nés du village dans l’innocence de la fontaine. Là où brillaient les lampes du savoir transmis de génération en génération par une culture millénaire, ne balbutiait plus que le souffle opaque du vent, ce vent qui n’avait pas réussi à couvrir les plaintes et les cris des jeunes filles souillées à même la terre par les hordes incultes.

Un infirmier souleva la bâche de toile et sourit aux jeunes garçons ; il s’adressa à eux en anglais, car il savait qu’ils ne parlaient pas un mot de français, et leur expliqua qu’ils allaient être transférés de Calais au Luxembourg, dans un foyer qu’il nomma « Lily Unden ». L’homme parlait lentement, tentant de fixer l’attention des jeunes gens ; il leur dit qu’ils retrouveraient des gens de leur peuple dans ce foyer, qu’ils se sentiraient moins seuls. Il leur dit aussi que ce foyer était tout neuf et portait le nom d’une femme qui avait été arrêtée pendant la deuxième guerre mondiale et torturée à Ravensbrück. Elle avait été résistante. En entendant ce mot, Salim, l’aîné des garçons, tressaillit. Il se souvenait de cet homme, un très vieux juif, qui leur avait rendu visite au hameau ; c’était un ancien professeur qui faisait des recherches sur leur religion, et Salim se remémora les récits au sujet de ces enfants brûlés, de ces femmes torturées, de ces vieillards exterminés. Il releva la tête et parla, pour la première fois, s’adressant à l’infirmier dans un anglais hésitant :

  • Daesh is like Hitler. We have to resist.

Salim et Adi ne revirent jamais leur mère ni leurs sœurs. Ils apprirent, de longs mois plus tard, par une cousine ayant réussi à s’échapper, que les trois fillettes de six, huit et douze ans avaient été violées pendant plusieurs semaines avant d’être décapitées. Ils ne purent jamais savoir ce qui était advenu de leur mère adorée. Souvent, les deux adolescents plongeaient dans la souffrance sans nom de ceux qui ont perdu jusqu’à leur ombre, orphelins même du soleil. Mais lors de leur séjour au foyer Lily Unden, juste avant leur départ pour une nouvelle vie, ils eurent la chance de prendre quelques cours d’histoire européenne tout en apprenant des rudiments de français. Et un soir, dans la petite chambre lumineuse que les deux frères partageaient, en observant les hirondelles tournoyer dans le ciel d’azur qui ressemblait tant à celui qui surplombait leur ancienne vie, Adi dit à son aîné, le dardant de ses yeux de braise qui semblaient briller à nouveau de l’incandescence de l’enfance :

  • L’Europe, l’Asie, la Perse : trois civilisations. Le Luxembourg, la Lorraine, la Sarre : trois régions.

Salim prit son petit frère dans les bras et lui chuchota à l’oreille qu’il l’aimait et qu’il ne le quitterait jamais. Sous la nuit étoilée du printemps qui berçait le Limpertsberg de ses parfums entêtants, le jeune homme sourit.

***

La frêle embarcation tangue dangereusement. Alganesh tente de s’agripper à un cordage, mais c’est presque impossible d’une seule main. Dans son bras droit, elle serre sa petite Sofia, blottie dans le pagne multicolore, sa princesse, son étoile, dont les prunelles d’un noir de jais observent le dôme immense du ciel obscurci par la tempête. Ils sont si nombreux, sur ce rafiot de misère, parqués par les passeurs de mort dans ce qui n’a de bateau que le nom, ballottés par les vagues qui se font océanes, mourant de soif, hébétés par la faim et la peur, que la jeune femme n’espère même plus une issue heureuse à sa fuite.

Pourtant, elle le sait, c’était la seule solution. Ses deux frères et son père ont péri dans les geôles érythréennes, torturés au camp d’Eiraeiro, et elle a vu mourir le père de son enfant sur la place de leur village, ne devant son propre salut qu’au sacrifice de sa mère qui s’est mise en travers des exactions de la barbaresque du régime. « Ade », a hurlé la jeune femme en voyant les coups mortels abattre celle qu’elle chérissait…Alganesh a accouché seule, dans l’immensité du mont Soira, hurlant en silence sous les roches tutélaires, avant d’embarquer pour cette Europe salvatrice en compagnie de centaines de compagnons d’infortune, son enfant accrochée à son sein et sa vie entière piétinée par la dictature.

Elle sait encore le goût des galettes tendrement confectionnées par sa sœur aînée avant que celle-ci ne soit violée et assassinée par les milices. Elle se souvient des palabres des Anciens au pied du dragonnier, et des courses folles des antilopes, gracieuses et libres, comme elle l’était quand, petite fille, elle rêvait de rejoindre les combattantes du FPLE…Elle revoit le ciel rouge de son Afrique bien-aimée, de ce continent qui n’est que pillages et destructions, comme si l’Histoire avait enchaîné les hommes aux fers d’un éternel retour de l’horreur, alors que cette terre nourricière regorge de mille richesses et des chatoyances infinies de cultures ancestrales…

Rouge, justement, la coque de ce vaisseau de pirates. Le choc frontal fait vaciller l’embarcation déjà épuisée par le poids des migrants. Noire, l’eau trouble envahie de cris et de terreurs. Jaune, la lune, dont l’incroyable placidité contemple le naufrage de ce radeau de la méduse plein de bruit et de fureur. Alganesh coule à pic, son enfant chevillée à son pagne, mère et fille suffoquent de concert ; autour d’elles des visages grimaçants s’entrechoquent sous la cale putride, et bientôt Mare nostrum sera à nouveau un cimetière.

Mais soudain une main solide perce le bois détrempé de ce vaisseau-cercueil et attrape la jeune maman par ses tresses. Elle aspire une grande goulée d’air en remontant à la surface, bientôt la petite Sofia est enveloppée dans une étoffe noire, rouge et or. Car le navire des sauveteurs bat pavillon allemand, et c’est dans un drapeau que les marins, émus, ont emmailloté le nourrisson transi.

Alganesh va bientôt partir vivre à Bruxelles, chez une cousine retrouvée par les services sociaux. Elle rêve déjà des pralines, du Gouda aux herbes qu’elle adore et des couleurs bigarrées d’Ixelles, cette corne de l’Afrique brusseloise…Aujourd’hui, elle a laissé son bébé aux joues potelées à une amie irakienne, dont le rire communicatif résonne comme une brise printanière dans la grande salle décorée de fleurs et de lapins du foyer de Saarbrücken. Car ce soir, ce ne sont pas les fossettes de son enfant qu’elle admirera, son émerveillement toujours renouvelé d’avoir réussi à quitter l’enfer. Non, cette nuit du 11 avril 2015 est celle de sa rencontre avec la musique de l’orchestre symphonique, grâce au réseau d’entraide aux réfugiés « Ankommen », qui permet à tout un groupe d’Érythréens, d’Irakiens et de Syriens de plonger dans l’univers des cordes et des cuivres…

La cinquième symphonie de Tchaïkovski emporte Alganesh loin, très loin de la Sarre ; les violons lui chantent les voix douces des ancêtres, les hautbois lui jouent les couleurs ocres des vallées, la contrebasse lui réchauffe le cœur comme un ardent soleil d’Afrique…Certes, ce qui était n’est plus. Mais ce qui adviendra sera. Alganesh est vivante, et son enfant aussi. Elle se tient bien droite, radieuse, belle comme la Reine de Saba.

***

Hassan…Hassan ne jouera plus jamais de piano. Il le sait, puisque la bombe a détruit non seulement le salon qui abritait son instrument, mais aussi ses deux bras. Il hurlera de longues, interminables heures, coincé sous les décombres, allongé près des cadavres de ses parents et de sa grande sœur, les mains, ces mêmes mains qui, quelques heures auparavant, jouaient Chopin et Ed Sheeran, atrocement mutilées. La nuit syrienne sera zébrée d’éclairs. Au matin, quand les sauveteurs déblaieront les gravats et les morts, ils pleureront tous, en voyant le fils du professeur de musique, seul survivant, mais privé de l’usage de ses bras, orphelin du monde.

Hassan n’ira pas à l’enterrement de sa famille. Il sera sur un brancard de fortune, lacéré de souffrances, éventré de désespoir. Il entendra d’autres bombes siffler sur la ville, mais aussi les hurlements des blessés et les gémissements des mourants. Il respirera l’air vicié du dispensaire et imaginera les linceuls blancs de ses proches, déposés à la hâte dans cette terre sans cesse retournée, qui n’a plus assez d’espace pour accueillir les  trop nombreuses victimes.

Le jeune garçon ne reverra aucun membre de sa famille éloignée, car dès le lendemain il sera évacué par un convoi qui le conduira au-delà des cèdres et des pierres blanches de son village. Il sera ballotté de camion en bateau, de navire en train, de camp en asile, de foyer en hôpital, quand les plaies de ses moignons se seront ouvertes mille et une fois. Il criera des nuits entières en réclamant sa mère, lui, le garçonnet de cinq ans qui jouait certes Mozart, mais qui aimait plus que tout les caresses maternelles sur son beau front intelligent et les chatouilles de son père adoré.

Il oubliera jusqu’à son prénom au fil des traumatismes, il manquera couler à Lampedusa, rencontrant, une froide nuit de décembre, une belle jeune femme portant un bébé ceint d’un drapeau allemand, mais il se souviendra longtemps du baiser très très tendre que cette maman lui fera sur ses joues mouillées de larmes, lui psalmodiant une mélopée qui le calmera le temps d’une nuit. Il arrivera à Calais, et partagera un repas avec deux garçons qui semblaient être des frères. Le plus âgé le soulèvera jusque dans un fauteuil, au centre de la tente, et le plus jeune cherchera une cuillère qu’il portera patiemment à la bouche d’Hassan, le nourrissant gentiment en lui racontant des histoires drôles en anglais pour le faire sourire.

Un jour, Hassan sortira de l’hôpital avec des prothèses, car il aura pu profiter des soins d’une association qui, depuis des décennies, soigne les blessés de guerre. Il aura repris du poids, il aura appris de nombreuses phrases en français, il sera hébergé dans un centre de rétention messin, grâce à l’Ordre de Malte. Sa première rentrée se fera dans un cours préparatoire de primo arrivants, et il deviendra vite la coqueluche de l’école en jouant du piano avec ses prothèses. On le surnommera « Hassan aux mains d’argent » …

Les nuits seront difficiles, de longues années durant, même lorsqu’Hassan vivra en famille d’accueil. En rêve, il reviendra vers la lumière aveuglante d’Alep, et toujours respirera le parfum des oliviers et des cèdres du Liban. Souvent, il se réveillera en larmes, juste avant d’avoir pu jouer Chopin avec ses véritables mains, ou juste avant le baiser de sa maman.

Mais peu à peu il deviendra un grand garçon, un bel adolescent aux yeux de braise, un étudiant brillant, un pianiste de renom, un homme politique engagé, un père de famille épanoui, un citoyen français fier de ses origines, un européen convaincu, et un habitant heureux du Sarr-Lor-Lux. Il épousera une jeune fille nommée Sofia, d’origine érythréenne. Et se liera d’une amitié indéfectible avec deux frères venus du Kurdistan irakien, retrouvés lors d’un concours de piano à Bruxelles, qui, eux, se souviendront de leur première rencontre, alors qu’Hassan aura occulté ce souvenir. Bien après le repas partagé à la friterie de l’avenue Louise, ils seront ses témoins de mariage.

***

Ce jour-là, dans l’éblouissante lumière estivale, comme si le ciel de Bruges fredonnait d’allégresse, on a entendu des chants africains chantés par la chorale de la mère de la mariée. Puis sont récitées des prières yézidies venues du fond des temps et du cœur intime des hommes. Enfin, avant de se lever pour rejoindre la mariée sous les youyous des invités, Hassan jouera, au piano, l’Hymne à la joie.

http://www.pfaelzischer-merkur.de/kultur/Saarbruecken-Cellokonzerte-Eritrea-Geige-Orchester;art448935,5708761

http://www.varmatin.com/faits-de-societe/mercy-37-kg-est-nee-ce-mardi-matin-a-bord-de-laquarius-123339

Esther Ada

 Un seul nom

 demeure sur les tombes

 de Lampedusa. Elle avait dix-huit ans

 et la grâce des gazelles.

 Tant de mains suppliciées

 disparues au charnier azuréen

 des poissons avides. Mare nostrum,

 un cimetière.

Je te nomme, seule, Esther Ada,

 rescapée des fosses communes du silence,

 je t’adoube immortelle.

Une survivante du Titanic portait ce même nom.

#400notjustanumber! Le silence de l’amer…

Lettre à Myriam, 5 ans après la tuerie de Toulouse…

Texte paru le 22 mars 2012 dans le Huffington Post.

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam/

 

Si tu savais, Myriam, comme j’aurais aimé t’avoir comme élève…Oh, je ne sais pas si l’allemand est enseigné dans ton école, mais j’imagine qu’un jour, peut-être, tu aurais eu envie d’en apprendre davantage sur « la langue des bourreaux », qui, bien avant qu’on ne la nomme ainsi, avait été celle des « Penseurs et des philosophes »…Je t’aurais parlé de Rilke, Myriam, et de Celan, allemand ET juif, et puis nous aurions vu ces images de réconciliation, ces images d’au-delà du Pardon…Je sais bien que tous les Kippour de l’éternité ne suffiraient pas à pardonner à mes ancêtres ; mais nous pouvons essayer, n’est-ce-pas, essayer de parler de poésie, aussi. Si tu avais été un jour mon étudiante, Myriam, je t’aurais dit que je ne suis pas d’accord avec Adorno, car je pense que la poésie doit exister, même après Auschwitz. Mais tu sais, ce soir, j’en doute. Ce soir, j’ai froid. Ce soir, tu me manques, même si je ne te connaissais pas.

J’aurais tellement aimé te croiser un jour, dans notre ville rose, petite fille jolie et rieuse. Tu aurais traversé les allées du Jardin des Plantes en courant, ou tu aurais mangé une glace chez Octave, toute barbouillée de framboise -bon, peut-être pas chez Octave, car je ne pense pas qu’ils fassent des glaces casher, là bas, mais bon, tu comprends bien ce que je veux dire.

Au lieu de ça, ma belle petite Myriam, c’est de sang qu’il t’a barbouillée, l’Immonde, la Bête, le Monstre. Et tu as eu beau courir, il ne t’a laissé aucune chance.

Oui, ma Myriam, j’aurais aussi voulu te voir, un peu plus grande, pouffer de rire avec tes copines dans les travées des Nouvelles Galeries, ou chez Virgin. Car bon, bien sûr, ta maman t’aurait un peu interdit de te maquiller, mais tu aurais bien fini par y aller, à Monoprix, et aussi chez Zara, et puis pour la Bar-mitsva de ton cousin, vous vous seriez toutes retrouvées au Bibent, à comploter sous la magnifique coupole, vous murmurant des secrets, racontant les derniers potins de l’école. Oui, Myriam, je le sais bien ; tu aurais ressemblé à toutes les jeunes filles de Toulouse, aux Virginie, aux Laurie, aux Nour, même, tu sais, celles que j’ai cette année comme élèves, qui rigolent comme des tordues, elles aussi, même lorsqu’elles portent le voile le vendredi. Parce qu’elles aussi, sous le voile, elles sont comme tout le monde, avec des paillettes et du gloss, et puis ne va pas croire qu’elles n’écoutent que Khaled, tiens, bien sûr que non, elles écoutent Justin Bieber et Lady Gaga, comme tu l’aurais fait aussi…

Mais tu n’écouteras plus jamais de musique, ma chérie, parce qu’un autre que toi a oublié que, lui aussi, quand il était plus jeune, il écoutait du rap et du r n’ b, et puis même du métal, va savoir… Je m’en souviens bien, de ce jeune garçon encore innocent. Je l’ai sûrement croisé, au LIDL de la gare, ou au Florida, ou aux Puces, un dimanche, à Arnaud-Bernard… Il aura sans doute souvent traîné avec des frères et ses cousins autour du lac de la Reynerie, et puis le samedi il descendait notre rue Saint-Rome, et il faisait le mariol devant les filles de la cité, sur son scoot. Un scoot, oui, Myriam, tu te rends compte ? Ce garçon là a eu un scoot, bon, allez, on ne va pas raconter qu’il l’avait peut-être volé, non, faisons lui confiance, le moment est très mal choisi pour étaler des lieux communs, on va simplement dire qu’il l’avait acheté à un cousin. Un scooter, oui, comme celui…

Myriam, Myriam, comme tu aurais été belle, le jour où je t’aurais croisée, à l’EdJ, à notre Espace du Judaïsme, pour cette conférence de Jonathan, ton professeur de religion… Oh, je dis « notre », mais tu le sais bien, je ne suis pas juive. Je fais ma juive, parfois, je ne sais pas bien pourquoi, sans doute par culpabilité, parce que je suis à moitié allemande ; et puis depuis que, à peine plus âgée que tu ne l’étais le 19 mars, il y a deux jours, j’avais lu le Journal d’Anne Franck, je ne peux pas vraiment t’expliquer pourquoi, mais… Je me suis sentie proche de toi, de « vous », et puis voilà, j’ai beaucoup lu, j’ai parlé, j’ai rencontré des rabbins, des Justes, des amis. Oui, tu m’as vue, hier, lorsque je suis allée faire la minute de silence au Capitole, dans la belle Cour Henri IV, tu sais, « notre Bon Roi Henri », qui prêchait la tolérance, qui a aidé notre France d’autrefois à accepter le multi communautarisme, tu m’as vue, alors que j’écoutais le beau discours, simple et clair, de notre maire, Pierre Cohen : je l’avais mise, ma petite étoile de David, celle que j’ai achetée dans le Marais… Comme ça, parce que je voulais te dire qu’au fond de mon cœur nous sommes tous des juifs, tous des juifs allemands.

Aucun professeur, ma chérie, ma petite Myriam, ne t’expliquera plus qui a dit ça, il y a longtemps, quand on lançait des pavés, au joli mois de mai… Et puis je ne t’y verrai pas, non plus, dans cette superbe cour Henri IV, juste derrière le Capitole, quand tu aurais descendu les escaliers depuis la salle des Illustres… Personne ne te photographiera au bras de ton époux, devant le tableau d’Henri Martin, dans ta merveilleuse robe de mariée, et personne ne vous lancera des pétales de rose, ni ne brisera de verre, le jour de ton mariage. Tiens, j’ai revu La Vérité si je mens, avec mon garçon, à peine plus âgé que toi, et nous avions bien ri, lorsque Richard Anconina appelle le Rabbin « mon Père »… Comme j’aurais aimé rire un jour avec toi, Myriam… Comme j’eusse aimé que toute leur vie, tes parents te chérissent et rient à tes côtés, au lieu de t’accompagner vers ta dernière demeure…

La petite étoile, Myriam, celle que j’ai portée hier, je l’ai gardée, dans le métro. Il était bien désert, d’ailleurs, le métro. Tu sais, les gens ont peur, les gens sont vite lâches, mais je crois que ce qui t’est arrivé a été tellement insoutenable que plus personne n’a osé sortir. Oui, nous étions terrifiés. En tous cas, je l’ai gardée au cou, oui, même si c’est interdit d’arriver dans un collège public en arborant des signes d’appartenance religieuse – bon, tu sais, je souris, parce que dans mon collège, on mange hallal, mais… c’est un autre débat… Je voulais montrer à mes élèves, à mes Moktar, Ali, Rachida, comment on traitait les allemands pendant la guerre, je voulais qu’ils touchent cette étoile, parce que je trouvais intolérable que ce qui t’est arrivé soit en lien avec la Shoah… Et tu sais, Myriam, ils ont été contents : parce qu’au début de l’année, j’avais dû me fâcher: ils n’arrêtaient pas de vouloir parler du « Führer » en cours – tu sais bien, Adolf Hitler, tes grands-parents et tes professeurs t’en ont sûrement parlé…-, parce que tu vois, ces élèves là, ils confondent tout, ils écoutent ce qui se raconte dans les banlieues, et sur les chaînes de télévision câblées qu’ils regardent avec leurs parents… Alors ils confondent les millions de juifs morts de la Shoah avec les soldats israéliens qui tirent les roquettes sur Gaza, et… tu ne vas pas me croire, mais au début de l’année ils me l’avaient dit, ils « adorent Hitler » !! Alors bon, moi, c’est simple, je leur ai fait écrire sur le carnet de correspondance: « Il est interdit de prononcer le nom du Führer à tout bout de champ en cours d’allemand ».

Mais hier, donc, je leur ai permis d’en parler. Alors oui, Myriam, au début, ils ont souri. Mais ne t’inquiète pas. Très vite, j’ai vu dans leurs yeux qu’eux aussi, ils avaient très peur. Très très peur. Même Moha, qui faisait son malin. Et puis leurs mamans aussi, il paraît qu’elles n’avaient parlé que de ton école et de toi, le matin, dans les magasins de Bellefontaine, et puis ils ont encore un peu plaisanté, ils m’ont dit « Mais Madame, nous, on est tristes qu’ils sont morts. Ils auraient pu se convertir, ils seraient peut-être devenus musulmans, un jour… » Mais tu sais, moi, j’ai bien vu qu’ils étaient tristes, inquiets, et aussi leurs mamans, que j’ai croisées le soir, au conseil de classe. Tiens, pour la petite histoire, Myriam, je te raconte encore que la petite étoile, je l’avais enlevée, avant le conseil. Mais figure-toi que quand j’ai vu entrer une des mamans entièrement voilée, sauf son visage, dans la salle des conseils, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu un sursaut de colère, un sursaut d’intolérance. Je me suis dit que ce jour là, justement, notre « école de la République » aurait dû davantage jouer son rôle de creuset de la laïcité. Mais non. Alors, j’ai eu envie que tu sois un peu avec moi, dans cette école, dans mon collège, avec la petite étoile. Je l’ai donc bien ostensiblement sortie de mon sac à mains, et je l’ai mise autour de mon cou, comme pour dire « moi aussi, je suis libre »…

Et puis dans mon autre établissement, je m’étais fâchée aussi, tu sais. Parce qu’un de mes collègues, au moment même où nous venions d’apprendre qu’un homme même pas fou venait de te tirer par les cheveux avant de te loger une balle en pleine tête, après avoir tué trois autres personnes, dans votre école juive, avait osé prétendre que ce n’était pas certain qu’il s’agisse d’un acte « antisémite ». Tu vois, là, ma chérie, une colère immense m’avait envahie. Une colère aussi forte que mon chagrin. Devant la bêtise de mon collègue, de mon collègue aveugle, sourd et muet, comme les trois singes de l’histoire…

Ma chérie, je commence à employer des mots un peu trop compliqués. Pardon. C’est que j’oublie, j’oublie déjà que tu n’es plus là. J’oublie que jamais, jamais, jamais plus tu ne verras les hirondelles tournoyer au-dessus de Garonne ; que jamais plus tu ne te promèneras un soir autour de l’église Saint-Sernin, en respirant le parfum des tilleuls ; j’oublie que notre ville rose a perdu un de ses enfants, ou plutôt trois de ses enfants. Car les petits Arieh et Gabriel non plus n’iront plus courir le long de notre Canal du Midi. Plus jamais. Et leur merveilleux papa, le si brillant Jonathan, dont des centaines de lecteurs se régalaient de lire les commentaires théologiques, jamais plus, lui non plus, il ne s’assoira à une table de conférence pour nous enchanter de son savoir. Mais ne t’inquiète pas, non, je vais faire attention, je vais garder ton souvenir contre mon cœur, toujours. Et je n’oublierai pas non plus ces trois jeunes hommes si beaux, si confiants dans notre pays, qui sont tombés au champ du déshonneur de la République, un peu avant vous quatre… Abel, Mohamed, Imad… Je pense à vous…

Myriam, je vais te laisser. Je sais que depuis quelques heures tu reposes en paix, dans ta Terre Promise, et je vais chaque jour que notre même Dieu fait prier pour que tes chers parents trouvent la paix. En ce moment même, la Bête est traquée. Je n’ai pas voulu, ici, parler d’elle trop longuement. Elle ne mérite que mon mépris.

Je voulais, ma Myriam, te parler à toi, te dire que toute notre ville se joint à moi pour t’embrasser, pour t’entourer de lumière et d’amour. Je voulais te dire que tout un pays se joint à moi pour te serrer dans nos bras, pour accompagner ta mémoire, pour que cette façon que tu as eue de quitter la vie, cette façon si abominable que je ne peux même pas l’écrire, devienne comme un rempart contre les haines et les horreurs. Je veux, petite Myriam, que ton nom devienne celui de la paix, du respect, de la fraternité.

Je veux, Myriam, toi dont le nom ressemble à celui de « Marianne », que tu deviennes le visage d’une nouvelle France. D’une France du « plus jamais ça. » Je voudrais que notre futur président, celui qui était assis, aujourd’hui, aux côtés de ses « rivaux », dans une même cérémonie, qu’il soit d’un parti ou de l’autre, aide notre France à devenir la France de tous, pour que plus jamais la haine ne prenne le pas sur le respect.

Ton amie pour l’éternité,

Sabine.

***

Chère Myriam,

cinq années ont passé. Et bien du sang a coulé encore, en France, à Paris et Nice, dans une modeste église, en bord de mer radieux, dans une salle de rédaction et dans un concert joyeux; mais aussi à Bruxelles, à Berlin, en Tunisie, et aussi tant de fois dans de lointains pays à feu et à sang.

Je pourrais aussi te parler de tous ces actes odieux qui entachent notre démocratie, quand les loups noirs de l’antisémitisme n’ont plus peur de se cacher et hantent nos cités…

Sache une chose, ma belle petite amie: dans quelques semaines, au moment de voter, c’est à toi que je penserai, et à toutes les victimes des attentats, en espérant que notre pays ne basculera pas définitivement dans la haine et l’obscurantisme.

Je t’embrasse, petite étoile.