Ce goût incomparable des antans

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Se souvenir d’une voix, d’un rire, et de tant de moments éparpillés au gré des tourbillons de la mémoire…

C’est le départ de sa maman qui nous a réunies. Ma mère m’avait fait part de la nouvelle, lue dans le quotidien local, et une autre voisine d’enfance, retrouvée quelques années auparavant, par hasard, en me promenant dans notre ancien quartier d’Albi la Rouge, m’avait aussi fait un mail.

Quel fait étrange : pris dans les rets de nos quotidiens, on trouve à peine le temps de soigner ses amis, ses connaissances, feuilletant parfois, nostalgique, ses anciens carnets d’adresse, en se demandant où se sont évanouis Pierre, Jacques et Paul, sans compter les mailles infinies du net et de nos réseaux sociaux… On a gardé quelques amis au fil des ans, on en a perdu beaucoup d’autres au fil de nos déménagements, les cercles se sont faits, défaits…

Mais il suffit d’un appel pour qu’en une fraction de seconde toute une enfance nous remonte en mémoire, et que nous nous retrouvions aussi peinés par une annonce de décès que s’il s’agissait d’un très proche…

Tout est allé, ensuite, très vite, une recherche sur internet, un mail, des sms, un appel…

Voilà : j’ai retrouvé une amie d’enfance.

Les amis d’enfance sont bien différents de nos autres compagnons de route, car ils partagent avec nous ce goût incomparable des antans… Bien sûr, avec l’ami de nos seize ans, il nous suffira d’entendre ce morceau de Dylan ou ce riff de Santana pour nous regarder en imaginant respirer une bonne bouffée d’herbe bleue, repensant aux maisons de la même couleur… L’amie de lycée ou de fac partagera jusqu’au bout nos fous-rires en revoyant les barbarismes de nos versions latines ou allemandes et les manies des profs… La maman des amis de nos enfants, devenue aussi notre amie, s’attendrira avec nous des premiers babils retrouvés sur quelque photo sépia, à moins que nous n’échangions longuement au sujet des frasques de nos ados… Le fils de l’amie de notre propre mère ne nous quittera, en fait, jamais, nos vies entremêlées en filigranes fidèles… Les amis du « virtuel » nous sont souvent devenus aussi proches que ceux du monde réel…

Mais l’ami(e) d’enfance possède cette fraîcheur mémorielle unique qui nous renvoie aux tout premiers émois, boussole inextinguible qui nous ramène à ces côtes connues, souvent oubliées, retrouvées à la seconde même où l’on va recroiser sa route.

Ce que nous avons vécu tient du miracle, ce miracle de l’innocence, en ces temps d’avant le réel, lorsque nous jouions des après-midis entières dans cette impasse qui nous était cocon presque matriciel, loin des rumeurs du monde encore…

Se souvenir de sa maison, plus cossue que la nôtre, de la grâce de sa mère, toujours radieuse, qui, femme plus moderne que notre maman, nous emmena pour la première fois faire des courses dans une « grande surface » au volant de sa « Diane », nous qui ne connaissions que l’épicerie et les autres petits commerces des années d’avant 68…

Aux goûters d’anniversaire, chez elle, on buvait du « Fruité « et du « Banga », quand nous n’avions que de la grenadine ; j’étais émerveillée.

Je revois même notre toute première rencontre ; tout juste débarquée de nos Ardennes, je tenais la main de ma grand-mère française, âgée de cinq ans, un peu étourdie encore par un grave accident et par une fracture du crâne qui m’avait immobilisée longtemps, éblouie par le soleil du sud-ouest. Mon amie, petite chipie dégourdie de trois ans à peine, curieuse et délurée, était venue seule du bout de la rue pour nous dire bonjour, m’épatant par sa débrouillardise.

Nos enfances étaient certes différentes, puisque j’étais l’aînée de quatre enfants et elle une benjamine adorée, puisque son père était médecin et le mien professeur, et que toute une partie de ma vie se passait en Allemagne, où nous partions souvent en vacances.

Mais nous restent de ces longues années partagées des centaines de mercredis (qui furent d’ailleurs d’abord des jeudis ! ) et de week-ends quasi communautaires, où l’on jouait dans les jardins respectifs de nos différentes maisons, tantôt à la marchande, tantôt aux mille bornes ou à bataille ouverte, quand nous ne pédalions pas comme des fous dans notre impasse, nous ouvrant parfois cruellement les genoux sur les gravillons…

Au fond du jardin de notre autre amie commune, nous montions des tentes de tissus et des cabanes et nous inventions des vies de princesses ; j’escaladais le pommier pour passer dans le jardin voisin et vivre mille existences de rêve dans l’immense maison de maître des « toulousains », qui venaient là en vacances chez leur grand-mère, et nous alignions les soldats de plomb ou chantions à tue-tête « Aux Champs-Élysées », avec ce petit voisin dont j’étais aussi amoureuse que je l’étais de Mehdi, enfin de « Sébastien » (« parmi les hommes »…)

En rentrant à pied de notre école, par un petit sentier qui raccourcissait notre route, en ces temps bénis où nos parents pouvaient nous laisser des heures entières dans l’espace public non encore livré aux incuries d’aujourd’hui, nous passions parfois voir une vieille dame du voisinage, qui nous offrait à boire ou nous laissait cueillir ses cerises…

J’adorais les maisons de mes ami(e)s : les parquets bien cirés et l’ambiance feutrée de celle de ma chère Monique, le poisson rouge de sa chambre, le vélo de son adorable papa, les livres de « Brigitte » que sa maman me prêtait au retour de la messe où elle me conduisait parfois, ayant pitié de la petite mécréante qui n’avait même pas fait sa communion… Le jardin aux parterres ordonnés m’enchantait. La maison de Jean-Didier vient parfois encore hanter mes rêves, j’en ai gardé une nostalgie éternelle pour ces encorbellements élégants et pour la terrasse aux piliers arrondis… Tous ces étages m’intriguaient, et au-dessus de chez sa grand-mère vivaient d’ailleurs deux autres camarades que j’aimais beaucoup, Anne-Michèle et Isabelle…

Quant à la maison de Nathalie, c’était un bonheur que de s’y aventurer, avec le joli jardin en enfilade et les belles tapisseries. Mais c’est sa maison de campagne surtout que je trouvais merveilleuse, qui, sise non loin de la nôtre, ourlée de beaux feuillages, s’élevait dans un petit village tarnais qui nous rapprochait encore…

Ah, cette enfance… Notre propre maison, veillée par un saule pleureur tutélaire, les meubles en teck des sixties, la 404 de papa, tout le confort offert par nos parents, les mange-disques et les clubs des cinq, les dimanches chez mes grands-parents français et les étés en outre-Rhin…

Entendre la voix de Nathalie, me réjouir de bientôt la revoir, malgré les décennies en béance de nouvelles, c’est replonger dans ces parfums inoubliables, entre la suavité de l’amande amère de nos colles blanches et les saveurs des petits berlingots Nestlé, c’est revoir les couleurs acidulées des années soixante-dix, l’orange de nos tabourets de jardin, c’est plonger vers ces espaces bénis d’avant les blessures, malgré les fêlures souvent déjà bien présentes.

Ballerine assassinée

 

Dans le parc Rochegude se sentir écureuil.

Légèreté des songes au brisant

des réels.

Mon corps trop lourd. Isadora Duncan s’étrangle sans même

danser.

Ballerine assassinée, derviche

tourneuse de mes imaginaires.

Larmes avalées, encore et encore, en couleuvres

des absences.

Une amie d’enfance, c’est cela, ce cordon ombilical vers cette mémoire précieuse, qui nous a forgés, guidés, éveillés, façonnés, permettant à l’adulte en devenir que nous étions de s’ancrer dans les tendresses, les joies, les bienveillances. En ce qui me concerne, beaucoup de choses étaient déjà là, en germe et pourtant définitives : le goût des livres et des mots, entre les dizaines de livres de la collection verte, rose ou rouge et or, mes rédactions dont ma mère était fière, les « récitations » que j’adorais, alliés à la maladresse dans le maniement de la plume violette compensée par une imagination déjà débordante… La passion pour le cinéma, grâce aux films et aux « feuilletons » de l’ORTF, et puis, dès l’âge de 10 ans, la lecture du journal d’Anne Franck… Je voulais devenir écrivain, épouser Walt Disney (ou Mehdi) et je me sentais très proche d’Anne… Bref, tout, ou presque, était tracé…

L’impasse Fernandez était vide ; devant moi marchait Nathalie…Elle avait un joli nom mon guide… Voilà. Recroiser Monique en « pèlerinage » en ville Rouge m’avait fait un immense plaisir, l’entendre parfois au téléphone me ravit.

Et bientôt, peut-être, je reverrai Nathalie.

***

Dédié à Monique et à Nathalie, et aussi à Isabelle, Marie-Paule et Marianne, fidèles camarades de classe, et aux autres voisins de notre rue…

Et le temps à Albi semble d’éternité

Mutine et légère comme un matin

d’été

la statue nous sourit en dominant

rivière.

Sur le Tarn impassible coule

une histoire fière:

Et le temps à Albi semble d’éternité .

***

Nos Noëls seventies

 

Lorsqu’aux temps d’autrefois nous allions à la messe,

Nos gros sabots aux pieds et le cœur à confesse,

Nous savions qu’en rentrant, les joues rosies de froid,

L’enfançon sourirait en sa crèche de bois.

Mais non, n’importe quoi ! Le divan explosait…

Un sous-pull à paillettes, et un sac au crochet !

Et puis l’électrophone, et un jean peau de pêche !

L’intégrale de Troyat, des vinyles de Delpech…

 

En pantalon pattes d’eph’, dans son costume orange,

Petit frère plongeait dans ses tas de légos.

Le sapin débordait sous de lourds cheveux d’ange,

 

A la télé heureuse nous admirions Clo-Clo.

Qu’ils étaient innocents, nos Noëls seventies,

Gouleyants de cadeaux en ces temps d’avant Crise.

L’image contient peut-être : une personne ou plus, personnes debout et plein air

À l’école du Colonel Teyssier…

Et le temps à Albi semble d’éternité

Mutine et légère comme un matin 
d’été 
la statue nous sourit en dominant
rivière.

Sur le Tarn impassible coule 
une histoire fière:

Et le temps à Albi semble d’éternité .

Sabine Aussenac.

Photo prise derrière le Palais de la Berbie, à Albi.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_de_la_Berbie#Jardins_et_cours

Toujours j’arriverai trop tard…#mai68

Toujours j’arriverai trop tard…

 

Sous le pommier de nos mémoires

 

Sous le pommier de nos mémoires, l’été.

Marelles océanes. Parcourir

passés comme en Santa-Maria,

souvenirs indiens, fièvres et turquoises.

Malgré mille et cent déboires garder

au cœur :

la vie.

 

Je n’ai strictement aucun souvenir de mai 68.

J’ai beau chercher, fouiller, scruter ma mémoire, interroger les photos, mes parents… : rien, nada.

C’est comme si j’étais amnésique.

Pourtant, j’avais sept ans. Et déjà le goût de la mémoire, du récit, des souvenirs… J’ai d’ailleurs, dans les recoins de mes armoires, de nombreux cahiers d’écolière…

Certes, Albi, préfecture du Tarn, lovée entre plaine vauréenne et contreforts du Rouergue, était loin de l’agitation parisienne, et même excentrée par rapport aux liesses toulousaines des enfants des républicains espagnols…

Mais tout de même… Rien. Pas un souvenir de manif, ni d’école fermée, encore moins de plage cachée sous les pavés. Dans ma belle ville rouge, entre rives du Tarn et musée Toulouse-Lautrec, au pied de l’immense nef de briques flamboyantes, la vie somnolait encore, de l’angélus de l’aube à l’angélus du soir…Nous portions des blouses grèges et des nattes serrées, trempions nos plumes dans l’encre violette et ne savions pas ce qu’était un garçon, puisque nous étions une « école de filles », entre rondes enfantines et châtiments corporels, faisant résonner nos « tacs tacs » dans la cour embaumée de tilleuls.

À la maison, le pater familias avait tous les droits. Ma mère partait « aux commissions » avec son filet à provision, chez l’épicier, le boucher, le boulanger, en ces temps d’avant les grandes surfaces. Nous allions à l’école à pied, seuls, malgré « le fou », un voisin exhibitionniste qui tua sa mère à coups de hache par une nuit de pleine lune. Le martinet claquait sur nos mollets dénudés si nous ne nous tenions pas bien à table ; nous vivions dehors, dans les jardins du quartier et dans notre impasse, nous jouions à la marchande, aux gendarmes et aux voleurs, et, parfois, regardions « Zorro » et « Sébastien parmi les hommes », dont je chantais le générique par cœur. Mehdi a été le premier homme de ma vie, avec Jean-Didier, le seul garçon que je connaissais, en fait, un jeune toulousain qui venait en vacances chez sa grand-mère albigeoise, notre voisine.

Elle s’appelait Caramel

Parfois, la nuit. L’effraie hurlait sur la plus haute branche

Dans le jardin du voisin un fou

s’expose à la lune.

D’Albi la rouge je ne sais rien. Plus tard,

la brique  percera les exils.

Elle s’appelait Caramel. Une petite fille ronde, bille de clown,

yeux mappemonde. Ses joues avaient

un goût de sel.

Elle me regardait dans le miroir, me souriait matin et soir.

Je est une autre.

Dans cette vie simple et réglée comme du papier à musique, calquée sur le rythme des saisons et de l’autorité des adultes sur les enfants, absolument non digitale, toute entière vouée à la réalité, il fallait obéir. À la maîtresse, bien entendu, qui avait absolument tous les droits, dont celui de nous tirer les oreilles, de nous faire tendre nos mains jointes afin qu’elle y assène des coups de règle en fer, et même de nous « déculotter », oui, en nous faisant monter sur une chaise au beau milieu de la cour, en pleine récréation…

Nous n’apprenions que par cœur. Tout, absolument tout était à retenir, non seulement les récitations, mais aussi les numéros de départements, la configuration de la France avec ses fleuves et des montagnes, les pétales et les sépales, les dates de l’histoire de France et les folies de Louis le Hutin, les règles de l’accord du participe passé, les tables de multiplication, les leçons de morale, Saint-Louis et son chêne… Assises deux par deux devant nos tables à casier, sanglées dans nos tabliers, il fallait écouter, répondre, travailler sans relâche et arriver en forme aux « compositions trimestrielles », où nous avions à restituer tout ce savoir engrangé…

Mon enfance est née au Mont Gerbier des Joncs

Tilleul de la cour

et encre violette,

mon enfance est

née au Mont Gerbier des Joncs.

Rangs serrés, nattes sages. Non mixité polissonne

d’impitoyables pipelettes.

Bouboule, Hitler, Frida Oum Papa, La grosse : Poil de Carotte,

aide-moi…Je suis La petite Chose.

Saint-Louis sous le chêne veille sur la pipe de papa. Nous sommes toutes

des institutrices de province.

Je me souviens de toutes mes maîtresses, et avec une immense tendresse. Non, je n’ai pas été traumatisée. Non, le fait d’apprendre par cœur n’a pas fait de moi un être froid et dénué de sensibilité, incapable de réfléchir par lui-même. Cela m’a, je pense, donné un cadre d’apprentissage, des habitudes, des facilités. Et bien sûr cela m’a donné l’occasion de me rebeller contre cette rigueur permanente, puisque, forcément, cela a aiguisé aussi mon appétence pour la rêverie, la flânerie. Certes, nous n’avions ni internet, ni portable, mais entre le cadre dictatorial de l’école (qui, malgré la rudesse des demoiselles des écoles, n’était absolument pas dénuée de bienveillance -j’ai sur mon bureau une carte postale écrite en 1966 par ma maîtresse de CP… -) et les longs moments passés dehors, en autonomie, grande était la place laissée à l’imagination…S’il n’était pas interdit d’interdire, je maintiens que l’imagination était déjà très largement au pouvoir…

Car nous avions, évidemment, des livres ! Et quels merveilleux vecteurs d’escapisme que ces passerelles vers l’inconnu, le merveilleux et l’ailleurs…Fidèles compagnons de l’école de la république, ils m’ont tout donné, tout appris. En 1968, je lisais déjà bien, puisque, née en 61,  j’étais entrée à l’école en CP, et je dévorais allègrement les malheurs de Sophie ou les enquêtes de détective d’Alice, plongée tantôt dans la France de l’ancienne noblesse, tantôt dans la vie trépidante d’une jeune américaine, découvrant aussi le Livre de la jungle et le Petit Prince…La télévision avait fait son entrée au salon avec « Nounours », l’année de mes cinq ans, et je rêvais aussi déjà devant Blanche-Neige ou Cendrillon et les dessins animés de Disney…

Andersen, je pense à vous

Andersen, je pense à vous.

Vos contes ont été mes mots du déchiffrage. Aucun naufrage ne résistera

à ces rochers : la lecture alpha et omega, agora des

révoltes.

Je suis la survivante. Sur l’île déserte des réels,

consolatum des idées.

Et puis Suzy sur la glace, mon premier Rouge et Or ; Anna K., l’Idiot, Julien S. ou Scarlett, je vous

ai tant aimés.

Glace sans tain de la lectrice qui s’émerveille des boucles et des ponts ; écrire,

comme on apprend à marcher.

Chaque lettre est un phare.

La musique n’était pas en reste, et mes parents éclairés me faisaient tout écouter. Il parait que je reconnaissais la Pastorale à 3 ans et que je voulais épouser Antoine un peu plus tard, celui qui ne voulait pas se faire couper les cheveux. Je me souviens aussi du rock que ma mère nous faisait danser au son de Bill Haley et de ses comets…

Étions-nous malheureux dans notre famille biparentale classique, entre les étés à la mer et en Allemagne, pays de maman, et l’école, avec cette ritualité apaisante ? Non.

Franchement, non. Certes, nous n’étions pas éparpillés entre des activités « épanouissantes » et des « libertés », des  « droits », certes, nous étions soumis à cette autorité pérenne que constituaient la maîtresse dans l’agora, et les parents dans l’oîkos, avec les gifles parfois balancées par maman si nous étions insolents ou cassions un verre, et les fessées -déjà beaucoup plus rudes- données, le soir, plusieurs heures après la « bêtise », par papa, qui n’y allait pas de main morte, d’ailleurs, nous marbrant l’arrière-train de ces grandes pattes velues… Mais sincèrement, j’ai beau me creuser la cervelle, je ne vois mon enfance d’avant soixante-huit que comme un espace où nous, les enfants, étions rassurés par un cadre immuable et structurant.

En fait, mon tout premier « souvenir » de 68 date de…1972, quand la semaine des quatre jeudis est devenue celle des quatre mercredis…

https://www.la-croix.com/Actualite/France/Quand-le-jeudi-est-devenu-mercredi-_NG_-2004-03-12-588775

Il me semble me souvenir des discussions ayant précédé cet événement, quand ma mère en parlait avec d’autres mamans lors de réunions tupperware…. Mais la terre continua de tourner malgré cette révolution, je gardai ma blouse en passant au collège, un collège de filles, là encore, puisque j’ai « vu » mon premier garçon à l’école simplement bien plus tard, en première, quand mes parents déménagèrent d’Albi à Castres. Bien sûr, peu à peu, la fillette se transformant en adolescente avait remarqué des changements sociétaux : la mode, déjà, métamorphosa peu à peu nos tenues « années soixante » (robes sages, cols claudine, socquettes…) en stylismes plus seventies…À nous les pattes d’ eph, les sabots suédois, les blouses paysannes …

Autour de moi, dans le cadre familial et amical, aucune modification notable ne se fit jour. Nous continuâmes à manger ensemble à midi (je ne dégustai mon premier repas à la cantine qu’au lycée de Castres, à 15 ans…), à aller en vacances en famille à la mer, à notre maison de campagne, en Allemagne …  Des nouvelles libertés induites par la révolution de mai dont le poste nous abreuvait, des naturistes du Cap d’Agde aux communautés du Larzac, des soutiens-gorge jetés au feu à la pilule, aucune n’arriva jusque dans notre petite ville de province, toujours aussi douillettement lovée entre deux méandres du Tarn…

C’est donc dans mon nouveau lycée de Castres, un an avant le bac, dans le lycée « autogéré » de la Borde-Basse, que je fis, enfin, mes premières expériences « révolutionnaires » … À moi, enfin, les AG contre je ne sais plus quelle loi, les premières discussions politiques, les essais de plus en plus audacieux de looks « post soixante-huitards » -ah, les beaux chemisiers de grand-père, les robes indiennes, le patchouli et le santal, les foulards de soie, les premières Birkenstock rapportées d’Allemagne…, qui transformèrent peu à peu la jeune fille rangée en « bab’ » nostalgique d’un temps qu’elle n’avait pas connu… Et, surtout, les lectures éclairantes jusqu’au bout de la nuit, en écoutant Dylan ou Santana, un bâtonnet d’encens au jasmin dodelinant sur son support en forme de lotus… Lire, lire, lire encore, pour comprendre ce qui avait changé dans le monde et que je n’avais pas vu ni su …

Kerouac et sa route, Malraux et ses guerres, Neruda et ses solitudes ; Allen Ginsberg et son regard voilé par les substances hallucinogènes, Simone de Beauvoir et son deuxième sexe, et puis, bien sûr les « nouveaux philosophes » ; le tout en dévorant en parallèle les romans russes, Steinbeck, Stendhal, Balzac, Rimbaud, Baudelaire, Zola, et en écoutant attentivement les protest songs de Dylan, en étant fourrée au cinéma plusieurs soirs par semaine, et au ciné-club du lycée, pour découvrir « Z », la nouvelle vague, Godard, mais aussi en dansant, dans nos premières boums, au son des Bee Gees et de Plastic Bertrand …

Je n’ai pas tellement aimé les « années quatre-vingt » … Je nous trouvais, nous, les jeunes, tellement moins flamboyants que nos aînés… La nostalgie, déjà, me prenait à la gorge, je regrettais à la fois, au début, les fifties, aimantée que j’étais par le rock&roll, la série « Happy days » et par West Side Story, puis, au fil des ans, le début des seventies, totalement imbibée de culture pop révolutionnaire américaine, écoutant les trois albums de Woodstock des heures durant, jouant Neil Youg à la guitare, ne rêvant que de partir vivre en communauté à Big Sur quand, en France, mes pairs dansaient, cheveux coupés courts et en post punkitude, sur Desireless …Une chose était sûre, un phare dans ma vie, une certitude : je ne vivrais jamais comme avait vécu ma mère, soumise au diktat financier d’un époux. Je travaillerais, si possible comme journaliste -je voulais étudier en Californie ou en Allemagne et devenir grand reporter pour la presse écrite… Depuis l’enfance et la photo de Kim courant sous le Napalm, je faisais des listes de ce que j’emporterais dans ma jeep… (NDR : oui, bon, je sais, je suis prof depuis 1984 et n’ai pas le permis. Mais quand même, si on avait plusieurs vies…)

Étudiante et jeune mariée, je fis un vague retour à la terre dans le fin fond de la Montagne Noire, y croisant une famille de vrais « babos » éleveurs de chèvre, un prof de yoga, et rédigeant en parallèle mon mémoire de maîtrise sur les alternatifs allemands… Encore une fois, l’herbe m’apparaissait bien plus verte de l’autre côté du Rhin : il me semblait que les Allemands vivaient réellement cet héritage de leur « Mai Revolution », entre les premiers « squats » de Kreuzberg, les « Atomkraft nein danke ! » et les soubresauts de la Rote Armee Fraktion quand nous, en France, étions rentrés dans le rang…

Les soleils de nos robes indiennes

Ils me reviennent

les soleils de nos robes indiennes.

Liberté m’aimeras-tu ?

Patchouli d’encens,

combattre toutes déveines. Woodstock c’était

tous les matins.

Impostures et compromis :

vieillir ne sera pas

pensable.

Plus tard, bien plus tard, au fil de ma longue carrière d’enseignante, je compris que nous avions peut-être un peu malmené notre propre histoire, nous méprenant souvent au sujet des idées de Mai, qui dérivèrent tant, à mes yeux, qu’un beau jour, j’allais jusqu’à…voter à droite, écœurée par les programmes de plus en plus creux,  par les enseignants de primaire de mes propres enfants, par les difficultés sociétales liées à la permissivité à outrance, au règne absolu des « droits » de l’enfant et de l’élève et à l’éducation anti-autoritaire qui, ayant chassé les maîtres de leur enseignement ex cathedra, leur avait aussi enlevé tout le respect qui leur était pourtant, avant comme après 68, dû…

Je sais, c’est compliqué. La vie est compliquée, mon rapport à l’Histoire est complexe, ma vie de métissages européens est confuse, et ma vision de 68 est floue. Car je suis à la fois dans la nostalgie de ce que je n’ai pas vécu, de ces années ayant précédé 68 -manifs anti guerre du Vietnam , beat generation…-, dans le respect devant certaines idées neuves indispensables qui ont d’ailleurs guidé ma propre vision de l’existence (Dolto, « le bébé est une personne », le féminisme… ), mais aussi dans le désarroi au vu des dérives éducatives ayant engendré, osons le dire, la « chienlit » dans certains lieux de l’éducation nationale devenues zones de non droit…

J’éprouve en tous cas, tout au fond de moi, une immense tendresse pour l’espérance de ce printemps-là, pour ces jeunes gens aux yeux brillants, pour les discours passionnés, pour toutes ces luttes qui m’ont permis somme toute de vivre avec, au cœur, ce « devoir d’insolence », d’être une femme libre, affranchie des conventions, depuis le surnom de « die rote Rosa » que je portais dans les travées du Mirail toujours (déjà) en grève jusqu’à mes petites rebellions de quinqua jamais rentrée réellement dans le rang… Et même si j’ai pu voter à droite, au fond de moi je me sentirai toujours plus proche d’un groupe de jeunes aux cheveux longs jouant de la guitare sur la plage en fumant de l’herbe bleue que d’une tablée de banquiers ventripotents sirotant un whisky…

Tout cet avril qui fut le nôtre

Tituber,

Helen Keller sans volonté.

Kim nue sous le napalm. Se savoir journaliste, mais condamnée

à devenir maîtresse d’école. « Tu feras

hypokhâgne, ma fille ».

Tout cet avril qui fut le nôtre, tous ces printemps

assassinés. Mai s’échappe sans moi, enfance en

pavés. Rater Woodstock, maison bleue

aux grands frères.

Toujours j’arriverai trop tard.

NB:

Ce texte paraîtra dans Reflets du temps fin juin, puisque le magazine a eu la bonne idée de demander à ses rédacteurs « leur mai 68″…

http://www.refletsdutemps.fr/

PS:

Bravo si vous lisez ce texte en pleine Coupe du Monde de foot!!

Faites donc cette pause tant méritée : une Pause Guitare !

 

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Je me souviens.

De la chaleur vibrant sur la brique enflammée.

Des cris d’enthousiasme balayant l’espace de « Pratgrau’ », des silences précédant les applaudissements frénétiques devant la basilique, ou au Grand-Théâtre quelques années plus tard.

Des hirondelles tournoyant au-dessus de l’eau languissante du Tarn.

Du sourire de Laurent Voulzy lorsqu’il m’a prise par le bras.

Des ruelles enfiévrées d’allégresse et riant jusqu’au bout de la nuit, entre Palais de l’Évéché et cloître Saint-Salvy…

D’une demande de mariage au concert de Kenji.

Des grands arbres murmurant l’été, lovés dans l’écrin du superbe Parc Rochegude.

https://www.facebook.com/sabine.aussenac/media_set?set=a.10204749610676964.1073741863.1138188420&type=3

L’image contient peut-être : nuage, ciel, arbre et plein air

De cette soirée passée à m’enivrer d’accent québécois, les jambes encore flageolantes d’avoir tant dansé sur les rythmes celtiques, sur ce banc, grisée par l’odeur des tilleuls et par le sourire du « Conteux »…

Tous les Acadiens, toutes les Acadiennes

Du chapeau de Dylan, de l’air guilleret d’Hugues Auffray du haut de ses innombrables printemps, des coiffures folles des Shaka Ponk, des scènes alternatives bondissantes, de la passion de Sting, des tendresses de Bénabar, de l’air mutin de Camille…

Des petits matins aux couleurs de fête quand, encore embuée de notes bleues et de vacarme, je me délectais d’un café en observant l’été éclater peu à peu comme une grenade mûre, rafraîchie par la fontaine du Vigan…

De la longue conversation avec celui qui deviendrait mon ami, mon si cher Zachary Richard, quand d’une simple interview naît la passerelle entre l’ancien et le Nouveau monde, au gré des étincelles de la francophonie.

Je me souviens de tout cela, et je lis avec un intense bonheur la programmation de Pause Guitare 2017, en vous invitant à vous précipiter sur les réservations de ce fabuleux festival qui fait de la ville rouge l’une des places-fortes de l’été musical.

Courez !

Car comme l’annonce la prod, « Pause Guitare est un événement de premier choix à vivre pleinement au cœur de l’été, pour ceux qui aiment la musique, la découverte et la flânerie… La programmation décline ses atouts entre la grande scène « Pratgraussals » au plein coeur d’un grand parc, dans les rues de la charmante ville quelques bars et scènes « Les amis du jour d’oeuf », la « Caravane du Vladkistan » accueillent les concerts découvertes et gratuits, enfin des espaces à l’ombre du soleil et des étoiles comme Le Théâtre des Lices, L’Athanor et Le Grand théâtre proposent des spectacles plus intimes.

Entre patrimoine et musiques actuelles, entre concerts gratuits en centre-ville et grande scène en pleine nature, Pause Guitare offre une aventure dédiée à la culture et au bien-être. »

Vous ne saurez plus où donner de la tête, entre les barbes imposantes des ZZ Top, la voix envoûtante de Vianney, les fêlures douces de celle de notre cher Adamo, les couleurs chaudes de la Femme Chocolat, les drilles enivrantes de Christophe Mae, le regard immense de notre inénarrable Renaud, sans oublier tous les autres artistes connus ou en devenir à découvrir sur la programmation, qui se partageront entre les différentes scènes…

Certes, la soirée de dimanche est complète, mais il reste des places pour les autres événements, et l’organisation vous surprendra, avec ces navettes pour rallier les différentes villes du Tarn, les délicieuses possibilités de restauration, et bien entendu la possibilité de profiter de votre festival pour (re)découvrir les tableaux du peintre fol au Musée Toulouse-Lautrec et pour admirer l’imposante nef de la majestueuse basilique Sainte-Cécile, voire même pour pousser votre curiosité jusqu’au village d’artistes niché au cœur du Moyen-Âge, Cordes sur ciel…

Pour réserver:

http://pauseguitare.bleucitron.net/

 

Faites donc cette pause tant méritée : une Pause Guitare !

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http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/oyez-bonnes-gens-les-miracles-sont-de-retour/

Le vide est rempli par tes paroles…Pour Zachary Richard, chantre acadien de la Francophonie

« la révolte consiste à fixer une rose »…Mon année 2015

la révolte consiste à fixer une rose

à s’en pulvériser les yeux : mon année 2015…

A4 prends soin mon amour de la beauté du monde

Je me souviens.

De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 7 janvier 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.

De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’un étalage.

De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée.

(….) la ville alors cessa

d’être. Elle avoua tout à coup

n’avoir jamais été, n’implorant

que la paix.

Rainer Maria Rilke, Promenade nocturne.

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Je me souviens.

De mes vacances de février en outre-Rhin, les premières depuis dix ans. Enfin sortie d’un épuisant burn-out social et financier, j’osai enfin revenir au pays de l’enfance.

De la maison de mes grands-parents allemands revisitée comme une forêt de contes, du souvenir des usines au bord du Rhin comme autant de merveilles.

Du froid glacial dans ce grand cimetière empli de sapins et d’écureuils où, en vain, je chercherai la tombe de mon grand-père.

De ma joie d’enfant en mordant dans un Berliner tout empreint du sucre des mémoires.

Un étranger porte toujours

sa patrie dans ses bras

comme une orpheline

pour laquelle il ne cherche peut-être

rien d’autre qu’un tombeau

Nelly Sachs, Brasiers d’énigmes.

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Je me souviens.

Des cris parsemant ce mois de mars qui jamais n’aura aussi bien porté le nom de guerre.

Des sourires explosés des corps d’athlètes de Florence, Camille et Alexis dans cet hélicoptère assassin. De tous ces anonymes mutilés au grand soleil de l’art, du Bardo couleur de sang.

Des 142 victimes yéménites si vite oubliées en cette Afrique au cœur devenu fou.

Des coups inutiles contre une porte blindée et de l’abominable terreur des enfants et des jeunes prisonniers d’un avion cercueil.

Un regard depuis l’égout

peut-être une vision du monde

 

la révolte consiste à fixer une rose

à s’en pulvériser les yeux

Alejandra Pizarnik, Arbre de Diane.

3

 

Je me souviens.

De Mare nostrum présentée à mon fils de 16 ans qui n’avait jamais vu la Méditerranée, oui, c’est possible, en 2015, même dans les meilleures familles si elles sont confrontées à une paupérisation.

De l’éblouissant soleil de Sète et des mouettes qui rient au-dessus du Mont Saint-Clair.

Des tombes grisonnantes et moussues du cimetière marin, où nous entendons la voix de Jean Vilar et le vent qui bruisse dans les pins en offrande.

De la plaque de l’Exodus devant la mer qui scintille et de mon émotion devant les couleurs de l’été des enfances, enfin retrouvées au cœur de cet avril.

Pourtant non loin de là 700 Migrants mouraient dans ces mêmes eaux turquoises, ma mer bien aimée devenue fosse commune en épouvante.

Et ailleurs aussi le vacarme déchirait l’innocence, quand 152 étudiants supplièrent en vain leurs bourreaux de Garissa, quand 7800 Népalais et touristes suffoquaient au milieu des drapeaux de prières aux couleurs de linceuls, quand une seule fillette, Chloé, succombait à la perversité d’un homme.

 

Un manteau de silence, d’horreur, de crainte sur les épaules. On est regardé jusqu’à la moelle.

Paul Valéry, Forêt.

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Je me souviens.

De ce contrat faramineux autour d’avions de chasse, pourtant signé par ma République avec un pays aux antipodes de la démocratie, qui maltraite les ouvriers et musèle les femmes.

Des voix d’outre-tombe de  Germaine Tillon, Genviève De-Gaulle-Antonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette entrant au Panthéon, quand je tentai d’expliquer à des élèves malveillants la beauté du don de soi, au milieu de ricanements d’adolescents désabusés. De ma désespérance devant la bêtise insensible au sacrifice et aux grandeurs.

De ce mois de mai aux clochettes rougies par un énième « drame familial », dans le Nord, celui-là, deux tout petits assassinés par un père, comme chaque mois, silencieux hurlement au milieu du génocide perpétré dans le monde entier, depuis des millénaires, par les hommes violant, tuant, égorgeant, mutilant, vitriolant, brûlant vives leurs compagnes et souvent leurs enfants.

Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle(…)

Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,

Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…

Louis Aragon.

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Je me souviens.

Des révisions du bac de mon puîné, des dissertations et des textes à apprendre, de Rimbaud et de Proust, de Verlaine et Stendhal, comme un collier de perles toujours renouvelé.

De ces adolescents déguisés en marquis pour une fête baroque, des duchesses et des contes, des froufrous et des rires, quand les joues de l’enfance en disputent avec les premières canettes de bière, quand on hésite entre un joint et un dessin animé…Chuuuuuuut. Prenez le temps…Profitez…On n’est pas sérieux, quand on a 17 ans le jour de la Saint-Jean…

Du soleil fou de Sousse qui voit mourir les sourires des touristes, de la plage rougie, et de la tête en pique d’un patron français, quand cet Islam qui prétend vivre la foi n’est que mort absurde et gratuite.

Des gospels montant vers ce ciel rougi de Charleston, quand un homme fauchera des vies noires dans une église, insulte à l’Amérique des droits civiques : j’ai fait un cauchemar, encore un…

 

Ce matin de juin s’est posé sur mon cœur

comme un vol de colombes sur la vieille petite église,

frémissant d’ailes blanches et de roucoulements d’amour

et de soupirs tremblants d’eau vive.

Louisa Paulin, Lo bel matin

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Je me souviens.

Du chapeau blanc de Dylan et de sa voix éraillée, d’Albi la Rouge toute vibrionnante des accords de Pause Guitare, de cette nuit passée sur un banc avec un « Conteux » acadien, et du sourire de Zachary Richard, aussi pur que dans nos adolescences lorsqu’il clamait « travailler, c’est trop dur ».

De notre conversation téléphonique où déjà la poésie avait traversé l’Atlantique au rythme des échanges, et de son incroyable présence, quand il offre au monde tous les ouragans de Louisiane et toutes les histoires de son peuple oublié.

De la brique rouge et de Sainte-Cécile comme un vaisseau dans la nuit, du Tarn empli d’accords virevoltants et de notes insensées, de ce mois de juillet aussi gai qu’un violoneux un soir de noces.

 

La nuit, quand le pendule de l’amour balance

entre Toujours et Jamais,

ta parole vient rejoindre les lunes du cœur

et ton œil bleu

d’orage rend le ciel à la terre.

Paul Celan, in Poésie-Gallimard

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Je me souviens.

De la Bretagne qui danse comme une jeune mariée au son de la Grande Parade, de Lorient enrubanné, des guipures et de l’océan dentelé qui tangue au son des binious.

Des flûtiaux et des cornemuses, de l’âme celte qui m’enivre, des jambes levées sous les robes de crêpe et des verts irlandais ; des Canadiens qui boivent et de la lune qui rit, des roses trémières caressées par la joie et de mon fils si heureux de danser le quadrille.

D’un autre port, au bout du monde, où 173 personnes périront dans les explosions causées par l’incurie des hommes.

Du courage de ces passagers de l’improbable, quand des boys modernes rejouent le débarquement dans un Thalys sauvé de justesse de la barbarie.  Quand un 21 août ressemble à une plage de Normandie.

 Le Bleu ! c’est la vie du firmament(…)

Le Bleu ! c’est la vie des eaux-l’Océan

et tous les fleuves ses vassaux(…)

John Keats, Poèmes et poésies.

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Je me souviens.

Du calme d’Angela Merkel annonçant qu’elle devenait la mère de l’Europe en ouvrant les bras de l’Allemagne aux réfugiés et Migrants.

D’une Mère Courage qui soudain fait du pays de l’Indicible celui de l’accueil, quand 430 000 personnes ont traversé la Méditerranée entre le 1er janvier et le 3 septembre 2015, et qu’une seule photo semble avoir retourné les opinions publiques…

Du corps de plomb du petit Aylan et des couleurs vives de ses vêtements, dormeur du val assassiné par toutes les guerres des hommes, à jamais bercé par les flots meurtriers de notre Méditerranée souillée.

De mon étonnement toujours renouvelé en cette rentrée de septembre, quand soudain chaque journée de cours me semble thalasso, tant c’est un bonheur que d’enseigner la langue de Goethe à ces enfants musiciens, surdoués et charmants, toute ouïe et en demande d’apprentissages : ma première année scolaire agréable dans mes errances de « TZR », sans trajets insupportables et sans stress pédagogique.

 

Il n’est d’action plus grande, ni hautaine, qu’au vaisseau de l’amour.

Saint-John Perse, Amers.

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Je me souviens.

De ces pauvres gens morts noyés en voulant sauver une voiture quand des enfants de Migrants continuent, eux, en ce mois d’octobre, à n’être sauvés par personne…

Des hurlements d’Ankara, quand 102 personnes perdent la vie au pied de la Mosquée Bleue, le Bosphore rougi de tout ce sang versé.

De cette famille lilloise décimée par le surendettement, un Pater Familias ayant utilisé son droit de mort sur les siens, mais nous sommes tous coupables, nous, membres de cette odieuse société de surconsommation.

Du silence de ma cadette en cet anniversaire de notre rupture de cinq longues années, de sa frimousse enjouée et de son bonnet rouge lors de notre dernière rencontre, il y a un siècle, avant qu’elle ne rompe les ponts. Du petit bracelet de naissance qui dort dans ma trousse et ne me quitte jamais. De ma décision de vivre, malgré tout.

Argent ! Argent ! Argent ! Le fol argent céleste de l’illusion vociférant ! L’argent fait de rien ! Famine, suicide ! Argent de la faillite ! Argent de mort !

Allen Ginsberg, in Poètes d’aujourd’hui, Seghers.

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 Je me souviens.

« De nos larmes et de l’effroi, de nos rires assassinés en ce 13 novembre 2015, de mon incommensurable chagrin devant la liberté souillée.

De la peur défigurant les visages, de ces hurlements, de l’innocence conspuée au gré d’une terrasse.

De nos marches au silence bouleversant, de ces bougies qui veillent, de l’union sacrée du monde devant Paris martyrisée. »

De cette structure cyclique qui a mutilé la Ville Lumière, de notre sidération, de la peur de mes enfants et des larmes de mes élèves, de la chanson « Imagine » entonnée en pleurant.

De Bamako et Tunis endeuillées elles aussi, de nos désespérances devant tant de victimes, et puis la terre, n’oublions pas la terre, qui se lamente aussi.

De la COP 21 qui passe presque inaperçue au milieu de tous ces bains de sang.

Si tu mérites ton nom

Je te demanderai une chose,

« Oiseau de la capitale » :

La personne que j’aime

Vit-elle ou ne vit-elle plus ?

Ariwara no Narihira, 825-879, in Anthologie de la poésie japonaise classique.

Place du Capitole, 14 novembre 2015
Place du Capitole, 14 novembre 2015

 

Je me souviens.

Du visage grimaçant de la haine et de la barbarie qui heureusement ne s’affichera PAS dans le « camembert ».

De nos piètres victoires, de mon pays où des jeunes votent comme des vieux aigris, de ma République en danger.

De toutes ces mitraillettes à l’entrée des églises, des santons menacés par les « laïcards » et par les djihadistes, d’un Noël au balcon, comme sous les tropiques.

De ces sabres lasers prétendument rassembleurs, quand tous ces geeks pourraient se retrousser les manches, réfléchir et agir.

D’une partie de croquet dans un jardin baigné de lumière et de douceur un 26 décembre, les maillets et les boules étant ceux de mon enfance allemande, le regard bienveillant de nos quatre grands-parents comme posé sur nous, microcosme familial dans le macrocosme de l’Europe si fragile, du monde si vacillant, de l’Univers si mystérieux.

De nos espérances.

De nos forces.

De nos amours.

Je me souviens de 2015.

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À la lumière de nos aïeux nous marchons.

Elle nous éclaire comme les étoiles de la nuit guidant le marcheur.

Al-Hutay’a, in Le Dîwân de la poésie arabe classique.

 

 

Enfin cette phrase, dédiée à tous ces disparus :

Je t’aimais. J’aimais ton visage de source raviné par l’orage et le chiffre de ton domaine enserrant mon baiser. (…) Aller me suffit. J’ai rapporté du désespoir un panier si petit, mon amour, qu’on a pu le tresser en osier.

René Char, La compagne du vannier.

 

 

 

Je veux marcher sur un chemin de clarté…Rencontre avec Malicorne

Je veux marcher sur un chemin de clarté…

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https://www.youtube.com/watch?v=GzsWl55tlRo

Je vous parle d’un temps où nous vivions sur de grands coussins de patchwork, à même le sol. On buvait du thé au jasmin en fumant de l’herbe bleue, nos aînés avaient ouvert la voie et nous nous rêvions, nous aussi, libertaires et contestataires. Certes, les grillons de Woodstock s’étaient tus, et les Vieilles Charrues n’existaient pas encore. Nous ne luttions plus contre la guerre de Vietnam mais contre des réformes, nos pattes d’eph’ courant devant des hordes de CRS…

Je me souviens de ce petit appartement sous les combles, le soleil de la Ville Rose nous brûlait déjà, avant l’invention du mot « canicule »…L’hiver, nous nous chauffions grâce à un poêle à charbon, et j’utilisais un moulin à café manuel pour moudre de gros grains de robusta, innocente jeune femme qui ne savait pas encore qu’un jour elle rêverait de Nespresso…

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=55162&forum=2

Allongés sur les grands coussins, nous écoutions nos vinyles : Dylan et son « Ouragan », Led Zep’ et ses « marches vers le paradis », et puis « Harvest » bien sûr, cette grande pochette jaune et le disque dont je connaissais chaque sillon…Mais il y avait aussi des voix françaises, entre les accents jazzy et « toulousaings » de Claude, les délires éraillés de Jacques, les douceurs québécoises de Robert et Fabienne, les soirées d’anarchie avec Léo et Jean, et, bien sûr, les émouvantes complaintes de Gabriel et Marie, nos amis de Malicorne

https://www.youtube.com/watch?v=eYW4Wx7sK3o

Elle nous enchantait, la viole d’amour, et puis bien avant You Tube et les vidéos où, aujourd’hui, nos enfants peuvent sourire devant les gilets de grand-père et les cheveux au vent, nous, nous les imaginions, puisque nous n’avions pas la téloche-d’ailleurs, y passaient-ils ??- nous les rêvions, nos amis de Malicorne, engrangeant leurs chansons qui parlaient de révolte et de vie, de destins et d’amours, de cette France d’antan qui justement nous faisait tourner la tête, nous qui étions des écolos de la première heure –oui, j’ai été sur la première liste verte de Toulouse, contre mon cher Dominique !- J’écrivais mon mémoire de maîtrise sur les « alternatifs allemands », je me faisais envoyer des autocollants anti-nucléaires, et puis nous achetions des graines de sésame au marché du Capitole, et je pense avoir porté les premiers Birkenstocks de la Ville Rose…

Nous aimions les « flutiaux », la viole et ce folk français qui virevoltait au rythme de nos insouciances et de nos engagements. Ils étaient compagnons fidèles, certitudes et ancrages. L’alouette, le loup, le renard et la belette, le bestiaire et les gibets, les mariages et les quolibets, tous ces airs d’autrefois tourbillonnaient, alors qu’ailleurs d’autres se trémoussaient au son du disco ou commençaient à se percer les narines en coupant raides leurs cheveux en mal de punkitude…

https://www.youtube.com/watch?v=kTOTt7aPA60&list=PLjM6eEYKpVS2vwu9S9POpEpigMZPI9B8s

C’est si loin. La vie, une vie a passé. J’en ai écouté tellement d’autres, des chansons, il y a eu les cassettes, les walkman, les CD, et puis Deezer. Il me reste, de cette époque, oui, une étagère de disques, mais sans platine…Un peu comme pour mes illusions : j’en ai de pleines armoires, mais sans réalisations…La vie, la vie a passé. Avec ses déboires, ses échecs, ses routes erratiques, en amour comme en politique. J’ai même fini par voter à droite, et, somme toute, je n’en ai pas honte…Un jour, la fille qui voulait devenir journaliste en Californie et écrivain à NY s’est évaporée et est devenue une vieille prof réac, engluée dans les affres de l’éducation nationale…

Mais quand on m’a dit que Malicorne serait de la partie, à Pause Guitare 2015, et que je pourrais même les interviewer, j’ai foncé…Ils m’attendaient, Marie et Gabriel, elle, toute juvénile dans sa robe fleurie, lui un petit air de Rockstar avec ses grandes lunettes fumées…Ils m’ont dit leur joie de tourner à nouveau, après les nombreuses désalliances ; ils m’ont dit la mésalliance à laquelle le FN, oui, le FN avait voulu les associer, puisqu’ils ont été approchés par ces incultes en raison de leur répertoire de vieux fonds « françois » ; ils m’ont dit la résilience, l’allégresse de se retrouver face au public qui, s’il a changé, demeure fidèle, comme l’a prouvé leur immense succès aux « Francos » de 2010, quand ils ont compris que personne ne les avait oubliés…

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Leur conscience est sociale plus que politique ; elle est passée par eux aussi, la vie. Il suffit de lire l’article Wikipédia qui leur est consacré pour lire les aléas et les détours, mais il suffit aussi de les voir sur scène, et c’est un bonheur qui m’a été accordé, pour sentir ce petit frisson en écho à la multiplicité de leurs talents polychromes.

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Elle est belle, Marie, en blanc vêtue comme une mariée d’antan, sautillant sur la scène, tambourin à la main, comme une oiselle de vingt ans ; et Gabriel, quand il déclame ses textes, son magnifique visage buriné éclairé par cette lumière intérieure, au milieu du chorus de leurs musiciens et chanteurs qui, comme autrefois, font éclore des sons innovants depuis des instruments de toujours, il est cet archange qui sait chanter le monde.

Et quand il chante, Gabriel, qu’il avancera dans la beauté, et que tout finira dans la clarté, on le croit. Nous aussi, on la voit, on la chante, on l’appelle, la beauté « devant moi derrière moi au-dessous et en-dessous beauté tout autour », nous aussi on veut « marcher sur un chemin de clarté. »

Pour ce seul instant de ce seul concert, je suis immensément reconnaissante.

http://www.gabrielyacoub.com/fr/disque/titre.php?idTitre=58

« j’avancerai dans la beauté j’avancerai dans la beauté

beauté devant moi beauté derrière moi

beauté au-dessus et en dessous de moi beauté tout autour

dans mon vieil âge je veux marcher sur un chemin de beauté

 

tout finira dans la clarté tout finira dans la clarté

bonheur devant moi bonheur derrière moi

bonheur au-dessus et en dessous de moi bonheur tout autour

dans mon vieil âge je veux marcher sur un chemin de clarté »

https://www.youtube.com/watch?v=fT3F_RBqTdM

https://www.youtube.com/watch?v=6Xuqh8omjyQ

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Je vous invite à visiter, d’ailleurs, le beau site intéressant de Gabriel Yacoub…

http://www.gabrielyacoub.com/fr/boites.php

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http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=55276&forum=2

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La poésie, c’est la chanson sous la guitare…Rencontre avec Zachary Richard

La poésie, c’est la chanson sous la guitare

 

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http://www.zacharyrichard.com/francais/home.php

Vous le connaissez tous. Certes, les plus jeunes d’entre nous, les enfants de l’Ancien Monde, de la vieille France, n’ont peut-être pas entendu souvent cette chanson ; mais moi, je me souviens de mon coup de cœur absolu pour cette voix aux tessitures multiples, pour cet accent rocailleux, et pour la poésie fabuleusement humaniste de ce standard qui nous a longtemps bercés…

Alors vous pensez bien que quand le service de communication de Pause Guitare m’a tout simplement envoyé le numéro de téléphone de MONSIEUR Zachary Richard à Montréal, pour un « phoner », comme disent nos anglophones québécois, mon sang n’a fait qu’un tour.

Quelle simplicité ce fut que de mener cette belle « jasette » à bâtons rompus, comme si nous nous nous étions toujours connus…Il m’en a dites, des vérités, des simplicités, des évidences, et plus encore lors de notre entrevue avant son concert albigeois, m’invitant même gentiment à partager le souper de sa joyeuse drille de musiciens déjantés. Certes, quelques cheveux d’argent volent autour des paroles enchantées, mais cette belle âme a grandi au fil de ses apprentissages, et le personnage, loin de se contenter des certitudes d’un artiste, s’est enrichi de nombreux nouveaux défis.

Et puis il y a eu le doux regard de la pétillante Claude, son infatigable manageuse et compagne, et cette certitude : rencontrer Zachary Richard ne laisse personne indifférent.

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C’est cette langue imagée et forte qui frappe de prime abord, la même que celle des textes de ses chansons et poèmes. Les images percutantes font écho à ces « r » qui roulent comme le roulis des océans, et j’entends dans les mots tous les siècles de notre histoire commune. Zachary me parle avec ferveur de notre Sud-Ouest, et explique que si, en France, tout est différent, les tournesols et le soleil lui tiennent particulièrement à cœur ; il évoquera l’amitié qui le lie à notre Francis, quand d’Astafort à la Nouvelle-Orléans meurtrie, un pont de solidarités musicales aidera à panser les plaies du bayou.

C’est dans ce beau pays du Sud des États-Unis qu’il vivra son premier souvenir musical ;  parfois il allait, lui, l’enfant unique, avec son jeune voisin issu d’une famille de dix-huit enfants, écouter la musique chez les « créoles » ; ses yeux brillent à l’évocation de ces deux jeunes « chatons » émerveillés par l’allégresse de ces sons authentiques et joyeux. Cette musique source vive, cette musique capable de chanter le coton, le bayou et les inégalités, cette musique qui des souffrances crée de la joie, elle deviendra sa raison d’exister.

Il va m’en parler, de cette Louisiane –appuyer sur le « i » !-, et bien sûr de son Acadie, que je découvrirai avec délices tout au long de Pause Guitare

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2015/07/11/tous-les-acadiens-toutes-les-acadiennes/

Il évoquera l’origine du mot « cadien », prononcé « cajun » en Louisiane, me parlera des deux pistes étymologiques, entre cette « Arcadie » grecque et l’autre origine linguistique, qui viendrait de la langue des indiens Micmacs et signifie « terre fertile »…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Micmacs

Car pour Zachary Richard, l’Acadie représente à la fois un élément fondateur des Amériques et un symbole de la francophonie, une sorte de passerelle entre l’ancien et le nouveau monde ; en parlant des nombreux vestiges historiques qu’on est en train de mettre à jour, le chanteur poétise l’espace incroyable de ce territoire qui n’est ni pays ni peuple, métissé dans ses frontières et pérenne dans cet appétit de survivance et de reconnaissance. Notre ami est aussi un lecteur, et il a dévoré les ouvrages de l’historien Gilles Havard :

 http://www.amazon.fr/Histoire-lAm%C3%A9rique-fran%C3%A7aise-Gilles-Havard/dp/2082100456

Car en cette immense terre acadienne, trop longtemps boudée par les chercheurs, qui s’étire du Saint-Laurent à l’Acadie tropicale et jusqu’en outre-Atlantique, avec les exilés de Belle-Ile ou de Saint-Malo, bat le cœur de la francophonie si chère à Zachary, cette francophonie qu’il avait si bien chantée dans Réveille

Mon grand-grand-grand père

Est venu de la Bretagne,

Le sang de ma famille

Est mouillé l’Acadie.

Et là les maudits viennent

Nous chasser comme des bêtes,

Détruire les familles,

Nous jeter tous au vent.

Lui qui avait grandi au milieu des influences souvent contraires de deux cultures, entre le rêve américain et les airs joués par les radios et la télévision et les racines européennes familiales, puisque ses grands-parents étaient de la dernière génération unilingue francophone de la Louisiane, lui qui a compris très tôt l’humiliation subie par sa culture minoritaire, va un jour se faire le chantre de cette notion de résistance. Sa Louisiane sera aussi son combat, afin que la langue des ancêtres ne se perde pas dans l’uniformité de l’anglicisation forcée, afin que le « cajun » devienne l’un des symboles de la francophonie.

Ma Louisiane

Oublie voir pas qu’on est Cadien,

Mes chers garçons et mes chères petites filles.

On était en Louisiane avant les Américains,

On sera ici quand ils seront partis.

Ton papa et ta mama étaient chassés de l’Acadie,

Pour le grand crime d’être Cadien.

Mais ils ont trouvé un beau pays,

Merci, Bon Dieu, pour la Louisiane.

Jamais Zachary ne perd le fil de cette résistance qui va de pair avec le fait de vivre en milieu minoritaire, quand on est bousculé par la notion que l’Autre vous inculque : vous seriez de culture inférieure…Car même au Québec, cette tendance à l’infériorisation n’est jamais bien loin, alors même que les chiffres sont impressionnants : imaginez donc que ce sont bien 33 millions de francophones, la moitié de la population française, qui vivent sur le continent nord-américain, et Zachary insiste sur cette évidence identitaire qui fait de la francophonie à travers le monde une polyphonie plurielle et unique que Léopold Sedar Senghor résumait ainsi : « L’humanisme se tisse autour de la terre. »

Longtemps, Zachary Richard en a presque voulu aux Français de bouder quelque peu la francophonie, de ne pas comprendre tous les enjeux de cette belle présence à préserver.  Il s’imaginait en sauveur de la langue française, et il est vrai que son interprétation de Réveille au premier Congrès mondial acadien à Shédiac, en 1994, avait marqué les esprits ! Mais en même temps, il affirme qu’aucune chanson ne doit se faire propagande…

Pourtant, il est le veilleur, le prophète, le diseur :

 

Et sans vouloir interférer dans les politiques des hommes, la passion dont il fait preuve dans ses récits est malgré tout aussi contagieuse que les airs entraînants de ses chansons : elle sait se faire entendre ; car Zachary n’a pas sa langue dans sa poche, et, s’il m’explique que la Louisiane a su panser les plaies laissées par Katrina, il demeure aussi persuadé que nous sommes à l’orée d’un désastre écologique majeur. Les 800 millions de litres de pétrole déversés dans le golfe du Mexique laisseront des séquelles pour plusieurs générations, puisque la marée noire n’a pas seulement souillé les faunes et flores locales, mais a exporté au fin fond des Amériques ses effluves de mort, via les migrateurs et les courants…Sa chanson Le Fou nous appelle à agir, « tous ensemble, ensemble tous »…

C’était le 20 avril,

Dans le tranché de Macondo.

J’ai entendu crier,

Et j’ai vu l’explosion.

Le tour s’est effondré,

À la perte de beaucoup de vie.

Et depuis la marée noire

N’arrête pas de s’étirer.

http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/environnement/2015/04/17/001-explosion-deepwater-horizon-zachary-richard-louisiane-consequences-deversement.shtml

Zachary me la raconte, sa Louisiane meurtrie, et, moi qui depuis mon enfance me rêve à Tara, ayant même appelé ma cadette Scarlett, je le vois et je l’entends, le bayou martyrisé…

http://www.zacharyrichard.com/lyrics/crissurlebayou.html

Comme si c’est trop tard,

Comme si la bataille était perdue,

Tout le monde proche de

S’retourner de bord et

Courir se cacher dans le grand bois.

Comme si aucune graine

Poussait dans cette terre

Sèche et poussiéreuse

Et que la Saint-Médard s’annonçait

Sans pitié.

Comme si rien

Même bien amarré

Pouvait résister

De se faire garocher

D’un bord à l’autre

Dans ce vent grand comme

Le Plus Gros Ouragan.

Car Zachary me parle de cette double contrainte effrayante et insoluble à laquelle sont confrontés les habitants de la Louisiane, enchaînés qu’ils sont financièrement à l’industrie pétrolière qui les nourrit tout en les dévastant, beaucoup s’estimant pris « entre l’arbre et l’écorce », nombreux étant aussi ceux qui ont « pactisé avec l’ennemi » en acceptant de belles sommes pour devenir nettoyeurs de goudron en abandonnant la pêche ; il paraîtrait même que certains rêveraient d’une nouvelle marée noire…Et pourtant la chaîne alimentaire suffoque sous les séquelles, tandis que l’érosion côtière gagne du terrain. D’une part, l’économie de la Louisiane demeure attachée au prix du baril du pétrole, de l’autre, le littoral se rétracte à un rythme effrayant, les digues n’offrant plus de protection devant les ouragans qui menacent, l’écosystème étant devenu aussi fou que le climat…Et dans le Nouveau-Brunswick, l’autre partie de l’Acadie, nombreux sont aussi les clairvoyants qui tirent la sonnette d’alarme…

http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/444425/port-petrolier-a-belledune-offensive-juridique-des-micmacs

Zachary le martèle, en écho aux Hubert Reeves, Pierre Rabbi et autres défenseurs de notre terre : la question n’est pas de savoir si une catastrophe majeure se produira, mais quand elle arrivera…En l’entendant, je repense à la « force des mots-tocsin » de Maïakovski, le poète russe…Et toujours et encore c’est l’émotion qui se dégage de ses paroles et de nos échanges, cette émotion qui transparaît dans chacun de ses mots, à l’image de sa sensibilité artistique, toujours à fleur de peau, et de sa carapace d’homme, fragile comme de la soie et solide comme son destin de conteur et de chantre ; il parle de son vécu, et peu à peu se tisse autour de la confidence ce lien ténu qui va au-delà des tempos du concert, ce lien de la parole.

Car en peu France le savent, pourtant Zachary Richard, qui a plus d’une corde à son arc puisqu’il a aussi écrit des albums pour enfants et réalisé de remarquables documentaires autour des migrateurs et de l’histoire acadienne, est aussi un poète reconnu, qui a publié cette année Outre le Mont, son quatrième opus de poésie.

http://www.zacharyrichard.com/francais/poesie.php

Il me citera Arthur H qui, lui aussi, mêle dans ses œuvres musicalité et jeux des mots vivants,  et me l’affirme :

« La poésie, c’est la chanson sous la guitare… »

Certes, la poésie a mauvaise réputation, réputée élitiste, ardue, dépassée…Mais les nouvelles technologies permettent d’extraordinaires partages dans l’oralité, une oralité chère au chanteur qui nous offre des lectures percutantes de ces textes, permettant ainsi à sa poésie d’être entendue, et pas simplement lue en son for intérieur.  Il faut l’entendre déchirer le silence, cette voix de Bretonneux des siècles passés, quand elle nous parle en vers, en haïkus ou en liberté, musicale et émouvante…Dans les poésies de Zachary passent des moiteurs et des vertiges, des rêves et des hanches à caresser, on y sent battre le cœur des hommes et celui d’une terre…

http://www.zacharyrichard.com/lyrics/bebecreole.html

http://www.zacharyrichard.com/lyrics/Ce_vieux_reve_use.html

Car musique et poésie sont une seule et même chose, et la poésie lui semble un port d’attache, dit-il en citant Yeats et la force de son écriture…Son premier maître aura été Gary Snyder, l’autre grand chantre de la beat generation avec Allen Ginsberg, qui enseignera   son premier mantra à Zachary : après une enfance catholique, il pratique le bouddhisme depuis plusieurs décennies.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gary_Snyder

Mais, si vous n’êtes pas capable de montrer
ces vallées et ces montagnes
pour ce qu’elles sont,

qui pourra,
vous amener à percevoir que vous êtes ces vallées et ces montagnes ?

Gary Snyder, Montagnes et Rivières sans fin

Cependant, il a beau méditer durant des heures, c’est bien à travers la musique que lui vient l’éveil, l’illumination, et j’en aurai la confirmation en le voyant, lui, le taiseux qui, lors du souper, intériorisait ses émotions avant le concert, soudain se transformer en comète ! Il me l’avait dit, qu’une seule scène lui apportait davantage que des heures de zazen, et le swing absolu qu’il a offert au public albigeois ne l’a pas contredit…La tête, affirme-t-il, est là pour le rêve, le cœur pour sentir, et les pieds pour danser, et la musique aussi devient une forme de spiritualité, quand l’art se fait relation aux autres, altruisme, tout en étant aussi garde-fou, soulagement devant les brisures du monde.

Ce soir-là, à Albi, dans le magnifique théâtre de la Scène Nationale, nous avons d’ailleurs frôlé le drame : Zachary avait perdu son accordéon, son célèbre accordéon, indispensable à son spectacle, perdu entre Montréal, le Maroc et la Ville Rose, et le chanteur était prêt à aller en découdre avec les autorités aéroportuaires pour retrouver son bébé…L’accordéon diatonique, lui-même pont entre les cultures, introduit par un juif allemand dans cette musique de « violoneux » des bayous, sans doute à l’époque où la première ligne de chemin de fer rallia Lafayette, a fait ainsi danser les chapelets de villages qui se construisirent au rythme de la modernité, quand l’Acadie peu à peu découvrait le monde…

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C’est bien cette Acadie-là que Zachary va nous conter dans son prochain spectacle, un projet polychrome très abouti, mêlant de grandes reproductions en visuel photographique ou pictural sur la scène et tableaux vivants en chansons : les valeurs du peuple cajun résonneront ainsi, au gré de l’Histoire qui racontera les Grands et les humbles, les héros et les victoires.

« …j’entends les chuchotements

de mes ancêtres, venus de loin. »

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Il y a les Samuel de Champlain et les Jean Saint-Malo, les colonisateurs et les esclaves, et tout ce passé encore d’une actualité brulante dans cette Amérique où l’on tire des jeunes noirs comme des lapins, où l’on assassine  des fidèles de couleur dans les églises…

Et quand résonne le chorus répété du mot « liberté », ce n’est pas, pour Zachary Richard, un vain mot : c’est un appel à une culture de la tolérance, car « ce n’est pas en fermant les portes, en ayant peur et en nourrissant les ténèbres que nous allons avancer. » Devant les intolérances effrayantes du monde, il nous faut puiser dans nos humanités les forces de résistance et de résilience. Nous n’avons d’autre choix que celui d’avancer vers la lumière.

http://www.zacharyrichard.com/lyrics/L_univers.html

 

L’univers

Quand je vois les étoiles dans la nuit

Scintillaient avec autant de beauté
Je me demande, d’où vient l’univers.

L’univers, c’est les planètes et la terre
La noirceur et la lumière.
L’univers, c’est moi et toi et tout ce qui existe autour.
Il faut remplir l’univers avec ton amour.

Et l’amour fait partie de l’univers
Bien qu’il n’ait pas de poids ni de matière.
L’amour est un aussi grand mystère.

L’univers, c’est les planètes et la terre
La noirceur et la lumière.
L’univers, c’est moi et toi et tout ce qui existe autour.
Il faut remplir l’univers avec ton amour.

Et pourtant ce n’est pas très clair.
Mais je me sens beaucoup moins solitaire
Sachant que tu es dans l’univers.

L’univers, c’est les planètes et la terre
La noirceur et la lumière.
L’univers, c’est moi et toi et tout ce qui existe autour.
Il faut remplir l’univers avec ton amour.

***

Je sais, ce texte est un peu long pour un « article de blog ». Si vous avez eu le courage de lire jusqu’ici, sachez encore que la rencontre avec l’univers de Zachary a été pour moi importante, d’une insondable profondeur. Ses mots en échos aux miens, nos poésies croisées en  ribambelles, et quelque part des ailes d’hirondelles, voletant au gré des cieux acadiens et toulousains…

Neuf hirondelles voltigeant

dans le crépuscule.

Il y en aura une qui

Nichera seule.

 

Après ces jours de froid,

leurs gazouillis

comme baume

 

Sur mon esprit.

http://www.zacharyrichard.com/lyrics/Neuf_hirondelles.html

***

Si j’avais les ailes des hirondelles,

Je traverserais les montagnes et la mer.

Pour me poser tout près de toi me belle.

D’où je ne volerais jamais.

 

La vie est éphémère…

http://www.zacharyrichard.com/lyrics/les_ailes_des_hirondelles_fr.html

***

Texte dédié au grand petit garçon Émile, petit-fils de Zachary et Claude, et partenaire musical !

 

 

Voir Dylan

Voir Dylan

Photo Le Parisien
Photo Le Parisien

Longtemps, j’ai eu seize ans. J’entendais cette voix chanter dans le vent, qui parlait de tempêtes, de tambourins et de révoltes. Même si j’étais née trop tard pour avoir vécu mai 68, il me semblait avoir grandi « on the road », bercée par les vagues californiennes et par cette beat generation qui fit de moi une femme libre.

Bob Dylan est resté près de moi, toujours. À vingt ans, je le croyais, vraiment, qu’un jour « nous serions libres »…Il chantait « I shall be released », et moi je l’espérais ; nous affrontions la police au gré des briques roses, nous marchions vers Garonne, étudiants insouciants, sans savoir encore que bien des rêves seraient brisés…

À trente ans, j’errais déjà « dans le souffle du vent »…J’allais divorcer, malgré nos deux princesses, car je levais les yeux sans jamais apercevoir la lumière, et je mourais chaque jour sous des canons et des larmes…J’écoutais « Blowing in the wind » et savais que je devais garder courage.

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À quarante ans, j’ai frappé à la « porte du ciel », me remariant avec un homme que je pensais de Dieu. Anges noirs et mensonges m’entourèrent, pourtant, mais « j’y croyais encore ». Certes, mon « Knock’in on heaven’s door » était un échec, mais notre fils, ma lumière, sauvait tout le reste…

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Aujourd’hui, j’ai un peu plus de cinquante ans, et me sens toujours comme cette « fille du Nord », essayant enfin d’être « une vraie femme », malgré les ouragans…Je continue à écraser une larme en écoutant « Girl from the north country » et je demeure « just like a woman », pérenne dans mes destinées…

20 ans

Alors quand IL est apparu, au dernier soir de Pause Guitare, petit homme en costume coiffé de son chapeau blanc, que j’ai vu s’avancer depuis les loges non loin desquelles je me trouvais un peu par hasard, puisque j’attendais une interview d’une autre chanteuse tout en enrageant de manquer le début de SON concert, alors que justement Monsieur Dylan avait demandé que soit fait place nette, je peux vous l’assurer : j’ai eu la chair de poule.

Tout en moi s’est figé, de battre mon cœur s’est presque arrêté.

C’était comme si soudain ma vie entière soudain berçait la mesure du temps, comme si cet homme venait réveiller l’enfant aux espérances, la jeune fille aux rêves et la femme aux désirs ; il marchait, à pas lents, vers la lumière de la scène, et vers ce public albigeois qui, même si il était arrivé en masse, lui avait, en terme de statistiques, préféré les Fréro Delavega et Calogero…Je venais de parler avec deux personnes chargées de la sécurité, qui m’avaient dit « ne pas le connaître », et j’en étais restée bouche bée.

J’ai couru. J’ai couru pour être au plus près de la scène, et, oui, tout au long du concert, j’ai eu l’impression d’avoir regardé Dieu en face. Certes, « il » n’a pas vraiment, lui, partagé son spectacle avec le public. Oui, comme l’ont souligné les médias locaux et nationaux, Bob Dylan fait son show sans s’adresser vraiment au spectateur ; il demeure dans sa bulle mythique, entouré de quatre musiciens qui ne sont plus non plus de prime jeunesse, tantôt au piano, tantôt debout, avec son inénarrable harmonica. Certains festivaliers se détourneront même de l’écran géant, où l’on n’apercevait qu’à grand peine notre géant devenu presque photophobique.

Mais sur la pelouse fatiguée du festival, en ce dernier soir d’apothéose, les visages étincellent de bonheur. Je vois ces adolescents aux cheveux de bohême, aux visages angéliques non encore ternis par la vie, qui se tiennent par les mains et sourient ; je vois ces femmes aux cheveux blancs et aux rides émouvantes, qui crient de plaisir après chaque chanson ; je vois ces personnages aux chapeaux de cow boy, qui sans doute sont de chaque spectacle, fans de la première heure mais toujours émerveillés ; et je vois cette adolescente attardée qui frissonne au long des accords rocailleux et des airs mille fois entendus : je repense aux pavés et aux plages, aux combats non aboutis, aux libertés qui chantent et aux destins qui roulent comme ces pierres dont Bob est le symbole. Et je sais qu’elle aussi, cette jeune fille devenue une femme aux cheveux gris, est restée debout.

C’est ce que nous apprend cet homme demeuré fidèle à ses idéaux, qui continue à chanter dans une tournée sans fin, comme si ce tour de chant pouvait contrer les brisures du monde et réparer les humains déchirés ; il est déraisonnable de ne pas continuer à espérer.

Je rentrerai en passant sur le Pont Vieux, regardant couler le Tarn et me disant que ce n’est pas par hasard si Dylan est venu vers moi en mes terres tarnaises, là même où avait grandi cette provinciale qui découvrit la vie et le monde à travers ses albums.

Certains ont vu Joe Cocker à Woodstock ; d’autres Simon et Garfunkel à Central Park ; d’autres encore U2 au Stade de France.

Moi, j’ai vu Bob Dylan à Pause Guitare, à Albi, et j’en suis plus que fière.

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Texte dédié à Hugues Aufray, rencontré lui aussi à Pause Guitare, et qui a si bien traduit notre poète américain…

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Tous les Acadiens, toutes les Acadiennes

Tous les Acadiens, toutes les Acadiennes

 

https://noellarichard.wordpress.com/2012/10/11/original-painting-2/musique-acadienne-4-2/
https://noellarichard.wordpress.com/2012/10/11/original-painting-2/musique-acadienne-4-2/

 Y a dans le sud de la Louisiane

Et dans un coin du Canada

Des tas de gars, des tas de femmes

Qui chantent dans la même langue que toi

Mais quand ils font de la musique

C’est celle de Rufus Thibodeaux

Ils rêvent encore de l’Amérique

Qu’avait rêvée leur grand-papa

Qui pensait peu, qui pensait pas

 

Tous les Acadiens, toutes les Acadiennes

Vont chanter, vont danser sur le violon

Sont Américains, elles sont Américaines

La faute à qui donc ? La faute à Napoléon

 

Le coton c’est doux, c’est blanc, c’est chouette

Pour s’mettre de la crème sur les joues

Mais ceux qui en font la cueillette

Finissent la journée sur les genoux

Et puis s’en vont faire d’la musique

Comme celle de Rufus Thibodeaux

Pour oublier que l’Amérique

C’est plus celle de leur grand-papa.

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C’est bien la chanson de Michel Fugain que j’avais en tête, en découvrant le programme de Pause Guitare autour de la scène « Expérience Acadie »…Il faut dire que pour les nous, les Français de la vieille France, l’Acadie se résume hélas à quelques clichés glanés ici et là, entre quelques leçons de géographie de l’enfance, un ou deux accords de quelque violoneux et une vision bien peu claire de ce pays-territoire disséminé depuis la côte orientale du Canada jusqu’en pays cajun, dont nous ignorons que la diaspora est passée par le Maine, Los Angeles et même nos port de Bretagne…

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Je passais, moi, justement, au cœur d’Albi la Rouge, me préparant à aller écouter Status Quo et Moriarty à « Pratgrau », quand, juste avant le Pont Vieux, j’ai été happée par cette scène acadienne que je n’avais pas encore pu apprécier, tant la richesse de notre festival nous accapare en tous sens ! Imaginez quelques badauds qui soudain se font foule, les touristes se mêlant aux festivaliers et, malgré la température caniculaire, renonçant à une petite glace à l’ombre du Pontié pour se jeter au pied de l’estrade, aimantés par cette musique métissée et joyeuse et par le magnifique « bœuf » que nous ont « jammé » les musiciens des trois groupes réunis : Daniel Léger, La Virée et Prenez Garde.

Très vite, au fil des chansons, le public s’est laissé griser ; une communion totale s’est établie entre nos lointains cousins et leurs spectateurs albigeois, car nos musiciens réunis ont réellement « mis le feu » avec leur enthousiasme communicatif. Jamais je n’avais ressenti autant d’allégresse lors d’un « off », une joie pure, un bonheur à faire frissonner la brique de Sainte-Cécile et à faire déborder le Tarn !

Il faut dire qu’ils s’étaient bien trouvés, nos joyeux lurons acadiens…Il y avait là les cinq artistes de Prenez Garde réunis autour du violon en folie de Marie-Andrée Gaudet et de la gouaille festive du conteur Dominique Breau aux multiples talents, pour ne citer qu’eux…Mêlant répertoire traditionnel et humour, la connivence de leurs jeux respectifs devint une évidence…

http://www.prenezgarde.ca/

Et puis une partie de la troupe de La Virée a occupé l’espace aussi, faisant rêver les Tarnais avec leur fougue où la gigue se mêle au rock pour faire valser les frontières…

http://www.laviree.com/

N’oublions pas Daniel Léger, qui dans sa polyvalence artistique se partage entre le documentaire, l’écriture et la musique, ce raconteur d’histoire nous ayant communiqué son incroyable énergie du haut de sa guitare électrisant la foule.

http://www.danielleger.com/

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Plus tard, j’aurai le privilège d’échanger à bâtons rompus avec quelques membres des groupes, aussi chaleureux dans le dialogue qu’ils l’avaient été sur la scène. Et ils m’ont raconté ces lointains qui pour nous sont autant de terres neuves et inconnues, leur Nouveau Brunswick, « l’autre province du Canada », seule province officiellement bilingue, dont un tiers de la population est francophone. Leur lien avec la francophonie est extrêmement fort, car ils se sentent les dépositaires de cette histoire qui les lie à la France.

Je rentrerai ensuite dans mon hébergement albigeois et, dans la moiteur estivale, passerai plusieurs heures à rêver devant ces contrées aux noms exotiques de la baie de Fundy, de la baie des Chaleurs, des îles de la Madeleine, des rivières Ristigouche et Petitcodiac, et à redécouvrir l’histoire de cette Acadie qui a profondément marqué ses habitants formant une nation au territoire sans frontières réellement définies.

Car très vite, mes joyeux musiciens vont évoquer le « Grand Dérangement », cette déportation qui, de 1755 à 1763, a éradiqué une bonne partie du peuple acadien et l’a laissé exsangue et éparpillé des deux côtés de l’Atlantique. Qui, en notre vieille Europe toujours prompte à commémorer les (hélas) si nombreux génocides, se souvient de ces Acadiens chassés, scalpés, obligés de se cacher dans les forêts comme les « Nègres marrons » de Louisiane, leurs frères de douleur ?

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_D%C3%A9rangement

Ce passé assombri par de multiples violences et humiliations explique sans doute, me disent les musiciens, l’attachement de nos Acadiens aux valeurs pacifistes, encore renforcées après le traumatisme de la mort de milliers de soldats pendant la dernière guerre ; leur musique est une musique festive, dont l’allégresse se veut revanche sur la vie et ancrage dans la jouissance de leurs terres quasi insulaires de ce Nouveau Brunswick et des bayous cajuns de la belle Louisiane.

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Et s’ils aiment jouer en France, c’est qu’un accueil particulièrement chaleureux leur est réservé, leur musique étant, chez nous, une denrée rare et précieuse, alors qu’en Acadie, elle « fait partie des meubles » ! Un peu plus tard, lors d’une autre nuit albigeoise, le conteur et musicien Dominique Breau me racontera encore comment cette musique lui tient à cœur, lui qui a eu mille vies et est passé d’un métier manuel au maniement extraordinaire des mots qu’il conte à travers le monde, tout en les chantant dans le groupe Prenez Garde. Il me dira que chaque écorchure d’un peuple ou d’un être peut devenir résilience, quand on sait partager la beauté et les arts.

http://www.dominiquebreau.com/

Car l’Acadie est aussi une terre des arts, dont je vous laisse parcourir les ivresses :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27art_en_Acadie

 

 

 

 

 

 

 

Cet été, faites une Pause Guitare !

Cet été, faites une Pause Guitare !

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 http://www.pauseguitare.net/web/614-programmation.php

Il y avait l’océan et les Francos ; la campagne et les Vieilles Charrues ; et puis les raves, et tous ces pianos en liberté, sans oublier la Cour d’Honneur et le Palais des Papes, et les scènes lyriques d’Aix ou de Gascogne…Et, toujours, l’ombre géante de Woodstock, le son des grillons qui couvre les guitares, tous ces corps presque nus qui s’offrirent à la musique…

En France, nos étés, depuis longtemps, se sont faits festivals. Et voilà quelques années qu’une jeune pousse dynamise la brique de l’Albigeois et fait presque vaciller l’immense basilique de Sainte-Cécile : oyez, bonnes gens, Pause Guitare est de retour !

Cet été 2015 vous réserve une programmation digne des plus grandes :

http://www.pauseguitare.net/web/614-programmation.php

car le monde entier se presse cette année sur les berges du Tarn, entre Asaf Avidan et sa voix inénarrable qui nous vient d’Israël, les Status Quo qui vont déchirer l’espace avec leur son intact des seventies, le barde cajun Zachary Richard qui nous arrivera de Montréal, tous nos amis de la vieille France, comme Monsieur Hugues Aufray ou les voix du folk de Malicorne, et, last but not least, le roi des années beatnick, notre Dieu à tous : Bob Dylan !

Il va s’en passer, oui, des choses, dans le magnifique théâtre abritant la Scène Nationale, à l’architecture d’avant-garde, sous la régie de Vincent Feéon, ou sur la grande scène de Pratgraussals, véritable Woodstock méridional,  sans oublier l’Athanor et ses belles découvertes…

http://www.pauseguitare.net/web/616-les-scenes.php

Car Pause Guitare est un événement rare, qui permet à la fois de plonger dans la scène internationale et dans l’Indé, tout en s’abritant sous l’égide tutélaire de Sainte-Cécile au cœur d’un des joyaux reconnus par l’UNESCO, puisque Albi la Rouge a été classée en 2010 au patrimoine mondial.

La « patte » de ce festival qui est devenu le premier événement du Tarn et le plus grand moment de chansons et musiques actuelles de Midi-Pyrénées, c’est cet investissement particulier dans différentes valeurs chères aux créateurs et à tous les bénévoles ; l’humain et l’associatif sont au cœur des préoccupations des organisateurs, qui travaillent en réseau avec de nombreux partenaires culturels locaux, et qui s’attachent entre autres à la francophonie, avec un lien privilégié avec l’Acadie, et à la mixité sociale.

Pause Guitare a ainsi accueilli des géants tels que Sting ou Joe Cocker, mais se fait aussi tremplin pour de nombreux groupes émergents de la scène française, et c’est tant mieux. Arpèges & Trémolos, association dirigée par Alain Navarro et présidée par Manuel Bernal, va encore cette année surprendre le spectateur ! Car on a le tout en un, avec paroles et musiques, cette année encore, puisque la part belle est faite aux chanteurs à textes comme Hugues Aufray ou Cali, mais aussi au rock et à tous styles de musiques, sans oublier les accords du off qui a déjà fait l’ouverture, de bars en bars…

http://www.pauseguitare.net/web/pg2015/674-le-off.php

Venez, les scènes vous attendent, fulgurantes et variées, aussi démesurées que l’histoire de notre Albigeois, aussi colorées que les pastels et les rouge sangs de la brique. Le Tarn vous tend les bras.

http://www.pauseguitare.net/web/639-billetterie-en-ligne.php

 

Tarnaise

 

Pour tous mes aïeuls hérétiques

Sidobre et chaos granitiques

Parce que Jaurès et Lapeyrouse

Alliance des pastels et des ors

Arc-en-ciel farouche de l’Autan

Montagne Noire ma promesse

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=181674&forum=2