Les eaux comme orphelines ont grand soif de glaciers.
Brique en feu hébétée de la folie des hommes,
En miroir des fournaises où les tuiles mariées
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À lumière aveuglante semblent ciel asséché.
Saint-Sernin carillonne, son appel tel un glas…
Le Capitole brûle, grand oiseau affolé,
En Jacobins déserts le palmier parle bas.
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Toulouse l’Andalouse n’en peut plus de l’été,
Elle suffoque elle gémit elle quémande pitié !
Au Canal les platanes perdent déjà couronne…
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Rendez-nous l’allégresse de nos enfances enfuies,
Menthe à l’eau et piscine, les grillons dans nos nuits…
Nous devons solidaires stopper folies des hommes !
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(Haiku)
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ville rose a chaud
Dame Garonne meurt de soif
Capitole étouffe
(Poésie contemporaine)
Coudre mémoires des soleils
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Épure des soifs
été obsolescent
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Au Capitole en irradiance
coudre mémoires des
soleils d’antan
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Ombre absente
joue à colin-maillard
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Terre insulaire de
Garonne au lit défait :
Toulouse Andalouse
assassinée
(Prose)
Je voudrais qu’on me rendre l’été
D’aussi loin que je me souvienne, à Toulouse, en été, il fait chaud ! Mille rayons de soleils fous habitent ma mémoire… « Mais quel cagnard!/ Punaise, ça tape!/ Mets ta casquette, pitchoun, tu vas te prendre une insolation!/ … »
Oui, dans le Sud-Ouest, en été, il fait chaud ! J’ai grandi à Albi, et porte encore en moi le souvenir de cet été 76 où, rentrant d’un séjour en outre-Rhin, nous fûmes horrifiés par la pelouse jaunie et par les dahlias racornis… En été, disait ma grand-mère paternelle, on se tient à l’ombre. Me reviennent non seulement ces sensations de touffeur absolue en mettant le nez dehors au zénith, mais aussi cette agréable fraîcheur des cours des vieilles maisons, de cette ombre bienfaisante entre un catalpa et des hortensias au bleu intense… Une ou deux chaises de jardin un peu écaillées, les graviers qui crissent, odeurs de mousses, presque sylvestres : malgré les fortes chaleurs, se sentir bien, apaisé…
Avant d’arriver à notre maison de campagne, nous nous arrêtions parfois au café du village voisin. Parfum unique de cette grenadine ou de la menthe de l’enfance, vacarme des chutes de la rivière proche, canopée immense des tilleuls… Même aux heures chaudes du midi, on pouvait rester dehors, à l’abri des tonnelles… D’ailleurs, nos mères cuisinaient, des ratatouilles qui mijotaient longuement, et nos pères attisaient les braises du barbecue, en ces temps où l’on ne se pâmait pas encore devant des soupes froides et du tofu…
Oui, il faisait chaud ! Mais pas trop pour passer des heures entières le long du ruisseau qui demeurait glacé, à y bâtir moulins et barrages, les jambes bardées de nos méduses transparentes ; pas trop pour aller en expédition familiale à la rivière, pour s’y baigner malgré les anguilles et les vasières, pour y pêcher le goujon ; pas trop pour aller cueillir des bassines entières de mures, ou de prunes, ou d’abricots, dont nos mères faisaient, malgré la chaleur, de goûteuses confitures ; pas trop pour lire, allongés sur des lits de camp de camping, avant de disputer d’interminables parties de Monopoly ou de faire tourner Jean Ferrat sur l’électrophone.
Plus tard, ayant troqué le Tarn pour « ma ville », Toulouse, dans mon premier appartement du quartier des Chalets, l’astre était en contact direct avec notre vie de jeunes mariés, en ces années quatre-vingt où même les ventilateurs semblaient objet exotique, que l’on rencontrait dans des films dépeignant de poisseuses chaleurs amazoniennes… Depuis les trois vasistas, la lumière aveuglante faisait de nos aubes, déjà, des fournaises… Nous vivions à l’espagnole, dînant tard, puis sortant arpenter la place Saint-Sernin ou marcher vers Garonne, nous enivrant d’hirondelles.
Les étés d’Occitanie ont toujours été baignés de cette indicible lumière, aussi éclatante que celle que Cézanne peint sur Sainte-Victoire, aussi irradiante que les ors toscans… Toulouse l’Andalouse adorait ses étés de plomb, sa brique accueillant cette chaleur estivale en osmose parfaite. Car les nuits permettaient de reprendre son souffle, et puis on savait « tenir le frais » en fermant les persiennes et les volets. Rouge fier des tuiles et des briques rouges du Midi chères à Claude, bleu perçant d’un ciel infini qui promettait la Gascogne ou la mer, Toulouse chavirait de chaleur mais ne pliait pas.
Mais ça, c’était avant. Car notre belle ville rose, à présent, suffoque littéralement, accablée par un soleil torride. Bien sûr, la région a pour le moment été épargnée par les terribles feux dévastateurs qui embrasent la Gironde et la Bretagne, Toulouse a simplement très chaud. Mais cette chaleur est anormale, terrible, suffocante. Les organismes sont épuisés par les vagues successives de ce que l’on nomme à présent canicule…
Et comme il est paradoxal de vivre dans l’obscurité, de se terrer dans les pénombres où halètent poussivement les ventilateurs, de se cloîtrer dans nos intérieurs étouffants alors qu’au-dehors explose la lumière estivale ! Cette nuit permanente me donne l’impression de vivre aux alentours du cercle polaire, dans quelque contrée où seules les aurores boréales éclairent encore les cieux gelés… J’ai soif de vie, d’eaux étincelantes en rivières chantantes, de reflets sur les vagues, d’iridescences dans les sous-bois, quand le soleil darde à travers des futaies pour éclairer les fougères, j’ai faim de ces petits matins doux quand on va à la fraîche chercher le pain et les croissants, de ces après-midis où, alanguis, les vacanciers se balancent dans un hamac, bercés par les stridulations des cigales, les yeux éblouis de beautés.
Mes Mémoires d’Autan sont des miscellanées poétiques entremêlées de réflexions autour de l’être-soi d’un Sud-Ouest baigné par l’Atlantique et Mare nostrum, illuminé par nos campagnes gorgées de tournesols, et bien sûr surtout, pour moi, toulousain et tarnais ; alternances de nouvelles, d’essais et de poèmes en ancrage de cette terre d’Oc qui m’est chère, ces textes vivent au gré des méandres de Garonne et de l’Histoire ancienne ou contemporaine de la Ville Rose et du Grand-Sud…
Parfois, on se sent un peu infantilisé par cette « grosse mamelle tiède de l’éducation nationale » – citation que je dois à Denis Fontaine, professeur d’art plastique et artiste-, et on a envie de dépasser un peu ce monde qui est souvent le seul que l’on a connu, d’un statut d’élève à celui de professeur, après le bref passage à la case étudiante…
C’est aussi en ce sens que j’ai commencé à écrire, un soir d’avril 2008, le 30, plus précisément, en trébuchant sur les mots d’un poète amazigh sur un site de partage de poésie :
Poésie,poète et lecteur( dédié à Abdeslam Nassef )
Dédié à Abdeslam Nassef
Il y a poésie et poésie. Tout ce qui s’écrit et qui prétend être poésie ; n’est pas du tout poésie. La poésie est un besoin quotidien comme l’air ; c’est le pain spirituel du poète. Le poète écrit tout d’abord pour son plaisir. Tout poète qui écrit a une intention et il n’existe pas de création neutre ou d’écriture blanche et innocente. Le poète ne peut pas plaire à tout le monde. Le poète est un vieil enfant qui s’arme de mots pour casser le nez à ses aînés. Le poète est un révolté contre l’ordre établi. Le poète est engagé pour des causes sociales ou politiques. Le poète peut être mystique ou profane, romantique ou réaliste, surréaliste ou symboliste, imprécateur ou lèche-bottes, enfant chéri sous la tutelle paternelle politique et sociale ou enfant espiègle trouble-fête. Le poète peut être inclassable, hermétique, simpliste, fade, meneur de foules ou tout simplement prophétique. Le poète peut être nul ou talentueux. Le poète est toujours un être humain qui ne pourrait aucunement traiter des thématiques inconnues à ses semblables. Le poète doit être conscient de sa sensibilité, de sa motricité, de sa vocation, de sa signature, de ses limites, du respect de ses lecteurs et du devenir de sa création.
Au café au sein de la cacophonie, je me fraie mon destin de poète. Tel un prédateur, je guette les mots (la langue est un gibier rare et très prisé) au lieu de prêter oreille fine à la médiocrité lot des mentalités restreintes ; je leur tends mes pièges ; je veille à ce que l’appât soit attrayant et le piège bien camouflé et quand le mots mord dans l’appât ,il est sans faille pris dans le piège tendu de mains expertes. (…)
Le poème une fois composé et à la portée du lecteur ; c’est son destin d’être lu et commenté, apprécié ou déprécié par le lectorat. Les jugements catégoriques, les lacunes de lecture à la va-vite, l’acharnement à toujours vouloir coûte que coûte émettre un commentaire de la part du lecteur pourrait nuire au poème et au poète. C’est une passion que de lire un poème; c’est tout un plaisir et un art de que lire un poème. Si le lecteur au lieu d’émettre aveuglément et avec une ignorance évidente des commentaires blessants ou dénigrants, mieux vaudrait ne rien dire. Si le lecteur ignore comment apprécier un poème, ce n’est pas la faute à l’auteur ni à personne de même. La compréhension exige l’attention et l’intérêt. Le poète a son monde intérieur qu’il dévoile à peine car tellement jaloux de cette magie-là qu’il possède. Le poème est comme un enfant dont le poète a peur qu’il soit maltraité par le lecteur. Le poème qui mérite la survie survivra malgré tout. Le poète qui est reconnu l’est car il est véridiquement poète ; le vrai poète méconnu et mal compris sera ultérieurement reconnu. La beauté, la bonté, la sagesse, la générosité demeurent des vertus qui ne meurent.
Amitiés
Farid . »
30/4/2008 23:21
Plume d’or
Inscrit le: 30/4/2008
De: Neiges sud sapins lumières
Envois: 1148
Re: Poésie,poète et lecteur( dédié à Abdeslam Nassef )
Farid,
Au détour d’une douce et solitaire soirée en terre gasconne, j’ai trébuché sur ce site et me suis pris l’âme dans vos mots, d’une infinie sagesse, d’un beau réconfort.
Merci pour ce message d’outre-mare nostrum, aussi précis qu’un mirage qui se profile au détour d’une dune, muvant et ferme, défintivement vrai.
Je vous offre « ma »poétesse ce soir, celle à qui j’ai dédié un petit travail universitaire, « Rose Ausländer, une poétesse juive en sursis d’espérance ».
Puisse ses mots venir vous trouvez, sinon, je vous la traduirai.
Salam,
Sabine.
Oh, bien sûr, j’avais déjà balbutié quelques textes auparavant, rédigé mon mémoire de DEA sur la poésie de Rose Ausländer en 2005, et puis surtout commis année après année d’indigestes dissertations d’agreg au fil de mes tentatives de passages de concours -concours que je travaillais pas, d’ailleurs souvent, je ne lisais même pas les œuvres…Mon texte sur notre maison de campagne, « Les Rochers du Moulin du Roy », avait été publié dans la Revue du Tarn ; j’avais ébauché quelques textes pour un concours de nouvelles de… Marie-Claire !
Et un jour, étrangement, d’un seul coup d’un seul, le 30 avril, j’ai compris qu’il était temps de renouer avec le vœu pieux formulé dès l’âge de huit ans, quand j’avais écrit dans une rédaction que je voulais écrire, comme Andersen. C’est vraiment grâce à ce petit électrochoc de la rencontre littéraire, sur les pages d’expression de ce site, que je me suis soudain souvenue de la dizaine de cahiers que mon amie Marie-Claude et moi-même noircissions, sur les bancs du lycée…La poésie…Celle que nous avions découverte dans les cours de notre cher Monsieur Crostes, que nous déclamions, cheveux au vent, sur les rives du lac de la Borde-Basse, dévorant Rimbaud, Baudelaire, Eluard…Avant de coucher nous-mêmes nos émotions sur ces petits mots échangés en cours de maths (« petit mot », explication à l’intention des jeunes lecteurs : SMS écrit sur un bout de papier et passé de la main à la main dans une salle…) et dans nos cahiers…
C’est ainsi que je m’inscrivis sur « Oasis ». Sur ce site, je devins Rosam, puis Scarlett, puis Louandrea. C’est là aussi que je découvris les « réseaux sociaux », peu de temps avant Facebook (« Delechat », un poète d’Oasis et peintre, alias le talentueux Tony Sossi, devint d’ailleurs mon premier « ami Facebook » !), les joies des discussions en ligne, au gré des amitiés avec des poètes de tous les pays…
Car sur Oasis se retrouvent aussi de nombreux poètes du Maghreb. J’ai l’honneur de fréquenter depuis dix ans maintenant deux poètes marocains de grand talent, Farid et Mostafa, qui sont mes frères en littérature et en humanité. Même si nous ne nous sommes jamais rencontrés, j’ai un immense respect envers leur talent et nourris une réelle affection pour ces poètes ! J’ai d’ailleurs eu la joie de préfacer le dernier livre de Mostafa Houmir, dont les cartes postales ornent mon bureau…
Si j’ai pris différents « pseudos » pour écrire sur Oasis, c’est que… j’ai parfois pris part à quelques discussions houleuses, et ai été « bannie »… J’en souris aujourd’hui, mais Oasis est une grande famille, et, comme dans toute famille qui se respecte, il y a parfois des pleurs et des grincements de dents… Quoiqu’il en soit, même si j’ai bien peu le temps de participer à ce forum aujourd’hui, en raison d’obligations diverses, et même si les textes qu’on y trouve ne sont pas toujours du niveau de « la Blanche » de Gallimard, la poésie y est VIVANTE. Et à quelques encablures de la fin du Printemps des poètes et juste avant le Marché de la poésie, je voudrais insister sur cette parole poétique plurielle qui fleurit sur internet et qui est trop souvent oubliée et décriée.
Quelle désolation, en France, que ces querelles de clocher autour d’un art minoré de force, avec d’une part ces « concours de poésie «-vaches à lait des organisateurs qui parfois réclament des sommes folles et offrent ensuite trois poussières de livres et des « médailles », comme à des généraux-poètes-, et où l’on exige de surcroît souvent de la « poésie classique », et d’autre part les grandes maisons qui paradoxalement ne publient que l’épure de la modernité, loin de tout classicisme.
Car un bon poète est un poète « mort », ou alors un poète dont de rares mots, jetés sur page blanche comme neige fragile, nous interpellent faiblement, derniers mohicans d’un art compassé, qui se murmure en alcôves de mots, ou qui se beugle, lorsque les dits poètes se piquent de hurler leur modernité en festivals de rues, nouveaux baladins, faisant du poème un gueuloir…Et il est bien difficile d’oser se « dire poète » (mais je le fais…) si l’on n’est ni un chantre de la poésie moderne si « minimaliste » et surtout sans rires, sans vers (le vers, c’est péché…), souvent sans musicalité, ni un « bruissonnant » , s’époumonant au gré de scènes ouvertes dans d’étranges variations vocales…
Au milieu de ces assourdissants silences, circulant presque sous le manteau, se vendent les « revues », caviar intellectuel circulant parmi une élite d’initiés… Pour « en être », bien sûr, il faut se plier aux carcans de la modernité, car l’alexandrin en est banni, le sonnet chassé, et la rime exilée.
Mais tout autour, loin des places fortes -et souvent un peu élitistes, parisiennes, boboïsées…- que sont les manifestations publiques dédiées, se pressent donc ces milliers d’internautes poètes et/ou amoureux de la poésie, décriés par certains, car dépeints comme maladroits, et parfois méprisés, car traités ouvertement, sur d’autres forums ou dans des essais, d’incultes…Alors que leurs mots sont merveilles vives, cristaux de vérité, pépites parfois…
Car la poésie VIVANTE, c’est aussi la leur…Et je tenais ce soir à remercier l’équipe des créateurs et modérateurs de m’avoir accueillie en ce lieu qui m’a…donné des ailes…
Merci aussi infiniment à mon amie Geneviève, qui a créé tout au long de ces années de magnifiques mises en pages à mes textes et m’a toujours été un précieux soutien…
Et bien sûr à Adeline, créatrice du site.
Tout naturellement, un jour, je suis redevenue « Sabine Aussenac ». L’écriture m’avait beaucoup aidé, d’ailleurs, durant de longues et sombres années où, suite à un divorce international et aux escroqueries de mon ex époux, je m’étais retrouvée confrontée à une descente aux enfers, subissant un surendettement et une lourde paupérisation. Il n’a plus jamais été question de me taire, vis-à-vis de quiconque.
26/12/2009
Quand on connaît Voltaire on ne peut plus tomber
On m’a dit de me taire et je me suis levée :
Quand on connaît Voltaire on ne peut plus tomber ;
Quand on meurt seul à terre en pays dépeuplé,
En songeant à naguère et aux vents déployés.
On m’a dit de partir, alors j’ai insisté ;
Tous ces mots à franchir, et Verlaine qui pleurait…
Mon cœur git en déroute, éternel vagabond :
Un métèque qui doute, sans logis et sans nom.
On m’a dit de l’attendre, alors j’ai patienté.
Quand on aime on est tendre : Othello le sentait.
Ophélie sans ses voiles, en apnée des soleils,
Orpheline ou marquise :je bois l’eau des merveilles,
Mais demeure insoumise aux apprentis tyrans.
Balafrée en mon âme je provoque à tous vents.
Voilà, la boucle est bouclée : il est des choses qui perdurent, de l’enfance à la mort, quand on sent qu’on doit aimer cet enfant qui veille en nous et qui, déjà, devinait nos routes. Mon écriture a grandi, s’est déployée différemment ; j’ai remporté de nombreux concours de poésie, mais surtout de nouvelles, j’ai écrit deux romans, (Jim, si tu me lis…), je « blogue », couvre des festivals… La poésie m’arrive aussi parfois en allemand (j’ai remporté le prix de poésie de Hildesheim) et en occitan…
Et j’aimerais qu’elle aussi prenne une place essentielle dans la société, qu’elle ne soit pas cantonnée à un seul « Printemps des poètes » de quelques semaines, ou à un seul « Marché » parisien… Puisque mon ministre a décidé de « revenir aux fondamentaux », je souhaiterais aussi que les enfants aient la possibilité d’apprendre à nouveau des poèmes par cœur, de découvrir, au fil de leur scolarité, les auteurs, leur lecture et leur déclamation…
Internet, vous le voyez, est merveilleux. Bien utilisé, il nous permet de superbes voyages et des échanges passionnés. La poésie y est vivante, sachons la débusquer, la partager. Je salue ici tous les auteurs de notre « Oasis » qui m’a été terre adoptive. Et bien sûr les merveilleux poètes que j’ai aussi eu l’occasion de croiser sur d’autres réseaux sociaux, que je lis avec un infini plaisir. Certains, reconnus et édités, parcourent le monde et lisent leurs textes au Festival de poésie de Sète, d’autres font simplement le bonheur de leurs lecteurs, sur la toile ou ailleurs… Salah Stétié, Khal Torabully, José Le Moigne, Volker C. Jacoby, Jacques Viallebesset, Suzanne Dracius, Éric Dubois,, Martine Biard, François Teyssandier, Xavier Lainé, Evelyne Charasse, Mohamed El Jerroudi, Robert Notenboom, Élaine Audet… je vous embrasse !
Pour terminer, je souhaite vous offrir les mots d’une merveilleuse poétesse iranienne dont le fils, Hossein, un ami, avait traduit en persan « ma » poétesse de la Shoah, Rose Ausländer.
***
PS : Bon anniversaire, chère Marie-Claude, enfant du premier mai et des libertés…
06/08/78…
« Le ciel Une maison bleue Un champ de blé Des fleurs Une fille Une guitare Des enfants Des gens Elle parle quatre langues A étudié Hölderlin et Dante C’est sa maison Perdue au milieu des bois C’est sa vie Souvent entourée d’amis Manger son pain Pétri à la main Et les fruits de son verger Soleil Bonheur A travers chaque sourire On offre son cœur Plus de rancœur Culture intelligence Mais plus de concurrence Seulement amour et paix Peut-être à jamais. »
De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 7 janvier 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.
De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’un étalage.
De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée.
(….) la ville alors cessa
d’être. Elle avoua tout à coup
n’avoir jamais été, n’implorant
que la paix.
Rainer Maria Rilke, Promenade nocturne.
Je me souviens.
De mes vacances de février en outre-Rhin, les premières depuis dix ans. Enfin sortie d’un épuisant burn-out social et financier, j’osai enfin revenir au pays de l’enfance.
De la maison de mes grands-parents allemands revisitée comme une forêt de contes, du souvenir des usines au bord du Rhin comme autant de merveilles.
Du froid glacial dans ce grand cimetière empli de sapins et d’écureuils où, en vain, je chercherai la tombe de mon grand-père.
De ma joie d’enfant en mordant dans un Berliner tout empreint du sucre des mémoires.
Un étranger porte toujours
sa patrie dans ses bras
comme une orpheline
pour laquelle il ne cherche peut-être
rien d’autre qu’un tombeau
Nelly Sachs, Brasiers d’énigmes.
Je me souviens.
Des cris parsemant ce mois de mars qui jamais n’aura aussi bien porté le nom de guerre.
Des sourires explosés des corps d’athlètes de Florence, Camille et Alexis dans cet hélicoptère assassin. De tous ces anonymes mutilés au grand soleil de l’art, du Bardo couleur de sang.
Des 142 victimes yéménites si vite oubliées en cette Afrique au cœur devenu fou.
Des coups inutiles contre une porte blindée et de l’abominable terreur des enfants et des jeunes prisonniers d’un avion cercueil.
Un regard depuis l’égout
peut-être une vision du monde
la révolte consiste à fixer une rose
à s’en pulvériser les yeux
Alejandra Pizarnik, Arbre de Diane.
Je me souviens.
De Mare nostrum présentée à mon fils de 16 ans qui n’avait jamais vu la Méditerranée, oui, c’est possible, en 2015, même dans les meilleures familles si elles sont confrontées à une paupérisation.
De l’éblouissant soleil de Sète et des mouettes qui rient au-dessus du Mont Saint-Clair.
Des tombes grisonnantes et moussues du cimetière marin, où nous entendons la voix de Jean Vilar et le vent qui bruisse dans les pins en offrande.
De la plaque de l’Exodus devant la mer qui scintille et de mon émotion devant les couleurs de l’été des enfances, enfin retrouvées au cœur de cet avril.
Pourtant non loin de là 700 Migrants mouraient dans ces mêmes eaux turquoises, ma mer bien aimée devenue fosse commune en épouvante.
Et ailleurs aussi le vacarme déchirait l’innocence, quand 152 étudiants supplièrent en vain leurs bourreaux de Garissa, quand 7800 Népalais et touristes suffoquaient au milieu des drapeaux de prières aux couleurs de linceuls, quand une seule fillette, Chloé, succombait à la perversité d’un homme.
Un manteau de silence, d’horreur, de crainte sur les épaules. On est regardé jusqu’à la moelle.
Paul Valéry, Forêt.
Je me souviens.
De ce contrat faramineux autour d’avions de chasse, pourtant signé par ma République avec un pays aux antipodes de la démocratie, qui maltraite les ouvriers et musèle les femmes.
Des voix d’outre-tombe de Germaine Tillon, Genviève De-Gaulle-Antonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette entrant au Panthéon, quand je tentai d’expliquer à des élèves malveillants la beauté du don de soi, au milieu de ricanements d’adolescents désabusés. De ma désespérance devant la bêtise insensible au sacrifice et aux grandeurs.
De ce mois de mai aux clochettes rougies par un énième « drame familial », dans le Nord, celui-là, deux tout petits assassinés par un père, comme chaque mois, silencieux hurlement au milieu du génocide perpétré dans le monde entier, depuis des millénaires, par les hommes violant, tuant, égorgeant, mutilant, vitriolant, brûlant vives leurs compagnes et souvent leurs enfants.
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle(…)
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…
Louis Aragon.
Je me souviens.
Des révisions du bac de mon puîné, des dissertations et des textes à apprendre, de Rimbaud et de Proust, de Verlaine et Stendhal, comme un collier de perles toujours renouvelé.
De ces adolescents déguisés en marquis pour une fête baroque, des duchesses et des contes, des froufrous et des rires, quand les joues de l’enfance en disputent avec les premières canettes de bière, quand on hésite entre un joint et un dessin animé…Chuuuuuuut. Prenez le temps…Profitez…On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans le jour de la Saint-Jean…
Du soleil fou de Sousse qui voit mourir les sourires des touristes, de la plage rougie, et de la tête en pique d’un patron français, quand cet Islam qui prétend vivre la foi n’est que mort absurde et gratuite.
Des gospels montant vers ce ciel rougi de Charleston, quand un homme fauchera des vies noires dans une église, insulte à l’Amérique des droits civiques : j’ai fait un cauchemar, encore un…
Ce matin de juin s’est posé sur mon cœur
comme un vol de colombes sur la vieille petite église,
frémissant d’ailes blanches et de roucoulements d’amour
et de soupirs tremblants d’eau vive.
Louisa Paulin, Lo bel matin
Je me souviens.
Du chapeau blanc de Dylan et de sa voix éraillée, d’Albi la Rouge toute vibrionnante des accords de Pause Guitare, de cette nuit passée sur un banc avec un « Conteux » acadien, et du sourire de Zachary Richard, aussi pur que dans nos adolescences lorsqu’il clamait « travailler, c’est trop dur ».
De notre conversation téléphonique où déjà la poésie avait traversé l’Atlantique au rythme des échanges, et de son incroyable présence, quand il offre au monde tous les ouragans de Louisiane et toutes les histoires de son peuple oublié.
De la brique rouge et de Sainte-Cécile comme un vaisseau dans la nuit, du Tarn empli d’accords virevoltants et de notes insensées, de ce mois de juillet aussi gai qu’un violoneux un soir de noces.
La nuit, quand le pendule de l’amour balance
entre Toujours et Jamais,
ta parole vient rejoindre les lunes du cœur
et ton œil bleu
d’orage rend le ciel à la terre.
Paul Celan, in Poésie-Gallimard
Je me souviens.
De la Bretagne qui danse comme une jeune mariée au son de la Grande Parade, de Lorient enrubanné, des guipures et de l’océan dentelé qui tangue au son des binious.
Des flûtiaux et des cornemuses, de l’âme celte qui m’enivre, des jambes levées sous les robes de crêpe et des verts irlandais ; des Canadiens qui boivent et de la lune qui rit, des roses trémières caressées par la joie et de mon fils si heureux de danser le quadrille.
D’un autre port, au bout du monde, où 173 personnes périront dans les explosions causées par l’incurie des hommes.
Du courage de ces passagers de l’improbable, quand des boys modernes rejouent le débarquement dans un Thalys sauvé de justesse de la barbarie. Quand un 21 août ressemble à une plage de Normandie.
Le Bleu ! c’est la vie du firmament(…)
Le Bleu ! c’est la vie des eaux-l’Océan
et tous les fleuves ses vassaux(…)
John Keats, Poèmes et poésies.
Je me souviens.
Du calme d’Angela Merkel annonçant qu’elle devenait la mère de l’Europe en ouvrant les bras de l’Allemagne aux réfugiés et Migrants.
D’une Mère Courage qui soudain fait du pays de l’Indicible celui de l’accueil, quand 430 000 personnes ont traversé la Méditerranée entre le 1er janvier et le 3 septembre 2015, et qu’une seule photo semble avoir retourné les opinions publiques…
Du corps de plomb du petit Aylan et des couleurs vives de ses vêtements, dormeur du val assassiné par toutes les guerres des hommes, à jamais bercé par les flots meurtriers de notre Méditerranée souillée.
De mon étonnement toujours renouvelé en cette rentrée de septembre, quand soudain chaque journée de cours me semble thalasso, tant c’est un bonheur que d’enseigner la langue de Goethe à ces enfants musiciens, surdoués et charmants, toute ouïe et en demande d’apprentissages : ma première année scolaire agréable dans mes errances de « TZR », sans trajets insupportables et sans stress pédagogique.
Il n’est d’action plus grande, ni hautaine, qu’au vaisseau de l’amour.
Saint-John Perse, Amers.
Je me souviens.
De ces pauvres gens morts noyés en voulant sauver une voiture quand des enfants de Migrants continuent, eux, en ce mois d’octobre, à n’être sauvés par personne…
Des hurlements d’Ankara, quand 102 personnes perdent la vie au pied de la Mosquée Bleue, le Bosphore rougi de tout ce sang versé.
De cette famille lilloise décimée par le surendettement, un Pater Familias ayant utilisé son droit de mort sur les siens, mais nous sommes tous coupables, nous, membres de cette odieuse société de surconsommation.
Du silence de ma cadette en cet anniversaire de notre rupture de cinq longues années, de sa frimousse enjouée et de son bonnet rouge lors de notre dernière rencontre, il y a un siècle, avant qu’elle ne rompe les ponts. Du petit bracelet de naissance qui dort dans ma trousse et ne me quitte jamais. De ma décision de vivre, malgré tout.
Argent ! Argent ! Argent ! Le fol argent céleste de l’illusion vociférant ! L’argent fait de rien ! Famine, suicide ! Argent de la faillite ! Argent de mort !
Allen Ginsberg, in Poètes d’aujourd’hui, Seghers.
Je me souviens.
« De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 13 novembre 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.
De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’une terrasse.
De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée. »
De cette structure cyclique qui a mutilé la Ville Lumière, de notre sidération, de la peur de mes enfants et des larmes de mes élèves, de la chanson « Imagine » entonnée en pleurant.
De Bamako et Tunis endeuillées elles aussi, de nos désespérances devant tant de victimes, et puis la terre, n’oublions pas la terre, qui se lamente aussi.
De la COP 21 qui passe presque inaperçue au milieu de tous ces bains de sang.
Si tu mérites ton nom
Je te demanderai une chose,
« Oiseau de la capitale » :
La personne que j’aime
Vit-elle ou ne vit-elle plus ?
Ariwara no Narihira, 825-879, in Anthologie de la poésie japonaise classique.
Place du Capitole, 14 novembre 2015
Je me souviens.
Du visage grimaçant de la haine et de la barbarie qui heureusement ne s’affichera PAS dans le « camembert ».
De nos piètres victoires, de mon pays où des jeunes votent comme des vieux aigris, de ma République en danger.
De toutes ces mitraillettes à l’entrée des églises, des santons menacés par les « laïcards » et par les djihadistes, d’un Noël au balcon, comme sous les tropiques.
De ces sabres lasers prétendument rassembleurs, quand tous ces geeks pourraient se retrousser les manches, réfléchir et agir.
D’une partie de croquet dans un jardin baigné de lumière et de douceur un 26 décembre, les maillets et les boules étant ceux de mon enfance allemande, le regard bienveillant de nos quatre grands-parents comme posé sur nous, microcosme familial dans le macrocosme de l’Europe si fragile, du monde si vacillant, de l’Univers si mystérieux.
De nos espérances.
De nos forces.
De nos amours.
Je me souviens de 2015.
À la lumière de nos aïeux nous marchons.
Elle nous éclaire comme les étoiles de la nuit guidant le marcheur.
Al-Hutay’a, in Le Dîwân de la poésie arabe classique.
Enfin cette phrase, dédiée à tous ces disparus :
Je t’aimais. J’aimais ton visage de source raviné par l’orage et le chiffre de ton domaine enserrant mon baiser. (…) Aller me suffit. J’ai rapporté du désespoir un panier si petit, mon amour, qu’on a pu le tresser en osier.
Mes Mémoires d’Autan sont des miscellanées poétiques entremêlées de réflexions autour de l’être-soi d’un Sud-Ouest baigné par l’Atlantique et Mare nostrum, illuminé par nos campagnes gorgées de tournesols, et bien sûr surtout, pour moi, toulousain et tarnais ; alternances de nouvelles, d’essais et de poèmes en ancrage de cette terre d’Oc qui m’est chère, ces textes vivent au gré des méandres de Garonne et de l’Histoire ancienne ou contemporaine de la Ville Rose et du Grand-Sud…
(Prenez la peine de visionner toutes les vidéos, vraiment, elles en valent la peine !!)
Imagine there’s no heaven,
Imagine qu’il n’y ait aucun Paradis,
It’s easy if you try,
C’est facile si tu essaies,
No hell below us,
Aucun enfer en-dessous de nous,
Above us only sky,
Au-dessus de nous, seulement le ciel…
La Corse, quand on se l’imagine, c’est comme un petit paradis…Avec, au-dessus de nous, ce ciel, bleu comme en enfer, et puis les chants corses, les cigales, un souffle de vent léger, et toute cette grande Histoire insulaire exotique qui rencontre les petites histoires des gens et des rêves, entre Napoléon, Colomba, les jolis ânes tout poilus et le fromage…
Pourtant, il y a quelques jours, des gens sans histoires, justement, se sont mis martel en tête à cause d’une chanson. Des gens qui, au lieu de vivre « pour aujourd’hui », dans le présent, dans le moment, sont allées chercher midi à quatorze heures et ont vu le mal là où simplement des instits avaient imaginé un beau moment de paix et de partages…
C’est incroyable. Incroyable et tellement mal venu, à quelques jours du début du Ramadan, que notre petite île d’irréductibles nationalistes se soit soudain recroquevillée sur elle-même au point de vouloir bouter la langue sarrasine hors de ses eaux bleues, utilisant qui plus est l’innocence enfantine pour assouvir d’étroites idées corporatistes et chauvines. Je ne sais ce qui m’a le plus choquée, entre cette exploitation immonde d’une fête dédiée aux plus jeunes et le fait que ce soit la chanson « Imagine » qui ait mis le feu aux poudres…
Imagine there’s no countries,
Imagine qu’il n’y a plus aucun pays,
It isn’t hard to do,
Ce n’est pas si dur à faire,
Nothing to kill or die for,
Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir,
No religion too,
Aucune religion non plus,
Imagine all the people,
Imagine tous ces gens,
Living life in peace…
Vivant leurs vies en paix…
Ah, ils en sont loin, de la paix, ces parents d’élèves qui ont osé salir la mémoire de Lennon et de son rêve. Les voilà, les idolâtres de lointains bruits de botte, les adoreurs de quenelles, les moustachus à la Cabu, emplis de leur beauf attitude, n’ayant pas honte de porter haut le drapeau de la bêtise et de l’ignorance, se cherchant au seuil d’un bel été et d’innocents lâchers de ballons des « causes pour tuer ou mourir », vilipendant une langue, l’arabe, comme si une langue pouvait être responsable de l’incurie des hommes…
You may say I’m a dreamer,
Tu peux dire que je suis un rêveur,
But I’m not the only one,
Mais je ne suis pas le seul,
I hope some day you’ll join us,
J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,
And the world will live as one.
Et que le monde vivra uni
On en est loin, de ce monde uni imaginé par le poète. Ils existent, pourtant, les rêveurs qui croient au pouvoir de la paix. On les retrouve dans le monde entier, à lutter pour des idéaux malmenés par les dictatures et les violences, et parfois même leurs efforts aboutissent, comme pour Daniel Barenboïm et son orchestre du Divan d’Orient et d’Occident, qui vient de trouver un lieu pérenne à Berlin, à défaut de s’être installé en Israël…
Et ils en ont, de l’imagination, les rêveurs…C’est cette petite fille qui croit au pouvoir de l’éducation, quitte à presque mourir d’une balle dans la tête ; c’est cet Africain du Sud qui passe la moitié de son existence en prison, avant de devenir président de la nation arc-en-ciel ; c’est ce chanteur de Liverpool qui chantait la paix depuis ses lunettes rondes, avant de s’écrouler sous les balles d’un tireur fou…
Imagine no possessions,
Imagine qu’il n’existe plus aucune possession,
I wonder if you can,
Je me demande si tu en es capable,
No need for greed or hunger,
Aucun besoin d’avidité ou de faim,
A brotherhood of man,
Une fraternité humaine,
Imagine all the people,
Imagine tous les gens,
Sharing all the world…
Qui se partageraient le monde…
Mais à quoi pensaient-ils donc, ces parents d’élèves corses, menaçant des institutrices jusqu’à faire interdire toute une kermesse de par leurs cris de guerre ? Pensaient-ils peut-être que le monde leur appartiendrait, sous prétexte qu’ils seraient les détenteurs d’une seule vérité linguistique ? L’autre jour, sur ma chère Place du Capitole, s’est tenu justement le Forum des langues du monde, un superbe moment d’universalité au cœur des briques roses, et sous le beau soleil toulousain ont éclaté mille chants bariolés, tandis que des enfants émerveillés découvraient les particularismes de langues mortes ou vivantes, en perdition ou éclatantes, du latin au chinois, en passant par l’occitan, le créole, le lingala…Car une langue, c’est avant tout le meilleur moyen de partager le monde, d’accéder à la fraternité humaine, au-delà de toutes nos différences…
Alors bien sûr, d’aucuns ont peur. Cette peur de l’Autre, chevillée à nos cœurs et à nos histoires, cette peur ancestrale de l’ennemi, du village voisin, du territoire inconnu qui empiète sur notre pré-carré. Et je vais vous faire une confidence : moi aussi, j’ai peur. J’ai peur depuis des années, bien avant Charlie, DAESH et les gangs des barbares, j’ai peur de cet islamisme qui fait d’une des grandes religions du monde une déviance dangereuse, lorsque ses préceptes sont malmenés. Je suis, même, terrifiée, en voyant les eaux bleues des Maldives se noircir de burqas, en lisant l’horreur dans les yeux des Chrétiens d’Orient. Et pourtant j’ai souhaité un bon Ramadan à mes amis musulmans, qui sont nombreux. Je l’ai souhaité à des commerçants des kébabs de la Ville Rose, à des femmes voilées avec lesquelles je papote dans le bus, et à tous mes amis poètes et enseignants si chers à mon cœur….
Car je sais bien la différence entre les folies et l’innocence, entre le Bien et le Mal, toute rêveuse que je suis. Et je souhaiterais que ces parents d’élèves réfléchissent au mal qu’ils ont fait à leurs enfants et à leurs maîtresses, en actant la bêtise, l’ignorance et la haine.
J’espère qu’un jour les enfants de ces parents leur chanteront qu’ils volent, comme dans le superbe film de la Famille Bélier…Au-delà des clivages, de la peur, et des nationalismes.
You may say I’m a dreamer,
Tu peux dire que je suis un rêveur,
But I’m not the only one,
Mais je ne suis pas le seul,
I hope some day you’ll join us,
J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,
And the world will live as one.
Et que le monde vivra uni
(mon modeste fils…)
Enfin, cette superbe « cover » par le groupe corse Incantèsimu !
Souvent, je l’imagine, ma maman. Le visage défiguré par la terreur, les mains agrippées à celles de sa propre mère tentant sans doute de faire un rempart de son corps à ceux de ses quatre enfants, dans le vacarme assourdissant des bombardements.
Encore aujourd’hui, ma mère tressaille en entendant un avion survoler l’azur de son petit paradis tarnais. Elle est pourtant bien loin de sa Rhénanie natale, et bien de l’eau a coulé dans le Rhin depuis ces années où, petite fille aux nattes blondes et aux yeux si clairs, elle espérait le retour de son père parti sur le front russe en tremblant sous les bombes des Alliés, son ventre criant famine quand elle cherchait des épluchures de pommes de terre pour les dévorer…
Mon père, lui, n’a de la guerre presque que des souvenirs joyeux. Ils n’étaient pas bien malheureux, son grand-frère et lui, dans le petit village de la campagne tarnaise depuis lequel mon grand-père français aidait les Maquisards, cachant des armes sous les tuiles et continuant sans doute à déguster les cochonnailles préparées par ma grand-mère.
J’ai grandi entre les récits de ces deux enfances si différentes, écartelée parfois dans ma propre mémoire, tandis qu’à l’école des petites pestes écervelées de mon école de filles me surnommaient « Hitler », quand les métissages n’étaient pas encore à la mode et que les familles respectives de nos parents, de nos courageux parents, apprenaient à se connaître et à dépasser les brûlures de l’Histoire.
Point n’est besoin d’avoir épluché les ouvrages de psycho généalogie pour comprendre que deux sangs différents couleront toujours dans mes veines, et que je suis l’humble produit d’une fabuleuse réconciliation. Toujours retentiront en moi les sirènes qui épouvantaient ma mère, mais aussi les clameurs d’allégresse de la libération de Toulouse. Et je porte encore les griffures des petits doigts des millions d’enfants sacrifiés dans les chambres à gaz, l’empreinte de la Shoah s’étant inscrite dans ma culpabilité d’enfant de la troisième génération comme un tatouage au bras d’un prisonnier…
Je sens aussi le froid mordant de l’Ukraine bleuir les lèvres de ce grand-père allemand que j’ai chéri plus que tout au monde. Et j’entends d’autre part aux vacances la voix claire encore de mon oncle français me rapporter les récits de la fin de la guerre…
Alors quand des élèves soupirent en m’entendant leur demander ce que l’Europe signifie pour eux, quand certains ne savent pas qu’il y a eu une autre guerre sur notre continent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, quand je les sens indifférents aux mots paix, mémoire, patrie, réconciliation, Europe, mon sang mêlé ne fait qu’un tour.
Car cette année, à Toulouse, au lendemain de ce 8 mai où le monde entier commémore de concert la fin des années de barbarie et de violences, nous inaugurerons le 9 mai, journée de l’Europe, cette semaine de l’Europe qui fêtera les 65 ans de la déclaration de Robert Schuman :
Et il me semble capital de sensibiliser les jeunes à l’importance de notre Union Européenne, symbole du pouvoir de la Paix. Je ne veux pas aujourd’hui polémiquer autour de la crise, de la dette grecque, de la pseudo nouvelle hégémonie de l’Allemagne, d’éventuelles sorties de l’Euro. Je tairai les innombrables critiques des eurosceptiques et des empêcheurs de construire en rond, et puis les phrases perfides de ceux qui, encore aujourd’hui, me disent parfois que « dans le sud-ouest, il est encore difficile de pardonner, c’est pour cela que l’allemand est en perte de vitesse… »
Non, je voudrais m’incliner devant ceux qui ont su, malgré les outrages et les horreurs, redonner du sens à la fraternité et au pardon, osant faire du paysage dévasté de nos contrées européennes un nouveau tableau de prospérité et de partages. Je voudrais remercier mes quatre grands-parents d’avoir osé se réunir à la table d’un mariage en août 1959, quelques années à peine après que la botte de l’occupant nazi ait dévasté notre pays, pour festoyer ensemble malgré les millions de victimes, pour s’assoir ensemble sur les bancs d’une petite chapelle et dans un hôtel de ville, osant ainsi faire partie des pionniers de l’esprit européen.
Je voudrais remercier nos parents qui nous ont élevés avec bon sens et respect des traditions, nous permettant de grandir dans la richesse de deux cultures, dans le bilinguisme et l’ouverture d’esprit, entre foie gras et pâtisseries allemandes, entre Goethe et Hugo, nous prouvant chaque jour que leur choix avait été le bon, puisque leur couple a lui aussi résisté à l’usure du temps, comme le couple franco-allemand, toujours et encore « le moteur de l’Europe ».
Ainsi je me sens Tarnaise, Toulousaine, française, mais aussi Rhénane, allemande, et, encore et toujours, européenne.
J’ai l’Europe chevillée au corps et au cœur, de l’Hymne à la joie au jingle de l’Eurovision, des discours de Schuman aux libertés de l’espace Schengen, petite occitane rêveuse et blondinette en « Dirndl », et, surtout, avec la certitude que la paix durable n’est le fruit que des combats, de ces combats des Grands qui signent les traités et prononcent les discours, mais aussi de ces millions de combats quotidiens des humbles qui osent la fraternisation et qui se retroussent les manches pour que plus jamais ne retentisse l’alarme.
Je m’incline ainsi ici devant ces milliers de collègues qui, de part et d’autre du Rhin, ont organisé tant d’échanges scolaires bien avant les superbes organisations actuelles et qui, depuis des décennies, ont permis aux enfants de nos deux pays de découvrir le pays de l’Autre !
Pour les étés de mon enfance Bercés par une Lorelei Parce que née de forêts sombres Et bordée par les frères Grimm Je me sens Romy et Marlène Et n’oublierai jamais la neige
Rémoise
Pour un froid matin de janvier Parce que l’Ange au sourire A veillé sur ma naissance Pour mille bulles de bonheur Et par les vitraux de Chagall Je pétille toujours en Champagne
Carolopolitaine
Pour cinq années en cœur d’Ardennes Et mes premiers pas en forêt Pour Arthur et pour Verlaine Et les arcades en Place Ducale Rimbaud mon père en émotion M’illumine en éternité
Albigeoise
Pour le vaisseau de briques rouges Qui grimpe à l’assaut du ciel bleu Pour les démons d’un peintre fol Et ses débauches en Moulin Rouge Enfance tendre en bord de Tarn D’une inaliénable Aliénor
Tarnaise
Pour tous mes aïeuls hérétiques Sidobre et chaos granitiques Parce que Jaurès et Lapeyrouse Alliance des pastels et des ors Arc-en-ciel farouche de l’Autan Montagne Noire ma promesse
Occitane
De Montségur en Pays Basque De la Dordogne en aube d’Espagne Piments d’Espelette ou garigues De d’Artagnan au Roi Henri Le bonheur est dans tous les prés De ma Gascogne ensoleillée
Toulousaine
Pour les millions de toits roses Et pour l’eau verte du canal Sœur de Claude et d’Esclarmonde Le Capitole me magnétise Il m’est ancre et Terre promise Garonne me porte en océan
Bruxelloise
Pour deux années en terre de Flandres Grâce à la Wallonie que j’aime Parce que Béguinage et Meuse Pour Bleus de Delft et mer d’Ostende En ma Grand Place illuminée Belgique est ma troisième patrie
Européenne
Pour Voltaire Goethe et Schiller Pour oublier tous les charniers Les enfants blonds de Göttingen Me sourient malgré les martyrs Je suis née presqu’en outre-Rhin Lili Marleen et Marianne
Universelle
Pour les mots qui me portent aux frères Par la poésie qui libère Parce que j’aime la vie et la terre Et que jamais ne désespère Pour parler toutes les langues Et vous donner d’universel.
Je me souviens souvent du granit du Sidobre, Des sentes oubliées comme un soleil d’octobre. Comme au matin du monde les rochers s’élevaient, Beaux géants tutélaires, immobiles guerriers.
Nous ouvrons les fougères comme on peigne une femme, En marchant sur des mousses aux murmures secrets. La source, serpentine, un grelot à nos âmes, Toute ourlée de cresson, en attente de fées.
Tous ces noms aux symboles, Roc de l’Oie qui étonne, Trois Fromages empilés par les siècles amusés, Et puis le Lac du Merle aux fraîcheurs empesées :
Nous foulons en silence le Chaos qui résonne… Je reviendrai bientôt, Autanette rêveuse, Vers la Quille du Roy qui me rendait heureuse.
Il se dressait, seul, imposant, terrible.
L’orage déchirait la nuit, les grands sapins ployaient sous la neige. Un sanglier passa en humant l’air chargé d’éclairs, puis ce fut le silence.
Cela faisait si longtemps. Les nuées avaient laissé la place au soleil, et puis les grands animaux avaient parcouru les terres et les vents. L’eau s’était retirée bien des siècles auparavant, laissant non loin de lui ce lac entouré par ses frères, et ce coulis qui faisait grisonner la montagne.
Ils étaient apparus ensuite ; nus, apeurés, affamés. Seuls ou en groupes, ils l’évitaient, enjambant de leurs pattes velues les ronces et les fougères, grognant et rugissant. Il devinait que ces animaux-là n’étaient pas comme les renards, les belettes et les loups ; leurs regards lui parlaient, et lorsqu’ils commencèrent à enterrer les cadavres de leurs tribus, il comprit que la terre avait trouvé ses maîtres.
Il les avait vus grandir, se redresser au fil des ans, des siècles. Les fronts s’étaient aplanis, les poils avaient laissé la place à des torses moins fournis, les sexes s’étaient couverts de fougères.
Un soir, tout près, sous la grotte voisine, elle avait jailli, miracle de beauté, étincelle de vie : la première flamme. Peu après les chants avaient commencé, et puis les psalmodies. Il avait vu les mains ornées de la boue rouge des bois se poser sur les pierres, et même un jour observé la jeune fille qui, penchée au-dessus du lac, souriait à son reflet paré d’une couronne de fleurs.
La neige ne cessait pas de tomber, elle recouvrait déjà l’humus et les souches. Toute la journée, un combat avait opposé deux clans qui se disputaient la vallée. Les hurlements, le sang, ces lances de bois qui sifflaient… Il s’était tenu coi, se contentant de garder sa position, veillant jalousement sur celle qui dormait sous ses formes.
C’était la même jeune fille. Depuis quelques mois, son flanc s’était arrondi, et elle avançait plus lourdement vers l’onde. À chacun de ses passages, elle posait une main sur lui, s’appuyant sur sa force pour atteindre la rive proche. La veille, quelques heures avant le début du combat, elle avait rampé jusqu’à la cavité moussue qui sous-tendait le géant.
Elle se mit à gémir. Les autres avaient disparu, morts, sans doute, ou déjà dévorés par les bêtes. Elle était seule, entièrement seule, la dernière de sa tribu, peut-être. Il entendait ses halètements, il sentait le souffle animal de la femme en gésine. Bientôt elle hurla, ses cris résonnant sous la voûte, et seul l’Autan lui répondit. Il sentait la main griffer ses aspérités, il percevait l’odeur musquée de sa peur et de ses douleurs, il voyait le ventre se déchirer, s’offrir à la nuit et au temps.
L’enfant parut à l’aube, lorsque les premiers rayons du soleil dissipèrent les brumes sur le lac gelé. La femme hurla de joie et rampa jusqu’aux fougères proches, emmaillota le petit d’homme en lui murmurant des douceurs ; elle avait croqué dans le cordon elle-même, puis gratté sous la neige afin d’enterrer une dernière partie de ses entrailles. Le sang rouge illuminait la neige blanche de la couleur de la vie.
Il se sentait fier. Elle lui confia l’enfant une journée entière, et il commençait à se demander comment il le nourrirait quand elle réapparut. Un homme debout marchait à ses côtés, et la soutenait. Ensemble, ils se penchèrent et prirent le nourrisson qui se jeta avidement sur les seins gonflés de sa mère.
Cette dernière s’accroupit dans ce qui restait de la caverne. L’homme, lui, s’agenouilla devant lui, en déposant trois pierres taillées l’une sur l’autre. Il marmonna en se prosternant, encore et encore. Il passa ensuite ses mains sur la roche en répétant « granit, granit ».
C’est ainsi qu’il apprit son propre nom, après des millénaires.
Les siècles avaient passé. Ils avaient poli ses flancs et boisé la forêt. Les mêmes animaux hantaient les buissons et les rives, mais les hommes avaient changé. Il devinait à leurs odeurs que leur vie se poliçait. Un village était apparu à l’autre bout du lac. Il se souvenait des premières grottes, puis des peaux de bêtes tendues au-dessus des branchages, et admirait la dextérité de ceux qui savaient à présent parler, rire et prier.
Les enfants surtout l’amusaient. Il les entendait pleurer lorsque les mères les accrochaient aux branches en allant à la cueillette, puis, des siècles plus tard, en cultivant les champs. Et puis il les voyait ramper vers lui au-milieu des herbes folles, apprendre à l’escalader, se cacher dans sa cavité, rire de leur écho… Bien sûr, ils disparaissaient rapidement, trop souvent. Il savait qu’il ne devait pas s’attacher. Toutes ces fillettes aux joues roses et au regard de braise, tous ces garçonnets hardis, tant d’entre eux mourraient des fièvres du lac, ou simplement de faim, les années où même les glands ne tombaient plus dans la chênaie…
Il se sentait moins seul lorsque les rires fusaient à ses pieds. Certes, ses frères se dressaient, eux aussi, dans toute la vallée, dans cette Montagne Noire aux couleurs aussi sombres que ce Moyen-Âge tourmenté. Les villageois avaient oublié que leurs ancêtres honoraient certains rochers, lorsqu’ils en avaient fait des dolmens et menhirs sacrés, mais ils respectaient ces géants tutélaires. Cependant, il était le seul à dominer le lac.
Elle venait souvent s’asseoir à ses côtés, cette belle jeune femme rousse que les autres appelaient « la sorcière ». Il voyait la jolie rouquine prélever l’eau noire et la faire chauffer dans son grand chaudron en y jetant toutes sortes de simples. Il voyait les femmes qui venaient boire les potions, les boiteuses qui ne boitaient plus, les aveugles qui ne titubaient plus, les vierges qui devenaient grosses. Il voyait aussi les hommes qui grattaient à la porte de sa cabane, perchée sur le monticule dominant le lac, et la femme qui les repoussait.
Elle s’offrait à la lune les soirs de grand vent, dénudant sa peau laiteuse sous les étoiles glacées. Elle ôtait un à un les oripeaux qui couvraient son beau corps de déesse, et baignait ses formes rondes sous la lueur de la lune grosse. Il voyait ses seins balancer joyeusement, quand elle poussait de grands cris en caressant la mousse de son dos, offerte devant l’astre, les cuisses écartées pour recevoir tous les rayons, avant de se relever et de chanter de plus en plus fort, en caressant son Mont de Vénus palpitant contre la pierre chaude de son ami le géant. Il sentait les battements de son cœur s’accélérer, il respirait le parfum musqué de sa peau de rousse, il entendait les gémissements de sa gorge enivrée de plaisir.
C’est un de ces soirs qu’ils arrivèrent du village, toute une troupe de paysans excités. Ils portaient des gourdins et des fourches, leurs visages boursouflés par les disettes étaient rouges et mauvais.
La diablesse, comme ils l’appelèrent en l’attachant à ce grand saule pleureur, à quelques pas de lui, se débattit et lança des imprécations, les menaçant de l’enfer s’ils ne la lâchaient pas. Mais ils étaient les hommes et elle était la femme, et ce qu’il voyait depuis la nuit des temps arriva, potentialisé par leur rage d’avoir été délaissés par celle qui vivait libre. Oh, oui, il en avait vu, des viols, des viols terribles, quand les soudards poursuivaient les petites paysannes en sabots, quand elles pleuraient et suppliaient en patois, et qu’ils riaient, insensibles, trousseurs de vierges et d’innocence. Il avait tant de fois abrité des horreurs sous sa robe grise, ne pouvant se mouvoir d’un millimètre pour sauver ces enfants…
Ce soir-là, l’un après l’autre, les rustres violèrent la sorcière, enfonçant leur rage et leur pauvreté dans le corps de celle qui avait osé leur résister. Les longs cheveux cuivrés ondulaient telles des flammes, et la jeune femme avait fermé ses yeux émeraude, sachant ce qui allait suivre.
Le plus vieux des paysans alluma lui-même le bûcher. D’autres villageois, attirés par le vacarme, s’étaient massés devant le lac, les femmes jacassaient, les enfants riaient. Il enrageait tellement de ne pouvoir intervenir qu’il eut l’impression de bouger, de se mettre à trembler de rage, mais peut-être était-ce simplement dû à l’une des secousses telluriques qui agitaient parfois la montagne…
Car la terre sans doute partageait sa colère, quand elle entendit les hurlements de douleurs de la jeune suppliciée ; les flammes cuivrées de ses boucles rousses se confondaient à présent avec l’ocre du bûcher, et sa nudité bientôt ne fut plus que suie noire et braises crépitantes.
Au petit matin, un garçonnet approcha un bâton de peuplier des cendres, avant de s’amuser à tracer des signes noirs sur le granit du géant du lac. C’est exactement à ce moment que, pour la première fois, en plaçant le bâton à l’angle de la cavité, un petit d’homme comprit que le rocher pouvait faire mine de basculer. Dans la nuit, celui qui était immobile depuis la nuit des temps avait bougé. En communion avec ce qui restait des lambeaux de vie de sa rouquine, la pierre s’était animée.
C’est à compter de ce jour qu’on le nomma « le rocher tremblant ». En langue d’oc, le patois disait « lo rôc tremolant ».
Ils commencèrent à dépecer ses frères après la Grande Guerre. Le bruit était atroce. Les hommes coupaient, taillaient, tranchaient dans le vif de la pierre, sans entendre ses hurlements silencieux et sans prendre en compte les soubresauts de son âme. Car c’est l’âme même du Sidobre qu’ils saccageaient allègrement, au gré des pierres tombales qu’ils fabriquaient à la chaîne, avides de ce granit tels vautours devant chair éventrée. Dans leur affreuse curée, ils égorgeaient les cous graciles des menhirs qui se dressaient comme des vierges offertes à des vainqueurs, ils souillaient de leurs outils les dolmens impassibles, ils faisaient crisser leur avidité au rythme de leurs engins.
Il contemplait ces contempteurs de paix comme un prêtre assiste à un massacre. Le bruit des dépeceurs couvrait à présent les sons de la forêt. Les sangliers, les hermines et autres faisans s’étaient fait la belle, tandis que ce qu’ils nommaient la « civilisation » avait éventré son royaume. Les fougères pleuraient, tandis que le lac, que l’on nommait à présent « du Merle », ne chantait plus de ses eaux vives qui sourdaient de la Montagne Noire.
Lui, le géant, était épargné. Sa singularité lui valait, depuis plusieurs siècles, la bonté des paysans et des promeneurs du dimanche. Les cartes postales jaunies montrant quelque gamin qui, armé d’un simple morceau de bois, faisait trembler les tonnes de granit, ornaient les manteaux des cheminées des fermes, aux côtés des calendriers des postes couverts de chiures de mouches et des Rameaux se desséchant sur le crucifix cloué au mur. Il faisait partie des meubles, comme quelque souvenir que l’on se transmettrait de génération en génération.
Le bruit de leurs bottes cependant le tira, un dimanche de Pâques, de sa torpeur printanière. Ce bruit-là différait de celui des semelles des carriers. Il martelait en rythme la campagne tarnaise, comme auparavant il avait martelé les allées de Birkenau, comme bientôt il martèlerait les ruelles d’Oradour-sur-Glane. La forêt pourtant rayonnait de cette splendeur de mousses et de jonquilles, et le lac miroitait entre deux averses comme aux temps de l’ancien monde, quand des femmes encore venaient enfanter en ses combes.
Il sursauta presque quand la fillette chuchota en se glissant dans la cavité ancienne. Elle lui demandait de se taire, en lui murmurant un secret qu’il fallait garder, ce sans quoi les « méchants soldats » l’attraperaient pour lui faire du mal. Ils avaient déjà fait du mal à sa maman, elle avait tout vu, quand, au camp de Rivesaltes, on l’avait battue jusqu’à la mort, avant que Michel et Louise ne la cachent dans les Monts de Lacaune, là-haut. Et puis tout avait recommencé, les chiens, les cris, les coups de feu, et Louise pleine de sang lui avait dit de courir dans la forêt, de se cacher dans le « rôc tremolant », là où elles s’étaient promenées avant le Carême.
Il se fit tout petit. Il aurait voulu disparaître, enfin, avec l’enfant. Il tenta de se faire encore plus gris qu’il n’était, essayant de toutes ses forces de ne faire qu’un avec le ciel minéral de ce mois de mars un peu pluvieux, espérant que les soldats n’iraient pas jusqu’à fouiller ses entrailles. L’enfant se nommait Sarah, « Princesse des eaux », et elle ressemblait à un ange. Il aimait tant les enfants, lui dont la légende disait qu’il avait été le fiancé d’Autanette, une fée que l’amour aurait égarée et dont le père l’aurait punie en la transformant en menhir de la « Quille du Roy », tandis que son amoureux était devenu le Prince du Sidobre…
Les Allemands juraient et pestaient, leurs sons rauques résonnaient dans la vallée et tranchaient avec le silence des bois. Ils étaient une dizaine d’hommes, certains jeunes encore, blonds comme les blés et pourtant noirs au-dedans comme le charbon des mines de Carmaux. Soudain, l’un d’entre eux remarqua un pan de la robe de la fillette, qui dépassait de la roche tel un fanion joyeux. Il poussa un hurlement de triomphe, pour un peu il aurait entonné du Wagner en faisant le salut nazi. Sarah sortit alors, très dignement, de son antre, aussi grise que le granit de sa cachette, ses yeux brillants pourtant comme les étoiles que les chiens avaient décrochées du ciel pour salir l’âme de son peuple.
Il n’hésita pas une seconde. Il attendit que l’enfant soit assez loin de lui pour soudain vaciller sur son socle. Comme si elle avait su ce qui se tramait, Sarah plongea dans les fourrés à la vitesse de l’éclair, tandis que les soldats, effrayés par ce qui leur sembla surnaturel, tournaient leurs regards bleus en direction du colosse ébranlé. Profitant de cette seconde d’inattention, un groupe de jeunes maquisards de Burlats, prévenus par les villageois de la fuite de Sarah et en patrouille dans la forêt, mitrailla les « Boches ».
La légende raconte que le capitaine allemand mourut un peu plus tard. Il était allé se soulager dans les fourrés et fut piqué par cinq jeunes vipères qui rêvaient, lovées dans leur antre de granit. Il recueillit son dernier soupir, pierre tombale de cette guerre abjecte après avoir été le Juste d’un instant. Un arc-en-ciel déchira la forêt, et Sarah revint chaque année, une fois la guerre terminée, embrasser son rocher, son roc, son Sinaï.
Les hélicoptères tournoyaient au-dessus des bois comme de grands oiseaux égarés. Il s’amusait de leur ballet si incongru, si différent de celui des hirondelles qui criaient de joie dans l’azur, ou de celui des buses faisant le Saint-Esprit. Parfois, il se sentait fatigué, érodé tout au fond de lui, tant les siècles avaient ruisselé de leurs guerres, famines et pestes tandis que lui, géant immobile, ne pouvait qu’accueillir l’humanité. Il lui semblait que les excès des granitiers s’étaient quelque peu estompés. Des chevelus et des filles aux seins nus égayaient parfois la forêt de leurs joyeuses banderoles, et il aimait leurs outrances, leurs feux de camp et leurs chansons.
Ces hélicos, par contre, ne lui disaient rien de bon. Un incendie, peut-être ? Ou au contraire un barrage qui aurait cédé ? La réponse arriva toute seule, quand la grosse BM pila brutalement sur le parking du lac. Ils étaient trois, jeunes comme des enfants, énervés comme des tigres affamés, beaux comme des dieux. À leurs dires confus, il comprit très vite qu’ils s’étaient fait la belle depuis la prison de Seysses, et qu’ils comptaient récupérer un magot que l’un d’entre eux prétendait caché dans le lac.
S’il avait pu, il aurait sursauté. Mais cela faisait bien longtemps qu’il ne pratiquait plus la kinesthésie, sauf pour amuser David et Esther, les petits-enfants de Sarah, lorsqu’ils venaient de Tel Aviv, chaque été… Car franchement, si quelqu’un était bien placé pour connaître tous les secrets de la forêt, c’était lui. Et malgré son grand âge, non, il n’était pas encore en train de radoter, et il gardait toute sa tête. Non, c’était très clair : le type qui prétendait avoir caché un trésor au lac du Merle mentait comme un arracheur de dents.
Il venait d’ailleurs de décrocher un pédalo de l’embarcadère et de forcer ses deux compagnons à monter dessus, malgré les protestations du plus jeune, Ahmed, qui hurlait ne pas savoir nager. Profitant d’un passage des hélicos juste au-dessus du lac, le jeune homme fonça d’ailleurs en direction de son antre, et se réfugia dans la chaleur de la pierre matricielle, caché par les fougères qui entouraient la combe. Il tremblait comme les faons qui parfois traversaient la clairière de leurs flancs palpitants, poursuivis par les meutes aboyantes de chiens de chasse aussi fatigués que leur proie.
Ahmed s’adossa contre la pierre et se mit à pleurer. Il pensait à la cité, à sa mère qui lui avait fait confiance, toujours, aux allées de ce Mirail bétonné, enclave purulente d’une Ville Rose encore traumatisée par l’affaire Merah. Il pensait au beau regard pur de la doctoresse qui soignait son père, à l’hôpital de Purpan, et qui lui avait un jour proposé de l’aider dans ses révisions pour le bac. Il pensait à la vie de ses grands-parents, au bled, à leurs espoirs déçus, à cette France qui les avait accueillis avant de les rejeter. Il toucha le roc de ses mains d’enfant qui jouaient à l’homme, et il pria, silencieusement, comme s’il touchait la Pierre Noire de la Mecque. Il voulait vivre.
Quand la police de Castres arriva à la nuit, les deux malfrats de pacotille, perdus au milieu du lac comme deux idiots de village à la foire, dépités et vaincus, se laissèrent arrêter sans problème. Le rocher tremblant se dressait sous la lune comme depuis toute éternité, semblant ce soir-là un gendarme vengeur symbolisant la République. Le chef de la bande eut beau lui faire un doigt, le rocher conserva toute sa dignité, tandis que le jeune Ahmed, penaud et terrifié, se terrait au fond des mousses tutélaires.
Au matin, quand la doctoresse se gara sur le parking, un peu frigorifiée elle aussi d’avoir roulé après sa garde de nuit, ayant immédiatement répondu à l’appel angoissé que le jeune Ahmed avait passé depuis le téléphone procuré par un cousin lors du dernier parloir, elle sourit. Le lac du Merle… Cela faisait si longtemps qu’elle ne s’était pas promenée sur ses berges envahies de joncs et de ronces. Elle se souvenait du rôc tremolant et des histoires que son grand-père lui racontait en taillant des bâtons de son opinel ; elle se rappelait le parfum des oreillettes que sa grand-mère préparait dans la minuscule cuisine du hameau de la Provinquière, et du café de Saint-Salvy de la Balme où des hommes jouaient aux cartes tandis que le fête du village battait son plein. Elle savait encore le goût des cèpes et celui des gâteaux de ce miel de montagne qui coulait dans sa bouche comme une sève originelle, lorsque son papi, apiculteur, lui en offrait en souriant sous son béret.
Il n’avait pas bougé, bien sûr. Elle s’approcha du rocher et se souvint de la fillette joyeuse qui sautait de roc en roc dans le Chaos de la Balme, et de la forêt qui chantait. Il se dressait de toute sa force tel un colosse apprivoisé, doux comme l’agneau à qui savait le prendre, néanmoins menaçant tel un forçat mené aux fers. Prisonnier de cette terre, enraciné dans cette glèbe mémorielle. Et pourtant si libre. Si seul.
Ahmed surgit devant elle, tête baissée, comme un prisonnier qui se rendrait à la police. Elle prit ses mains et les embrassa, puis serra le jeune homme contre son cœur. Elle le rassura, lui expliqua, lui raconta ce qu’elle savait de la justice. Ils y arriveraient. Elle ne le laisserait pas tomber.
Il les regarda s’éloigner, la belle et le prisonnier, l’enfer et le paradis. Il savait tout des hommes, et pourtant ces deux-là l’étonnèrent, lorsque quelques saisons plus tard ils vinrent lui présenter leurs jumeaux, nés encore durant la captivité d’Ahmed, malgré le scandale engendré par leur différence d’âge et par leurs dichotomies sociales. Ils riaient, les petits diablotins, en glissant sur ses flancs argentés comme sur un toboggan, et le gros ventre de la jeune femme rebondissait lui aussi lorsqu’elle se cognait doucement contre la pierre moussue et tendre, toute joyeuse devant les rires des petits, attendant en beauté cette nouvelle naissance. Ahmed, ou plutôt monsieur le docteur Houmir, soupirait d’aise en repensant à cette nuit où il s’était juré, blotti dans le sein de la pierre, d’honorer désormais la terre qui le portait.
Lorsque la nuit tomba sur le lac, le souvenir de la petite tribu rappela au rôc tremolant cette toute première nuit où une autre jeune femme, grosse elle aussi, s’était abritée en son sein. Et il soupira d’aise, lui aussi.
Les hommes avaient beau être fols, la terre, oui, tournait toujours autour du soleil, et les femmes enfantaient, et leurs fils et filles riaient.
Et le granit du Sidobre, comme en ces temps immémoriaux où la nature était libre et vierge, veillait sur cette terre comme on veille un enfant, la berçant sous l’Autan comme on danse au printemps.
Nous guettions les voitures du haut du muret de pierres sèches, lorsqu’elles foulaient le thym et les herbes folles du sentier, serpentant jusqu’à notre toit du monde tarnais. Lorsqu’elles tournaient, au coin de la source, ce sont les plaques que nous regardions en premier, tout en écoutant les joyeux coups de klaxon. Le 33 annonçait les cousins de Bordeaux, le chat Titus et des semaines de rires et chatouilles, de confidences et de promenades ; le 31, c’était une plaque rare, celle des cousins de Vacquiers, les quatre frères farceurs qui nous tiraient les tresses et nous poursuivaient jusqu’au ruisseau ; un été, j’en vins à guetter le 08, car nous avions repris contact avec ces amis des Ardennes, où mon père était un temps allé civiliser le Nordiste, et j’avoue que les beaux yeux de Franck me semblaient couleur de Meuse : je savais que nous évoquerions la Place Ducale, nos enfances et Rimbaud…
Nos départements. Nos chers départements. Ceux dont nous apprenions, les doigts pleins d’encre violette, la liste interminable que nous n’utilisions qu’assis, sans ceinture, dans la 404 qui nous menait vers les plages, l’été, ou vers l’autre côté de moi, là-haut, en terre rhénane…Je les revois, les jeux de nos enfances sans game boy, ni IPod, ni smartphone, quand seuls les paysages et les voitures croisées ou dépassées égayaient nos trajets : il y avait le 11, qui nous faisait passer la Montagne Noire et nous offrait, à peine dépassée Labastide-Rouairoux, le concert des cigales et cette belle odeur de garrigue…Et puis le 34, tellement festif, tellement estival, l’apercevoir au dos d’une DS nous amenait d’un coup d’un seul à sentir la brûlure du sable sous nos pieds nus, il nous guidait vers Sète, vers sa digue et son cimetière marin…En « montant » vers l’outre-Rhin, on en croisait, des 75, et l’immanquable « Parisien, tête de chien » résonnait dans la Peugeot, tandis que notre père nous reparlait de ses années à l’ENSET de Saint-Cloud et que notre mère nous racontait l’année où elle avait été fille au pair chez Piem.
Plus tard, j’ai grandi. Sans passer jamais mon permis, mais je sillonnais notre belle région en vélo, et rêvais, là aussi, en voyant passer les 12 qui fleuraient bon le Roquefort, les 46 aussi éblouissants que le Quercy Blanc, les 09 aux allures de névés et de torrents…Parce que les départements, et leurs fameux numéros, pour moi qui détestait les maths, c’était le repère de cette France que j’aimais tant, joli découpage aussi précieux que les dentelles de l’Histoire, aussi logique et attachant que les spécialités qui faisaient et font toujours leurs renommée…Pensez-donc, à Toulouse, ma chère ville rose, impossible de trouver un « poumpet » (prononcer « poummpètt » ), ce délicieux étouffe-chrétiens au parfum inimitable, pourtant fabriqué à quelques encablures du Capitole…
C’est que si nos régions ont du talent, comme dit la Réclame, nos départements en ont encore plus, chaque commune recelant en ses recoins la véritable couleur de la France…Et c’est aussi de cela qu’il sera question dimanche, lorsque vous irez, bien sûr, voter !
Je ne vais pas dans ce petit texte vous parler des compétences dévolues à nos élus, puisque de toutes façons, elles sont encore un peu floues…Mais je peux vous dire, en tant que fille d’un Conseiller Général honoraire, le dévouement sans faille dont mon père a fait preuve durant les longues années où il a été taillable et corvéable à merci, s’impliquant jour et nuit dans la vie de son canton, œuvrant à l’amélioration du quotidien de centaines de familles, répondant au téléphone, parfois même en patois, parfois même pour un souci de bestiaux égarés, et, toujours, avec sincérité. Même si je n’ai pas toujours partagé ses opinions politiques, je peux vous assurer que les élus locaux font battre le cœur de la Nation et en sont le maillon fort, car ils occupent le terrain, car ils sont, loin des ors de la République, au plus près de ses joies et de ses peines.
Alors dimanche, votez ! Souvenez-vous de l’institutrice qui frappait vos mains tremblantes de sa règle de bois lorsque vous hésitiez à placer la Marne ou la Haute-Loire…Et, si possible, ne votez pas FN…Ne laissez pas un parti aux relents de fascisme salir nos belles provinces, ne laissez pas le Bleu Marine envahir les Lumières de la République de ses outrances populistes et de ses déviances identitaires, quand tant d’autres élus se proposent, ensemble, enfin en binômes de femmes et d’hommes égaux en droits et en devoirs, de colorier avec vous l’image de cette France que nous aimons tant !
Nous, les petits, les humbles, les sans-voix, donnons de la voix, justement, pour que les ombres du 3° Reich, du Franquisme et de l’Italie Mussolinienne ne planent pas sur nos départements. Bien sûr, des problèmes, nous en rencontrons, et je ne nierai ni l’insécurité, ni les déviances crapuleuses, ni la menace terroriste. Mais je sais aussi qu’un vote identitaire n’est JAMAIS la bonne réponse, et que seuls des élus réellement républicains, qu’ils soient du PS, de l’UMP, du Front de Gauche, du Centre, ou Verts, pourront être à la hauteur de nos attentes.
Alors dimanche, votez, votez pour la République, votez pour la belle France que nous aimons, votez pour les petits « Pays », qui, de l’Artois jusqu’au Pays Basque, au long des fleuves qui serpentent et des Nationales qui nous mènent jusqu’à la mer, font de nos départements le plus beau pays du monde !
Quitter Paris, me demandes-tu ? Tu me dis la vitesse, et les gens, et le stress. Tu m’écris que tu ne peux plus vivre « ici ».
Je ne sais que te dire, mon tendre et jeune ami. Si ce n’est d’écouter et ton cœur et ta vie. Parcourir ses voyages, oser prendre des trains, c’est aussi quelque part le pari d’un demain.
Il faudra découvrir, et oser, et plonger. Dans des villes inconnues, aux senteurs différentes, en des terres où les femmes seront moins insolentes.
Tu verrais à Bordeaux une ville océane, des embruns, des secrets, des voiliers immobiles. Et puis non loin de là ces vignobles aux tons roux, où l’automne vendange les soleils les plus fous.
A Toulouse les cambrures d’une Espagne affolée, tant de nuits où Garonne prend des airs d’Alhambra ; tu lirais notre histoire en mon beau Capitole, tu saurais qu’en l’Autan mes écrits caracolent…
Si tu vas à Marseille, ton passé sourira. Arme-toi de sourires plutôt que de courage, et sache qu’au-delà des rumeurs malveillantes, la blancheur algéroise est parfois bienveillante.
Lyon saurait t’accueillir en secrètes traboules, tu verrais des soieries, et quand tu serais ivre d’avoir bu tant de foules, tu irais vers les Alpes respirer en névés.
Mais peut-être veux-tu parcourir les silences, quitter ports et fracas, découvrir les absences ? La campagne saurait te donner abondance, quand les vents sont les seuls à parler au marcheur, quand les blés et les bois te seront un seul toit…
Rimbaud lui est parti, il allait vers l’Afrique, mais sa muse est restée, toute seule, en sa Meuse.
Garde, toi, tous tes mots, ils seront ton armure, ta potion, ton calice, quand des plaines du Nord aux soleils de Galice tu iras vers ta vie comme on aime une étoile.
Je t’attendrai toujours, pour te dire parfois, quand les nuits seront belles, les secrets des abeilles et des textes-soleils.