Comme un grand cœur battant #hommage #ruedesRosiers #attentat #Paris

Comme un grand cœur battant

Un parfum de strudel et des pains au pavot,

Des enfants en kippa qui rient aux hirondelles,

Chaque femme qui passe pourrait être Rachel,

Casque d’Or elle aussi aimait y parler haut…

La plaque en yiddish de la rue des Rosiers, réalisée par l’artiste hongrois Sebestyén Fiumei. (Crédit : Sebestyén Fiumei)

Il y a là des échoppes, on se tient par la main,

Le Marais n’est pas loin, arc-en-ciel en Paris !

Quand le rabbin traverse les touristes sourient :

Les mémoires apaisées caracolent en demains.

La nuit y fut profonde, on partit au Vel d’Hiv,

Souvenirs et souffrances si longtemps furent vives…

Et puis en plein soleil, terrassant innocences,

Peste brune à nouveau frappa aveuglément.

Mais la rue des Rosiers comme un grand cœur battant

Est debout fièrement en son berceau de France.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/attentat-de-la-rue-des-rosiers-un-hommage-national-rendu-aux-victimes-de-l-attentat-2594076.html

https://www.parislenezenlair.fr/actualites/item/987-petite-histoire-de-la-rue-des-rosiers.html

Je suis Pays de France, et je me tiens debout #CharlieHebdo #attentats

Peut être une image de mur de briques

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

**

Je suis la passerelle

entre peuples lointains,

un creuset des sourires,

un infini destin.

Je suis le garde-fou

contre l’intolérance,

ce grand phare qui brille,

un flambeau qui jaillit.

Je suis la vie qui danse

en immense rivière

de nos espoirs dressés.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis l’enfant qui joue

à ses mille marelles,

regardant ces ballons

aux éclats d’arc-en-ciel.

Je suis l’aïeul qui tremble,

son regard ne faiblit

quand mémoire caresse

les fiertés de sa vie.

Je suis femme au beau ventre

palpitant d’espérance.

Tout enfant en son sein

sera nommé Français,

elle est la Marianne,

et elle nous tient la main.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu as voulu salir

tous nos siècles de lutte,

croyant que de tes fers

tu ôterais le jour.

Tu as en vrai barbare

conspué l’innocence,

éventrant d’un seul geste

une nation de paix.

Mais nulle arme ne peut

gommer nos insolences,

nul canon ne saurait effacer

ces couleurs, ces dessins magnifiques,

ces libertés qui dansent,

et nul boucher ne fera de nos cœurs

des agneaux.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu es ce porc ignoble qui

attend les cent vierges

en violant tant de femmes

dont tu voiles les corps.

Tu es coupeur de têtes,

tu es sabre levé, tu es balle qui tue,

mais tu ne comprends pas

que tout ce sang versé ne devient que lumière.

Tu attends paradis

mais iras en enfer,

car ton Dieu punira toute ta route impie.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis le poing levé,

quand de douleur intense

d’un pays tout entier le cœur

s’est arrêté.

Je suis la place immense,

un vaisseau de courage,

un grand galion qui vole,

en espoir rassemblé.

Je suis la dignité, le partage et l’audace,

je suis mille crayons

qui dessinent soleils,

je suis cette ironie au devoir d’insolence,

je suis million de pages,

et le feutre qui offre

ces immenses fous-rires,

je suis l’impertinence,

comme une encre jetée

pour amarrer demain.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

7 janvier 2015

Peut être une image en noir et blanc de 5 personnes, personnes debout et intérieur

Une femme est morte qui aimait la #Country #Rambouillet #Stéphanie #attentat #

Récemment, une femme est morte qui aimait la Country.

Ce n’était pas n’importe quelle femme. C’était une belle âme, que tous s’accordent à louer, une maman aimante, une collègue dévouée, engagée dans son quotidien et dans la vie associative.

Elle s’appelait Stéphanie, elle est morte assassinée de la façon la plus barbare qui soit.

Je ne compte plus les textes que j’ai écrits suite à des attentats, textes de blogs, poèmes, nouvelles… Aujourd’hui, simplement, en hommage à une femme qui aimait la Country, je vais reposter un petit texte écrit il y a quelques années au sujet du festival de Mirande, qui avait été publié dans La Dépêche et dans Reflets du Temps.

Et puis j’égayerai la page avec quelques photos de santiags et aussi de mes jambes sous mon Stetson, pour em… tous les barbus contempteurs de corps et de joie.

Le Stetson, acheté à Mirande, je le porte encore, et je quitte rarement mes santiags… Pour moi qui n’ai jamais pu porter de talons, enfiler ces bottes, c’est comme me promener en escarpins : je me sens forte, femme et fière. Invincible. Libre.

Aucune description de photo disponible.

Je ne sais pas très bien comment l’expliquer, mais cette musique, que d’aucuns récrient comme étant de la « soupe » campagnarde et réac, moi, elle m’évoque justement le contraire. Sans doute parce que j’ai été biberonnée aux westerns, à la dégaine de John Wayne, et que j’ai découvert la Country en même temps que la littérature et le cinéma américains. Sans avoir jamais fait le voyage transatlantique, je suis une enfant de la Grosse Pomme et de Big sur, du bayou et des grandes plaines du Montana, des Rocheuses et du Vermont… Je sais, je ne suis pas objective, mais j’ai leur melting pot dans le sang, même s’il est virtuel. La culture amérindienne me bouleverse ; Walt Whitman et Steinbeck m’ont guidée vers les mots ; le onze septembre m’a dévastée ; et j’ai la Country dans la peau.

Peut être une image de 1 personne

Il me semble percevoir, entre les vestes frangées et les santiags, les chemises à carreaux et les dentelles, non seulement des scènes poussiéreuses où sautillent des passionnés, mais aussi ces ambiances survoltées des saloons où virevoltent les notes au son des bières et des burgers, et surtout ces grands espaces, ces prairies infinies, ces canyons majestueux… Ceux qui me lisent savent que je n’ai pas le permis, et pourtant, quand j’entends de la Country, je sauterais bien dans quelque Cadillac rose pour filer le long de la route 66, à moins de prendre un Greyhound qui me ramènerait vers quelque océan, vers les Keys ou vers le Golden Gate…

Et puis les « Country Girls » sont libres, belles et sexy ! Même en se vêtant d’une chemise de bûcheron, on laisse entrevoir la dentelle d’un corsage, et puis on ose souvent le short ou les jupes volantées.

Alors vous savez quoi ? La prochaine fois que vous entendrez Dolly Parton ou un bon vieux refrain Country, montez le son du « transistor » ou de l’enceinte, et ayez une petite pensée pour une femme libre, forte et belle qui est morte en faisant son travail au service de l’Autre, saignée à blanc par un barbare portant en lui la haine de cet Autre, de l’occident, des USA, de la musique et des femmes libres.

Ils ne gagneront jamais. Jamais. Il y aura toujours quelqu’un pour prendre une guitare et pour chanter la liberté et la vie.

https://www.rtl.fr/emission/wrtl-country

Little Big Festival

https://www.countryinmirande.com/

Bien sûr, d’aucuns trouvent que la « Kountry »-c’est comme ça qu’on dit, nous autres, dans le Gers !-, ce n’est pas bien « classe ». Ce serait même über beauf… Bien loin de l’ambiance des « Festayres » de Vic, ou des bobos branchés de Jazz in Marciac…

Bien sûr, en un sens, ils n’ont pas tort. A Mirande, dans le 32, les bouseux parlent aux bouseux, et si, au début, on s’étonne un peu de croiser de grands types en Stetson et tiags handicapés par un fort accent du terroir, peu à peu, on se laisse griser par cette ambiance Aubrac-city, et on perçoit tous les infimes cousinages entre les ploucs du fin fond de nos campagnes et les beaufs du Grand Ouest :

Même goût immodéré pour la boisson et le kitch, même rires gouailleurs…Oui, très vite, on comprend comment la greffe « kountry » a pris dans la paisible bourgade gersoise. Ici, on parle cajun et occitan. De La Fayette aux Cadets de Gascogne, il n’y a qu’un pas…

Pourtant moi, franchement, ce festival, je l’adore. Et je voudrais le dire haut et fort à tous les pisse-vinaigre qui ne le trouvent pas assez « branché », à tous ces néo-gersois qui se posent en gascons de toujours et reprennent le poncif habituel des « Oh, moi je ne vais qu’à la Salsa… » -traduisez : à Vic-Fezensac, où « Tempo Latino » draine les aficionados des rythmes chauds et des Mojitos, ou du « Je préfère nettement Marciac » -traduisez : « Moi, je ne lis que Télérama et j’écoute Delli Fiori sur Inter »…

Ils sont jaloux, c’est tout. Ils croient cracher sur le Grand Satan américain, alors que Mirande foisonne de gens tous simples, venus des quatre coins du globe, unis par la passion de la « Line Dance ». Et cette façon qu’a le Gersois lambda de snober cette manifestation, je la trouve indigne de notre tradition de l’accueil méridional.

Ce que j’aime, à la « Kountry », justement, ce sont les métissages ; il y a les vieux bikers tatoués, tout rouillés sous leurs cheveux attachés, presqu’exotiques devant leurs bécanes flambant neuves, qui côtoient les sempiternels stands d’indiens péruviens-oui, à Mirande, on a enterré la hache de guerre… Et au détour d’un effluve d’El Condor Passa, on plonge soudain dans la parade des belles Américaines, alors que retentissent déjà les premiers accords de Country roads.

Et puis la Line Dance, et toutes ces mamies fardées et chapeautées qui semblent avoir le diable au corps, sautillant dignement aux côtés de grands Custers dégingandés, tout décorés de turquoises, aussi burinés que doués en quadrilles : « Rien qui vaille la joie ! » (Sophocle.)

Bien sûr, je ne peux vous parler que du festival « off »-voir mon précédent article « Assignée à résidence ». Mais je m’en contente, en petite fille sage qui attend de grandir. Un jour, je le sais, j’aurai la permission de minuit, et je pourrai entendre Kenny Rogers au son des grillons de Gascogne.

Peut être une image de une personne ou plus, personnes debout, bottes et intérieur

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/scarlett-for-ever_b_2072059.html

https://sabineaussenac.blog/tag/attentat/

La lumière, c’est vers elle que tu marchais.#hommage à #SamuelPaty #école #attentat

Ouvrir les yeux.

Crier.

La lumière, c’est elle qui t’a ébloui.

Inspirer ta première bouffée de vie, te blottir, téter, être câliné.

Découvrir ta main, ton reflet. Beau bébé potelé tout gorgé de tendresse.

Jouer tenir assis ramper faire tes premiers pas gazouiller sourire édenté faire tes nuits rire aux éclats dire « papa ».

Regarder le ciel. T’émerveiller de ces vastes plaines auvergnates, courir le long des berges de l’Allier, devenir un garçonnet.

Apprendre à lire à la Communale, ambiance à la Pagnol peut-être, tes parents si fiers de leur fils si éveillé et curieux.

Avoir dix ans, des copains, des cartes panini, des légos et des livres, un ballon, un vélo, des genoux écorchés et toujours le sourire.

La lumière, c’est elle qui t’as guidé : vers ces auteurs que tu as dévorés dès l’adolescence, avec cette appétence pour les savoirs ; vers cette Histoire que tu rencontrais à chaque recoin de Moulins ; vers la géographie qui te donna le goût des voyages.

Grandir, écouter la radio, des CD, découvrir le rock, danser, regarder les sourires et les yeux des filles, aimer, s’émanciper, rêver, se projeter.

Travailler comme un fou, aimer l’école, le collège, le lycée, décrocher son bachot.

La liberté, tu l’as rencontrée à Lyon, jeune étudiant brillant, entre traboules et ENS, quais du fleuve et bibliothèque. À Lyon où coule le Rhône tu as su que ton cours suivrait celui de la transmission, depuis la source de tes apprentissages familiaux jusqu’au confluent de l’école de la République où tu retournerais, vers l’océan des enfants à éduquer.

Apprendre, toujours ; écrire des dissertations, des projets, des mémoires ; sortir, aussi, faire la fête, danser, chanter, être aimé. La fraternité, tu l’as vécue durant ces années étudiantes, en prépa et à la fac.

Passer les concours, te colleter aux savoirs et aux autres, te surpasser et pourtant la chérir plus que tout : l’égalité, celle qui permet à chaque enfant de la République de grandir au gé de l’école, du lycée, de l’université.

Trembler un peu avant ton premier cours, et puis te jeter dans l’arène et aimer cette étincelle, ce frisson de la foule qui t’attend et qui pourrait de toi ne faire qu’une bouchée, jeune prof fragile. Mais ne pas avoir peur, oser transmettre, combattre ta timidité, humble devant le regard des autres mais souverain sur la matière que tu enseignes.

La lumière, c’est vers elle que tu marchais. Celle qui s’allume dans les regards pleins de défi et pourtant d’espérance, celle qui fait briller la joie lorsque l’on a compris un texte ou une idée, celle qui fait danser les esprits toujours en quête d’absolu, comme le tien l’était lorsque tu avais l’âge de tes élèves.

Enseigner corriger guider rassurer calmer départager apaiser faire rire être complice partager aimer : tes cours te ressemblaient.

Et puis la vie qui passe un bonheur des nuages ton fils ta bataille une compagne qui comme toi aime la poésie vos sorties vos partages tout ces petits moments qui tissent nos chemins.

Chaque année sur le métier remettre ton ouvrage ne pas baisser les bras, car chaque enfant doit avoir le droit à l’insolence, au libre-arbitre, à la réflexion. Tu es toujours Charlie et c’est une évidence : décrypter dédramatiser ouvrir les esprits gommer les tensions nommer les libertés dessiner la laïcité se faire le flambeau de l’esprit démocratique.

Soudain l’orage gronde : expliquer t’expliquer faire face à la fronde faire le dos rond faire les cent pas faire front face aux meutes faire bonne figure auprès de tes proches faire des cauchemars faire abstraction des haines et des violences pour faire cours, encore et toujours, même au cœur des tumultes.

Te sentir humilié rabaissé avili isolé abandonné par la hiérarchie vilipendé par des inconnus lynché sur les réseaux sociaux mal à l’aise face aux élèves désemparé devant l’iniquité.

Avoir peur. Mais faire face.

La lumière. C’est vers elle que tu marchais. Enfin, les vacances. T’évader oublier te ressourcer dépasser ces horreurs.

Rabattre ta capuche, raser les murs, prendre un chemin isolé ; ne pas remarquer qu’on te suit, ou qu’on t’attend.

Crier. Hurler. Souffrir atrocement. Te sentir être mutilé découpé égorgé te sentir partir te sentir mourir.

Expirer ta dernière bouffée de vie.

Seul.

La lumière, c’est elle que tu as vu une dernière fois.

Fermer tes yeux.

***

Tu ne sais pas encore que la République que tu as tant aimée fera de toi un martyr. Que U2 veillera sur ton cercueil. Ni que le 2 novembre, le jour de la rentrée, il y aura simplement une minute de silence dans les classes, la lecture d’une lettre, et puis le silence.

Et puis la nuit.

Refuser. Refuser de t’oublier. Refuser d’oublier ta lumière, ton nom, tes combats, ta mort atroce. Sur nos pupitres d’écoliers, sur toutes nos pages lues, sur le fronton de nos collèges crier ton nom : et par le pouvoir d’un mot recommencer ta vie être né pour te connaître pour te nommer : 

Samuel Paty.

Yom HaShoah 2019: se souvenir. Et agir!

http://yomhashoah.fr/

Les osselets de la mémoire

« Il faut continuer à parler, non pas tant du camp, de ce que nous avons vécu, mais de ce qui fait la spécificité de la Shoah : je veux parler de l’extermination systématique, scientifique, de tous ceux qui dès l’arrivée au camp devaient disparaître, parce qu’ils étaient trop jeunes, trop âgés, parce qu’il n’y avait plus de place pour eux, ou tout simplement parce que l’idéologie nazie avait décidé que tous les juifs devaient être éliminés. Oui, il faut que cela soit su. Il y a encore tant de gens qui ne savent pas. Et il est si difficile de concevoir que cela ait pu se passer en plein XXe siècle, dans un pays si fier de sa culture. »

Simone Veil, interviewée pour le Nouvel Observateur en 2005.

Le texte ci-dessous date de 2014… Comme j’aimerais pouvoir dire que c’est un écrit « daté », qui aurait vieilli, qui semblerait presque ridicule… Hélas, il n’en est rien. Aujourd’hui, premier mai, nous commémorons en France la mémoire des victimes de la Déportation, tandis que le monde commémore Yom HaShoah, la journée de la mémoire des victimes de la Shoah…

Et, plus que jamais, notre printemps est un printemps qui nous dérange, une sorte de promesse fallacieuse d’un temps des cerises qui jamais n’adviendra… Combien de fois ai-je eu envie de prendre la plume ces dernières années, et plus particulièrement ces derniers mois, lorsque furent souillées les mémoires de Simone Veil et d’autres anonymes, lorsque furent profanées des tombes, des stèles de mémoire, chez nous, au pays des Lumières, en Israël, là où pourtant reposent les victimes de la tuerie de Toulouse, lorsque des synagogues, encore et toujours, furent l’objet d’attentats, lorsque des croix gammées et des étoiles juives furent dessinées au coeur de Paris…

Je pense que, plus que jamais, nous nous devons de demeurer en état de veille, de ne pas baisser nos gardes, alors même que notre Europe bascule vers les populismes, que les partis d’extrême-droite se pavanent dans les parlements de nos démocraties en danger et que les derniers survivants de la Shoah s’éteignent, leurs voix, pourtant fortes, inébranlables, n’ayant pu faire taire les démons du négationisme et les croyances ancestrales…

Il y a deux étés, je visitai ainsi le Musée Juif de Berlin en compagnie d’une collègue d’allemand polonaise, dans le cadre d’un stage organisé par le Goethe Institut. Cette collègue ne savait rien, ou presque, du judaïsme, et, tout au long de notre visite, elle me désarçonna avec des réflexions à la fois naïves et perfides, m’expliquant qu’en Pologne, on ne faisait pas beaucoup confiance aux juifs, qu’elle se demandait si ces « preuves », que nous étions en train de découvrir, étaient réelles… Ainsi, en regardant les petites valises et des vêtements de bébés sauvés des camps, elle en mettait la réalité en doute. J’en avais la nausée, en particulier lorsque je m’isolai, épuisée par ses bavardages indécents, dans l’immense salle obscure et bétonnée, aux immenses parois biseautées formant un puits inversé de lumière: la porte fermée, on se croit réellement…dans une chambre à gaz…


https://www.berlin.de/fr/monuments/3560999-3104069-musee-juif-de-berlin.fr.html

En sortant du musée, nous marchâmes longuement à travers mon cher Berlin, et je tentais, modestement, d’expliquer à ma collègue quelques rudiments au sujet des origines de l’antisémitisme, cet antisémitisme que, toute professeur d’allemand qu’elle était, toute charmante qu’elle était, elle continuait à propager, à quelques encablures d’Auschwitz… Je lui parlais comme à je parle à mes élèves qui, très rarement, sont au fait de cette « question juive »… Et ce malgré les cours au sujet des religions du monde qu’ils reçoivent au fil de leurs années d’école, comme dans le programme d’histoire de sixième, lorsqu’ils étudient le fait religieux, ou au gré du traitement de la seconde guerre mondiale, en troisième, où, même si mes collègues n’ont plus le droit de dire « holocauste » (trop « religieux », justement! ), et où le terme « Shoah » ne me semble guère usité (par exemple inconnu, encore cette année, par mes classes, excatement comme dans les sondages qui ont émaillé la presse ces derniers mois…), nos élèves sont tout de même confrontés au terme de « judaïsme » et à l’histoire…

Ma collègue -tout comme nos élèves, si souvent…- ignorait qu’il se disait que « les juifs » avaient tué Jésus; ma collègue ignorait l’ostracisme vécu par les communautés juives au fil des siècles, le fait que certains métiers leur fussent interdits autrefois, leur rapport privilégié, par là même, avec les métiers de l’usure… Elle ne savait pas non plus qu’il avait existé des ghettos en dehors de celui de Varsovie, ne connaissait pas le terme de « pogrom »… Ma collègue, enseignant l’allemand à de jeunes polonais, mon adorable collègue à l’accent chantant, avec laquelle j’ai découvert Berlin pour la première fois de ma vie, ma collègue me bouleversait de par son ignorance crasse, scandaleuse, de par un antisémitisme quasi « naturel »… Et cette ignorance, combien de fois l’ai-je retrouvée au détour de « smal talk », de conversations légères avec des inconnus, des commerçants, des collègues, même…

Alors je dis, je répète, je martèle que, oui, il est urgent de refonder notre politique autour du « devoir de mémoire », car, au seuil des élections européennes, après la multiplication en France de crimes antisémites plus odieux les uns que les autres -je voudrais saluer la mémoire des victimes de la tuerie de Toulouse, mais aussi celle d’Ilan Halimi, de Sarah Halimi, de Mireille Knoll…- , après l’inquiétante accumulation d’actes de vandalisme antisémites, et devant les montées en puissance de l’antisémitisme mondial, il est du devoir de notre démocratie de poursuivre l’éducation des plus jeunes, mais aussi de la nation tout entière, en racontant encore et toujours le fait historique immonde de la barbarie concentrationnaire, mais aussi en éclairant les esprits autour du fait religieux. Notre loi sur la laïcité est merveilleuse, car non seulement elle préserve l’espace public de tout signe ostentatoire, mais aussi elle est censée permettre l’éducation à la tolérance. Allons plus loin. Osons nous inspirer, peut-être, même si cela semble paradoxal, des rapprochements éclairés faits par des religieux eux-mêmes!

http://www.seuil.com/ouvrage/des-mille-et-une-facons-d-etre-juif-ou-musulman-delphine-horvilleur/9782021349306

Plutôt que d’entériner les guerres intestines liées à la politique au Moyen-Orient, plutôt que de tolérer les appels au boycott d’Israël et les festivals pro palestiniens qui fleurissent, ravivant ainsi les tendances fratricides si présentes déjà dans les « quartiers », ayons le bon sens de favoriser, au contraire, le vivre-ensemble! Si je clique sur Google « pro palestine Toulouse », en ce premier mai 2019, je trouve ainsi, en ma seule ville rose, des dizaines de manifestations de soutien en faveur de la Palestine, entre le « Ciné Palestine » de la Cinémathèque et les recueils de poésie, en passant par les appels au boycott… Mais rien n’est fait pour rapprocher les communautés… Alors que des solutions existent…

Et c’est ainsi que malgré nos efforts d’enseignants, l’histoire se répète, encore et toujours. Et c’est ainsi que j’ai été obligée de quitter, il y a quelques semaines, au lendemain de la profanation du cimetière juif de Strasbourg, une manifestation poétique pourtant peuplée d’intellectuels éclairés, d’amoureux des mots, de gens représentant la parole, l’esprit, la réflexion… Ce soir-là, en effet, nous était présenté un superbe recueil de poèmes en faveur de Gaza, « Requiem pour Gaza », et j’ai eu, dans un premier temps, plaisir à en écouter des extraits, superbement écrits et récités.

https://www.france-palestine.org/Requiem-pour-Gaza-recueil-d-un-collectif-de-30-poetes

Cependant, ensuite, j’osai, devant la petite assemblée, interroger un auteur présent: comment ressentait-il, justement, la prolifération d’actes antisémites, en particulier cette profanation récente du cimetière de Quatzenheim? Aussitôt, des sourires amusés s’élevèrent dans le public présent autour de la table; une participante éclata presque de rire en disant que c’était « un coup de Macron », et qu’elle n’y croyait pas une seconde, et les autres d’acquiescer. Médusée, je leur rappelai qu’une enquête de flagrance était ouverte, et que de multiples actes antisémites fleurissaient, depuis plusieurs mois…

Ils sont venus
tuer les
pierres , lapider les morts
de leur bêtise crasse.

Ils ont griffé la
terre de leurs doigts
ignorants, fossoyeurs
de l’immonde,
dépeçant le silence.

Tels des vautours
affamés, ils ont conspué
l’Éternité,
crevant les yeux du granit,
éventrant le sein
des marbres :
charognards de
l’Indicible.

https://sabineaussenac.blog/2015/02/18/763/

En vain. Le complotisme de certains intellectuels présents me terrifia, ébranlant fortement mes convictions dans le pouvoir de la réflexion: on pouvait donc écrire de la poésie, s’émouvoir de la situation à Gaza, mais pas de celle des juifs de France? Après avoir tenté en vain d’expliquer certaines de mes idées, et après avoir évoqué les meurtes commis à l’école juive de Toulouse en 2012, je me levai et partis. Effondrée.

phttps://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Plus récemment, lors d’une soirée, je me rendis compte que certains de mes amis adoraient Renaud Camus, « un auteur extraordinaire », alors que cet obscurantiste est à l’origine des théories du « grand remplacement » et que le djihadiste de Christchurch s’est inspiré de ses écrits… Alors que cette personne baigne dans de fâcheuses compromissions autour de l’antisémitisme…

https://www.renaud-camus.net/affaire/kechichian.htm

Alors oui, plus que jamais, il est d’actualité d’évoquer le souvenir de la Shoah, et aussi de réflechir à des stratégies démocratiques pour renforcer le vivre-ensemble. Diffuser régulièrement « Rabbi Jacob » ou « La vérité si je mens » à la télévision ne suffit plus! Il faudrait réellement et de façon insistante expliquer aux Français, dont certains se sont illustrés récemment par un lynchage envers des Roms accusés d’avoir « volé des enfants », que le lobby juif ne possède pas les médias, et qu’il n’est pas correct de dessiner des croix gammées sur des portraits de Simone Veil ni de détruire des tombes juives, parce qu’on commence comme ça, et ensuite on finit par tuer une enfant juive d’une balle dans la tête… Il faudrait aussi que les modérateurs des réseaux sociaux soient plus attentifs à l’antisémitisme largement diffusé au fil du net, en particulier, hélas, au gré des pages de l’ultra-gauche. Là aussi, antisionisme et antisémitisme flirtent dangereusement l’un avec l’autre, au fil de discours souvent policés et pervers, bien capables d’embrigader de jeunes esprits maléables…

Ayons confiance. Ayons confiance dans ce pouvoir du partage et de la conviction, mais osons dire les choses, expliquer, ne pas courber l’échine devant ceux qui veulent hurler plus fort que les autres, déformer l’histoire et salir les morts et les Justes. Inspirons-nous des associations, demandons au gouvernement de promouvoir les métissages et l’éducation à la tolérance…

https://www.franceinter.fr/societe/salam-shalom-salut-montrer-que-juifs-et-arabes-peuvent-tres-bien-vivre-ensemble-en-france

Soyons dignes de Simone, de Marceline, et des millions de victimes qui, toutes, méritent d’être nommées dans leur dignité de femmes et d’hommes.

Ne pas oublier

barbaries indicibles.

Garder la lumière.

忘れないで

言葉にならない野蛮人。

光を保ちなさい。

Wasurenaide

Kotoba ni naranai yaban hito.

Hikari o tamochi nasai.


https://www.vanupied.com/varsovie/varsovie-atmosphere/ghetto-de-varsovie-de-sa-creation-a-l-insurrection.html

https://www.huffingtonpost.fr/2018/11/09/les-actes-antisemites-explosent-en-2018-en-france_a_23584388/

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/la-shoah-cest-has-been_b_1676229.html

https://sabineaussenac.blog/2014/02/10/ilan-halimi-8-ans-deja/

2014: L’autre côté de moi

 » Je n’ai aucune réelle légitimité pour évoquer le 19 mars 2012 et les autres meurtres commis par Mohamed Merah. Je ne suis pas juive, je ne suis pas militaire, je n’ai pas été touchée par l’antisémitisme. Ou, en fait, si, mais à contrario : parce que je suis, par ma mère, d’origine allemande. Parce que je sais que si mes grands-parents n’ont pas eu la carte du parti, mon grand-père était cependant soldat de la Wehrmacht ; il a fait le Front de l’Est, est resté des mois prisonnier.

C’est lui qui, un jour, m’a mis le roman « Exodus » entre les mains, sans un mot. J’avais 13 ans, je lisais à peine l’allemand, et pourtant j’ai lu, et compris. La même année, j’avais lu le Journal d’Anne, et, là aussi, ouvert les yeux. Mon pays adoré, ma deuxième patrie, mon Allemagne des contes de Grimm, des longues promenades le long du Rhin, de mes grands-parents chéris, avait donc aussi été le pays de l’Indicible.

L’autre côté de moi

L’autre côté de moi sur la rive rhénane. Mes étés ont aussi des couleurs de houblon.

Immensité d’un ciel changeant, exotique rhubarbe. Mon Allemagne, le Brunnen du grand parc, pain noir du bonheur.

Plus tard, les charniers.

Il me tend « Exodus » et mille étoiles jaunes. L’homme de ma vie fait de moi la diseuse.

Lettres du front de l’est de mon grand-père, et l’odeur de gazon coupé.

Mon Allemagne, entre chevreuils et cendres.

Bien sûr, les Allemands ont souffert : ma mère encore ne peut entendre un avion sans frémir, et je sais que la blondinette de 4 ans a eu peur, faim, froid.

Mais quelque part, je suis la seule de ma famille à, en quelque sorte, « porter la Shoah ». La Shoah par balles de mon grand-père, que personne n’a jamais encore osé évoquer avec moi. Et surtout la Shoah tout court.

Alors depuis mon adolescence, je cherche, je regarde, je réfléchis…Ces amis chez lesquels j’avais été jeune fille au pair, qui, chaque année, partaient dans un kibboutz pour « racheter la Faute », m’avaient donné des livres sur le judaïsme…Et puis un jour j’ai trébuché sur Rose Ausländer, « ma » poétesse juive de la Shoah, et, bien tard, à 44 ans, je lui ai consacré un mémoire de DEA…J’ai même, un temps, flirté avec une idée de conversion…

Les miens se moquaient de moi : « Mais qu’est-ce-que tu as encore, avec tes juifs ? » Pourtant, oui, il y a cette étrange proximité, et puis mes larmes d’enfants lorsque j’entendais du Chopin ou des valses tziganes, et puis mon profond dégoût à mélanger par exemple du fromage et du poisson…

Mais au-delà de l’anecdote, je me suis juré de témoigner. De dire, toujours. Ainsi je parle de la Shoah lors de mes cours, bien entendu, lorsque je fais mon métier de prof…d’allemand. Même quand on m’envoie en terre d’Islam, dans les Quartiers où les élèves ricanent au seul nom de « juif », dans ces classes où, une année, j’ai été obligée de faire noter dans le carnet de correspondance :

« Je ne prononcerai plus le nom du Führer en cours sans y avoir été invité », tant les élèves adoraient parler d’Hitler et du gazage des juifs…

Alors en ce beau matin de mars 2012, quand un élève, dans mon lycée de campagne, a reçu un sms de son père policier à l’interclasse, un sms qui lui parlait du massacre à l’école juive de Toulouse, j’ai immédiatement écrit, à la récréation, une phrase sur le tableau d’affichage devant la salle des profs; au feutre, j’ai noté simplement :

« Premier attentat antisémite en France depuis la rue des Rosiers. »

Et j’ai dessiné une petite étoile juive.

Puis je suis retournée en salle des profs. Moi, je tremblais. Entre temps, j’avais allumé l’ordinateur. J’avais lu les dépêches, les récits des faits.

J’avais lu qu’un homme fou avait abattu de sang-froid un père et ses deux enfants, dont j’apprendrais plus tard qu’il s’agissait du jeune Jonathan Sandler et de ses petits Gabriel, 4 ans, et Arieh, 5 ans, devant l’école Ozar Hatorah de ma ville rose, à quelques kilomètres de la bourgade où j’enseignais. J’avais lu que cet homme ensuite avait pénétré dans l’enceinte de l’école et blessé d’autres personnes, et surtout qu’il avait tiré une balle dans la tête de la petite fille qu’il tenait par les cheveux. Plus tard, on me dira qu’elle s’appelait Myriam Monsonegro, qu’elle avait 7 ans et était la fille du directeur de l’école : ce dernier avait vu mourir sa fille.

En ce matin du 19 mars 2012, vers 10 h, je tremblais. Parce que déjà j’avais lu certains détails, et parce qu’il me semblait intolérable qu’un tel attentat se produise, en France, si longtemps après la Shoah. Après la Shoah.

Dans la salle des profs qui bruissait et papotait, les conversations, certes, s’étaient quelques minutes orientées vers la nouvelle de l’attentat, mais, bien vite, le quotidien avait repris le dessus ; on parlait des devoirs surveillés, du bac blanc, de telle classe à problèmes…Je me souviens du rire presque hystérique de cette collègue, qui déchirait l’espace et me vrillait indécemment ce décalage dans les oreilles.

En passant pour remonter en cours, un collègue, posté devant le tableau blanc portant mon inscription, m’interpella :

–         C’est toi qui as écrit ça ? Mais c’est n’importe quoi ! Comment affirmes-tu qu’il s’agit d’un attentat antisémite ? Tu te bases sur quoi ?

Interloquée, je le regardai, sans comprendre. Je lui répétai alors ce que j’avais lu et entendu, je lui parlais du nom de ce lycée juif, et de la balle tirée à bout portant dans la tête de Myriam.

Il souriait, ricanait presque. Il me répéta que cette action pouvait aussi être celle d’un déséquilibré, ce ne serait pas la première fois. Il monta en cours, presque guilleret. J’avais envie de vomir.

Mon inscription a disparu très vite. Quelques jours plus tard, « on » m’a convoquée, « on » m’a expliqué que mes activités d’écriture avaient déjà été « repérées » par « les autorités », et puis la loi sur la laïcité, et qu’est-ce-que c’était que ce dessin d’étoile juive, mais je me croyais où ? Entre temps, j’avais en effet écrit sur le Huffington Post ma « Lettre à Myriam », qui avait fait le tour du monde, qui avait été reprise sur d’autres blogs, mais…le fait que j’y évoque mon métier, et l’autre établissement où j’enseignais cette année-là, avait dérangé…

« On » me parla du « devoir de réserve », qui, j’ai vérifié, n’existe pas pour les enseignants. Et puis durant quelques jours, alors même que Toulouse pleurait, organisait des Marches Blanches, alors même que la terre d’Israël accueillait les victimes, alors même que Éva Sandler, la veuve et maman des petites victimes, impressionnait la terre entière par sa dignité, alors même qu’une autre maman extrêmement courageuse commençait son combat pour la mémoire de son fils assassiné, son combat pour la paix et la fraternité qui lui a valu encore récemment de recevoir un prix à Toulouse, lors du repas du CRIF, car je n’oublie pas ici la mémoire des soldats tués à Montauban et Toulouse, Abel Chennouf, Mohamed Negouad et Imad Ibn Ziaten, moi, je tremblais à nouveau, mais de peur :

Car « on » m’avait parlé de représailles administratives, « on » m’avait mise en garde, « on » m’avait expliqué que certaines choses n’étaient pas bonnes à dire, que je devais tenir ma langue, mon rang, au lieu de tenir tête…

Je me souviens de mes mails à des amis en Israël, de quelques contacts avec des avocats…

C’est si loin…C’est si dérisoire, aussi. J’ai presque honte de m’être inquiétée, quand les parents des victimes pleuraient encore leurs morts, quand les balles des forces de l’ordre eurent raison de la Bête.

Je pensais que la France serait forte. Je pensais sincèrement que cet acte odieux serait le dernier, que jamais, plus jamais de telles abjections se produiraient.

Mais j’étais naïve. Car depuis, dans cette même ville rose, il y a quelques semaines, des quolibets et des insultes ont empêché la délégation juive de manifester après que des tags antisémites aient souillé notre brique rose. Car depuis, dans tout l’hexagone, un prétendu humoriste à la solde de l’Iran et des néonazis a libéré la parole en reprenant le salut hitlérien sous la forme de cette ridicule quenelle.

Je ne suis pas juive. Je ne suis pas militaire.

Je n’ai pas été victime de Mohamed Merah.

À Toulouse, le printemps est là, les forsythias ensoleillent les jardins, nous guettons presque les onyx des hirondelles qui bientôt reviendront. J’entends quelque part les voix de ceux qui me soufflent « Mais qu’est-ce-que tu fais encore avec tes histoires de juifs ? Reste tranquille, fais ton travail, c’est tout…Qui es-tu, pour prétendre t’exprimer sur ces sujets-là ? »

Rien. Je ne suis rien, je ne suis personne.

Simplement une prof d’allemand en deuil de la démocratie. »

Damit kein Licht uns liebe

Sie kamen

mit scharfen Fahnen und Pistolen

schossen alle Sterne und den Mond ab

damit kein Licht uns bliebe

damit kein Licht uns liebe

Da begruben wir die Sonne

Es war eine unendliche Sonnenfinsternis

Pour qu’aucune lumière ne nous aime

Ils sont venus

portant drapeaux acérés et pistolets

ont abattu toutes les étoiles et la lune

pour qu’aucune lumière ne nous reste

pour qu’aucune lumière ne nous aime

Alors nous avons enterré le soleil

Ce fut une éclipse sans fin

(in Blinder Sommer / Été aveugle)

Rose Ausländer

Notre-Dame de l’Espérance: hommage pascal à Notre-Dame de Paris

Concert hommage à Notre-Dame, 20 avril 2019: Petits-Chanteurs à la Croix de Bois

« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. »

 Victor Hugo, Notre-Dame de Paris

Comme nous les avons lues et relues, ces lignes prophétiques, depuis quelques jours…

C’est la première chose que chercha mon fils en arrivant à bout de souffle, après mon coup de fil, à la maison : le roman de Victor Hugo, qu’il avait lu et relu en Classes préparatoires, il y a deux ans. Quant à moi, ébahie, criant et pleurant seule devant les images effroyables diffusées par les chaînes de télévision aussi sidérées que le monde, je me crus revenue en d’autres jours dévastés, me remémorant les panaches de fumée et mon bouleversement du 11 septembre, mais aussi mes cris de tristesse lors des massacres de Charlie-Hebdo et mes pleurs inconsolés du Bataclan…Pour Charlie, j’avais appelé mon premier ex-mari, et nous avions évoqué ensemble, effondrés, nos bulles et nos révoltes de jeunesse. Ce qui est pratique, quand on a eu plusieurs vies, c’est de pouvoir aussi appeler un deuxième ex-époux : ce dernier, je l’avais vu pour la première fois devant le Parvis de Notre-Dame…

J’ai lu depuis des centaines de lignes autour des polémiques ravageant internet et les médias depuis ce funeste ravage ; j’ai entendu hurler les bien-pensants qui refusent de comparer une seule vie humaine et des « vieilles pierres », et puis les idéologues des réseaux sociaux, scandalisés par les dons des « riches » alors que tant de « misérables » battent le pavé ou y dorment, nourrissons dans les bras, sous quelque tente de fortune, sans oublier les cris d’orfraie qui s’ensuivirent après les paroles catholicisantes et complotistes d’un Zemmour au mieux de sa forme…

Ce n’est pas du tout, pourtant, ce que je retiens de cette semaine à la fois Sainte et emplie des démons du feu et de la désolation.

Henri Garat/ Ville de Paris

Non, en ce samedi de Veillée Pascale, j’ai plutôt l’impression que la France et le monde m’ont, chaleureusement, serrée entre leurs bras, tant nous fûmes nombreux, depuis les Quais de Seine ou via nos écrans, à nous rassembler, pleurant, priant, nous lamentant, nous consolant de concert …

« Bien des hommes, de tous les pays de la terre

Viendront, pour contempler cette ruine austère,

Rêveurs, et relisant le livre de Victor :

Alors ils croiront voir la vieille basilique,

Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,

Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! »

Gérard de Nerval, « Notre-Dame de Paris »

Car lundi soir, déjà, celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas, ou différemment, m’avaient déjà bouleversée à parts égales : Il y avait eu les larmes de notre cher histrion du patrimoine, Stéphane Bern, et son émotion en miroir du chagrin de tout un peuple, sincère et irrépressible.

https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/stephane-bern-on-a-que-nos-larmes-pour-pleurer-1154377.html

Et, peu ou prou en même temps, on entendit s’élever les mots-tocsins, comme disait Maïakovski, de notre tribun national, lui aussi si profondément touché qu’on l’eût soudain cru converti au catholicisme, tout mécréant qu’il semble…

https://lafranceinsoumise.fr/2019/04/16/incendie-a-notre-dame-de-paris-tout-va-au-grand-corps-qui-est-la-et-qui-brule/

Mélenchon a su évoquer, avec la force d’un historien, cette grâce qui auréole notre cathédrale, des avancées des sciences qui rendirent possible son élévation à la foi patrimoniale qui nous rassembla si incongrument en ce beau soir d’avril. Oui, en cet instant qui dura une nuit, veillée pascale avant l’heure, « tout va au grand corps qui est là et qui brûle », et il reprendra ces réflexions sur son blog pour évoquer notre « cathédrale commune » :

https://melenchon.fr/2019/04/15/notre-cathedrale-commune/

Ainsi, de l’hériter des « bouffeurs de curés » au chantre des lieux sacrés, nous perçûmes un même élan qui vint rejoindre celui de ces jeunes inconnus rassemblés Place St Michel, pleurant des Pater, des Ave et des chants en regardant se consumer leur foi comme un grand vaisseau de feu :

Mais bien au-delà des quais de Seine endeuillés, c’est bien le monde entier qui, comme devant un jardin où brûleraient les lilas et les roses, a accouru au chevet d’une église assiégée par le feu :

« Je n’oublierai jamais l’illusion tragique
Le cortège les cris la foule et le soleil
Les chars chargés d’amour les dons de la Belgique
L’air qui tremble et la route à ce bourdon d’abeilles
Le triomphe imprudent qui prime la querelle
Le sang que préfigure en carmin le baiser
Et ceux qui vont mourir debout dans les tourelles
Entourés de lilas par un peuple grisé »

Louis Aragon, « Les lilas et les roses »

En effet, en zappant, hébétée et effondrée, à près de 600 km du Point zéro du Parvis de Notre-Dame depuis ma ville rose, entre les chaînes d’information de différents pays, c’est bien un cortège de soutien à notre église en flammes que j’ai vu s’avancer, en une immense marche blanche virtuelle, comme une chorégie de pleureuses venue épauler un pays en passe de devenir orphelin d’un monde perdu.

Jean-Claude Coutausse

Et cette solidarité a continué au fil de la semaine Sainte, du don des petites gens offrant un euro en déposant leur caddy, telle une modeste obole dans le panier de la quête des dimanches, aux sommes incalculables des financiers de ce monde, offertes spontanément ou presque, avec ou sans promesse de profiter d’une déduction de l’impôt, comme si les Fugger, ces grands banquiers de l’Europe médiévale, avaient décidé de contribuer gratuitement à la construction d’une basilique…

Comment ne pas évoquer les vers de Péguy dans sa « Présentation de Paris à Notre-Dame », et son vaisseau voguant vers la mer des Sargasses ?

« Nuls ballots n’entreraient par les panneaux béants,
Et nous arriverions dans la mer de Sargasse
Traînant cette inutile et grotesque carcasse
Et les Anglais diraient : ils n’ont rien mis dedans. »

Car ce n’est plus Notre-Dame qui vogue vers l’immense mais une planète entière qui s’est empressée pour voler au secours d’une dame outragée, toutes religions et pensées confondues. Et ce ne sont pas les quelques centaines de tweets décérébrés, à la gloire de je ne sais quelle puissance vengeresse qui serait venue allègrement détruire le Sacré de Paris, que je retiens encore, mais toujours cette union sacrée des libres-penseurs et des croyants, et surtout ces appels des consistoires et des grands conseils juifs et musulmans à relayer la chaîne des dons, comme des villageois d’antan se passant les seaux d’eau pour éteindre les flammes d’un beffroi, une eau soudain aussi lustrale que celle des sacres baptismaux, d’un mikvé, ce bain rituel de purification hébraïque ou des ablutions de l’Islam…

Jamais le terme « religion » n’a été aussi proche, pour notre France à genoux, de celui de « religere », qui signifie « relier ». Il est là, notre miracle pascal, précieux comme ce coq sauvé des flammes et protégeant encore la fameuse relique de la Couronne d’épines, bourdonnant en nos cœurs comme les abeilles miraculés des toits de la cathédrale, incandescent, mais debout, comme la croix et le tabernacle de l’autel, vigies vaillantes, demeurées à bord du vaisseau en perdition comme le capitaine et son second refusant de quitter un navire, un miracle que même les fiels des mauvaises langues pharisiennes n’écorneront pas car il nous appartient, comme nous appartiennent nos émotions singulières et nos relations intimes à ce monument national.

Nul n’a le droit de me dicter mes ressentis, et je maintiens que j’ai brûlé de la même colère et pleuré de la même dévastation que lors de l’effondrement des Tours Jumelles ou des attentats, car ce sont les milliards d’âmes que je voyais, dans ces « jumelles tours » devant l’immonde rougeoiement, se consumer tels les damnés d’un tableau de Jérôme Bosch, ces âmes-mémoires qui ont fondé, depuis mille ans, notre histoire et notre rapport au monde…

« Comme, pour son bonsoir, d’une plus riche teinte,
Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte,
Ébauchée à grands traits à l’horizon de feu ;
Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre,
Semblent les deux grands bras que la ville en prière,
Avant de s’endormir, élève vers son Dieu. »

Théophile Gautier, « Notre-Dame »

Dessin et lavis de Victor Hugo

Je pensais à ces Laboratores, à ces paysans devenus Compagnons, qui par milliers, au fil des siècles, façonnèrent notre joyau, des maîtres-verriers aux petites mains, en passant par les hectares de chênaies ayant permis l’élaboration extraordinaire de notre charpente-forêt partie en fumée, à ces troncs devenus piliers de la terre ; je pensais aux circonvolutions dentellières de la pierre caressée par mille burins experts, aux rosaces parfaites et au plomb fondu à nouveau, un millénaire plus tard, sous nos yeux incrédules.

Je pensais à ces Oratores et à leurs ouailles, à ces bergers et à leurs troupeaux qui, de l’aube du christianisme à nos Pâques de l’an 2019, ont su faire ériger de fragiles chapelles, des rondeurs romanes, puis des arcs gothiques pour dresser des ponts entre l’Homme et le Divin, et à la tristesse insondable des chrétiens, qui ressemble tant à celle des juifs après la Nuit de Cristal où l’on brûla les synagogues ou à celle des musulmans lorsque des barbus devenus fous détruisirent des lieux sacrés à Mossoul, ou lorsque l’état chinois rasa des mosquées en région ouïgoure…

https://www.nouvelobs.com/monde/20190407.OBS11230/la-chine-a-rase-plusieurs-grandes-mosquees-en-region-ouigoure-montrent-des-images-satellite.html

Et je pensais à ces Bellatores, le cœur vaillant et l’âme fière, qui rallièrent les cloches battant à la volée lors de la Libération, quand on entonna un Magnificat malgré une fusillade, comme en un « arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus »…

« Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe

Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus

Liberté dont frémit le silence des harpes

Ma France d’au-delà le déluge salut »

Louis Aragon, « Je vous salue ma France »

https://www.franceculture.fr/litterature/louis-aragon-lit-je-vous-salue-ma-france

N’oublions pas enfin que nous avons tous en nous quelque chose de Notre-Dame, cœur de Paris et de l’Île Saint-Louis, mais aussi patrimoine architectural et cultuel universel… Et pour nous, petit peuple de France, c’est comme un chapelet mémoriel que nous pouvons, chacun dans notre demeure, dévider, en hommage à cette maison de Dieu devenue à la fois agora communautaire et oïkos personnel : on se souviendra d’un voyage de classe et des ors de Lutèce surgis après une nuit passée dans le « Capitole » qui ralliait Paris depuis la ville rose, où, devant nos yeux éblouis les deux tours nous semblaient centre du monde… Ou peut-être d’un cadenas fermé d’un baiser sur un pont de Paris juste avant ce cierge scellant quelque promesse…

Aujourd’hui, en ce samedi où la fièvre jaune une foi(s) de plus arpente le pavé, je ne veux retenir que la grâce et l’espérance pascales, et me souvenir que Notre-Dame, outragée, brisée, martyrisée mais libérée des flammes, sera reconstruite par notre peuple de bâtisseurs, par une France toujours, même si souvent bien frileusement, fille aînée de l’Église, n’en déplaise aux pisse-vinaigre.

Et je me veux résolument optimiste, comme toujours, allant jusqu’à l’espérance folle que cette chaîne de solidarité déployée de l’Oural à l’Atlas, des cities de cols blancs aux ors du Vatican, pourra bientôt aussi alimenter d’autres besoins, tout aussi criants, des armées de misérables qui hantent nos rues. Car la Cour des miracles, c’est vrai, se rencontre aujourd’hui non plus sur le Parvis de Notre-Dame, mais au détour de nos villes de province où, partout, les gueux grelottent dans des tentes dressées à la va-vite par quelque association, abritant les yeux de braise de mendiantes berçant des enfançons, devant l’indifférence des passants honnêtes… Il faudra que les élans de bienfaisance se multiplient, comme le pain et le vin aux Noces de Cana, et je l’espère de tous mes vœux.

« La Charité aime ce qui est.
Dans le Temps et dans l’Éternité.
Dieu et le prochain.
Comme la Foi voit.
Dieu et la création.
Mais l’Espérance aime ce qui sera.
Dans le temps et dans l’éternité.

Pour ainsi dire dans le futur de l’éternité.

L’Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera
Dans le futur du temps et de l’éternité. »

Charles Péguy, « La petite espérance »

Demain, dès l’aube, les chrétiens du monde se salueront en allégresse, s’écriant « Il est ressuscité ! » , confortés dans leur foi, tandis que leurs frères juifs seront dans la semaine de Pessah, leurs frères musulmans à l’orée du Ramadan, et que de nombreux enfants, croyants ou pas, en une immense ronde sucrée, chercheront des œufs et des cloches en chocolat…

Et dans quelques années, si Dieu me prête vie, comme disait ma chère grand-mère qui m’éleva à la foi chrétienne, peut-être me sera-t-il donné de visiter Notre-Dame reconstruite, et, surtout, de m’y recueillir.

« En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame. »

Théophile Gautier, « Soleil couchant »

Puisse cette cathédrale qui plonge ses racines dans notre unité nationale, creuset de nos passés, de nos Lumières françaises, à nouveau déployer les ailes de sa magnificence et de sa bienveillance, et que du feu renaisse un phénix de pierre, de beauté et de foi !

« Puisque les paroles, ô mon Dieu, ne sont pas faites pour rester inertes dans nos livres, mais pour nous posséder et pour courir le monde en nous, permettez que de ce feu de joie, allumé par vous, jadis sur une montagne, et de cette leçon de bonheur, des étincelles nous atteignent et nous mordent, nous investissent, nous envahissent. »

Madeleine Delbrêl.

Et que les cloches demain vrillent cette espérance pascale dans le cœur de tous, étourdissant les lilas et les roses, tourbillonnant dans l’air de Paris et de la France comme mille hirondelles annonçant les printemps, carillonnant comme une symphonie se faisant tempête, rebaptisant pour un temps notre cathédrale en « Notre-Dame de l’Espérance », en hommage à Notre-Dame de Paris chantée par Hugo :

« Au-dessous, au plus profond du concert, vous distinguez confusément le chant intérieur des églises qui transpire à travers les pores vibrants de leurs voûtes. — Certes, c’est là un opéra qui vaut la peine d’être écouté. D’ordinaire, la rumeur qui s’échappe de Paris le jour, c’est la ville qui parle ; la nuit, c’est la ville qui respire ; ici, c’est la ville qui chante. Prêtez donc l’oreille à ce tutti des clochers ; répandez sur l’ensemble le murmure d’un demi-million d’hommes, la plainte éternelle du fleuve, les souffles infinis du vent, le quatuor grave et lointain des quatre forêts disposées sur les collines de l’horizon comme d’immenses buffets d’orgue, éteignez-y, ainsi que dans une demi-teinte, tout ce que le carillon central aurait de trop rauque et de trop aigu, et dites si vous connaissez au monde quelque chose de plus riche, de plus joyeux, de plus doré, de plus éblouissant que ce tumulte de cloches et de sonneries ; que cette fournaise de musique ; que ces dix mille voix d’airain chantant à la fois dans des flûtes de pierre hautes de trois cents pieds ; que cette cité qui n’est plus qu’un orchestre ; que cette symphonie qui fait le bruit d’une tempête. »

Mon père, quais de Seine, années cinquante…

https://www.franceculture.fr/emissions/la-nuit-revee-de/lieux-de-memoire-notre-dame-de-paris

Vous souhaiter…Bonne année 2019!

Vous souhaiter…

L’amour, celui qui vibrionne et carillonne en chantant, par les beaux soirs d’été lorsqu’on part aux étoiles…

La joie, celle qui donne les joues roses aux petiots et les larmes aux creux des yeux délavés des Anciens.

Le rire, celui qui fait glousser les corsages et tressaillir les salles obscures, sonore et pimpant, tout ourlé de fous-rires.

La paix, celle qui clame en grandes plaines que le front a cédé et que les vareuses bleu de sang pourront rentrer au pays.

Le temps, celui qui coule paresseusement comme la Loire en châteaux, s’étirant femme fière de ses atours éternels, sans savoir qu’elle va à la mer.

La folie, celle qui, douce et guillerette, rend les femmes amoureuses et les hommes à passions.

Le courage, celui qui soulève le métro pour arrêter la bombe et qui offre à la femme battue les ailes de sa fuite.

La bonté, celle qui donne aux escarres l’impression d’être roses ou jasmin, quand un sourire éclaire les nuits longues des errants de la vie.

Le rêve, celui qui crée les mondes et dessine l’envie, quand le cancre devient premier violon et que nos nuits outremarines se piquètent d’étoiles.

L’invention, celle qui océane les déserts ensablés ou rend à cet enfant ce cœur qui bat l’amble.

Le désir, celui qui crépite, incendiaire, dans les corps des aimants, dévorant les ivresses comme un grand soleil rouge.

La beauté, celle qui peint les toiles en oranges sanguines et délie les corps des ballerines éternelles.

Le détachement, celui qui berce les solitudes toutes brodées d’ipomées, cheminant vers montagnes en offrandes de vie.

La volonté, celle qui guide l’égaré vers les sentes odorantes, là où mille tilleuls ombragent sources claires.

Le plaisir, celui qui se partage sous les pommiers tout enivrés d’abeilles ou dans un lit froissé qui frémit sous le vent.

La fraternité, celle qui se rencontre quand on n’a plus rien et qui met l’homme d’équerre malgré de lourds chagrins.

Le voyage, celui qui comme un père vous guide et vous élève, ou comme mère aimante vous embrasse en folies.

L’espérance, celle qui jamais ne cèdera d’un pouce aux idées sombres des pisse-vinaigre, car toujours nous resterons debout.

Le savoir, celui qui déchire les voiles de mille  obscurantismes et lève l’ancre pour de nouvelles découvertes.

La douceur, celle qui prend la main ou caresse satin ou embrasse carmin et embrase matins.

 

Je vous embrasse et vous aime!

Comme autant d’arcs-en-ciel #fraternité #paix #vivreensemble #femmes

Comme autant d’arcs-en-ciel

 

Quelques ombres déjà passent, furtives, derrière les persiennes. L’air est chargé du parfum des tilleuls, les oiseaux font du parc Monceau l’antichambre du paradis ; l’aube va poindre et ils la colorent de mille chants…

Devant moi, sur le lit, la boîte cabossée déborde ; depuis minuit, fébrile, je m’y promène pour m’y ancrer avant mon envol… Je parcours tendrement les pages jaunies, je croise les regards malicieux et dignes, j’entends les voix chères qui se sont tues depuis si longtemps…

Je me souviens.

Des sourires moqueurs de mes camarades quand j’arrivais en classe, vêtue de tenues démodées, parfois un peu reprisées, mais toujours propres.

Des repas à la cantine, quand tous les élèves, en ces années où l’on ne parlait pas encore de laïcité et d’autres cultures, se moquaient de moi parce que je ne mangeais pas le jambon ou les rôtis de porc.

Je me souviens.

Des sombres coursives de notre HLM avec vue sur « la plage ». C’est ainsi que maman, toujours si drôle, avait surnommé le parking dont des voitures elle faisait des navires et où les trois arbres jaunis devenaient des parasols. Au loin, le lac de la Reynerie miroitait comme la mer brillante de notre Alger natale. Maman chantait toujours, et papa souriait.

Je me souviens.

De ces années où il rentrait fourbu des chantiers à l’autre bout de la France, après des mois d’absence, le dos cassé et les mains calleuses. J’entendais les mots « foyer », et les mots « solitude », et parfois il revenait avec quelques surprises de ces villes lointaines où les contremaîtres aboyaient et où la grue dominait des rangées d’immeubles hideux que papa devait construire. Un soir, alors que son sac bleu, celui que nous rapportions depuis le bateau qui nous ramenait au pays, débordait de linge sale et de nuits tristes, il en tira, triomphant, un bon morceau de Saint-Nectaire et une petite cloche que les Auvergnats mettent au cou des belles Laitières : il venait de passer plusieurs semaines au foyer Sonacotra de Clermont-Ferrand la noire, pour construire la « Muraille de Chine », une grande barre d’immeubles qui dominerait les Volcans. Nous dégustâmes le fromage en rêvant à ces paysages devinés depuis la Micheline qui l’avait ramené vers la ville rose, et le lendemain, quand j’osais apporter la petite cloche à l’école, toute fière de mon cadeau, les autres me l’arrachèrent en me traitant de « grosse vache ».

Je me souviens.

De maman qui rentrait le soir avec le 148, bien avant que le métro ne traverse Garonne. Elle ployait sous le joug des toilettes qu’elle avait récurées au Florida, le beau café sous les arcades, et puis chaque matin elle se levait aux aurores pour aller faire d’autres ménages dans des bureaux, loin du centre-ville, avant de revenir, alors que son corps entier quémandait du repos, pour nettoyer de fond en comble notre modeste appartement et nous préparer des tajines aux parfums de soleil. Jamais elle n’a manqué une réunion de parents d’élèves. Elle arrivait, élégante dans ses tailleurs sombres, le visage poudré, rayonnante et douce comme les autres mamans, qui rarement la saluaient. Pourtant, seul son teint un peu bronzé et sa chevelure d’ébène racontaient aux autres que ses ancêtres n’étaient pas des Gaulois, mais de fiers berbères dont elle avait hérité l’azur de ses yeux tendres. En ces années, le voile n’était que rarement porté par les femmes des futurs « quartiers », elles arboraient fièrement le henné flamboyant de leurs ancêtres et de beaux visages fardés.

Je me souviens.

Du collège et de mes professeurs étonnés quand je récitais les fables et résolvais des équations, toujours en tête de classe. De mes premières amies, Anne la douce qui adorait venir manger des loukoums et des cornes de gazelle quand nous revenions de l’école, de Françoise la malicieuse qui essayait d’apprendre quelques mots d’arabe pour impressionner mon grand frère aux yeux de braise. De ce chef d’établissement qui me convoqua dans son bureau pour m’inciter, plus tard, à tenter une classe préparatoire. Et aussi de nos premières manifestations, quand nous quittions le lycée Fermat pour courir au Capitole en hurlant avec les étudiants du Mirail « Touche pas à mon pote ! »

Je me souviens.

Des larmes de mes parents quand je partis pour Paris qui m’accueillit avec ses grisailles et ses haines. De ces couloirs de métro pleins de tristesse et de honte, de ce premier hiver parisien passé à pleurer dans le clair-obscur lugubre de ma chambre de bonne, quand aucun camarade de Normale ne m’adressait la parole, bien avant qu’un directeur éclairé n’instaure des « classes préparatoires » spéciales pour intégrer des jeunes « issus de l’immigration ». Je marchais dans cette ville lumière, envahie par la nuit de ma solitude, et je lisais, j’espérais, je grandissais. Un jour je poussai la porte d’un local politique, et pris ma carte, sur un coup de tête.

Je me souviens.

Des rires de l’Assemblée quand je prononçais, des années plus tard, mon premier discours. Nous étions peu nombreuses, et j’étais la seule députée au patronyme étranger. Les journalistes aussi furent impitoyables. Je n’étais interrogée qu’au sujet de mes tenues ou de mes origines, alors que je sortais de l’ENA et que j’officiais dans un énorme cabinet d’avocats. Là-bas, à Toulouse, maman pleurait en me regardant à la télévision, et dépoussiérait amoureusement ma chambre, y rangeant par ordre alphabétique tous les romans qui avaient fait de moi une femme libre.

Je me souviens.

Des youyous lors de mon mariage avec mon fiancé tout intimidé. Non, il ne s’était pas converti à l’Islam, les barbus ne faisaient pas encore la loi dans les cités, nous nous étions simplement envolés pour le bled pour une deuxième cérémonie, après notre union dans la magnifique salle des Illustres. Dominique, un ami, m’avait longuement serrée dans ses bras après avoir prononcé son discours. Il avait cité Voltaire et le poète Jahili, et parlé de fraternité et de fierté. Nous avions ensuite fait nos photos sur la croix de mon beau Capitole, et pensé à papa qui aurait été si heureux de me voir aimée.

Je me souviens.

Des pleurs de nos enfants quand l’Histoire se répéta, quand eux aussi furent martyrisés par des camarades dès l’école primaire, à cause de leur nom et de la carrière de leur maman. De l’accueil différent dans les collèges et lycées catholiques, comble de l’ironie pour mes idées laïques qui se heurtaient aux murs de l’incompréhension, dans une république soudain envahie par des intolérances nouvelles. De mon fils qui, alors que nous l’avions élevé dans cette ouverture républicaine, prit un jour le parti de renouer follement avec ses origines en pratiquant du jour au lendemain un Islam des ténèbres. Du jour où il partit en Syrie après avoir renié tout ce qui nous était de plus cher. Des hurlements de douleur de ma mère en apprenant qu’il avait été tué après avoir égorgé des enfants et des femmes. De ma décision de ne pas sombrer, malgré tout.

Je me souviens.

De ces mois haletants où chaque jour était combat, des mains serrées en des petits matins frileux aux quatre coins de l’Hexagone. De tous ces meetings, de ces discours passionnés, de ces débats houleux, de ces haines insensées et de ces rancœurs ancestrales. De ces millions de femmes qui se mirent à y croire, de ces maires convaincus, de ces signatures comme autant d’arcs-en-ciel, de ces applaudissements sans fin, de ces sourires aux parfums de victoire.

Je me souviens.

De mes professeurs qui m’avaient fait promettre de ne jamais abandonner la littérature. De ces vieilles dames, veuves d’anciens combattants, qui m’avaient fait jurer de ne jamais abandonner la mémoire des combats. De ces enfants au teint pâle qui, dans leur chambre stérile, m’ont dessiné des anges et des étoiles en m’envoyant des bisous à travers leur bulle. De ces filles de banlieue qui, même après avoir été violées, étaient revenues dans leur immeuble en mini-jupe et sans leur voile, et qui m’avaient serrée dans leurs bras fragiles de victimes et de combattantes.

Hier soir, vers 19 h 45, mon conseiller m’a demandé de le suivre. L’écran géant a montré le « camembert » et le visage pixellisé du nouveau président de la République. La place de la Bastille était noire de monde, et je sais que la Place du Capitole vibrait, elle aussi, d’espérances et de joies.

Un cri immense a déchiré la foule tandis que l’écran s’animait et que mon visage apparaissait, comme c’était le cas dans des millions de foyers guettant devant leur téléviseur.

Le commentateur de la première chaîne hurlait, lui aussi, et gesticulait comme un fou : « Zohra M’Barki – Lambert! On y est ! Pour la première fois, une femme vient d’être élue Présidente de la République en France ! »

Le réveil sonne.

Je me souviens que je suis française, et si fière d’être une femme. Je me souviens que je dois tout à l’école de la République, et à mes parents qui aimaient tant la France qui ne les aimait pas.

Je referme la boîte et me penche à l’embrasure de la fenêtre, respirant une dernière fois le parfum de la nuit.

(Cette nouvelle a remporté le premier prix du concours de nouvelles du CROUS Occitanie en 2018…)

 

Ou pas (Hommage aux victimes des attentats #Bataclan)

Aucun texte alternatif disponible.

Putain ils assurent les gars incroyable ça déchire grave c’est vraiment dommage que Fred soit pas là il aurait kiffé grave en plus j’adore le look du type à la batterie faudra que je pense à me dégotter un blouson aux Puces un de ces quatre attends c’est quoi ça merde des pétards n’importe quoi ça craint c’est pas cool en plein concert oh merde non c’est pas des pétards putain ça tire là non je rêve ça tire sur nous putain ils déconnent là les gars de la sécurité y a un dingue qui nous vise ou quoi pas le choix je me jette au sol je vais ramper jusqu’à la scène et me planquer je rêve et dire que la semaine dernière on a encore fait l’exercice de PPMS avec les gamins j’ai passé l’heure à les rassurer je rigolais intérieurement je me disais que c’était du grand n’importe quoi leurs lois sur la sécurité l’état d’urgence tout ça bon cool mec respire un grand coup ça va le faire oh non la fille devant moi vient de se prendre une balle elle hurle et son ventre m’éclate à la gueule je détourne le visage une seconde trop tard quel con j’ai du boyau sur la joue mais je m’en balance complet parce que là ça tire de plus en plus fort je rampe comme un fou je ne vois plus rien j’ai du sang sur les yeux c’est un cauchemar bon ils font quoi là les flics elle est où la police putain de bordel quand on a besoin d’elle et les pompiers putain quoi merde on est en France en 2015 on paye des impôts pour être protégés non ça beugle de partout ça tire je crois qu’ils sont plusieurs j’ai vu des gens arriver à partir par des portes de derrière la scène semble vide mais je vais jamais arriver à passer les mecs et les nanas sont agglutinés au sol devant moi y en a des dizaines qui pissent le sang qui hurlent qui appellent leur mère je vois la blonde qui m’avait filé du feu dans la queue qui me regarde avec les yeux emplis d’effroi elle est touchée on dirait elle me supplie du regard de rester avec elle je cherche au fond de ma poche je tire mon bandana je lui file et je l’aide à entourer son bras ça pisse dru elle en a plein son chemisier blanc je lui murmure ça va aller reste cool reste au sol ne parle pas et juste là on entend les mecs s’approcher je vois rien j’ai la tête penchée vers le sol je bouge pas je suis couvert de sang et de bouts de cervelle putain pourvu qu’ils pensent que je suis mort putain Seigneur si t’existes et que là tu me files un coup de main je te jure je fais tout ce que tu veux genre je vais voir mes parents chaque semaine je touche plus un verre de ma vie j’arrête Tinder je passe le CAPES au lieu de jouer les contractuels depuis des années je me range des voitures putain je te jure attends là ça craint ils tirent apparemment sur tous les gens qui leur adressent la parole qui disent pitié pitié épargnez moi j’ai des enfants bam une rafale ils descendent tout ce qui bouge on est des lapins dans leurs phares ils nous foncent dessus comme des malades je veux pas voir ça je veux me réveiller Seigneur faites que je me réveille merde non ils m’ont touché je sens une douleur atroce qui explose mon genou ils m’ont tiré dessus les salauds je bouge pas je mords ma main jusqu’au sang faut qu’ils croient que je suis mort je bouge pas un cil je suis un cadavre je suis un cercueil je suis ailleurs je n’existe pas putain on dirait que ça a marché ils sont partis à l’autre bout de la salle punaise je regarde vers le bas mon jean est rouge vif je chope un truc qui traîne par terre sous une nana qui regarde vers le ciel vide avec ses grands yeux ouverts horrifiés je crois que c’est un tee shirt il est plein de trucs mouillés mais je m’en sers comme d’un garrot putain voilà enfin ça me sert de m’être farci la formation de secouriste l’an dernier allez mon gars t’es fort t’es un killer tu vas t’en sortir t’es John McClane je sais maintenant pourquoi je préfère Bruce Willis à Woody Allen au moins ça peut servir de bouffer des pizzas devant Piège de Cristal allez respire t’es encore là attends je sens que je pars non c’est trop con pas maintenant non non putain c’est pas vrai ça a pas changé combien de temps je suis resté dans les vaps je glisse un œil à ma montre merde deux heures chuis resté deux heures dans ce boxon y a moins de bruit que tout à l’heure on dirait on entend presque plus rien sauf de temps en temps un sanglot ou un cri suivi d’une rafale ils vont finir par partir non c’est pas possible je les entends de nouveau s’approcher j’ose lever les yeux ils sont jeunes merde mon âge ils regardent de l’autre côté je me glisse sous un type qui a l’air complètement froid déjà je fous ma tête sous son torse et je prie putain je prie de nouveau Allah Vishnou Jéhovah Bouddha allez les gars qui que vous soyez je m’en tape je suis avec vous j’irai au temple chaque dimanche putain ils arrivent ils vont voir le mec bouger avec ma respiration pourvu qu’ils tirent sur lui il s’en fout il est mort putain allez ou alors qu’on en finisse tant pis pour tous ces pays que j’ai pas vus tant pis pour mon job de toutes façons j’y croyais à moitié tant pis pour ce putain d’amour de toutes façons depuis Mathilde j’y crois plus mais je jure je jure devant Dieu que si je m’en sors je prends mon billet pour NY et je lui hurle devant la Statue de la Liberté que je l’aime depuis des années putain quel con j’ai été de l’avoir laissée filer ils arrivent ils tirent mais ouf ils ont dégainé sur son bide la balle frôle mon visage mais je vais bien merci merci merci Seigneur et puis merde ça tire encore non ils sont encore plus nombreux mais c’est pas vrai ah non on dirait que les flics sont là enfin j’espère je vois des corps qui bougent autour de moi je croyais que c’étaient des cadavres non c’était un leurre c’est l’armée des ombres ou la nuit des morts vivants je sais pas mais bordel on dirait le clip de Thriller du coup je tente de me relever aussi je pousse un beuglement d’enfer mais c’est bon plus personne ne tire j’essaye de ramper sur un côté et là la blonde de tout à l’heure qui tient un mec par la main me dit de la suivre elle me tend l’autre main on avance éclopés débraillés ensanglantés on gémit y a des grands gars en cagoule et uniforme qui nous montrent une porte je passe sur des dizaines de corps à terre y a des jeunes des vieux des gamins des couples encore enlacés les yeux grands ouverts une gamine éventrée un vieux motard barbu qui fait un doigt d’honneur dans son sang y a des trucs horribles genre on dirait la Syrie ou les camps de la mort mais je m’en fous je suis là je vais peut-être m’en tirer je sors c’est la nuit mais c’est fini fini fini

 

ou pas

 

 

L’image contient peut-être : texte

https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/je-suis-pays-de-france-et-je-me-tiens-debout-un-an-pres-les-attentats-lhommage-dune-toulousaine-aux-victimes_3773478.html

Little girl from Manchester…

Aucun texte alternatif disponible.

Little girl from Manchester,

Come with me and take my hand:

You have to listen to the rainbow,

Just become light, forget the shadow!

Our song so glad like a funny big band…

**

Come with me, the sun is waiting,

Don’t be afraid, the night is shining.

**

Little girl from Manchester,

All your dreams a blossom in the night…

Your sweet laugh like butterfly’s dancing,

Stay like a princess in roses, so charming,

Whisper of gold calming your soul, so bright.

**

Come with me, the sun is waiting,

Don’t be afraid, the night is shining.

**

Little girl from Manchester,

The entire world is singing with you

And you can be sure we’ll never forget:

In the raindrop, in the smiles forever and yet,

In every second: eternity will come true.

**

Come with me, the sun is waiting,

Don’t be afraid, the night is shining.

Rassemblement à Albert Square, mardi 23 mai.

Rassemblement à Albert Square, mardi 23 mai. BEN STANSALL / AFP
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/05/24/a-manchester-il-s-en-est-pris-a-des-enfants-avec-des-serre-tetes-en-forme-d-oreilles-de-chat_5132927_3214.html#Oveo5sYsRCayGE3y.99

Dédié à Saffie Rose Roussos et à toutes les victimes…

Dedicated to Safie Rose Roussos and to all the victims…

***

Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore