Le Principal porte un costume…#SamuelPaty #école #attentat #laïcité #jesuisprof

J’ai écrit ce texte en 2008. Je le retrouve en remettant en ligne mon ouvrage « #jesuislalaïcité« , que j’avais publié il y a quelques années. Les larmes me montent aux yeux en le lisant. En pensant à Samuel Paty, notre brillant collègue, mon frère, notre frère.

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Le chef d’établissement et son adjoint, toujours tirés à quatre épingles, veillent au grain tels des capitaines de frégate. Le Principal porte un costume et semble toujours prêt à recevoir quelque délégation ministérielle.

Au fronton du collège, les mots « Liberté, égalité, fraternité », et ce drapeau qui vole au vent mauvais.

Un îlot. Notre collège est un îlot de résistance.

Mais nous ne sommes pas en terre inconnue, non, ni en terre ennemie. Non, nous sommes en France, juste en France.

La France qui, dans cette cité, comme dans des milliers d’autres, a la couleur des ailleurs. Ce sont ces serviettes de toilette qui sèchent à même le trottoir, sur l’étendoir, devant l’échoppe du petit coiffeur-barbier.

Ce sont ces femmes voilées, en majorité dans la cité, et parfois même entièrement voilées, malgré l’interdiction républicaine, qui se promènent, entre cabas et poussette, depuis le ED jusque chez le boucher hallal. La boulangerie aussi est hallal ; et puis la cantine du collège, aussi.

Ce sont les tours immenses, et les trottoirs salis. Et ces hommes, tous ces hommes désœuvrés, assis aux terrasses des cafés, ou faisant mine de conspirer avant quelque mauvais coup devant la station de métro. C’est que nous avons eu deux meurtres en deux semaines, dans le quartier…

Si l’on marche dans les rues, les seuls signes d’appartenance à la France sont les sigles des bâtiments administratifs : CAF, ASSEDIC… Pour tout le reste, on pourrait se croire à Tunis, Alger ou Marrakech. Pas de Monoprix ou de Zara, ici, seuls quelques magasins de décorations du Maghreb…

Les boutiques aussi sont tournées vers La Mecque.

Seule la pharmacie, courageuse en ces temps de l’Avent, a osé un sursaut de fierté chrétienne, disposant deux petits sapins sur le trottoir.

Au collège, pourtant, la République veille : la technique et les moyens mis en œuvre par l’Etat sont partout ; ordinateurs et rétroprojecteurs dans chaque salle, CDI flambant neuf… Les partenariats sont innombrables, les « dispositifs » bien rodés, bref, on a l’impression, plus que jamais, d’être au cœur de cette « école de la République », celle qui se bat pour ses enfants. Certains enseignants sont là depuis plusieurs années, en poste, heureux et motivés. Allant de « projet » en « parcours découverte 

Mais au collège, il y a aussi ce mégaphone utilisé pour appeler les élèves ; car la cour ressemble davantage à une jungle qu’à un couloir de Janson de Sailly… Et les traits tirés des assistants d’éducation ; et l’épuisement de quelques collègues. Car l’insularité a ses limites…

La réunion de parents, par exemple, où les dits parents ne viennent voir que le professeur principal, puisqu’ils doivent entrer en possession des bulletins en main propre. –bon, parfois, si, ils se déplacent, enfin les papas, mais là, c’est juste pour incendier une collègue, entre quatre yeux, et de façon extrêmement violente…

Les enfants, eux, dont certains sont brillants et motivés, débordent d’énergie. Une heure de cours en ZEP ne ressemble en rien à une heure de cours classique, puisqu’il s’agit aussi bien de transmettre du pédagogique que de l’éducatif…En troisième, encore et encore, leur dire qu’on ne se lève pas en cours…Et puis expliquer encore et toujours qu’on n’élève pas la voix, qu’on ne parle pas arabe en classe, qu’on ne s’insulte pas…

Certains m’ont fait une petite rédaction, sur leur vision de leur avenir. C’était édifiant, touchant, mais aussi très inquiétant.

Car si tous s’imaginaient riches, et exerçant un « bon métier », tous, aussi, comptaient épouser une femme « musulmane » (« elle portera le voile si elle le souhaite »), et, surtout, donner des prénoms arabes à leurs enfants.

Et c’est bien ce petit détail-là qui, plus que les voitures brûlées, plus que le port du voile intégral dans le métro, plus que le désœuvrement et la violence, m’interpelle : si, au bout d’une ou deux générations, les enfants des « quartiers », pourtant « français » à 90%, continuent à imaginer donner des prénoms arabes à leurs propres enfants, l’intégration ne se fera jamais. JAMAIS.

Et ce en dépit des énormes moyens que l’Etat investit dans l’éducatif ; et ce en dépit du « modèle républicain »… Et ce n’est pas tant lié à ce sentiment d’exclusion de nos élèves- la plupart d’entre eux ne se rendent jamais en centre-ville, vivant en vase clos dans le hors monde de la cité…- qu’à cette dérive protectionniste et communautariste dont ces enfants font preuve, dès leur plus jeune âge : leur pays, c’est… le « bled » ! Pourtant, certains viennent de décrocher des stages dans de prestigieuses entreprises de la région toulousaine, et rêvent de devenir PDG un jour. Mais on a l’impression toujours que leurs valeurs demeureront celles d’une autre culture, et d’un autre âge, quant à leur vision de traiter les femmes, par exemple…

Alors quand je pousse la grille de mon petit collège de ZEP, et que je vois cette devise républicaine en orner timidement le fronton, et toutes ces équipes pédagogiques et administratives motivées, mais épuisées, je me demande quelles solutions nous pourrions mettre en œuvre pour que Marine Le Pen n’ait PAS raison.

Comment, oui, comment arriver à une dynamique réelle d’intégration ? Comment arriver à transmettre ce creuset républicain à ces générations d’élèves n’ayant de la vie et du monde qu’une vision tronquée, muselée par leurs communautarismes ? Comment revitaliser ces cités où la France n’est plus représentée que par ses administrations ? Comment y faire régner non pas seulement l’ordre, mais la paix, et, surtout, la joie ?

Il me semble que ce que nous faisons et transmettons ne suffit pas, et que nous lâchons trop de lest. Certes, la loi sur la laïcité existe, mais elle n’est pas respectée, puisque de plus en plus de cantines sont hallal d’office. Certes, la loi sur l’interdiction du port de la burqa existe, mais elle est loin de faire la part des choses et de régler le problème des fillettes voilées de plus en plus jeunes.

J’ai peur que peu à peu, notre pays ne se clive et ne se détourne des processus d’intégration qui ont fait sa grandeur et sa force, j’ai peur que les métissages ne se fassent que dans un sens.

Je souhaiterais que soient mises en place de véritables heures d’éducation civique spécialement orientées vers l’idéal d’intégration et vers la place des femmes ; je souhaiterais que des commerces « non hallal » soient à nouveau implantés dans les cités, de grandes enseignes, des magasins de chaussures, de vêtements-et pas seulement des échoppes de babouches et de robes à paillettes-, des franchises « classiques », et aussi des magasins d’alimentation « lambda » ; je souhaiterais que des librairies non religieuses ouvrent dans nos cités, et des magasins de musique, et des salles de sport…Et des centres d’épilation, et des parfumeries, et des magasins de lingerie…Et des magasins de jouets, et des salons de thé sans menthe !

Je souhaiterais que la vie vienne vers la cité, puisque la cité ne vient plus vers la vie, hormis pour faire des « descentes »en ville, dont on sait qu’elles sont parfois liées à des dérives, à des vols en bande organisée, à des exactions de casseurs…

Ce qui nous manque, c’est une normalité intégrative, c’est un désir réciproque de partage. Quand j’ai dit, par exemple, que j’allais parler de Noël en cours, puisque Noël est la plus grande fête allemande et un moment fort de la culture germanique, « ils » m’ont tous rétorqué qu’ils ne fêtaient pas Noël, que c’était une fête chrétienne, etc. Mais nous avons malgré tout ouvert les fenêtres et mangé les chocolats du petit calendrier de l’Avent, et fait quelques activités. Et si j’en avais eu le temps et les moyens, j’aurais aimé les emmener voir un marché de Noël en Allemagne…

Je remarque chaque jour que mes élèves vivent dans un nomansland culturel, malgré le Centre Culturel du quartier, et malgré l’énergie remarquable dont font preuve les équipes administratives et pédagogiques du collège… Que soit au niveau des partages économiques ou intellectuels, ces enfants et ados sont dans une zone de non droit, dans un endroit où les échanges de base ne se font plus.

Et c’est à la République de se donner les moyens de changer cela, avant qu’il ne soit trop tard, avant que les camps ne se forment de façon définitive, avant que le FN ne prenne peut-être un jour le pouvoir, avant que les « Frères Musulmans » ne remplacent peu à peu sécu, ASSEDIC, école et loisirs…

Je ne veux pas que mon pays renonce à l’idéal des Lumières : éduquer, enrichir, élever les esprits.

Liberté de pensée, égalité entre les femmes et les hommes, fraternité entre nos cultures : agissons !

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Ce texte a donc été écrit il y a plusieurs années et était paru dans « Le Post », ancêtre du Huffington Post, bien avant les attentats…

Quelques années plus tard, en 2012, j’avais à nouveau été en poste dans ces quartiers, au moment de l’affaire Merah… Car Samuel Paty n’a pas été, hélas, le premier professeur assassiné par un islamiste…

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Aujourd’hui je pense à ces collégiens victimes de leur naïveté et/ou de leur bêtise fomentée par le salafisme qui gangrène notre démocratie, et je pleure aussi sur cette situation inacceptable… Sur notre école qui n’a pas su prévenir l’horreur, faire corps défendant autour d’un collègue mis à mal par une fatwa. Et j’ai une pensée émue pour mes collégiens de l’époque, pour la brillance intellectuelle de certains, pour les garçons qui m’ouvraient la porte en disant « Ich bin ein Berliner », pour le petit mot de fin d’année où ils avaient écrit « Ich liebe dich ». Je les espère loin, loin de ces mouvances, et je souhaite que nous puissions, ensemble, faire front, nous relever, agir et apaiser.

Pour que « Monsieur Paty » ne soit pas mort mutilé, égorgé et décapité pour « rien ».

Et quelques liens vers les innombrables textes écrits après les attentats…

https://sabineaussenac.blog/tag/attentats/

Je suis Pays de France, et je me tiens debout

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis la passerelle

entre peuples lointains,

un creuset des sourires,

un infini destin.

Je suis le garde-fou

contre l’intolérance,

ce grand phare qui brille,

un flambeau qui jaillit.

Je suis la vie qui danse

en immense rivière

de nos espoirs dressés.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis l’enfant qui joue

à ses mille marelles,

regardant ces ballons

aux éclats d’arc-en-ciel.

Je suis l’aïeul qui tremble,

son regard ne faiblit

quand mémoire caresse

les fiertés de sa vie.

Je suis femme au beau ventre

palpitant d’espérance.

Tout enfant en son sein

sera nommé Français,

elle est la Marianne,

et elle nous tient la main.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu as voulu salir

tous nos siècles de lutte,

croyant que de tes fers

tu ôterais le jour.

Tu as en vrai barbare

conspué l’innocence,

éventrant d’un seul geste

une nation de paix.

Mais nulle arme ne peut

gommer nos insolences,

nul canon ne saurait effacer

ces couleurs, ces dessins magnifiques,

ces libertés qui dansent,

et nul boucher ne fera de nos cœurs

des agneaux.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu es ce porc ignoble qui

attend les cent vierges

en violant tant de femmes

dont tu voiles les corps.

Tu es coupeur de têtes,

tu es sabre levé, tu es balle qui tue,

mais tu ne comprends pas

que tout ce sang versé ne devient que lumière.

Tu attends paradis

mais iras en enfer,

car ton Dieu punira toute ta route impie.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis le poing levé,

quand de douleur intense

d’un pays tout entier le cœur

s’est arrêté.

Je suis la place immense,

un vaisseau de courage,

un grand galion qui vole,

en espoir rassemblé.

Je suis la dignité, le partage et l’audace,

je suis mille crayons

qui dessinent soleils,

je suis cette ironie au devoir d’insolence,

je suis million de pages,

et le feutre qui offre

ces immenses fous-rires,

je suis l’impertinence,

comme une encre jetée

pour amarrer demain.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Dédié à Cabu, Wolinski, Charb, Frédéric, Ahmed, Franck, Elsa, Michel, Bernard, Honoré, Tignous, Moustapha, Clarissa, et aux victimes dont j’entends parler à l’heure où j’écris ce texte, dans l’épicerie casher…

(Poème paru dans mon blog du Monde après les attentats de janvier 2015.)

Comme autant d’arcs-en-ciel #fraternité #paix #vivreensemble #femmes

Comme autant d’arcs-en-ciel

 

Quelques ombres déjà passent, furtives, derrière les persiennes. L’air est chargé du parfum des tilleuls, les oiseaux font du parc Monceau l’antichambre du paradis ; l’aube va poindre et ils la colorent de mille chants…

Devant moi, sur le lit, la boîte cabossée déborde ; depuis minuit, fébrile, je m’y promène pour m’y ancrer avant mon envol… Je parcours tendrement les pages jaunies, je croise les regards malicieux et dignes, j’entends les voix chères qui se sont tues depuis si longtemps…

Je me souviens.

Des sourires moqueurs de mes camarades quand j’arrivais en classe, vêtue de tenues démodées, parfois un peu reprisées, mais toujours propres.

Des repas à la cantine, quand tous les élèves, en ces années où l’on ne parlait pas encore de laïcité et d’autres cultures, se moquaient de moi parce que je ne mangeais pas le jambon ou les rôtis de porc.

Je me souviens.

Des sombres coursives de notre HLM avec vue sur « la plage ». C’est ainsi que maman, toujours si drôle, avait surnommé le parking dont des voitures elle faisait des navires et où les trois arbres jaunis devenaient des parasols. Au loin, le lac de la Reynerie miroitait comme la mer brillante de notre Alger natale. Maman chantait toujours, et papa souriait.

Je me souviens.

De ces années où il rentrait fourbu des chantiers à l’autre bout de la France, après des mois d’absence, le dos cassé et les mains calleuses. J’entendais les mots « foyer », et les mots « solitude », et parfois il revenait avec quelques surprises de ces villes lointaines où les contremaîtres aboyaient et où la grue dominait des rangées d’immeubles hideux que papa devait construire. Un soir, alors que son sac bleu, celui que nous rapportions depuis le bateau qui nous ramenait au pays, débordait de linge sale et de nuits tristes, il en tira, triomphant, un bon morceau de Saint-Nectaire et une petite cloche que les Auvergnats mettent au cou des belles Laitières : il venait de passer plusieurs semaines au foyer Sonacotra de Clermont-Ferrand la noire, pour construire la « Muraille de Chine », une grande barre d’immeubles qui dominerait les Volcans. Nous dégustâmes le fromage en rêvant à ces paysages devinés depuis la Micheline qui l’avait ramené vers la ville rose, et le lendemain, quand j’osais apporter la petite cloche à l’école, toute fière de mon cadeau, les autres me l’arrachèrent en me traitant de « grosse vache ».

Je me souviens.

De maman qui rentrait le soir avec le 148, bien avant que le métro ne traverse Garonne. Elle ployait sous le joug des toilettes qu’elle avait récurées au Florida, le beau café sous les arcades, et puis chaque matin elle se levait aux aurores pour aller faire d’autres ménages dans des bureaux, loin du centre-ville, avant de revenir, alors que son corps entier quémandait du repos, pour nettoyer de fond en comble notre modeste appartement et nous préparer des tajines aux parfums de soleil. Jamais elle n’a manqué une réunion de parents d’élèves. Elle arrivait, élégante dans ses tailleurs sombres, le visage poudré, rayonnante et douce comme les autres mamans, qui rarement la saluaient. Pourtant, seul son teint un peu bronzé et sa chevelure d’ébène racontaient aux autres que ses ancêtres n’étaient pas des Gaulois, mais de fiers berbères dont elle avait hérité l’azur de ses yeux tendres. En ces années, le voile n’était que rarement porté par les femmes des futurs « quartiers », elles arboraient fièrement le henné flamboyant de leurs ancêtres et de beaux visages fardés.

Je me souviens.

Du collège et de mes professeurs étonnés quand je récitais les fables et résolvais des équations, toujours en tête de classe. De mes premières amies, Anne la douce qui adorait venir manger des loukoums et des cornes de gazelle quand nous revenions de l’école, de Françoise la malicieuse qui essayait d’apprendre quelques mots d’arabe pour impressionner mon grand frère aux yeux de braise. De ce chef d’établissement qui me convoqua dans son bureau pour m’inciter, plus tard, à tenter une classe préparatoire. Et aussi de nos premières manifestations, quand nous quittions le lycée Fermat pour courir au Capitole en hurlant avec les étudiants du Mirail « Touche pas à mon pote ! »

Je me souviens.

Des larmes de mes parents quand je partis pour Paris qui m’accueillit avec ses grisailles et ses haines. De ces couloirs de métro pleins de tristesse et de honte, de ce premier hiver parisien passé à pleurer dans le clair-obscur lugubre de ma chambre de bonne, quand aucun camarade de Normale ne m’adressait la parole, bien avant qu’un directeur éclairé n’instaure des « classes préparatoires » spéciales pour intégrer des jeunes « issus de l’immigration ». Je marchais dans cette ville lumière, envahie par la nuit de ma solitude, et je lisais, j’espérais, je grandissais. Un jour je poussai la porte d’un local politique, et pris ma carte, sur un coup de tête.

Je me souviens.

Des rires de l’Assemblée quand je prononçais, des années plus tard, mon premier discours. Nous étions peu nombreuses, et j’étais la seule députée au patronyme étranger. Les journalistes aussi furent impitoyables. Je n’étais interrogée qu’au sujet de mes tenues ou de mes origines, alors que je sortais de l’ENA et que j’officiais dans un énorme cabinet d’avocats. Là-bas, à Toulouse, maman pleurait en me regardant à la télévision, et dépoussiérait amoureusement ma chambre, y rangeant par ordre alphabétique tous les romans qui avaient fait de moi une femme libre.

Je me souviens.

Des youyous lors de mon mariage avec mon fiancé tout intimidé. Non, il ne s’était pas converti à l’Islam, les barbus ne faisaient pas encore la loi dans les cités, nous nous étions simplement envolés pour le bled pour une deuxième cérémonie, après notre union dans la magnifique salle des Illustres. Dominique, un ami, m’avait longuement serrée dans ses bras après avoir prononcé son discours. Il avait cité Voltaire et le poète Jahili, et parlé de fraternité et de fierté. Nous avions ensuite fait nos photos sur la croix de mon beau Capitole, et pensé à papa qui aurait été si heureux de me voir aimée.

Je me souviens.

Des pleurs de nos enfants quand l’Histoire se répéta, quand eux aussi furent martyrisés par des camarades dès l’école primaire, à cause de leur nom et de la carrière de leur maman. De l’accueil différent dans les collèges et lycées catholiques, comble de l’ironie pour mes idées laïques qui se heurtaient aux murs de l’incompréhension, dans une république soudain envahie par des intolérances nouvelles. De mon fils qui, alors que nous l’avions élevé dans cette ouverture républicaine, prit un jour le parti de renouer follement avec ses origines en pratiquant du jour au lendemain un Islam des ténèbres. Du jour où il partit en Syrie après avoir renié tout ce qui nous était de plus cher. Des hurlements de douleur de ma mère en apprenant qu’il avait été tué après avoir égorgé des enfants et des femmes. De ma décision de ne pas sombrer, malgré tout.

Je me souviens.

De ces mois haletants où chaque jour était combat, des mains serrées en des petits matins frileux aux quatre coins de l’Hexagone. De tous ces meetings, de ces discours passionnés, de ces débats houleux, de ces haines insensées et de ces rancœurs ancestrales. De ces millions de femmes qui se mirent à y croire, de ces maires convaincus, de ces signatures comme autant d’arcs-en-ciel, de ces applaudissements sans fin, de ces sourires aux parfums de victoire.

Je me souviens.

De mes professeurs qui m’avaient fait promettre de ne jamais abandonner la littérature. De ces vieilles dames, veuves d’anciens combattants, qui m’avaient fait jurer de ne jamais abandonner la mémoire des combats. De ces enfants au teint pâle qui, dans leur chambre stérile, m’ont dessiné des anges et des étoiles en m’envoyant des bisous à travers leur bulle. De ces filles de banlieue qui, même après avoir été violées, étaient revenues dans leur immeuble en mini-jupe et sans leur voile, et qui m’avaient serrée dans leurs bras fragiles de victimes et de combattantes.

Hier soir, vers 19 h 45, mon conseiller m’a demandé de le suivre. L’écran géant a montré le « camembert » et le visage pixellisé du nouveau président de la République. La place de la Bastille était noire de monde, et je sais que la Place du Capitole vibrait, elle aussi, d’espérances et de joies.

Un cri immense a déchiré la foule tandis que l’écran s’animait et que mon visage apparaissait, comme c’était le cas dans des millions de foyers guettant devant leur téléviseur.

Le commentateur de la première chaîne hurlait, lui aussi, et gesticulait comme un fou : « Zohra M’Barki – Lambert! On y est ! Pour la première fois, une femme vient d’être élue Présidente de la République en France ! »

Le réveil sonne.

Je me souviens que je suis française, et si fière d’être une femme. Je me souviens que je dois tout à l’école de la République, et à mes parents qui aimaient tant la France qui ne les aimait pas.

Je referme la boîte et me penche à l’embrasure de la fenêtre, respirant une dernière fois le parfum de la nuit.

(Cette nouvelle a remporté le premier prix du concours de nouvelles du CROUS Occitanie en 2018…)

 

Des mères, de leurs fils et des lumières qui deviennent des nuits… #Barcelone #attentat

Goya, Saturne.

Elle était belle, ta maman. Je l’imagine, toute fière de te serrer dans ses bras, tu avais ces yeux de braise, aussi flamboyants que le soleil sur le Riff, et puis tu ressemblais à ton père, et tes parents t’aimaient.

Elle passait tendrement la main sur tes cheveux tout brillants de la sueur de l’enfance, le soir, en te murmurant des comptines qui parlaient de palmiers et de mirages, d’espérances et de grand vent.

Ta maman, tu lui tenais souvent la main, parce que tu n’as pas toujours été ce guerrier sûr de toi, non, tu étais un petit garçon tendre et affectueux, et elle te nommait « habibi », et tu te cachais en riant derrière les coussins brodés, et elle te trouvait en éclatant de rire aussi, et à la tante Fatima elle disait toujours :

  • Tu vois, mon fils, comme tu le vois il ira loin, il sera docteur, ou peut-être avocat.

Ta maman, je ne sais pas très bien si elle t’a élevé dans les Quartiers Nord de Marseille ou dans un village de l’Atlas, ou peut-être sous le soleil d’Alep ou dans une rue fleurie d’Andalousie, mais je suis certaine d’une chose, c’est une maman, une de ces mamans douces et bienveillantes, qui t’a sans doute gavé de sucreries et de loukoums, qui a essuyé tes larmes, la nuit, lorsque tu faisais des cauchemars parce que le maître criait trop fort, et qui longuement t’a bercé pendant les fièvres de l’enfance.

Elle était belle, aussi, cette maman qui tenait la main de son fils sur les Ramblas. Elle sentait, elle aussi, comme sentent les mamans, tu sais bien, ce mélange de vanille et de fleur d’oranger, elle souriait à son petit garçon, et ce petit garçon te ressemblait, on aurait dit un jumeau de celui que tu étais quand tu tenais la main de ta maman, et il faisait beau sur Barcelone, et cette maman qui aurait pu, peut-être, pourquoi pas, par le hasard des rencontres, de la génétique, de la vie, être TA maman, cette maman tu l’as délibérément écrasée, comme on écrase un insecte nuisible d’un coup de pied rageur ; tu as tenu le volant entre tes mains et tu t’es imaginé être Dieu, tu as eu soudain le droit de vie et de mort sur cette femme qui avait enfanté comme ta mère t’avait enfanté et tu l’as réduite en bouillie, et son fils aussi, et tout ce sang rouge qui a coulé t’a mis en joie, puisque tu as continué, au volant de ta camionnette blanche.

 

Elle est magnifique, ta sœur. Tes parents l’ont appelée Nour, parce qu’elle a été la lumière de leurs vieux jours, et tu te souviens encore de la fragilité de ce petit être qui peu à peu est devenue cette gazelle souriante dont tous tes amis étaient fous amoureux.

Vous étiez si complices, t’en souviens-tu ? Je ne sais pas si c’était devant les dessins animés de TF1 ou sur la plage de l’Escala ou en courant dans les allées encombrées du souk, mais vous vous adoriez, et puis en grandissant vous avez lu les mêmes livres, c’est toi qui l’as accompagnée le jour de son entrée au lycée, tu étais fier et protecteur.

Ensuite, tu as tout fait pour qu’elle te suive dans tes cheminements, mais elle était têtue, la petite Nour, devenue Nour l’indomptable, elle se moquait même de toi quand elle te voyait partir de plus en plus souvent à la Mosquée, et elle t’a carrément ri au nez quand tu as voulu lui faire porter le voile intégral.

  • Mais tu es majnoun, frère ? Tu m’as bien regardée ? Je ne suis pas Beyoncé, mais je me sens bien comme ça, je me sens belle et libre, et je n’ai pas besoin de me voiler pour afficher ma foi. La lumière du Prophète brille dans mon cœur.

Est-ce à elle que tu as pensé, aujourd’hui, en fonçant sur ce groupe d’adolescentes en short, leurs belles jambes brunies battant gaiment le pavé des Ramblas, leurs cheveux au vent qui ondulaient tandis qu’elles chaloupaient en pouffant, se tenant par la taille ? Elles auraient pu être tes sœurs, belles, libres, jeunes et fières de leur beauté et de leur jeunesse. Chez elles, en Chine, en Belgique, en Allemagne, en Grèce, il y a sûrement dans chacun de leurs foyers un frère en train de hurler de douleur à l’idée que jamais plus il ne rira, un beau soir d’été, en regardant les étoiles, avec sa petite sœur. Parce que toi, au volant de ta voiture folle, tu as délibérément écrasé ces sœurs qui auraient pu être les tiennes, sectionnant leurs artères, brisant leurs os, réduisant leurs voix et leurs âmes au néant.

 

Et ton ami Juan, t’en souviens-tu ? Vous vous étiez rencontrés sur les bancs de la fac, ou peut-être dans un atelier de chaudronnerie, ou encore devant une agence pour l’emploi, à Perpignan, ou à Madrid, ou à Rome, est-ce si important ?

Juan, comme un frère pour toi. Tu te souviens encore de cette première soirée passée à regarder la Finale, vos cris, les bières partagées, parce qu’à cette époque tu n’étais pas le dernier à lever le coude, et puis votre virée en Andorre, et puis les vacances au camping vers Narbonne. Juan, toutes filles n’en avaient que pour lui mais tu n’étais pas jaloux, et vous pouviez parler des nuits entières, ou simplement rester là, au pied de la Cité, à fumer des pétards, à l’époque où tu en fumais encore, à moins que vous n’ayez partagé des manifs et des colloques…

Il était là, Juan, tu ne le savais pas, tu ne l’as même pas reconnu, de toutes façons cela fait des mois, des années que tu ne l’as plus vu, lui, ton presque frère, ton jumeau astral comme disait sa mère que tu aimais tant aussi, la douce Carmen, justement, elle se tenait devant ce petit magasin avec son fils que tu n’as pas reconnu car tout s’est passé si vite que quand tu l’as heurté de plein fouet et sa mère aussi, tu n’as rien vu, ni leurs visages soudain déformés par l’indicible douleur, ni leurs corps déchiquetés, tu as juste entendu le bruit épouvantablement sourd du choc et tu t’en es réjoui car tes nouveaux amis, les Barbus, t’avaient ordonné de faire le plus de dégâts possibles et tu as obtempéré, tu as donc aujourd’hui tué des mères qui auraient pu être ta mère, des enfants qui auraient pu être tes frères et sœurs et des jeunes qui auraient pu être tes amis, peut-être même Juan, ton ami, et moi je te demande comment tu en es arrivé là, ce qui s’est passé pour que le petit garçon tendre que tu étais, l’adolescent timide, le travailleur acharné, ou peut-être l’étudiant rêveur, ou encore le chômeur taciturne, mais sympa, serviable, toujours prêt à donner un coup de main, pour que ce fils, ce frère, cet ami devienne un assassin, un tueur en série, un tueur à gages à la solde des Mafieux de DAESH, et au-delà du fait qu’il est hors de question que nous cédions d’un pouce à l’asservissement de la terreur et que cette terreur devienne aussi douce qu’une habitude, j’exige de nos gouvernants qu’ils prennent la mesure des enjeux psychologiques de ces embrigadements, de ces détournements d’esprit qui font de nos jeunes des bêtes immondes.

 

Je ne sais pas où tu as oublié que ta mère t’avais aimé, jusqu’à trouver la force d’aller de sang-froid tuer des dizaines d’autres mères, je ne sais pas qui t’a ordonné de vouloir mettre ta sœur en cage et sous verre et sous voile et même, au-delà, d’oublier que tu avais aimé cette jeune fille jusqu’à aller en pleine conscience en écraser d’autres qui lui ressemblaient, je ne sais pas pourquoi tu as oublié que tu avais des amis qui comme toi riaient et buvaient de la bière en écoutant du rock pour t’imaginer aujourd’hui faire la justice en ce monde et assassinant tous ces jeunes qui innocemment s’amusaient sur les Ramblas, mais il me semble qu’il est urgent de renouer avec l’éducation, avec l’idée de la déradicalisation, car c’est possible, les Allemands et les Alliés nous l’ont prouvé après le nazisme, quand eux aussi ont réussi à transformer un peuple de délateurs zélés, de partisans illuminés et de racistes fous en une nation partenaire, respectueuse et engagée dans la défense des Droits de l’Homme et des valeurs de paix.

 

Je ne connais pas ton nom. Peut-être es-tu, ce soir, mort, comme l’assassin de ma ville rose, dont je n’écrirai même pas le nom, qui avait été tué après avoir abattu d’une balle dans la tête la petite Myriam, et les enfants du rabbin, et le rabbin, enfants qui là aussi auraient pu, qui sait, être ses petits frères, s’il avait vu le jour de l’autre côté du périf, sur l’autre berge de Garonne ou dans l’autre quartier de Jérusalem…Toutes ces vies croisées, celles des victimes et celles de leurs assassins, toutes ces explosions, tous ces hurlements, quand au départ il y a eu toujours la même histoire : celle d’une mère qui tendrement donne le jour et le sein à un enfant.

Une mère te pleure sans doute ce soir, toi, odieux meurtrier devenu enfant soldat de DAESH, toi qui as osé ôter tant de vies quand cette mère t’avait donné la lumière.

Je ne veux en aucune façon t’excuser, et je pense que si tu avais touché à un cheveu de ma famille je serais peut-être venue en personne t’arracher les yeux. Mais je souhaiterais que nos sociétés, en urgence, mettent en place des réflexions et surtout des actions efficaces de lutte contre la radicalisation.

J’aurais voulu te parler de la France…#Nice

 

Ich bin eine Berlinerin!

Je suis Charlie ou l’Invincible été

Je suis Pays de France, et je me tiens debout

Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore

Cinq façons de ne pas devenir fou après un attentat #Bruxelles

Little girl from Manchester…

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Marie-Saïda : un conte pascal.

Marie-Saïda : un conte pascal.

 

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Notre-Dame d’Arcachon

C’est Marie-Saïda, cette année, qui m’a offert mes Rameaux.

Il faut dire qu’entre la montée de la Dune du Pyla, la visite enchanteresse de la Ville d’Hiver et les oiseaux du Teich, l’heure n’était pas vraiment aux prières…Arcachonnaise d’un jour, le cœur en fête devant tant de beautés et de printemps en fleur, j’en avais donc loupé « mes Rameaux »…

Devant la jolie petite église, non loin du front de mer, une femme se reposait sur un banc, et m’aborda en me demandant si j’avais besoin d’aide pour me repérer sur le plan ; je la remerciai et, en lui souhaitant une bonne journée, je lui fis remarquer l’extraordinaire lumière de ce jour d’avril.

  • C’est grâce à Lui, me répondit-elle en montrant le ciel.

Et de me raconter tout de go qu’elle allait être baptisée dans une semaine, le samedi de Pâques, et qu’elle s’appellerait désormais « Marie-Saïda » et non plus Saïda…

Ce petit bout de femme, tout de blanc vêtu, irradiait de bienveillance ; nous parlâmes longtemps, et sans me connaître elle m’offrit de m’héberger si d’aventure je revenais sur le Bassin…Elle me dit son chagrin en pensant à ses sept enfants dont aucun ne serait auprès d’elle je jour de sa naissance en Christ. Elle me raconta brièvement sa destinée, les pierres sur lesquelles la vie l’avait faite trébucher, son divorce, quand son époux avait rencontré une autre femme, sa naissance en terre berbère, puis sa vie en Champagne, et nous nous sourîmes car je suis Rémoise, heureuse coïncidence…

Elle me parla aussi de son nouvel amour, connu hélas bien peu de temps, car il était malade. Je sentais en son récit le courage des âmes simples, toujours prêtes à aimer, à donner plus qu’elles ne reçoivent, emplies de la force du quotidien.

Un jour, très affectée par son deuil, elle passa devant l’église. Et se trouva, me raconta-t-elle, attirée et baignée par une lumière irradiante. Elle fondit en larmes et sut à ce moment-là qu’elle, la petite Berbère, musulmane de tradition, mais non pratiquante, car consciente souvent des injustices subies par son peuple face aux « Arabes », avait rencontré la Foi.

Je l’écoutais en souriant, émue par son histoire, par la puissance de son récit, par sa fébrile impatience lorsqu’elle parlait du baptême qui approchait, de la très longue préparation, me montrant les photos des catéchumènes et de Monseigneur Ricard, me décrivant la tenue qu’elle porterait, car il faut être, me dit-elle, élégante pour rencontrer Jésus.

Lorsque le brin de Rameaux tomba presque de sa Bible qu’elle porte toujours avec elle, je m’écriai que j’avais oublié d’en chercher – moi, la catholique vacillante, ayant toujours oscillé entre la foi du charbonnier de ma grand-mère catholique (j’ai ma petite vierge de Lourdes dans mon sac à main….) et le protestantisme de ma mère ( j’ai quand même épousé un pasteur en secondes noces…) , tout en me sentant attirée par le judaïsme et en posant des buddhas partout dans mon appartement… !)  – et Marie-Saïda m’offrit sa petite branche bénie.

Nous nous séparâmes en échangeant nos adresses, et je lui promis que je penserai à elle durant la Veillée Pascale et au moment de son baptême, puisque sa famille ne serait pas à ses côtés.

Plus tard, en poursuivant notre escapade en Aquitaine, mon fils et moi eurent la chance de visiter l’intérieur de l’église orthodoxe roumaine de Bordeaux, deux paroissiens attendant la visite de responsables de la mairie nous en ayant ouvert les portes ; mon fils, athée -oui, le fils du pasteur !- fut fasciné par la beauté des icônes…

Le même jour, nous demeurâmes longtemps en silence devant la synagogue de Bordeaux ; fermée, majestueuse, gardée par des barrières bien fragiles contre d’éventuels attentats, toute bardée néanmoins de digicodes et de protections, elle nous montrait à droite de son fronton la litanie des disparus de la Shoah…

Enfin, je vis sortir de la cathédrale Saint-André toute une famille musulmane, que j’abordais en leur disant que je trouvais formidable qu’ils visitent une église – oui, je fais partie de ces enseignants légèrement traumatisés par les élèves qui ne veulent plus étudier l’Holocauste en prétextant Gaza, et par ceux qui, en visites scolaires en l’étranger, refusent de visiter le patrimoine religieux…

La femme voilée et l’homme barbu me répondirent que leur Islam était un Islam de paix et de tolérance, et qu’ils voulaient montrer à leurs enfants un autre lieu de culte et voir ce magnifique édifice…

J’ai repensé à ma petite Marie-Saïda qui bientôt recevrait le baptême, qui attendait la lumière et le pain et le vin de l’eucharistie, toute baignée de l’espérance et de la force de sa conversion.

Et je me suis dit que nous étions tous frères et sœurs, à l’approche de la résurrection Pascale et de ces élections qui feront peut-être basculer notre pays dans l’extrémisme.

Bien sûr, nous ne visitâmes pas que des lieux de cultes durant nos quelques jours de vacances : nous avons arpenté les allées délicieuses du Parc Mauresque et nous enivrés devant la beauté de la Ville d’Hiver, nous avons guetté la bouscarle de Céti et les cigognes à la réserve ornithologique du Teich, nous avons longé les quais de ma ville océane et admiré les mascarons et le Pont de Pierre…

Mais s’il est un moment que je n’oublierai pas de sitôt, c’est bien celui de ma rencontre avec ma lumineuse amie…

Bienvenue à toi dans ton nouveau pays, Marie-Saïda : celui où, malgré tout, envers et contre tout, nous tentons de nous aimer les uns les autres ! Que ta re-naissance en Christ te donne toute l’allégresse que tu mérites et la force de poursuivre ta route vers la Foi, l’espérance et l’Amour que nous cherchons tous !

 

 

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Église orthodoxe de Bordeaux

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Cathédrale Saint-André

Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore

Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore

Lundi 28 mars, un enfant victime de l'attentat-suicide commis la veille, hospitalisé à Lahore

Mariam sourit à Mishael et Karen. Ses jumeaux, ses pépites, ses diamants, qu’elle a mis du temps à avoir, qu’elle désespérait de connaître un jour…Il fait un temps merveilleux à Lahore, un véritable temps de Pâques, la lumière semble vibrer de cette joie de la Résurrection, et à l’église, le matin, Mariam a senti toute l’espérance pascale lui redonner confiance, malgré les obscurités du monde…

Mishael est en train de pousser Karen sur les balançoires, au beau milieu du grand parc d’attraction de Gulshan-i-Iqbal. Elle les observe de loin, regarde la jupe à volants de la fillette et la casquette du petit garçon, autour d’eux des dizaines d’enfants s’ébattent, tous unis dans la joie de ce dimanche, heureux de cette pause festive. Les mamans sont assises, comme Mariam, sur les bancs, il y a aussi beaucoup de grands-mères qui dodelinent un peu de la tête ou qui sourient de leur bouche édentée. Aujourd’hui, il y a surtout des familles chrétiennes qui sont venues se détendre au milieu des pelouses et des manèges, en majorité des mamans, des grandes sœurs, des aïeules, toutes accompagnées de nombreux enfants, puisque les hommes sont plutôt rassemblés dans les cafés de Lahore…

Mariam fait un signe à la famille de Noor, sa meilleure amie depuis les bancs de l’université. Noor est médecin, et aussi maman de quatre enfants, qui courent à la rencontre des jumeaux en les appelant gaiement. Il y a l’aîné, Sunny, un beau garçon de 11 ans, dont les joues ont encore la rondeur de l’enfance, puis le petit Addy, qui vacille sur ses jambes potelées, suivis par leurs sœurs dont les tresses volent au-dessus de leurs belles robes à dentelles, Sana et Anam. Noor lui renvoie son signe, et malgré le brouhaha des rires d’enfants, malgré les bruits de la fête foraine qui bat son plein Mariam l’entend appeler son prénom avec allégresse, et elle se réjouit de serrer dans ses bras celle qui lui est aussi proche qu’une sœur. Ensemble, elles ont lutté pour avoir le droit d’aller étudier, comme leurs frères, en Angleterre, dont elles sont revenues diplômées, émancipées, fières de faire partie d’un pays en mouvement, dont elles espèrent qu’un jour il deviendra une démocratie.

Les deux amies avaient décidé de se rencontrer au parc pour deviser un peu en surveillant les enfants, avant de célébrer ensemble le repas du soir, en compagnie de leurs époux, eux aussi amis, et heureux de se retrouver pour les fêtes de Pâques. La maison de Mariam et Yasir embaume déjà du curry d’agneau et des parfums du gâteau à la carotte, les époux attendent le retour de leurs familles en fumant et en devisant de l’actualité internationale si agitée…Yasir vient d’échapper de peu à l’attentat de Bruxelles, il est rentré la veille de la capitale belge et a raconté à Mariam, épouvantée, les scènes de carnage auxquelles il avait assisté à Zaventem…

Mariam se lève pour serrer son amie dans ses bras, et au moment où elle pose son sac sur le banc, baissant les yeux une seconde, elle est poussée en arrière par un souffle d’une puissance inouïe, tout en perdant instantanément le sens de l’ouïe, après une explosion retentissante. Elle n’a pas vu.

Elle n’a pas vu la tête de son fils voler par-dessus la balançoire, arrachée en une fraction de seconde du petit corps à présent sans vie, dont il ne reste, d’ailleurs, rien, si ce n’est des lambeaux de chair éparpillés sur des centaines de mètres.

Elle n’a pas vu le corps démembré de sa fille ni le sweat rouge qu’elle portait voler vers les buissons, ni le rictus d’épouvante qui s’est dessiné sur le visage des quatre enfants de son amie, qui, un peu plus loin que les balançoires qu’ils n’avaient pas encore atteintes, ont eu le temps de voir la mort les faucher, implacablement. L’aîné de la fratrie n’a plus de visage, et a perdu l’une de ses jambes. Il tient la main et le bras du petit frère, lequel a été projeté bien plus loin, le corps criblé de billes de métal. Il ne respire déjà plus, plusieurs artères importantes ont été sectionnées. L’aînée des deux sœurs ouvre deux yeux énucléés sur le carnage en hurlant à pleins poumons, sa robe blanche est pleine de sang, ses entrailles sortent de son petit ventre d’enfant, tandis que la cadette, dont les deux jambes ont été arrachées, git, inerte, au milieu de centaines de corps dévastés.

Le bruit est indescriptible, tout comme l’odeur insoutenable des chairs qui se consument. Les enfants survivants hurlent en appelant leurs mères, les mères survivantes, mais blessées, hurlent les prénoms de leurs enfants, les bruits automatiques des manèges dont certains tournent encore continuent à percer le vacarme, tandis qu’au loin on perçoit déjà les klaxons des sirènes.

Mariam est miraculeusement indemne, elle a été protégée par l’arrière du grand toboggan, elle se relève, sonnée, sourde, éblouie, épouvantée, elle n’est plus qu’un cri, elle n’est plus qu’un hurlement, elle se met à courir, à courir dans cette mare de sang, de chairs mutilées, de cervelle, de mains coupées par une charia de l’infâme, elle trébuche sur des cadavres, elle vomit en courant et en hurlant, elle suffoque, et déjà elle voit, elle voit qu’il n’y aura plus jamais rien à voir, ni de petites mains brunes s’accrochant à la sienne pour traverser la grande avenue, ni d’uniforme d’écolier impeccablement repassé, ni de sourire édenté qui lui murmure un « je t’aime, maman chérie », ni même de voyage vers Paris qu’elle aime tant, ni de lecture de ces poètes qu’elle adore, dont Muhammad Iqbal malgré son attirance pour le Califat, ce poète dont le parc porte le nom, non, il n’y aura plus jamais rien, plus jamais de vie, car elle voit que la chair de sa chair a été désincarnée, mutilée, éventrée, elle s’aperçoit en une fraction de seconde que la bombe a explosé à l’endroit même où jouaient ses bébés, elle a le temps de voir les restes du corps sans tête éparpillés dans le sang et de se rendre compte que les lambeaux de vêtements accrochés aux buissons sont ceux du sweat rouge de sa fille.

Elle a le temps de maudire Dieu, Jésus, la Vierge et tous les Saints avant d’apercevoir le visage atrocement mutilé de son amie Noor, qu’elle reconnaît simplement grâce au rubis qu’elle porte au cou, Noor qui a perdu un œil et dont le nez n’est plus qu’une bouillie, Noor qui hurle en appelant ses enfants mais qui déjà a retrouvé ses réflexes de médecin et qui tente de rassembler les organes de sa propre fille d’une main tout en faisant un point de compression sur l’aine de sa cadette, Noor qui sait déjà que deux de ses enfants sont morts mais qui trouve la force de se battre pour sauver les deux âmes qui lui restent.

Noor et Mariam sont, elles, déjà deux âmes mortes.

Noor et Mariam n’existent pas. Ou plutôt elles existent, mais avec d’autres identités. Elles ont vécu l’enfer en compagnie d’autres mamans, musulmanes, elles, tout aussi visées par les exactions aveugles de ces barbares modernes…Le Monde titrait ce matin sur l’attentat de Lahore et l’article disait que l’on ne parle pas assez des réalités de ce terrorisme…

« On parle trop peu de ces blessures qui mutilent, traumatisent, défigurent – bref, ruinent autant de vies. On passe trop vite sur la violence chez « les autres ». On contextualise trop le terrorisme. On ne raconte pas assez les attentats pour ce qu’ils sont : l’odeur du sang ; les morceaux de chair explosés dans un lieu de la banalité quotidienne ; les corps démembrés, désarticulés par le souffle ; ces moments d’innocence interrompue par une volée de billes d’acier. Voilà ce qu’ont trouvé les secouristes, ce 27 mars, dans un jardin public de Lahore, du côté des balançoires

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/03/28/au-pakistan-un-attentat-suicide-du-cote-des-balancoires_4891121_3232.html#wSWAUT3ftAS6hB8T.99 »

Lahore le dimanche de Pâques, mais tant d’autres attentats, au Pakistan, en Afghanistan, en Irak, qui tous visent particulièrement des enfants, des jeunes, des adolescents, des étudiants…Tuer l’innocence, frapper au cœur-même de la vie, éventrer ces mères comme le font parfois des soldatesques, mutiler, marquer au fer rouge des vies qui ne seront que souffrance si elles résistent aux explosions…

Il n’y aura pas de présidents rassemblés à Paris après l’attentat de Lahore. Il n’y aura pas de centaines de médias internationaux, ni de bougies allumées dans le monde entier, ni de groupe de musique qui viendra se recueillir. Il n’y aura pas de poèmes, pas de textes, pas de veillées, peut-être un mot du Saint-Père, qui condamnera l’abjection, mais bien peu de vagues d’indignation, car c’est loin de nous, nous si prompts à être dans l’empathie lorsque l’horreur frappe au Bataclan, au Bardo, à Zaventem, nous si prompts à détourner la tête avec indifférence lorsque les kilomètres ou les différences culturelles nous font nous désolidariser presque immédiatement de l’horreur qui est pourtant identique. Nos journaux titrent sur la mort d’Alain Decaux, sur les grandes plaines de Jim Harrison, sur les hooligans de Bruxelles…Après avoir entendu la nouvelle sur France-Info, je gage que nombre d’entre nous seront retournés à leur chasse aux œufs ou à leur quotidien pascal…

C’est pourquoi j’ai voulu nommer l’innommable et décrire l’indescriptible.

#JesuisLahore.

«La musique qui réchauffait le cœur de l’assemblée

S’est tue et le luth s’est brisé… »

Muhammad Iqbal

Le réveil des gazelles: hommage aux femmes du Printemps Arabe

Le réveil des gazelles

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Engrangeant les derniers rayons du couchant, les enfants couraient dans la rue déserte. Le couvre-feu était tombé depuis quelques instants, Fatima allait les appeler.

 Soleil tant vaincu

Vent rêvant aux palmiers

Dorment les gazelles

Mais ce soir ne ressemblait pas aux autres soirs. De loin semblait enfler une rumeur, aussi folle qu’une tempête de sable. Ahmed sortit en courant et hurla quelque chose aux voisins, le portable collé à l’oreille. En quelques instants, tout le monde se rassembla ; les femmes parlaient fort, les hommes lisaient le journal du soir, les jeunes pianotaient comme des fous sur leurs I Phones.

– Tunis, ils sont tous à Tunis ! cria Zohra, dont le fiancé était avocat dans la capitale. Et ils sont dans la rue, partout, des milliers ! Papa, prête-nous la voiture, je pars aussi !

– Ma fille, tu es majnouna, tu es folle, s’emporta Ahmed, presque tremblant.

– Mais Fatima, sa femme, tendait déjà les clefs à leur fille

– Va, ma fille, va rejoindre nos frères et nos fils.

Zohra courait déjà, gazelle gracieuse et élancée. Ses trois amies d’enfance la suivaient. On les surnommait les princesses du désert, et elles étaient unies comme les doigts de la main. Khadija la future sage-femme, Asma qui étudiait le droit et le journalisme, Aziza qui avait déjà créé son site de mode sur internet, et elle, Zohra, qui parlait cinq langues et qui commençait sa thèse de politique internationale.

Dorées de doux miel

Khôl ourlant tendres regards

En études les gazelles

Dans la voiture qui fonçait à travers le couchant, Zohra avait laissé le volant à Asma, et ne quittait pas l’écran de son portable. De statut Facebook en Twitt, les mots couraient comme des étoiles filantes, et la colère des jeunes de leur pays, de toutes ces forces vives, semblait tempête ou ouragan. Les quatre amies parlaient vite, elles se regardaient grandir au fil de leur chemin, au fur et à mesure que les palmiers et les dunes faisaient place aux blancheurs de la capitale, tout au long de ces 111 kilomètres de poussière, elles prenaient conscience qu’elles roulaient vers leur destin. Elles savaient déjà qu’elles ne seraient pas seulement mères au foyer comme leurs mamans et grands-mères, mais à cet instant, elles devenaient femmes et flammes, prenaient le contrôle de leurs vies.

Voilées ou offertes

Aux cent cris de la victoire

Galopent les gazelles

La voiture ne leur fut bientôt plus d’aucune utilité. Dès les faubourgs, elles descendirent, et marchèrent, main dans la main. La nuit était chaude comme une nuit d’été, malgré le froid de janvier. Les visages étaient gais comme un mariage, malgré la lutte qui couvait. Les cris étaient purs comme un cri de femme en gésine, malgré les douleurs de la naissance : car un peuple allait donner vie à une nation. Il semblait qu’un pays entier soit descendu chanter, malgré l’orage de feu. Les jeunes filles se perdaient dans cet océan humain, heureuses et effrayées, au hasard des sourires sous les voiles ou des cris d’étudiants en colère, et Asma mitraillait les visages et les mots de son portable, envoyant directement les images à son journal.

Au réveil, il était midi. Et Ben Ali partit quelques heures plus tard.

Librement au vent

Indomptées et rebelles

Chantent les gazelles

Le retour au village se fit tel en convoi de noce. Et les youyous des femmes accueillirent les enfants de l’aube neuve. Vive la liberté !

***

Nouvelle ayant remporté, avec ses haïkus, le concours de l’Iroli en 2011…

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Île voyageuse…La Toussaint des Migrants…

Iscla viatjaira

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La doçura dal solelh di cementeris

dins lo florir de la pauta,

nis jamai trobat.

Vos agaita:

les reis de santal e de canèla,

las rainas, filhas d’Etiopia,

les vistons esbleugissents coma robins.

 

Immobila coma l’amarina a l’aiga,

la cara del no-res

s’ascla e se perla d’aiganha,

calinha la sau dins

la pòussa alisada dei matins e dei nuèits,

sens alas ni batèu.

 

Iscla viatjaira

pren los còsses,

una crotz dins lo vent,

d’un òme e d’una femna,

d’una Menina e d’una Nena,

sins Angelùs,

la mar sobeirana es clòt e ersaja,

lençol d’amor e de lutz blosa.

 

Île voyageuse

 

La douceur du soleil des cimetières

dans la fleur de la boue,

nid jamais trouvé.

Je vous regarde :

les rois du santal et de la cannelle,

les reines, filles d’Ethiopie,

les pupilles éblouissantes comme des rubis.

 

Immobile comme l’osier dans l’eau,

le visage du néant

se fend et se perle de rosée,

caresse le sel dans

la poussière lisse des matins et des nuits,

sans ailes ni bateau.

 

Île voyageuse

emporte les corps,

une croix dans le vent,

d’un homme et d’une femme,

d’une grand-mère et d’une fillette,

sans Angélus,

la mer souveraine est fosse et ondoie,

linceul d’amour et de pure lumière.

 

 

 

 

 

 

Connaissez-vous Navid Kermani ?

Connaissez-vous Navid Kermani  – نوید کرمانی‎-?

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© picture-alliance­/Sven Simon - Navid Kermani
© picture-alliance­/Sven Simon – Navid Kermani

http://info.arte.tv/fr/navid-kermani-mediateur-des-cultures

 

Cet écrivain germano-iranien aux multiples talents, orientaliste, poète, dramaturge, essayiste, journaliste, exégète, a obtenu hier le Prix de la paix des éditeurs et libraires allemands, un prix attribué depuis 1950 par l’Association des éditeurs et libraires allemands qui lui a donc été remis le 18 octobre 2015 à l’église Saint-Paul de Francfort-sur-le-Main, lors de la  cérémonie de clôture de la Foire Internationale du Livre.

Depuis notre bastion franco-français, empreint de certitudes tant électorales que littéraires, peu de voix se sont fait l’écho de cette prestigieuse récompense ; il faut dire que notre hexagone se targue toujours d’être le centre du monde des idées, et que, noyés sous les multiples lettrés de notre intelligentsia, forts de nos penseurs maison, entre les innombrables Finkielkraut, Attali, Onfray, BHL, nous, le petit peuple de France, n’avons que peu d’occasions d’ouïr des voix différentes, rarement invitées chez les Ruquier et autres « GG »…

Pourtant, je vous assure que Navid Kermani vaut le détour ! Son profil atypique et polymorphe fait de lui l’un des penseurs essentiels de notre temps. Né en 1967 de parents iraniens, il a grandi en Rhénanie-Wesphalie. Son père, médecin en Iran, exerçait dans un hôpital chrétien, et la famille s’est ensuite installée dans la ville de Siegen, très influencée par le protestantisme. C’est par l’un de ses grands-pères que l’écrivain découvre l’Islam dans son versant chiite. Très tôt, dès l’âge de quinze ans, il a commencé à écrire pour le journal Westfälische Rundschau, avant d’écrire pour la FAZ et pour différents organes de presse. Après son diplôme d’études secondaires, il a étudié l’islamologie, la philosophie et la dramaturgie à Cologne, au Caire et à Bonn, a enseigné la poétologie dans les universités de Francfort, de Göttingen et de Mayence, la littérature allemande à Dartmouth, mais a aussi été reporter en Irak pour le Spiegel, avant de prononcer le 23 mai 2014 le discours inaugural à l’occasion de la soixante-cinquième commémoration de la Loi Fondamentale allemande, le Grundgesetz.

Sa thèse de doctorat « Gott ist schön. Das ästhetische Erleben des Koran » (« Dieu est beau. L’expérience esthétique du Coran ») a très vite attiré l’attention des médias et des milieux universitaires.  Après avoir travaillé comme dramaturge pour le Théâtre de la Ruhr à Mühlheim et celui de Francfort tout en ayant collaboré au Berliner Wissenschaftskolleg, Kermani décida en 2003 de vivre de sa plume foisonnante.

Cet auteur très connu outre-Rhin traite dans ses multiples publications de thèmes aussi différents que la mort, la sexualité, la musique, l’engagement, mais toujours avec cette mise en abyme de la mystique et de l’Islam. La Süddeutsche Zeitung a dit de lui qu’il manie aussi bien la critique envers Goethe, Herder ou Kafka qu’envers la mystique islamique. Son regard acéré, aiguisé par la fréquentation des textes sacrés et par le maniement d’une langue riche et imagée, est ainsi le révélateur de nos sociétés agitées par des conflits millénaires, mais aussi sous-tendues par d’innombrables sagesses.

En plus de ses livres et de ses essais, Navid Kermani prend toujours position dans les débats publics et politiques avec ses discours, ses conférences et ses articles de journaux. Il intervient particulièrement pour l’évolution du projet européen, a pris position lors du Printemps Arabe et bien entendu contre le prétendu État Islamique et au sujet des Migrants… Son œuvre lui a déjà valu de nombreuses récompenses, comme le Prix Hannah Arendt en 2011 ou le Prix du Livre Allemand et le Prix Kleist, en 2011 et 2012… Il avait aussi obtenu en 2009 le Prix Culturel de la Hesse, décerné aussi au Cardinal Karl Lehmann, à l’ancien Président synodal Peter Steinacker et au Vice-Président du Consistoire Salomon Korn, un prix récompensant le dialogue interreligieux.

Car au cœur des préoccupations de Navid Kermani on retrouve l’idée de laïcité, bien peu maniée chez nos voisins allemands qui n’ont pas connu de séparation entre l’Église et l’État, une idée que l’écrivain défend en lui associant une profonde connaissance des religions, arguant que seule une tolérance et un dialogue interreligieux pourront devenir le terreau d’une diversité pacifique et respectueuse de l’Autre.

Dans le magnifique discours tenu hier soir lors de la remise de son prix, l’écrivain est aussi longuement revenu sur le sort des minorités chrétiennes d’Orient, évoquant avec une grande émotion la libération du père Jacques Mourad, récemment libéré en Syrie, et expliquant aussi que si un porteur de prix « de la paix » n’avait déontologiquement pas le droit d’appeler à la guerre, il en appelait néanmoins à la plus grande détermination possible afin que cesse un conflit désormais presque mondial, comme il l’avait d’ailleurs déjà prédit en 2014 en comparant la guerre en Syrie à la Première Guerre Mondiale.

Vous retrouverez ici le discours en partie retranscrit et à réécouter :

http://hessenschau.de/kultur/kermani-rede-bei-friedenspreis-vergabe-im-wortlaut,kermani-rede-friedenspreis-100.html

Et voici un extrait vidéo :

http://www.zdf.de/ZDFmediathek/beitrag/video/2517758/Navid-Kermani-Redeausschnitt#/beitrag/video/2517758/Navid-Kermani-Redeausschnitt

Navid Kermani est un penseur éclairé, qui ose affirmer qu’il y aura d’autres attentats, d’autres décapitations, que l’Europe n’est et ne sera pas épargnée, mais que l’espoir peut rester présent si une majorité clairvoyante s’engage à la fois pour la paix et la tolérance sans être dans le déni devant les exactions de l’EI.

Gibt es Hoffnung ? Ja, es gibt immer Hoffnung.

Reste-t-il un espoir ? Oui, il reste toujours un espoir.

À mon tout petit niveau, poétesse, blogueuse, essayiste, romancière, dramaturge…seulement primée dans des concours de nouvelles et de poésie, j’ai trouvé dans les écrits de Navid Kermani comme un bel écho à mes propres textes, en particulier à tous mes écrits autour de la laïcité…

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2015/09/02/jesuislalaicite-nouvelles-reflexions-poesies-et-theatre-autour-de-la-laicite/

 

Et je dédie à ce grand penseur que je voudrais voir traduit en français mon poème, retranscrit en persan par mon ami  Hossein Mansouri, fils de la grande poétesse iranienne Forough Farrokhzad :

میگویم: در نازک هوای شفاف صبح گاهی

 

میگویم: به رنگین کمان شسته شده از رنگ

 

میگویم: به شادکامی از دست رفته

 

میگویم: در سکوت ستاره ای شبانگاهی

 

میگویم: حتا اگر کسی نخواهد گوش کند

 

میگویم: به غریبی که پشت میله های زندان زندگی میلرزد

 

میگویم: به فرزندانم، هر بامداد، با سلام روشن خورشید

 

میگویم: به دوستانم، دوستان دیروزیم، امروزیم، ابدیم

 

میگویم: به گلهای آفتاب گردان، به درختان صنوبر

 

میگویم: به قمری های غمگین، به تپشهای مضطرب قلبم

 

میگویم: بی آنکه از باد انتظار پژواکی داشته باشم

 

میگویم: همچون کلامی رمزآلود

 

میگویم: همچون سوغاتی از راه دور

 

میگویم: همچون رحمتی نابهنگام

 

میگویم: حتا اگر به من بخندند، مسخره ام کنند

 

میگویم: همچون بهاری که به مصاف زمستان جاوید زمین میرود

 

میگویم: همچون خورشیدی که میدرخشد

 

میگویم: همچون لذتی جان بخش

 

میگویم: چون این کلام الفبای زندگی من است، دلیل زنده ماندنم:

 

دوستت دارم.

 

Traduit par Hossein Mansouri

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2014/01/18/ich-liebe-dich/

https://www.youtube.com/watch?v=9RfqZLWFEyg

 

https://de.wikipedia.org/wiki/Navid_Kermani#cite_note-32

 

 

#Jesuislalaïcité: Nouvelles, réflexions, poésies et théâtre autour de la laïcité

http://www.thebookedition.com/jesuislalaicite-sabine-aussenac-p-130306.html

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En janvier 2015, de battre mon cœur s’est arrêté. Mais cela s’était déjà produit lors des attentats de Toulouse, à la mort de la petite Myriam et des autres victimes…Et depuis plusieurs années, dans mes nouvelles, mes réflexions, mes poésies, je parle de la laïcité, de nos démocraties en danger et des courages de ceux qui défendent la paix et la tolérance.
Car la laïcité est le cœur battant de notre République. C’est pourquoi j’ai rassemblé ces divers écrits dans ce recueil qui se veut mémoire et espérance.

***

Le livre est cher, je sais, car j’ai voulu une couverture brillante et colorée, et l’imprimeur fixe les prix. 

C’est pourquoi j’envoie le fichier intégral de ce recueil par mail à toute personne en faisant la demande; il ne s’agit pas ici d’argent, mais d’une cause à défendre, d’une idée majeure, qui nous fonde et nous construit.

Extraits…

– Sans prétention aucune, ce petit recueil rassemble mes déambulations autour de l’idée de la laïcité, celle avec laquelle je travaille lors de mes cours, pour la transmettre à nos élèves, et autour de laquelle j’ai brodé différents écrits : textes parus dans les tribunes du Huffington Post ou de mon blog du Monde, nouvelles et poésies parfois primées, ébauche de pièce de théâtre…

La laïcité, à mon sens, ce n’est pas seulement cette idée chère à notre République et qui voudrait que le respect de ce cœur laïc, qui fait battre notre démocratie,  enterre toute velléité religieuse. Car la compréhension du fait laïc passe forcément par celle du fait religieux, et ce n’est que par le respect de toutes les croyances, qu’elles soient religieuses, agnostiques, ou simplement en l’Homme, que les sociétés pourront avancer vers la lumière et la paix.

C’est pourquoi j’ai intégré à ce livre quelques textes évoquant justement la foi, la religion, la croyance, et, hélas, les innombrables crimes commis autour des religions, afin de mieux préserver cette identité laïque qui fait de la France ce pays d’exception qui a su placer, depuis l’Édit de Nantes jusqu’à la manifestation du 11 janvier 2015, en passant par la loi sur la laïcité, cette préoccupation au centre même de la flamme républicaine.

La laïcité fait corps avec notre passé : défendons la chaque jour de notre présent, aussi difficile soit-il, afin de préserver l’avenir de nos enfants, de notre pays et du monde.

***

–  Je me souviens.

Des larmes de mes parents quand je partis pour Paris qui m’accueillit avec ses grisailles et ses haines. De ces couloirs de métro pleins de tristesse et de honte, de ce premier hiver parisien passé à pleurer dans le clair-obscur lugubre de ma chambre de bonne, quand aucun camarade de Normale ne m’adressait la parole, bien avant qu’un directeur éclairé instaure des « classes préparatoires » spéciales pour intégrer des jeunes « issus de l’immigration ». Je marchais dans cette ville lumière, envahie par la nuit de ma solitude, et je lisais, j’espérais, je grandissais. Un jour je poussai la porte d’un local politique, et pris ma carte, sur un coup de tête.

Je me souviens.

Des rires de l’Assemblée quand je prononçais, des années plus tard, mon premier discours. Nous étions peu nombreuses, et j’étais la seule députée au patronyme étranger. Les journalistes aussi furent impitoyables. Je n’étais interrogée qu’au sujet de mes tenues ou de mes origines, quand je sortais de l’ENA et que j’officiais dans un énorme cabinet d’avocats. Là-bas, à Toulouse, maman pleurait en me regardant à la télévision, et dépoussiérait amoureusement ma chambre, y rangeant par ordre alphabétique tous les romans qui avaient fait de moi une femme libre.

Je me souviens.

Des youyous lors de mon mariage avec mon fiancé tout intimidé. Non, il ne s’était pas converti à l’Islam, les barbus ne faisaient pas encore la loi dans les cités, nous nous étions simplement envolés pour le bled pour une deuxième cérémonie, après notre union dans la magnifique salle des Illustres. Dominique, un ami, m’avait longuement serrée dans ses bras après avoir prononcé son discours. Il avait cité Voltaire et le poète Jahili, et parlé de fraternité et de fierté. Nous avions ensuite fait nos photos sur la croix de mon beau Capitole, et pensé à papa qui aurait été si heureux de me voir aimée.

Je me souviens.

Des pleurs de nos enfants quand l’Histoire se répéta, quand eux aussi furent martyrisés par des camarades dès l’école primaire, à cause de leur nom et de la carrière de leur maman. De l’accueil différent dans les collèges et lycées catholiques, comble de l’ironie pour mes idées laïques qui se heurtaient aux murs de l’incompréhension, dans une république soudain envahie par des intolérances nouvelles. De mon fils qui, alors que nous l’avions élevé dans cette ouverture républicaine, prit un jour le parti de renouer follement avec ses origines en pratiquant du jour au lendemain un Islam des ténèbres. Du jour où il partit en Syrie après avoir renié tout ce qui nous était de plus cher. Des hurlements de douleur de ma mère en apprenant qu’il avait été tué après avoir égorgé des enfants et des femmes. De ma décision de ne pas sombrer, malgré tout.

Je me souviens.

De ces mois haletants où chaque jour était combat, des mains serrées en des petits matins frileux aux quatre coins de l’Hexagone. De tous ces meetings, de ces discours passionnés, de ces débats houleux, de ces haines insensées et de ces rancœurs ancestrales. De ces millions de femmes qui se mirent à y croire, de ces maires convaincus, de ces signatures comme autant d’arcs-en-ciel, de ces applaudissements sans fin, de ces sourires aux parfums de victoire.

Je me souviens.

De mes professeurs qui m’avaient fait promettre de ne jamais abandonner la littérature. De ces vieilles dames, veuves d’anciens combattants, qui m’avaient fait jurer de ne jamais abandonner la mémoire des combats. De ces enfants au teint pâle qui, dans leur chambre stérile, m’ont dessiné des anges et des étoiles en m’envoyant des bisous à travers leur bulle. De ces filles de banlieue qui, même après avoir été violées, étaient revenues dans leur immeuble en mini-jupe et sans leur voile, et qui m’avaient serrée dans leurs bras fragiles de victimes et de combattantes.

Je me souviens que dans une minute, le moment viendra. Il est l’heure.

Mon conseiller me demande de le suivre. L’écran géant va montrer le « camembert » et le visage pixellisé du nouveau président de la République. La place de la Bastille est noire de monde, et je sais que la Place du Capitole vibre, elle aussi, d’espérances et de joies.

Un cri immense déchire la foule tandis que l’écran s’anime et que mon visage apparaît, comme c’est le cas dans des millions de foyers guettant devant leur téléviseur.

Le commentateur de la première chaîne hurle, lui aussi, et gesticule comme un fou : « Zohra Rahmani ! Pour la première fois, une femme vient d’être élue Présidente de la République en France ! »

Je me souviens que je suis française, et si fière d’être une femme. Je souris, et je monte sur l’estrade, toutes les couleurs de l’espérance en mon cœur.

(Fiction écrite pour un concours)

***

– Nour : (nostalgique.)

 

Maman, éteins ce poste, si tu veux discuter.

Mon Yassine aux yeux noirs qui devient un guerrier,

Moi aussi je m’inquiète pour mon frère que j’aime.

Lui qui aimait Hendrix, qui vivait sa bohême,

Qui écoutait du rap et du rock en riant :

Obsédé par les rites, psalmodiant le Coran !

Le voilà comme un sage récitant des Sourates,

Il veut voiler sa sœur, il en oublie les maths !

D’ailleurs je crois qu’il ne va plus en cours,

Il reste à la Mosquée, tant la nuit que le jour.

Mostafa m’a parlé de ses fréquentations :

Lui qui voulait aussi passer l’agrégation…

(…)

Nour (excédée)

 

Moi je suis musulmane, mais j’irai à Paris.

Tu m’agaces Yassine, lâche-moi, c’est compris ?

Va prier et maudire avec tous tes barbus !

En tailleur ou en jean, je ne serai pas nue !

Tu fais peur à maman avec tes extrémismes,

Tu disais autrefois détester les fascismes :

Reviens plutôt aux maths, finis ton doctorat.

Je crains fort que l’islam n’ait fait de toi un fat…

Tu prétends tout savoir, tu veux tout contrôler.

Tu aimais le macdo, tu adorais danser….

Mes amis, mes sorties, et notre nourriture,

Aujourd’hui l’occident devenu pourriture

Te paraît grand Satan, tu menaces et t’énerves :

Tu critiques la France de ton immense verve…

Quand je t’entends crier contre notre pays,

J’ai bien peur que mon frère ne soit pris de folie…

 

Yassine :

 

Tu ne sais pas ma sœur ce que disent les Sourates :

Tu as perdu la tête, tu as trop lu Socrate ;

Seul le Juste est reçu quand il vit dignement.

Mais je serai ton guide pour trouver le Coran.

 

Imen :

 

Mon petit, mon Yassine, et où sont tes projets ?

A l’école, dans la rue, tout le monde m’enviait !

Tu étais si brillant, un nouveau Pythagore,

Toi qui aimais tant lire, qui dévorais encore

Les romans et journaux, quand je fermais la porte…

Mehdi veut te parler, il veut que tu t’en sortes,

Ton frère m’a appelée ce matin du pays :

Il sera sur Facebook à t’attendre, cette nuit.

 

Yassine :

 

Ce traître à sa famille, qui ne prie plus Allah ;

Un Français à Tunis, qui se prend pour le roi,

Avec ses idées folles, enseigner le français,

Il ne sait même plus ce qu’est l’identité !

Et nous à la cité, on magouille et on rame,

Avec les keufs partout, les bagnoles qui crament…

Mon pays c’est ici, mais mon cœur est là bas,

Et Le Coran un jour deviendra la vraie foi.

(Il se tourne vers Nour)

Allez mets ta Burka, on dirait une tasspé,

Cache ton maquillage et va faire à bouffer !

(extrait d’une pièce en ébauche…)

***

–  Bien sûr, les Allemands ont souffert : ma mère encore ne peut entendre un avion sans frémir, et je sais que la blondinette de 4 ans a eu peur, faim, fro

Mais quelque part, je suis la seule de ma famille à, en quelque sorte, « porter la Shoah ». La Shoah par balles de mon grand-père, que personne n’a jamais encore osé évoquer avec moi. Et surtout la Shoah tout court.

Alors depuis mon adolescence, je cherche, je regarde, je réfléchis…Ces amis chez lesquels j’avais été jeune fille au pair, qui, chaque année, partaient dans un kibboutz pour « racheter la Faute », m’avaient donné des livres sur le judaïsme…Et puis un jour j’ai trébuché sur Rose Ausländer, « ma » poétesse juive de la Shoah, et, bien tard, à 44 ans, je lui ai consacré un mémoire de DEA…J’ai même, un temps, flirté avec une idée de conversion…

Les miens se moquaient de moi : « Mais qu’est-ce-que tu as encore, avec tes juifs ? » Pourtant, oui, il y a cette étrange proximité, et puis mes larmes d’enfants lorsque j’entendais du Chopin ou des valses tziganes, et puis mon profond dégoût à mélanger par exemple du fromage et du poisson…

Mais au-delà de l’anecdote, je me suis juré de témoigner. De dire, toujours. Ainsi je parle de la Shoah lors de mes cours, bien entendu, lorsque je fais mon métier de prof…d’allemand. Même quand on m’envoie en terre d’Islam, dans les Quartiers où les élèves ricanent au seul nom de « juif », dans ces classes où, une année, j’ai été obligée de faire noter dans le carnet de correspondance :

« Je ne prononcerai plus le nom du Führer en cours sans y avoir été invité », tant les élèves adoraient parler d’Hitler et du gazage des juifs…

Alors en ce beau matin de mars 2012, quand un élève, dans mon lycée de campagne, a reçu un sms de son père policier à l’interclasse, un sms qui lui parlait du massacre à l’école juive de Toulouse, j’ai immédiatement écrit, à la récréation, une phrase sur le tableau d’affichage devant la salle des profs : au feutre, j’ai noté simplement :

« Premier attentat antisémite en France depuis la rue des Rosiers. »

Et j’ai dessiné une petite étoile juive.

Puis je suis retournée en salle des profs. Moi, je tremblais. Entre temps, j’avais allumé l’ordinateur. J’avais lu les dépêches, les récits des faits.

J’avais lu qu’un homme fou avait abattu de sang-froid un père et ses deux enfants, dont j’apprendrais plus tard qu’il s’agissait du jeune Jonathan Sandler et de ses petits Gabriel, 4 ans, et Arieh, 5 ans, devant l’école Ozar Hatorah de ma ville rose, à quelques kilomètres de la bourgade où j’enseignais. J’avais lu que cet homme ensuite avait pénétré dans l’enceinte de l’école et blessé d’autres personnes, et surtout qu’il avait tiré une balle dans la tête de la petite fille qu’il tenait par les cheveux. Plus tard, on me dira qu’elle s’appelait Myriam Monsonegro, qu’elle avait 7 ans et était la fille du directeur de l’école : ce dernier avait vu mourir sa fille.

En ce matin du 19 mars 2012, vers 10 h, je tremblais. Parce que déjà j’avais lu certains détails, et parce qu’il me semblait intolérable qu’un tel attentat se produise, en France, si longtemps après la Shoah. Après la Shoah.

***

–  Nous devons devenir des Veilleurs, des Gardiens du phare de la Démocratie, des porteurs de flambeau. Car comme le proclamait fièrement et crânement Charb, « mieux vaut mourir debout que de vivre à genoux ». Cependant, n’oublions pas qu’il disait aussi qu’il n’avait pas l’impression « d’égorger quelqu’un avec un feutre »…

Alors dessinons, nous aussi, le visage de la liberté et de l’humour. Osons rire, parler, nous moquer, faire face. Car le moment est venu, vraiment, de tenir chaudes les braises du courage et de l’honneur, afin de ne pas céder au feu des émotions et de la vengeance. Ne stigmatisons pas les innocents, mais réfléchissons à des solutions qui permettront un vivre-ensemble pacifié. En même temps, ouvrons aussi les yeux sur les dérives si multiples que nous ne les voyons plus, sur les cités devenues des poudrières à islamistes, sur les femmes avilies et soumises aux diktats d’un pseudo Islam prônant le mépris du corps de la Femme, sur les brèches de plus en plus nombreuses qui permettent à des zones de non droit de polluer les règles de la République.

Il convient, avant tout, d’éduquer, d’intégrer, de pacifier. Le ver est dans le fruit, mais chaque dessin de presse, chaque écrit, chaque discussion est comme une fleur de cerisier qui s’envole dans le vent, à la rencontre du soleil.

N’en doutons pas un seul instant : il reviendra, le temps des cerises, des merles moqueurs de Charlie-Hebdo et des gais rossignols qu’étaient ces papys qui faisaient, de la pointe de leur humour, cette incroyable résistance !

(…)

(Texte paru dans le blog du Monde, et repris par Opinion Internationale le 15 juillet 2015 à la suite d’un entretien avec Pascal Galinier médiateur du Monde, « L’exigence de retisser le vivre-ensemble » suite à la parution de son livre « Qui est vraiment Charlie ».

Opinion Internationale publie un des commentaires des lectrices(eurs) du Monde : Sabine Aussenac, professeure d’allemand à Toulouse, a posté sur son blog du Monde le 8 janvier 2015 le texte « Je suis Charlie ou l’invincible été », véritable appel à la solidarité et à la fraternité, un appel à la réunion plutôt qu’à la division.)

***

–  Cette édition ressemblait en tous points à celle qu’elle avait presque toujours dans son sac, écornée, un peu jaunie, les pages presque vivantes d’avoir été relues mille fois. Elle pouvait presqu’en sentir le parfum, cette odeur caractéristique des livres de poche, qui lui faisait parfois tourner la tête de joie. Ce parfum-là, pour Aïcha, avait l’odeur de l’indépendance et du secret ; il symbolisait sa révolte sourde contre sa condition, contre la fatalité qui aurait voulu qu’elle arrête ses études à la fin du collège, ou qu’elle prenne une des voies professionnelles où tant de jeunes filles des « Quartiers » étaient enfermées, comme dans une nouvelle prison faisant écho à la ghettoïsation de leur cité.

***

–  La petite cuisine sentait le thé à la menthe et l’amlou, cette pâte d’amandes et de miel au parfum ensoleillé. Fatima, la maman de Nour, fabriquait des pâtisseries pour les grandes surfaces de la cité.

  • Nour, ma fille, prends encore un peu de thé !
  • Maman, tu sais bien que je ne peux rien avaler le matin…Allez, je file au métro, j’ai une colle de français. A ce soir !
  • Va, ma fille, et fais attention à toi !

 

Nour dévalait déjà les escaliers quatre à quatre. Le vieil ascenseur était en panne, une fois de plus. Devant la barre HLM, la cité s’éveillait, radieuse sous le soleil toulousain, malgré les carcasses calcinées, les canettes abandonnées et les papiers gras. Sous un ciel inondé d’hirondelles, le lac de la Reynerie miroitait. Un court instant, Nour s’imagina être sur une plage tunisienne…

 

La rame bondée se frayait un chemin à travers la ville rose. Assise sur un strapontin, la jeune fille pianotait, inlassablement, sur ses genoux. Il ne restait que quinze jours avant l’audition, et à peine dix avant le concert aux Jacobins…Nour savait que sa vie entière se jouerait, là, en quelques heures, en quelques minutes, lorsque ses notes deviendraient, ou pas, un passeport pour une nouvelle liberté. Elle songea à ses cousins de Tunisie, aux cris et aux morts, mais aussi aux extases de la liberté retrouvée. Elle se sentait, elle aussi, dépositaire d’une révolution.

-Nouvelle « Le rossignol et la burqa »

***

–  Le chef d’établissement et son adjoint, toujours tirés à quatre épingles, veillent au grain tels des capitaines de frégate. Le Principal porte un costume et semble toujours prêt à recevoir quelque délégation ministérielle.

Au fronton du collège, les mots « Liberté, égalité, fraternité », et ce drapeau qui vole au vent mauvais.

Un îlot. Notre collège est un îlot de résistance.

Mais nous ne sommes pas en terre inconnue, non, ni en terre ennemie. Non, nous sommes en France, juste en France.

La France qui, dans cette cité, comme dans des milliers d’autres, a la couleur des ailleurs. Ce sont ces serviettes de toilette qui sèchent à même le trottoir, sur l’étendoir, devant l’échoppe du petit coiffeur-barbier.

Ce sont ces femmes voilées, en majorité dans la cité, et parfois même entièrement voilées, malgré l’interdiction républicaine, qui se promènent, entre cabas et poussette, depuis le ED jusque chez le boucher hallal. La boulangerie aussi est hallal ; et puis la cantine du collège, aussi.

Ce sont les tours immenses, et les trottoirs salis. Et ces hommes, tous ces hommes désœuvrés, assis aux terrasses des cafés, ou faisant mine de conspirer avant quelque mauvais coup devant la station de métro. C’est que nous avons eu deux meurtres en deux semaines, dans le quartier…

Si l’on marche dans les rues, les seuls signes d’appartenance à la France sont les sigles des bâtiments administratifs : CAF, ASSEDIC…Pour tout le reste, on pourrait se croire à Tunis, Alger ou Marrakech. Pas de Monoprix ou de Zara, ici, seuls quelques magasins de décorations du Maghreb…Les boutiques aussi sont tournées vers La Mecque.

Seule la pharmacie, courageuse en ces temps de l’Avent, a osé un sursaut de fierté chrétienne, disposant deux petits sapins sur le trottoir.

Au collège, pourtant, la République veille : la technique et les moyens mis en œuvre par l’Etat sont partout ; ordinateurs et rétroprojecteurs dans chaque salle, CDI flambant neuf…Les partenariats sont innombrables, les « dispositifs » bien rodés, bref, on a l’impression, plus que jamais, d’être au cœur de cette « école de la République », celle qui se bat pour ses enfants. Certains enseignants sont là depuis plusieurs années, en poste, heureux et motivés. Allant de « projet » en « parcours découverte

Mais au collège, il y a aussi ce mégaphone utilisé pour appeler les élèves ; car la cour ressemble davantage à une jungle qu’à un couloir de Janson de Sailly…Et les traits tirés des assistants d’éducation ; et l’épuisement de quelques collègues. Car l’insularité a ses limites…

La réunion de parents, par exemple, où les dits parents ne viennent voir que le professeur principal, puisqu’ils doivent entrer en possession des bulletins en main propre. –bon, parfois, si, ils se déplacent, enfin les papas, mais là, c’est juste pour incendier une collègue, entre quatre yeux, et de façon extrêmement violente…

Les enfants, eux, dont certains sont brillants et motivés, débordent d’énergie. Une heure de cours en ZEP ne ressemble en rien à une heure de cours classique, puisqu’il s’agit aussi bien de transmettre du pédagogique que de l’éducatif…En troisième, encore et encore, leur dire qu’on ne se lève pas en cours…Et puis expliquer encore et toujours qu’on n’élève pas la voix, qu’on ne parle pas arabe en classe, qu’on ne s’insulte pas…

Certains m’ont fait une petite rédaction, sur leur vision de leur avenir. C’était édifiant, touchant, mais aussi très inquiétant.

Car si tous s’imaginaient riches, et exerçant un « bon métier », tous, aussi, comptaient épouser une femme « musulmane » (« elle portera le voile si elle le souhaite »), et, surtout, donner des prénoms arabes à leurs enfants.

Et c’est bien ce petit détail-là qui, plus que les voitures brûlées, plus que le port du voile intégral dans le métro, plus que le désœuvrement et la violence, m’interpelle : si, au bout d’une ou deux générations, les enfants des « quartiers », pourtant « français » à 90%, continuent à imaginer donner des prénoms arabes à leurs propres enfants, l’intégration ne se fera jamais. JAMAIS.

Et ce en dépit des énormes moyens que l’Etat investit dans l’éducatif ; et ce en dépit du « modèle républicain »…Et ce n’est pas tant lié à ce sentiment d’exclusion de nos élèves- la plupart d’entre eux ne se rendent jamais en centre-ville, vivant en vase clos dans le hors monde de la cité…- qu’à cette dérive protectionniste et communautariste dont ces enfants font preuve, dès leur plus jeune âge : leur pays, c’est…le « bled » ! Pourtant, certains viennent de décrocher des stages dans de prestigieuses entreprises de la région toulousaine, et rêvent de devenir PDG un jour. Mais on a l’impression toujours que leurs valeurs demeureront celles d’une autre culture, et d’un autre âge, quant à leur vision de traiter les femmes, par exemple…

Alors quand je pousse la grille de mon petit collège de ZEP, et que je vois cette devise républicaine en orner timidement le fronton, et toutes ces équipes pédagogiques et administratives motivées, mais épuisées, je me demande quelles solutions nous pourrions mettre en œuvre pour que Marine Le Pen n’ait PAS raison.

Comment, oui, comment arriver à une dynamique réelle d’intégration ? Comment arriver à transmettre ce creuset républicain à ces générations d’élèves n’ayant de la vie et du monde qu’une vision tronquée, muselée par leurs communautarismes ? Comment revitaliser ces cités où la France n’est plus représentée que par ses administrations ? Comment y faire régner non pas seulement l’ordre, mais la paix, et, surtout, la joie ?

Il me semble que ce que nous faisons et transmettons ne suffit pas, et que nous lâchons trop de lest. Certes, la loi sur la laïcité existe, mais elle n’est pas respectée, puisque de plus en plus de cantines sont hallal d’office. Certes, la loi sur l’interdiction du port de la burqa existe, mais elle est loin de faire la part des choses et de régler le problème des fillettes voilées de plus en plus jeunes.

J’ai peur que peu à peu, notre pays ne se clive et ne se détourne des processus d’intégration qui ont fait sa grandeur et sa force, j’ai peur que les métissages ne se fassent que dans un sens.

Je souhaiterais que soient mises en place de véritables heures d’éducation civique spécialement orientées vers l’idéal d’intégration et vers la place des femmes ; je souhaiterais que des commerces « non hallal » soient à nouveau implantés dans les cités, de grandes enseignes, des magasins de chaussures, de vêtements-et pas seulement des échoppes de babouches et de robes à paillettes-, des franchises « classiques », et aussi des magasins d’alimentation « lambda » ; je souhaiterais que des librairies non religieuses ouvrent dans nos cités, et des magasins de musique, et des salles de sport…Et des centres d’épilation, et des parfumeries, et des magasins de lingerie…Et des magasins de jouets, et des salons de thé sans menthe !

Je souhaiterais que la vie vienne vers la cité, puisque la cité ne vient plus vers la vie, hormis pour faire des « descentes »en ville, dont on sait qu’elles sont parfois liées à des dérives, à des vols en bande organisée, à des exactions de casseurs…

Ce qui nous manque, c’est une normalité intégrative, c’est un désir réciproque de partage. Quand j’ai dit, par exemple, que j’allais parler de Noël en cours, puisque Noël est la plus grande fête allemande et un moment fort de la culture germanique, « ils » m’ont tous rétorqué qu’ils ne fêtaient pas Noël, que c’était une fête chrétienne, etc. Mais nous avons malgré tout ouvert les fenêtres et mangé les chocolats du petit calendrier de l’Avent, et fait quelques activités. Et si j’en avais eu le temps et les moyens, j’aurais aimé les emmener voir un marché de Noël en Allemagne…

Je remarque chaque jour que mes élèves vivent dans un nomansland culturel, malgré le Centre Culturel du quartier, et malgré l’énergie remarquable dont font preuve les équipes administratives et pédagogiques du collège…Que soit au niveau des partages économiques ou intellectuels, ces enfants et ados sont dans une zone de non droit, dans un endroit où les échanges de base ne se font plus.

Et c’est à la République de se donner les moyens de changer cela, avant qu’il ne soit trop tard, avant que les camps ne se forment de façon définitive, avant que le FN ne prenne peut-être un jour le pouvoir, avant que les « Frères Musulmans » ne remplacent peu à peu sécu, ASSEDIC, école et loisirs…

Je ne veux pas que mon pays renonce à l’idéal des Lumières : éduquer, enrichir, élever les esprits.

Liberté de pensée, égalité entre les femmes et les hommes, fraternité entre nos cultures : agissons !

(Texte écrit il y a plusieurs années et paru dans « Le Post », bien avant les attentats…)

 

 

Les Migrants s’arrêtent à la frontière, comme le nuage de Tchernobyl…

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Ma sœurette et moi nous appelons chaque semaine, et, chaque semaine, elle me demande si des réfugiés sont arrivés à Toulouse.

Ma sœur vit de l’autre côté du Rhin, vous savez, en Allemagne, ce pays qui va accueillir 800 000 Migrants et réfugiés.

Et qui en a déjà accueilli énormément, ces dernières années, et surtout ces dernières semaines, au grand dam de l’extrême-droite qui claironne en vain ses thèses de repli nationaliste devant une Angela inflexible.

À Toulouse, j’ai beau chercher, je ne vois pas l’ombre d’un Migrant ; nous avons nos « quartiers » colorés et agités, nos Roms qui mendient au Capitole, nos bourgeois qui maugréent, mais même lorsque j’ai appelé des associations, en été, pour donner des livres, on m’a bien dit que seules quelques familles tchétchènes profiteraient de mes dons, et que « les enfants, de toutes manières, ne seraient pas intéressés par la Comtesse de Ségur »…

C’est étrange, non, ces nuages de Migrants qui s’arrêtent à la frontière, comme le nuage radioactif de Tchernobyl ?…J’avoue avoir un peu de mal à comprendre le concept, surtout après le beau discours fraternel de Manuel, ce soir, en clôture des Socialofolies de La Rochelle…

Quand je regarde les infos teutonnes, comme tout prof d’allemand qui se respecte, j’en reste pantoise : les réfugiés et Migrants sont partout, dans les villes moyennes comme dans les grandes métropoles…La mouvance nationaliste Pegida s’agite et vocifère, tandis que des citoyens au grand cœur ont organisé samedi une fête d’accueil dans la ville de Heidenau, qui, je l’avoue, m’aurait presque émue aux larmes…

http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/l-allemagne-terre-d-accueil-des-refugies_1062917.html

Voir ces enfants blonds de Heidenau fraterniser avec les petits Syriens aux yeux de braise, et les ménagères apporter de gros gâteaux tandis que les hommes jouaient au foot m’a renvoyé directement à cette autre image, terrifiante, de villageois obligés par les autorités alliées de visiter un camp, juste après la libération…

http://www.stern.de/politik/deutschland/friedliches-begruessungsfest-6424498.html

Oui, l’Allemagne est guérie, cette scène cathartique de fraternisation nous le prouve et nous fait honte, à nous, franchouillards et reclus, tout taiseux dans nos provinces, faisant mine de ne pas voir l’horreur des ventres gonflés d’eau des enfants noyés ou celle des visages blêmes des femmes mortes étouffées dans le camion autrichien…

J’attends. J’attends de voir ma Ville Rose accueillir les damnés de la terre qui, ce me semble, n’ont pas de droit d’asile ici, en terre de France.

http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2015/08/29/ces-allemands-qui-accueillent-les-refugies-a-bras-ouverts_4739992_3214.html

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2015/08/28/esther-bouchra-hamid-pneuma-de-lhorreur-migrants-autriche/

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