Européenne…#fêtedel’Europe #9mai #paix #réconciliation

Quelle connerie la guerre

Qu’es-tu devenue maintenant

Sous cette pluie de fer

De feu d’acier de sang (Rappelle-toi Barbara, Prévert)

Souvent, je l’imagine, ma maman. Le visage défiguré par la terreur, les mains agrippées à celles de sa propre mère tentant sans doute de faire un rempart de son corps à ceux de ses quatre enfants, dans le vacarme assourdissant des bombardements. Encore aujourd’hui, ma mère tressaille en entendant un avion survoler l’azur de son petit paradis tarnais. Elle est pourtant bien loin de sa Rhénanie natale, et bien de l’eau a coulé dans le Rhin depuis ces années où, petite fille aux nattes blondes et aux yeux si clairs, elle espérait le retour de son père parti sur le front russe en tremblant sous les bombes des Alliés, son ventre criant famine quand elle cherchait des épluchures de pommes de terre pour les dévorer.

Ma mère, Gesche, et son jeune frère, mon oncle Peter

Mon père, lui, n’a de la guerre presque que des souvenirs joyeux. Ils n’étaient pas bien malheureux, son grand-frère et lui, dans le petit village de la campagne tarnaise depuis lequel mon grand-père français aidait les Maquisards, cachant des armes sous les tuiles et continuant sans doute à déguster les cochonnailles préparées par ma grand-mère

J’ai grandi entre les récits de ces deux enfances si différentes, écartelée parfois dans ma propre mémoire, tandis qu’à l’école des petites pestes écervelées de mon école de filles me surnommaient « Hitler », quand les métissages n’étaient pas encore à la mode et que les familles respectives de nos parents, de nos courageux parents, apprenaient à se connaître et à dépasser les brûlures de l’Histoire.

Point n’est besoin d’avoir épluché les ouvrages de psycho généalogie pour comprendre que deux sangs différents couleront toujours dans mes veines, et que je suis l’humble produit d’une fabuleuse réconciliation. Toujours retentiront en moi les sirènes qui épouvantaient ma mère, mais aussi les clameurs d’allégresse de la libération de Toulouse. Et je porte encore les griffures des petits doigts des millions d’enfants sacrifiés dans les chambres à gaz, l’empreinte de la Shoah s’étant inscrite dans ma culpabilité d’enfant de la troisième génération comme un tatouage au bras d’un prisonnier…

Je sens aussi le froid mordant de l’Ukraine bleuir les lèvres de ce grand-père allemand que j’ai chéri plus que tout au monde. Et j’entends d’autre part aux vacances la voix claire encore de mon oncle français me rapporter les récits de la fin de la guerre…

Alors quand des élèves soupirent en m’entendant leur demander ce que l’Europe signifie pour eux, quand certains ne savent pas qu’il y a eu une autre guerre sur notre continent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, quand je les sens indifférents aux mots paix, mémoire, patrie, réconciliation, Europe, mon sang mêlé ne fait qu’un tour. Car cette année, à Toulouse, au lendemain de ce 8 mai où le monde entier commémore de concert la fin des années de barbarie et de violences, nous inaugurerons le 9 mai, journée de l’Europe, cette semaine de l’Europe qui fêtera les 65 ans (**voir note)de la déclaration de Robert Schuman. Et il me semble capital de sensibiliser les jeunes à l’importance de notre Union Européenne, symbole du pouvoir de la Paix. Je ne veux pas aujourd’hui polémiquer autour de la crise, de la dette grecque, de la pseudo nouvelle hégémonie de l’Allemagne, d’éventuelles sorties de l’Euro. Je tairai les innombrables critiques des eurosceptiques et des empêcheurs de construire en rond, et puis les phrases perfides de ceux qui, encore aujourd’hui, me disent parfois que « dans le sud-ouest, il est encore difficile de pardonner, c’est pour cela que l’allemand est en perte de vitesse… »

Non, je voudrais m’incliner devant ceux qui ont su, malgré les outrages et les horreurs, redonner du sens à la fraternité et au pardon, osant faire du paysage dévasté de nos contrées européennes un nouveau tableau de prospérité et de partages.

La noce, 9 août 1959: à la petite chapelle de Saint-Hippolyte, dans le Tarn.

Je voudrais remercier mes quatre grands-parents d’avoir osé se réunir à la table d’un mariage en août 1959, quelques années à peine après que la botte de l’occupant nazi a dévasté notre pays, pour festoyer ensemble malgré les millions de victimes, pour s’assoir ensemble sur les bancs d’une petite chapelle et dans un hôtel de ville, osant ainsi faire partie des pionniers de l’esprit européen. Mon grand-père allemand dans son hameau tarnais ; et une tablée familiale avec mes grands-parents français…

L’image contient peut-être : 1 personne, assis, arbre et plein air
Pique-nique européen dans les sixties: mes deux-grands-pères, l’allemand, Erich, avec le béret, et Albert, mon père et, de dos, mon oncle Peter

Je voudrais remercier nos parents qui nous ont élevés avec bon sens et respect des traditions, nous permettant de grandir dans la richesse de deux cultures, dans le bilinguisme et l’ouverture d’esprit, entre foie gras et pâtisseries allemandes, entre Goethe et Hugo, nous prouvant chaque jour que leur choix avait été le bon, puisque leur couple a lui aussi résisté à l’usure du temps, comme le couple franco-allemand, toujours et encore « le moteur de l’Europe ». Ainsi je me sens Tarnaise, Toulousaine, française, mais aussi Rhénane, allemande, et, encore et toujours, européenne.

Dans le jardin de mes grands-parents allemands à Duisbourg

J’ai l’Europe chevillée au corps et au cœur, de l’Hymne à la joie au jingle de l’Eurovision, des discours de Schuman aux libertés de l’espace Schengen, petite occitane rêveuse et blondinette en « Dirndl », et, surtout, avec la certitude que la paix durable n’est le fruit que des combats, de ces combats des Grands qui signent les traités et prononcent les discours, mais aussi de ces millions de combats quotidiens des humbles qui osent la fraternisation et qui se retroussent les manches pour que plus jamais ne retentisse l’alarme.

Faites que jamais ne revienne

Le temps du sang et de la haine

Car il y a des gens que j’aime

A Göttingen, à Göttingen.

Je m’incline ainsi ici devant ces milliers de collègues qui, de part et d’autre du Rhin, ont organisé tant d’échanges scolaires bien avant les superbes organisations actuelles et qui, depuis des décennies, ont permis aux enfants de nos deux pays de découvrir le pays de l’Autre !

Vive la paix, vive l’Europe, et vive le couple franco-allemand !

Curriculum vitae…

Rhénane :

Pour les étés de mon enfance

Bercés par une Lorelei

Parce que née de forêts sombres

Et bordée par les frères Grimm

Je me sens Romy et Marlène

Et n’oublierai jamais la neige

Rémoise :

Pour un froid matin de janvier

Parce que l’Ange au sourire

A veillé sur ma naissance

Pour mille bulles de bonheur

Et par les vitraux de Chagall

Je pétille toujours en Champagne

Carolopolitaine :

Pour cinq années en cœur d’Ardennes

Et mes premiers pas en forêt

Pour Arthur et pour Verlaine

Et les arcades en Place Ducale

Rimbaud mon père en émotion

M’illumine en éternité

Albigeoise :

Pour le vaisseau de briques rouges

Qui grimpe à l’assaut du ciel bleu

Pour les démons d’un peintre fol

Et ses débauches en Moulin Rouge

Enfance tendre en bord de Tarn

D’une inaliénable Aliénor

Tarnaise :

Pour tous mes aïeuls hérétiques

Sidobre et chaos granitiques

Parce que Jaurès et Lapeyrouse

Alliance des pastels et des ors

Arc-en-ciel farouche de l’Autan

Montagne Noire ma promesse

Occitane :

De Montségur en Pays Basque

De la Dordogne en aube d’Espagne

Piments d’Espelette ou garigues

De d’Artagnan au Roi Henri

Le bonheur est dans tous les prés

De ma Gascogne ensoleillée

Toulousaine :

Pour les millions de toits roses

Et pour l’eau verte du canal

Sœur de Claude et d’Esclarmonde

Le Capitole me magnétise

Il m’est ancre et Terre promise

Garonne me porte en océan

Bruxelloise :

Pour deux années en terre de Flandres

Grâce à la Wallonie que j’aime

Parce que Béguinage et Meuse

Pour Bleus de Delft et mer d’Ostende

En ma Grand Place illuminée

Belgique est ma troisième patrie

Européenne :

Pour Voltaire Goethe et Schiller

Pour oublier tous les charniers

Les enfants blonds de Göttingen

Me sourient malgré les martyrs

Je suis née presqu’en outre-Rhin

Lili Marleen et Marianne

Universelle :

Pour les mots qui me portent aux frères

Par la poésie qui libère

Parce que j’aime la vie et la terre

Et que jamais ne désespère

Pour parler toutes les langues

Et vous donner d’universel.

Mon grand-père allemand au hameau de la Provinquière, là où il avait acheté une maison non loin de celle de mes grands-parents français

Pour aller plus loin dans le récit binational, cette fresque dans les deux langues au gré de mes blogs, et vous excuserez l’absence des photos, elles sont souvent disparu lors de la fermeture par Le Monde de tous les blogs-lecteurs…

https://sabineaussenac.blog/2016/02/26/de-lorelei-a-marianne-duisbourg-le-18-juillet-1958/

L’autre côté de moi sur la rive rhénane… #Europe #9mai

La noce, 9 août 1959: à la petite chapelle de Saint-Hippolyte, dans le Tarn.

 

J’ai dix ans.

Je suis dans le jardin de mes grands-parents allemands, à Duisbourg. Plus grand port fluvial d’Europe, cœur de la Rhénanie industrielle, armadas d’usines crachant, en ces années de plomb, des myriades de fumées plus noires les unes que les autres, mais, pour moi, un paradis…

Allemagne, année zéro: Anneliese et Erich, juste après la guerre…

J’adore la grande maison pleine de recoins et de mystères, la cave aménagée où m’attendent chaque été la poupée censée voyager en avion tandis que nous arrivons en voiture-en fait, la même que chez moi, en France !-, la maison de poupées datant de l’enfance de ma mère, avec ses petits personnages démodés, les magnifiques têtes en porcelaine, la finesse des saxes accrochés dans le minuscule salon… J’aime les tapis moelleux, la Eckbank, ce coin salle à manger comportant une table en demi lune et des bancs coffre, les repas allemands, les mille sortes de pain, les charcuteries, les glaces que l’on va déguster chez l’Italien avec mon arrière-grand-mère…

Yvan le terrible, à l’ENSET de Cachan…

Gesche, la petite « Romy »…Jeune fille au pair chez Piem, à Paris…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je savoure avec un infini plaisir les trajets dans la quatre cent quatre familiale, les maisons qui changent d’allure, les briquettes rouge sombre remplaçant peu à peu notre brique toulousaine et la pierre, les seaux de chocolat Côte-d’or achetés à Liège, les petites barrières en croisillon de bois, les longues formalités à la Douane- c’est surtout au retour que mon père cachait des appareils Grundig et le Schnaps !

Ma mère, Gesche; à gauche « Oma Wieb », mère de ma grand-mère, assise au fond à droite; à côté d’elle ma tante Elke…

Une « surpat’ dans la cave aménagée de Duisbourg, fifties rugissants…

 

 

 

 

 

 

 

 

J’aime aussi les promenades au bord du Rhin, voir défiler les immenses péniches, entendre ma grand-mère se lever à cinq heures pour inlassablement tenter de balayer sa terrasse toujours et encore noircie de scories avant d’arroser les groseilliers à maquereaux et les centaines de massifs… J’adore cette odeur d’herbe fraîchement coupée qui, le reste de ma vie durant, me rappellera toujours mon grand-père qui tond à la main cette immense pelouse et que j’aide à ramasser le gazon éparpillé… Et nos promenades au Bigger Hof, ce parc abondamment pourvu de jeux pour enfants, regorgeant de chants d’oiseaux et de sentes sauvages, auquel on accède par un magnifique parcours le long d’un champ de blés ondoyants… C’est là tout le paradoxe de ces étés merveilleux, passés dans une immense ville industrielle, mais qui me semblaient azuréens et vastes.

Yvan à Paris…

 

Gesche avant une ‘Radtour’, une randonnée en vélo…C’est ainsi qu’elle avait rencontré Yvan…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je parle allemand depuis toujours, puisque ma mère m’a câlinée dans la langue de Goethe tandis que mon père m’élevait dans celle de Molière. Ce bilinguisme affectif, langagier, culturel, me fonde et m’émerveille.

C’est une chance inouïe que de grandir des deux côtés du Rhin…

De gauche à droite « Papu », mon grand-père, Peter, Elke, « Mutti », ma grand-mère que nous appelions tous ainsi, et mes parents; fiançailles…

J’aime les sombres forêts de sapins et les contes de Grimm, mais aussi les lumières de cette région toulousaine où je vis et les grandeurs de cette école de la République dont je suis une excellente élève, éduquée à l’ancienne avec des leçons de morale, les images d’Épinal de Saint-Louis sous son chêne et tous les affluents de la Loire… Ma maman a gardé toutes les superbes traditions allemandes concernant les fêtes, nos Noëls sont sublimes et délicieux, et elle allie cuisine roborative du sud-ouest et pâtisseries d’outre-Rhin pour notre plus grand bonheur, tandis que même Luther et la Sainte Vierge se partagent nos faveurs, puisque ma grand-mère française me lit le Missel des dimanches et ma mère la Bible pour enfants, ce chiasme donnant parfois lieu à quelques explications orageuses…

Bien sûr, il y a les autres. Les enfants ne sont pas toujours tendres avec une petite fille au visage un peu plus rond que la normale, parfois même habillée en Dindl, ce vêtement traditionnel tyrolien, qui vient à l’école avec des goûters au pain noir et qui écrit déjà avec un stylo plume- je serai je pense la première élève tarnaise à avoir abandonné l’encrier…

Les noces européennes…Albert et Marie-Louise, mes grands-parents français; Janine, ma tante, et Jacques, le frère de mon père.

Un jour enfin viendra où l’on m’appellera Hitler et, inquiète, je commencerai à poser des questions…Bientôt, vers onze ans, je lirai le Journal d’Anne Franck et comprendrai que coule en moi le sang des bourreaux, avant de me jurer qu’un jour, j’accomplirai un travail de mémoire, flirtant longtemps avec un philosémitisme culpabilisateur et avec les méandres du passé. Mon grand-père adoré, rentré moribond de la campagne de Russie, me fera lire Exodus , de Léon Uris, et je possède aujourd’hui, trésor de mémoire, les longues et émouvantes lettres qu’il envoyait depuis l’Ukraine, où il a sans doute fait partie du conglomérat de l’horreur, lui-même bourreau et victime de l’Histoire… Il écrivait à ma courageuse grand-mère, qui tentait de survivre sous les bombes avec quatre enfants, dont le petit Klaus qui mourra d’un cancer du rein juste à la fin de la guerre, tandis que ma maman me parle encore des avions qui la terrorisaient et des épluchures de pommes de terre ramassées dans les fossés…

Erich et Anneliese, lors d’un voyage dans les Alpes…

Cet été là, je suis donc une fois de plus immergée dans mon paradis germanique, me gavant de saucisses fumées et de dessins animés en allemand, et je me suis cachée dans la petite cabane de jardin, abritant des hordes de nains de jardin à repeindre et les lampions de la Saint-Martin. J’ai pris dans l’immense bibliothèque Le livre de la jungle en allemand, richement illustré, et je compte en regarder les images. Dehors, l’été continental a déployé son immense ciel bleu, certes jamais aussi limpide et étouffant que nos cieux méridionaux, mais propice aux rêves des petites filles binationales… Le Brunnen, la fontaine où clapote un jet d’eau, n’attend plus qu’un crapaud qui se transformerait en prince pour me faire chevaucher le long du Rhin et rejoindre la Lorelei. Je m’apprête à rêver aux Indes flamboyantes d’un anglais nostalgique…

Mes deux grands-pères: Albert, le résistant; Erich, soldat de la Wehrmacht.
Ils construisent ensemble la maison de campagne de mes parents, dans le Tarn…

Papu et Papi, et la plaque « DU »: Duisbourg…

Je jette un coup d’œil distrait à la première page du livre et, soudain, les mots se font sens. Comme par magie, les lettres s’assemblent et j’en saisis parfaitement la portée. Moi, la lectrice passionnée depuis mon premier Susy sur la glace, moi qui ruine ma grand-mère française en Alice et Club des cinq , qui commence aussi déjà à lire les Pearl Buck et autres Troyat et Bazin, je me rends compte, en une infime fraction de seconde, que je LIS l’allemand, que non seulement je le parle, mais que je suis à présent capable de comprendre l’écrit, malgré les différences d’orthographe, les trémas et autres SZ bizarroïdes…

Un monde s’ouvre à moi, un abîme, une vie.

C’est à ce moment précis de mon existence que je deviens véritablement bilingue, que je me sens tributaire d’une infinie richesse, de cette double perspective qui, dès lors, ne me quittera plus jamais, même lors de mes échecs répétés à l’agrégation d’allemand… Lire de l’allemand, lire en allemand, c’est aussi cette assurance définitive que l’on est vraiment capable de comprendre l’autre, son alter ego de l’outre-Rhin, que l’on est un miroir, que l’on se fait presque voyant. Nul besoin de traduction, la langue étrangère est acquise, est assise, et c’est bien cette richesse là qu’il faudrait faire partager, très vite, très tôt, à tous les enfants du monde.

Parler une autre langue, c’est déjà aimer l’autre.

Oma, la mère d’Erich: mon arrière-grand-mère allemande, Sophie.

Je ne sais pas encore, en ce petit matin, qui sont Novalis, Heine ou Nietzsche. Mais je devine que cette indépendance d’esprit me permettra, pour toujours, d’avoir une nouvelle liberté, et c’est aussi avec un immense appétit que je découvrirai bientôt la langue anglaise, puis le latin, l’italien… Car l’amour appelle l’amour. Lire en allemand m’aidera à écouter Mozart, à aimer Klimt, mais aussi à lire les auteurs russes ou les Haïkus. Cette matinée a été mon Ode à la joie.

Cet été là, je devins une enfant de l’Europe.

Janine, Marie-Louise, Gesche et la petite Sabine sur la terrasse de la maison de Saint-Hippolyte …

**

Toute l’histoire de mes parents:

Lorelei et Marianne, j’écris vos noms: Duisbourg, le 18 juillet 1958

Limoges mes croissants

Limoges mes croissants.

La quatre-cent-quatre de papa, et presque la Belgique. Chocolat Côte d’Or en apnée frontalière.

Les gouttes se chevauchent sur la vitre embrumée.

Les briques se font brunes, Ulrike ma poupée a pris l’avion.

Au réveil, je suis au bled : mon métissage à moi a la couleur du Rhin.

***

L’autre côté de moi

 

L’autre côté de moi sur la rive rhénane. Mes étés ont aussi des couleurs de houblon.

Immensité d’un ciel changeant, exotique rhubarbe. Mon Allemagne, le Brunnen du grand parc, pain noir du bonheur.

Plus tard, les charniers.

Il me tend « Exodus » et mille étoiles jaunes. L’homme de ma vie fait de moi la diseuse.

Lettres du front de l’est de mon grand-père, et l’odeur de gazon coupé.

Mon Allemagne, entre chevreuils et cendres.

***

Petite nixe sage

 

Cabane du jardinier. Petite nixe sage, je regarde

les images.

Les lettres prennent sens. La langue de Goethe, bercée à mon cœur, pouvoir soudain la lire.

Allégresse innommable du bilinguisme. L’Autre est en vous. Je est les Autres.

Cet été là mon Hymne à la joie.

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21 mesures pour réconcilier les élèves français avec l’apprentissage de l’allemand

21 mesures pour réconcilier les élèves français avec l’apprentissage de l’allemand -petit texte écrit d’après les 21 mesures de Cédric Villani autour des mathématiques

 

« Sehnsucht », de Heinrich Vogeler

  • 1 Il conviendrait avant tout de mettre en place la liberté d’enseignement des langues vivantes dès l’école maternelle, réellement, pas simplement sur le papier (et ne pas favoriser les langues régionales et/ou les langues maternelles des enfants issus de l’immigration au détriment de l’enseignement de l’allemand, de l’italien, du russe…) : Toutes les langues devraient être mises sur un pied d’égalité, chaque enfant devrait pouvoir apprendre l’arabe, l’italien, l’allemand, le bulgare, l’occitan…. Dans chaque ville et village de France, chaque école se devrait d’accueillir les enfants au son des langues du monde. Sus à l’hégémonie de l’anglais, à la frilosité culturelle, et vive l’Europe !

 

  • 2 Il faudrait ensuite permettre un continuum d’apprentissages de l’allemand dans le même sens, et permettre ainsi à l’élève ayant commencé une initiation à l’allemand en maternelle de continuer l’apprentissage de cette langue au primaire, puis au collège. Un élève changeant de région devrait pouvoir continuer à apprendre la et les langues choisies.

 

  • 3 Enfin, il faudrait remiser le système des « bilangues » aux oubliettes et par extension ce fameux « primat de l’anglais », avec une LV1 « anglais » obligatoire et permettre un large choix de langues dès la sixième, comme c’était le cas il y a une vingtaine d’années encore.

 

  • 4 Élargir par extension cet apprentissage à toutes les régions et à tous les niveaux coulerait de source : car c’est justement AUSSI dans les filières professionnelles que les élèves auraient intérêt à apprendre l’allemand, au vu de toutes les possibilités de stages et/ou d’emplois offertes non seulement outre-Rhin, mais aussi en Suisse…

 

  • 5 Afin de favoriser ces apprentissages, il conviendrait de permettre dans toutes les académies l’enseignement de l’allemand en maternelle et en primaire par les enseignants du second degré, et ne pas réduire cette fonction à la pratique des professeurs des écoles qui, de façon pyramidale, n’ont eux-mêmes souvent pas bénéficié de l’apprentissage de l’allemand et ne sont donc pas aptes à l’enseigner. Ce n’est que par ce biais qu’une telle réforme pourrait progressivement gagner l’ensemble des écoles, collèges et lycées de la République ; c’est déjà le cas dans certaines académies dans lesquelles, justement l’allemand se porte mieux d’ailleurs…

 

  • 6 En parallèle, il faudrait oser mettre en place une véritable campagne de communication nationale au sujet de l’apprentissage de l’allemand, campagne de publicité qui allierait les savoir-faire de l’éducation nationale et les supports logistiques des communautés territoriales et locales et qui pourrait s’appuyer sur des fonds d’investissement du privé, puisque nombre entreprises déjà partenaires du franco-allemand -AIRBUS, SIEMENS…- et engagées dans le fait européen auraient tout à gagner en s’associant à ce projet.

 

  • 7 Cette campagne de communication viserait aussi à restaurer une image « positive » de notre voisin allemand aux yeux du public ; car l’Allemagne est encore trop souvent vilipendée par certains extrémismes politiques – cf le pamphlet de Jean-Luc Mélenchon, « Le hareng de Bismarck », sous-titré « Le poison allemand » …- tout en demeurant terra incognita au niveau touristique, le tout mâtiné parfois de vagues relents revanchards, quand ce n’est pas « Angie » qui traitée de « Grosse Bertha »… Des affichages sur les panneaux publicitaires municipaux -abris bus, etc.- et des encarts dans la presse locale pourraient impacter favorablement les familles.

 

  • 8 Ainsi, tout comme l’Espagne qui s’affiche partout au niveau publicitaire comme « la » destination tourisme, l’Allemagne, mais aussi l’Autriche et la Suisse pourraient devenir des destinations touristiques prisées, et non pas de vagues entités qui, sur une carte de l’Europe, ne font rêver que les Migrants… Combien de Français ont-ils déjà passé un mois de vacances sur une île de la Baltique ou dans un village du Tyrol ? L’Allemagne, qui recèle pourtant des joyaux architecturaux, géographiques et culturels innombrables, demeure, aux yeux du Français lambda, aussi mystérieuse que la Papouasie… Nous aurions donc besoin de partenariats avec des offices de tourismes, de brochures traduites, de guides, de croisières, de circuits, bref, cet engouement pour l’outre-Rhin et Danube irait de pair avec un foisonnement économique qui ferait aussi le bonheur des filières touristiques (BTS tourisme et hôtellerie…)

 

  • 9 Justement, il serait temps aussi de renouer avec les partenariats, jumelages, échanges qui faisaient florès dans les années soixante et quatre-vingt et qui se sont étiolés au fil des ans… Toulouse, ma merveilleuse ville rose, n’est même pas jumelée avec une ville allemande ! Toulouse, capitale d’Airbus, fleuron du partenariat franco-allemand, vous avez bien lu, n’est PAS jumelée à une ville outre-rhénane… Et c’est la même chose au niveau des établissements scolaires qui, suite à la précarisation de notre fonction enseignante et à la multiplication des « BMP » – Blocs de Moyens Provisoires, entendez quelques heures sauvées face aux langues régionales et/ou émergentes… -depuis la disparition des bilangues et surtout depuis la nomadisation des enseignants titulaires devenus « TZR » (entendez Titulaires sur Zone de Remplacement et changeant chaque année de crèmerie), ne sont tout simplement plus en mesure de faire perdurer des échanges qui pourtant avaient fait le bonheur de générations d’élèves…

Car les échanges sont le sel de nos apprentissages, la mise en œuvre ultime de nos enseignements, la prise en main de la langue au niveau du quotidien, ils sont aux langues ce que le boulier est aux apprenants en mathématiques : on y devient synesthète, au-delà de l’intra-muros de l’école.

Heureusement, les assistants de langue sont là, souvent, pour pallier le manque d’interactivité réelle avec le pays partenaire. Il faudrait doubler, voire tripler leur nombre, afin que chaque collège et lycée de l’hexagone puisse bénéficier de cet encadrement vivifiant et concret.

 

  • 10 En effet, que vaut l’apprentissage d’une langue qui devient presque une langue morte si elle n’est parlée que dans le cadre scolaire et jamais in situ ? De la même façon que chaque élève devrait pouvoir chaque année partir quelques jours dans le pays des langues qu’il apprend, il faudrait aussi que cesse l’hégémonie culturelle de l’anglais dans les médias, la presse, dans le paysage audiovisuel hexagonal….

À quand la diffusion de chansons allemandes sur les radios françaises, à quand des émissions de variété – Nagui, si tu me lis… – où seraient invités aussi des chanteurs et des groupes allemands -et autrichiens… Car non, la variété allemande ne se résume pas à Camillo avec son « Sag warum » et aux marches militaires, et/ou aux chants traditionnels en culotte de cuir… Il y a eu de grands chansonniers que très peu d’élèves connaissent, mais il y a aussi des dizaines de groupes de rap, rock, indé, blues, soul, jazz, il y a de la vériétoche, des stars…Pourquoi cette omerta envers la culture musicale de nos voisins qui contribue grandement à la méconnaissance de l’Autre… ? À Toulouse, le festival « Rio Loco », qui invite chaque année des musiciens de différentes parties du globe, variant les tendances planétaires, pourrait par exemple ouvrir, une année, sa scène aux artistes allemands, autrichiens, suisses…

 

  • 11 À quand aussi une majorité de films que l’on pourrait voir sur toutes les chaînes, pas seulement sur ARTE, en VO ? Car les oreilles de nos petits élèves français, contrairement à celles de nos voisins des pays nordiques, ne sont absolument pas éduquées dans la langue de l’Autre… C’est très tôt que se forme l’habitude de l’écoute des langues étrangères, des sonorités nouvelles, et ce serait superbe si le PAF pouvait enfin s’ouvrir à ces différences…

Il serait bon aussi que nos programmes scolaires intègrent davantage le cinéma et la télévision allemande à leurs lignes directrices… Je me souviens de mon père qui, sans avoir jamais appris un seul mot de la langue de Goethe à l’école, se targuait d’avoir progressé à la vitesse de l’éclair par la seule écoute de la télévision regardée chez ses beaux-parents, à Duisbourg… Certes, dans nos cours, nous évoquons bien Wim Wenders par ci et Fatih Akin par-là, mais ce serait tellement bien d’avoir un réel accès à leurs œuvres via des sites dédiés… De même que nous pourrions utiliser bien davantage, via les nouvelles technologies, des émissions de télévision qui seraient aptes à faire progresser très rapidement les élèves !

À propos des TICE, il est dommage que si peu d’enseignants soient formés à toutes les innovations qui pourraient faire de nos cours de réels cyberespaces connectés… Il y a encore énormément de frilosités et de méconnaissances des nouvelles technologies, alors qu’elles sont bien entendu une aide précieuse. Lors d’un récent sondage que j’ai réalisé au sujet de l’ENT, il s’avère par exemple que nombre de collèges ne savent pas qu’une fonction « blog » est opérante sur notre espace de travail.

 

  • 12 Renouer avec un apprentissage de l’allemand passerait aussi par une réappropriation de la culture germanophone dans son ensemble… Pourquoi nos programmes hexagonaux sont-ils si poreux en ce qui concerne la littérature étrangère ? Apprendre les langues « étrangères » devrait aussi passer par le « culturel », par un maillage éducatif qui, très tôt, permettrait aux élèves du primaire de découvrir de petits poèmes d’auteurs allemand, aux élèves du collège de visiter des musées allemands, aux élèves du lycée de lire aussi du Rilke, du Thomas Mann, et pas simplement le contenu « factuel » des manuels d’apprentissage qui, s’ils permettent un apprentissage actanciel et actionnel et la mise en œuvre d’automatismes linguistiques, ne plongent pas assez les apprenants au cœur de la culture du pays partenaire. Ainsi, il est très rarement proposé l’option « littérature étrangère en langue étrangère » en allemand en filière L…

 

  • 13 C’est vrai, l’apprentissage des langues étrangères a réellement progressé… J’ai assisté récemment à une passionnante journée académique qui nous a proposé d’enseigner « la grammaire autrement ». Nous sommes si loin des listes de vocabulaire et des tableaux de déclinaison qui, une fois ingurgités, demeureraient lettre morte et produisaient l’inverse de l’effet escompté, à savoir des Français incapables de « pratiquer » la langue étrangère apprise à l’école… Cependant, en plus de 33 ans de service au sein de l’éducation nationale, j’ai vu passer mille et une réformes et j’ai « tout connu », depuis la période où l’on n’avait « pas le droit de faire écrire les élèves avant la Toussaint » -sic- au primat de l’écrit, et j’ai toujours habilement contourné les instructions officielles, faisant par exemple faire des « fichiers oraux » avant l’heure sur des cassettes que j’écoutais sur mon magnéto en faisant mon repassage, ou faisant lire un livre d’un auteur allemand -en français, mais en rédigeant ensuite un résumé-commentaire en allemand- dès le collège, pour que les élèves fassent connaissance avec la littérature allemande… Je pense que chaque professeur développe au fil de sa carrière des stratégies d’apprentissage qui lui sont propres et qui visent à « faire réussir ses élèves », et que de nos jours, grâce aux nouvelles technologies, plus aucun cours de langue ne peut passer pour « ennuyeux » ou « poussiéreux ». Il faut faire savoir cela aux parents, le leur marteler via des réunions d’information dès la maternelle, leur dire que « l’allemand, ce n’est pas difficile », qu’au contraire son enseignement est recommandé par les orthophonistes pour les élèves en difficulté (car c’est une langue « à tiroirs », logique…), bref, il faut dédiaboliser la langue qui, souvent encore, a mauvaise presse.

 

  • 14 Justement, et si la télévision arrêtait ENFIN de diffuser « La grande vadrouille » tous les quatre matins ? Car nous sommes bien au cœur du « paradoxe français », celui fait de notre pays à la fois le cancre en queue d’étude PISA et le fleuron des élites des « grandes écoles » et de l’obtention des Nobels… Ce même paradoxe fait que les médias continuent de nous abreuver avec des films réduisant les Allemands à de sombres abrutis décérébrés éructant en uniforme nazi alors même que malgré l’enseignement de la Shoah nombre d’élèves demeurent incapables de comprendre l’ampleur des génocides commis par le troisième Reich… Il faudrait à la fois réfléchir à cet ancrage historique du devoir de mémoire et à la vision d’une « nouvelle Allemagne » qui, justement, a su transcender son passé, par exemple en accueillant à bras ouverts des millions de Migrants. Il y a quelques jours encore des élèves de lycée n’ont su me dire à quoi correspondait le mot « Buche », cela ne leur évoquait rien, même associé au mot « Wald », (nous étions en pleine séquence « mythes et héros » sur la forêt allemande), jusqu’à ce qu’un élève, après que j’eus prononcé à la française le terme « Buchenwald » ne se souvienne d’un « truc nazi », sic… En première… Je rêverais d’un nouvel équilibre en ce sens : accomplir nos obligations de transmissions mémorielles tout en réhabilitant un engouement pour l’Allemagne d’aujourd’hui, tolérante, ouverte, engagée, humaine.

 

  • 15 Il faudrait aussi former TOUS les écoliers au fait européen, et ne pas réserver cette matière à une vague option destinée à quelques lycéens… Car c’est dès l’école primaire que devrait s’accomplir la certitude que notre Europe, loin d’être une entité impalpable, se doit d’être soutenue, connue de tous les citoyens, parcourue par un esprit de solidarité qui, forcément, passe aussi par la connaissance des langues de l’Autre. Et qui mieux que le « couple franco-allemand » pourra porter loin ce flambeau européen ?

 

  • 16 Ainsi, il faudrait que la « semaine de l’Europe » devienne enfin un événement visible, et pas seulement une action axée vers les milieux éducatifs et politiques. À quand une semaine de l’Europe maillant tous les territoires, intégrant par exemple l’associatif, les domaines médicaux, juridiques, commerciaux ? Pourquoi ne pas imaginer des partenariats en ce sens ?

 

  • 17 De même, la fameuse « semaine franco-allemande » demeure trop souvent un domaine réservé, se lovant par conséquent dans l’intra-muros du giron de l’EN… Tous les acteurs du système éducatif, su MEN aux établissements, se démènent pour célébrer l’anniversaire du Traité de l’Élysée, mais souvent les actions, pourtant superbes, restent cantonnées aux établissement, et c’est un peu « les franco-allemands parlent aux franco-allemands » : l’impact est minime. Cette semaine se devrait d’être réellement médiatisée et portée sur le devant de la scène.

 

  • 18 D’ailleurs, pourquoi toujours réduire l’enseignement de l’allemand à ce partenariat franco-allemand ? Les autres pays de langue allemande gagneraient aussi à être davantage mis en lumière dans les programmes, du collège au supérieur… J’ai cette année construit ma séquence « Mythes et héros » autour de l’Autriche, et il y aurait mille et une façons d’intégrer la Suisse, l’Autriche, et pourquoi pas la région germanophone de la Belgique dans des programmes d’échanges ou dans les manuels scolaires.

 

  • 19 Bien entendu, afin que l’enseignement des langues vivantes soit profitable, il faut aussi se donner les moyens de la réussite… Et franchement, avec deux heures par semaine en première et en terminale et avec si peu d’heures dès le collège, c’est tout simplement une gageure que de vouloir espérer que nos élèves atteignent un jour le niveau attendu par PISA ou simplement la réelle capacité de s’exprimer, oralement et à l’écrit, dans une langue étrangère. Cessons de nous voiler la face : ce n’est pas en mettant chaque année nos exigences au rabais (j’ai failli pleurer en corrigeant le bac blanc cette année, tant les items linguistiques étaient négligés au profit de la « compréhension » … ) que nos élèves, avec des heures de cours qui se réduisent comme peau de chagrin, parleront allemand, anglais ou arabe correctement !

 

  • 20 Il importe donc de revoir les dotations horaires à la hausse, et urgemment, afin que nous puissions enfin consacrer le temps nécessaire à la transmission. Et il serait intelligent, je trouve, de revenir, en langues aussi, aux fondamentaux prônés par Monsieur le Ministre de l’éducation en primaire… Et ces fondamentaux passeraient sans doute par une révision de nos exigences, car franchement, là, on lâche après le baccalauréat des élèves qui, souvent, se contentent d’un bagage minimum… Peut-être faudrait-il aussi réhabiliter la traduction… Oh, je ne demande pas que nous traduisions tous nos textes, mais enfin, il faut savoir raison garder et demeurer cohérents : La traduction est un exercice qui sera demandé dans la majorité des concours que nos étudiants passeront après le baccalauréat. La traduction est aussi un art, un moyen de transmission merveilleux, permettant à des milliards d’êtres humains de lire les ouvrages de l’Autre, de voir des films des autres cultures… Par quel miracle est-elle …interdite en cours de langue ?!

 

  • 21 Apprendre à parler allemand ne peut se résumer à savoir commander un coca à l’aéroport de Berlin, à pouvoir lire un extrait de Die Zeit ou à passer la « certification » pour déterminer si l’on a le niveau A2 ou B1. Non, apprendre une langue, c’est plonger vers l’Autre, se colleter avec son altérité qui fait aussi notre richesse, et c’est bien au travers de l’art, de toutes ces dimensions artistiques, culturelles et patrimoniales que l’élève se sentira apte à comprendre la langue du pays partenaire. J’espère ainsi que le rapport « Comment rénover l’enseignement des langues vivantes en France ? », dont seront en charge Madame l’Inspectrice Générale Chantal Manes Bonnisseau et Monsieur Alex Taylor nous ouvrira de vastes perspectives de réussite au service de nos apprenants. Certes, ce sont deux anglicistes qui ont été choisis pour mener à bien cette mission, mais je ne doute pas de leur objectivité.

 

Je précise que j’ai rédigé ces mesures il y a quelques semaines, après la sortie du rapport de Cédric Villani dans la presse, et que je ne comptais pas les publier sur mon blog avant la fin de l’année scolaire, afin de ne pas interférer dans une décision très attendue, mais que je profite de la nomination des responsables du rapport pour publier ce petit article, comme cela m’a été demandé par de nombreux collègues après une intervention sur un réseau social.

Participation au Printemps des Poètes d’un élève de collège

Exposé fait par un élève de seconde

Exposé d’un élève de première

« Je jette un coup d’œil distrait à la première page du livre et, soudain, les mots se font sens. Comme par magie, les lettres s’assemblent et j’en saisis parfaitement la portée. Moi, la lectrice passionnée depuis mon premier « Susy sur la glace », moi qui ruine ma grand-mère française en « Alice » et « Club des cinq », qui commence aussi déjà à lire les Pearl Buck et autres Troyat et Bazin, je me rends compte, en une infime fraction de seconde, que je LIS l’allemand, que non seulement je le parle, mais que je suis à présent capable de comprendre l’écrit, malgré les différences d’orthographe, les trémas et autres « SZ » bizarroïdes…

Un monde s’ouvre à moi, un abîme, une vie. C’est à ce moment précis de mon existence que je deviens véritablement bilingue, que je me sens tributaire d’une infinie richesse, de cette double perspective qui, dès lors, ne me quittera plus jamais, même lors de mes échecs répétés à l’agrégation d’allemand…Lire de l’allemand, lire en allemand, c’est aussi cette assurance définitive que l’on est vraiment capable de comprendre l’autre, son alter ego de l’outre-Rhin, que l’on est un miroir, que l’on se fait presque voyant. Nul besoin de « traduction », la langue étrangère est acquise, est assise, et c’est bien cette richesse là qu’il faudrait faire partager, très vite, très tôt, à tous les enfants du monde. Parler une autre langue, c’est déjà aimer l’autre.

Je ne sais pas encore, en ce petit matin, qui sont Novalis, Heine ou Nietzsche. Mais je devine que cette indépendance d’esprit me permettra, pour toujours, d’avoir une nouvelle liberté, et c’est aussi avec un immense appétit que je découvrirai bientôt la langue anglaise, puis le latin, l’italien…Car l’amour appelle l’amour. Lire en allemand m’aidera à écouter Mozart, à aimer Klimt, mais aussi à lire les auteurs russes ou les Haïkus. Cette matinée a été mon ode à la joie. Cet été là, je devins une enfant de l’Europe. »

 http://plus.lefigaro.fr/note/le-jour-ou-jai-su-lire-en-allemand-20100310-151834

** Quelques textes au service de l’enseignement de l’allemand ici:

http://www.sabine-aussenac.com 

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/professeur-allemand-la-grande-vadrouille-des_b_1252919.html

** Poésie allemande:

http://sabine-aussenac-dichtung.blogspot.fr/2015/04/komm-lass-uns-nach-worpswede-wandern.html

http://lallemagnetoutunpoeme.blogspot.fr/

** Textes autour de l’Allemagne et du franco-allemand:

Ich bin eine Berlinerin!

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2018/03/01/duisbourg-ma-jolie-ville-en-barque-sur-le-rhin/

http://raconterletravail.fr/recits/une-enfance-franco-allemande/#.WuTS4qSFPIV

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2014/07/20/nos-voisins-ces-inconnus-la-famille-klemm/

Lorelei et Marianne, j’écris vos noms: Duisbourg, le 18 juillet 1958

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les trois lumières…Une fiction qui recoupe tant de réalités…#migrants

 – texte écrit à l’été 2015 pour le Prix Hans Bernhard Schiff…Le thème était:  » Tout ce qui nous a animés a disparu. »

Je n’ai pas gagné ce prix… Mais tant de Migrants continuent de traverser mers et frontières… Accueillons-les!

La petite Mercy, une heure après sa naissance.
http://www.varmatin.com/faits-de-societe/mercy-37-kg-est-nee-ce-mardi-matin-a-bord-de-laquarius-123339

Trois lumières. Trois lumières avaient guidé leurs pas depuis des millénaires : car les habitants de Lalesh, « le levain », au cœur de la vallée de Ninive, racontaient fièrement qu’ils vivaient au centre du monde, dans ce creuset où s’embrassaient la vieille Europe, l’Asie millénaire et les effluves du golfe arabo-persique…Et ils accueillaient les pèlerins yézidis avec une immense bienveillance, les guidant vers la grotte sacrée sise au fond du temple, vers ce lieu saint où il convient de se laver à l’eau lustrale de la source avant de jeter un tissu sur la roche et d’allumer la torche de vie.

Oui, les Yézidis aimaient à se dire les gardiens de ces frontières de sable et de roche, en leur pays sans nation, eux, le peuple sans terre, passagers de ce Kurdistan irakien, absorbeurs des lumières des grandes traditions qui certes avaient produit l’Histoire, mais au prix de tant de déboires que, somme toute, ils préféraient rester ce peuple du secret, à l’image de leur temple enfoui dans la montagne…

Salim et Adi, assis dans la grande tente de la Croix-Rouge, fixaient les trois lumières des lampes torches d’un regard vide de toute expression. Les deux frères, âgés de dix et quatorze ans, avaient sombré dans le mutisme depuis plusieurs semaines. Ils regardaient les lueurs aveuglantes des plafonniers, mais ne voyaient que la nuit. Cette nuit de terreur innommable qui durait depuis que les hommes de ce pseudo-État avaient détruit tout ce en quoi ils croyaient depuis leur enfance.

Là où régnait la douceur des mains maternelles, en ce pays de l’enfance, demeurait à présent l’aspérité des sabres qui avaient décapité leur père, leurs oncles, leur grand-père et tous les hommes du hameau proche de celui de Lalesh. Là où s’élevaient les mélopées des femmes lavant les tissus chatoyants au lavoir, hurlaient dans leurs mémoires les vociférations et les insultes de ces barbares sanguinaires qui s’étaient amusés à noyer tous les nouveaux-nés du village dans l’innocence de la fontaine. Là où brillaient les lampes du savoir transmis de génération en génération par une culture millénaire, ne balbutiait plus que le souffle opaque du vent, ce vent qui n’avait pas réussi à couvrir les plaintes et les cris des jeunes filles souillées à même la terre par les hordes incultes.

Un infirmier souleva la bâche de toile et sourit aux jeunes garçons ; il s’adressa à eux en anglais, car il savait qu’ils ne parlaient pas un mot de français, et leur expliqua qu’ils allaient être transférés de Calais au Luxembourg, dans un foyer qu’il nomma « Lily Unden ». L’homme parlait lentement, tentant de fixer l’attention des jeunes gens ; il leur dit qu’ils retrouveraient des gens de leur peuple dans ce foyer, qu’ils se sentiraient moins seuls. Il leur dit aussi que ce foyer était tout neuf et portait le nom d’une femme qui avait été arrêtée pendant la deuxième guerre mondiale et torturée à Ravensbrück. Elle avait été résistante. En entendant ce mot, Salim, l’aîné des garçons, tressaillit. Il se souvenait de cet homme, un très vieux juif, qui leur avait rendu visite au hameau ; c’était un ancien professeur qui faisait des recherches sur leur religion, et Salim se remémora les récits au sujet de ces enfants brûlés, de ces femmes torturées, de ces vieillards exterminés. Il releva la tête et parla, pour la première fois, s’adressant à l’infirmier dans un anglais hésitant :

  • Daesh is like Hitler. We have to resist.

Salim et Adi ne revirent jamais leur mère ni leurs sœurs. Ils apprirent, de longs mois plus tard, par une cousine ayant réussi à s’échapper, que les trois fillettes de six, huit et douze ans avaient été violées pendant plusieurs semaines avant d’être décapitées. Ils ne purent jamais savoir ce qui était advenu de leur mère adorée. Souvent, les deux adolescents plongeaient dans la souffrance sans nom de ceux qui ont perdu jusqu’à leur ombre, orphelins même du soleil. Mais lors de leur séjour au foyer Lily Unden, juste avant leur départ pour une nouvelle vie, ils eurent la chance de prendre quelques cours d’histoire européenne tout en apprenant des rudiments de français. Et un soir, dans la petite chambre lumineuse que les deux frères partageaient, en observant les hirondelles tournoyer dans le ciel d’azur qui ressemblait tant à celui qui surplombait leur ancienne vie, Adi dit à son aîné, le dardant de ses yeux de braise qui semblaient briller à nouveau de l’incandescence de l’enfance :

  • L’Europe, l’Asie, la Perse : trois civilisations. Le Luxembourg, la Lorraine, la Sarre : trois régions.

Salim prit son petit frère dans les bras et lui chuchota à l’oreille qu’il l’aimait et qu’il ne le quitterait jamais. Sous la nuit étoilée du printemps qui berçait le Limpertsberg de ses parfums entêtants, le jeune homme sourit.

***

La frêle embarcation tangue dangereusement. Alganesh tente de s’agripper à un cordage, mais c’est presque impossible d’une seule main. Dans son bras droit, elle serre sa petite Sofia, blottie dans le pagne multicolore, sa princesse, son étoile, dont les prunelles d’un noir de jais observent le dôme immense du ciel obscurci par la tempête. Ils sont si nombreux, sur ce rafiot de misère, parqués par les passeurs de mort dans ce qui n’a de bateau que le nom, ballottés par les vagues qui se font océanes, mourant de soif, hébétés par la faim et la peur, que la jeune femme n’espère même plus une issue heureuse à sa fuite.

Pourtant, elle le sait, c’était la seule solution. Ses deux frères et son père ont péri dans les geôles érythréennes, torturés au camp d’Eiraeiro, et elle a vu mourir le père de son enfant sur la place de leur village, ne devant son propre salut qu’au sacrifice de sa mère qui s’est mise en travers des exactions de la barbaresque du régime. « Ade », a hurlé la jeune femme en voyant les coups mortels abattre celle qu’elle chérissait…Alganesh a accouché seule, dans l’immensité du mont Soira, hurlant en silence sous les roches tutélaires, avant d’embarquer pour cette Europe salvatrice en compagnie de centaines de compagnons d’infortune, son enfant accrochée à son sein et sa vie entière piétinée par la dictature.

Elle sait encore le goût des galettes tendrement confectionnées par sa sœur aînée avant que celle-ci ne soit violée et assassinée par les milices. Elle se souvient des palabres des Anciens au pied du dragonnier, et des courses folles des antilopes, gracieuses et libres, comme elle l’était quand, petite fille, elle rêvait de rejoindre les combattantes du FPLE…Elle revoit le ciel rouge de son Afrique bien-aimée, de ce continent qui n’est que pillages et destructions, comme si l’Histoire avait enchaîné les hommes aux fers d’un éternel retour de l’horreur, alors que cette terre nourricière regorge de mille richesses et des chatoyances infinies de cultures ancestrales…

Rouge, justement, la coque de ce vaisseau de pirates. Le choc frontal fait vaciller l’embarcation déjà épuisée par le poids des migrants. Noire, l’eau trouble envahie de cris et de terreurs. Jaune, la lune, dont l’incroyable placidité contemple le naufrage de ce radeau de la méduse plein de bruit et de fureur. Alganesh coule à pic, son enfant chevillée à son pagne, mère et fille suffoquent de concert ; autour d’elles des visages grimaçants s’entrechoquent sous la cale putride, et bientôt Mare nostrum sera à nouveau un cimetière.

Mais soudain une main solide perce le bois détrempé de ce vaisseau-cercueil et attrape la jeune maman par ses tresses. Elle aspire une grande goulée d’air en remontant à la surface, bientôt la petite Sofia est enveloppée dans une étoffe noire, rouge et or. Car le navire des sauveteurs bat pavillon allemand, et c’est dans un drapeau que les marins, émus, ont emmailloté le nourrisson transi.

Alganesh va bientôt partir vivre à Bruxelles, chez une cousine retrouvée par les services sociaux. Elle rêve déjà des pralines, du Gouda aux herbes qu’elle adore et des couleurs bigarrées d’Ixelles, cette corne de l’Afrique brusseloise…Aujourd’hui, elle a laissé son bébé aux joues potelées à une amie irakienne, dont le rire communicatif résonne comme une brise printanière dans la grande salle décorée de fleurs et de lapins du foyer de Saarbrücken. Car ce soir, ce ne sont pas les fossettes de son enfant qu’elle admirera, son émerveillement toujours renouvelé d’avoir réussi à quitter l’enfer. Non, cette nuit du 11 avril 2015 est celle de sa rencontre avec la musique de l’orchestre symphonique, grâce au réseau d’entraide aux réfugiés « Ankommen », qui permet à tout un groupe d’Érythréens, d’Irakiens et de Syriens de plonger dans l’univers des cordes et des cuivres…

La cinquième symphonie de Tchaïkovski emporte Alganesh loin, très loin de la Sarre ; les violons lui chantent les voix douces des ancêtres, les hautbois lui jouent les couleurs ocres des vallées, la contrebasse lui réchauffe le cœur comme un ardent soleil d’Afrique…Certes, ce qui était n’est plus. Mais ce qui adviendra sera. Alganesh est vivante, et son enfant aussi. Elle se tient bien droite, radieuse, belle comme la Reine de Saba.

***

Hassan…Hassan ne jouera plus jamais de piano. Il le sait, puisque la bombe a détruit non seulement le salon qui abritait son instrument, mais aussi ses deux bras. Il hurlera de longues, interminables heures, coincé sous les décombres, allongé près des cadavres de ses parents et de sa grande sœur, les mains, ces mêmes mains qui, quelques heures auparavant, jouaient Chopin et Ed Sheeran, atrocement mutilées. La nuit syrienne sera zébrée d’éclairs. Au matin, quand les sauveteurs déblaieront les gravats et les morts, ils pleureront tous, en voyant le fils du professeur de musique, seul survivant, mais privé de l’usage de ses bras, orphelin du monde.

Hassan n’ira pas à l’enterrement de sa famille. Il sera sur un brancard de fortune, lacéré de souffrances, éventré de désespoir. Il entendra d’autres bombes siffler sur la ville, mais aussi les hurlements des blessés et les gémissements des mourants. Il respirera l’air vicié du dispensaire et imaginera les linceuls blancs de ses proches, déposés à la hâte dans cette terre sans cesse retournée, qui n’a plus assez d’espace pour accueillir les  trop nombreuses victimes.

Le jeune garçon ne reverra aucun membre de sa famille éloignée, car dès le lendemain il sera évacué par un convoi qui le conduira au-delà des cèdres et des pierres blanches de son village. Il sera ballotté de camion en bateau, de navire en train, de camp en asile, de foyer en hôpital, quand les plaies de ses moignons se seront ouvertes mille et une fois. Il criera des nuits entières en réclamant sa mère, lui, le garçonnet de cinq ans qui jouait certes Mozart, mais qui aimait plus que tout les caresses maternelles sur son beau front intelligent et les chatouilles de son père adoré.

Il oubliera jusqu’à son prénom au fil des traumatismes, il manquera couler à Lampedusa, rencontrant, une froide nuit de décembre, une belle jeune femme portant un bébé ceint d’un drapeau allemand, mais il se souviendra longtemps du baiser très très tendre que cette maman lui fera sur ses joues mouillées de larmes, lui psalmodiant une mélopée qui le calmera le temps d’une nuit. Il arrivera à Calais, et partagera un repas avec deux garçons qui semblaient être des frères. Le plus âgé le soulèvera jusque dans un fauteuil, au centre de la tente, et le plus jeune cherchera une cuillère qu’il portera patiemment à la bouche d’Hassan, le nourrissant gentiment en lui racontant des histoires drôles en anglais pour le faire sourire.

Un jour, Hassan sortira de l’hôpital avec des prothèses, car il aura pu profiter des soins d’une association qui, depuis des décennies, soigne les blessés de guerre. Il aura repris du poids, il aura appris de nombreuses phrases en français, il sera hébergé dans un centre de rétention messin, grâce à l’Ordre de Malte. Sa première rentrée se fera dans un cours préparatoire de primo arrivants, et il deviendra vite la coqueluche de l’école en jouant du piano avec ses prothèses. On le surnommera « Hassan aux mains d’argent » …

Les nuits seront difficiles, de longues années durant, même lorsqu’Hassan vivra en famille d’accueil. En rêve, il reviendra vers la lumière aveuglante d’Alep, et toujours respirera le parfum des oliviers et des cèdres du Liban. Souvent, il se réveillera en larmes, juste avant d’avoir pu jouer Chopin avec ses véritables mains, ou juste avant le baiser de sa maman.

Mais peu à peu il deviendra un grand garçon, un bel adolescent aux yeux de braise, un étudiant brillant, un pianiste de renom, un homme politique engagé, un père de famille épanoui, un citoyen français fier de ses origines, un européen convaincu, et un habitant heureux du Sarr-Lor-Lux. Il épousera une jeune fille nommée Sofia, d’origine érythréenne. Et se liera d’une amitié indéfectible avec deux frères venus du Kurdistan irakien, retrouvés lors d’un concours de piano à Bruxelles, qui, eux, se souviendront de leur première rencontre, alors qu’Hassan aura occulté ce souvenir. Bien après le repas partagé à la friterie de l’avenue Louise, ils seront ses témoins de mariage.

***

Ce jour-là, dans l’éblouissante lumière estivale, comme si le ciel de Bruges fredonnait d’allégresse, on a entendu des chants africains chantés par la chorale de la mère de la mariée. Puis sont récitées des prières yézidies venues du fond des temps et du cœur intime des hommes. Enfin, avant de se lever pour rejoindre la mariée sous les youyous des invités, Hassan jouera, au piano, l’Hymne à la joie.

http://www.pfaelzischer-merkur.de/kultur/Saarbruecken-Cellokonzerte-Eritrea-Geige-Orchester;art448935,5708761

http://www.varmatin.com/faits-de-societe/mercy-37-kg-est-nee-ce-mardi-matin-a-bord-de-laquarius-123339

Esther Ada

 Un seul nom

 demeure sur les tombes

 de Lampedusa. Elle avait dix-huit ans

 et la grâce des gazelles.

 Tant de mains suppliciées

 disparues au charnier azuréen

 des poissons avides. Mare nostrum,

 un cimetière.

Je te nomme, seule, Esther Ada,

 rescapée des fosses communes du silence,

 je t’adoube immortelle.

Une survivante du Titanic portait ce même nom.

#400notjustanumber! Le silence de l’amer…

Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages #vœux 2017

 Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages

 

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Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages, et ces grues qui s’envolent vers leurs pays lointains, et aussi des enfants aux yeux gourmands et sages, dévorant des bonbons comme au premier matin.

Je vous souhaite la joie, qui crépite et qui chante, surprenante parfois et allégresse enfin, la joie des collégiennes qui pouffent et qui pépient, oiselles folles dansant à l’orée de leurs vies.

Je vous souhaite du pain fleurant bon la campagne, le pain d’avant les villes, tout gonflé de levain, avec mies ondulantes, le pain aux belles tranches toutes ornées de saindoux.

Je vous souhaite du temps, celui qu’on apprivoise, le temps de ces horloges au balancier serein, le temps qui goutte à goutte nous ramène au silence, à tous ces autrefois qui nous voulaient du bien, le temps des diligences, des voyages en bateau, du transsibérien et des péniches lentes.

Je vous souhaite printemps débordant de jonquilles, avec des prés si verts qu’on en oublie la nuit, et puis mille clairières où palpite une biche, ses grands yeux vous offrant la confiance et la paix.

Je vous souhaite la mer, une plage au matin qui se donne au soleil, quand vaguelettes tendres sont caresses à nos âmes, et puis ce sable blanc, tout ourlé de destin.

Je vous souhaite des livres, des romans incroyables, et tant de nuits passées à en suivre la vie, et puis de vrais poètes, qui vous offrent en un mot l’univers paradis.

Je vous souhaite la foule qui ondule aux gradins, et puis les ballons ronds comme autant de sourires, mais aussi l’Ovalie, que chacun soit heureux.

Je vous souhaite ce ventre nubile et jaillissant qui soudain portera de doux rires à venir, et aussi les mains douces de cette aïeule folle, acceptons de l’aimer quand elle ne se sait plus.

Je vous souhaite l’été tout brûlant de cigales, le ressac qui murmure et les cheveux au vent, la montagne à gravir, le marché qui bourdonne, et mille mirabelles au panier rebondi.

Je vous souhaite la paix qui fait de nos déserts cette rose éclatante quand l’arme est déposée, la paix des lendemains, la paix dans les familles, la paix qui fraternise au Noël des tranchées.

Je vous souhaite un automne aux couleurs de vendanges, quand cette guêpe tangue d’avoir tant butiné, quand les grappes sont lourdes comme ventre de femme portant cette promesse comme on chante un secret.

Je vous souhaite l’amour, celui qui nous élève en calcinant joyeux tous nos doutes apaisés, celui des océans devenus des cours d’eau, quand le delta est source et la pluie fécondée, l’amour qui envahit, tourneboule et chavire, l’amour immaculé des amants de toujours.

Je vous souhaite des noces, des tablées de cousins, des épousailles folles, farandoles et festins, quand sous le grand tilleul on a dressé couverts, et que l’accordéon fait l’amour aux étoiles.

Je vous souhaite maisons aux draps de lin émus, surprenantes cuisines aux cuivres odorants, et des tapis moelleux qui rêvent d’Orient, quand un piano distrait rencontre un Darjeeling et que de la fenêtre on guette un beau retour.

Je vous souhaite un grand parc bondissant d’écureuils, des lilas audacieux, la chênaie toute fière, et cette roseraie qui ploie sous vermillons, la fontaine dressée vers ce patio dolent où comme en crinoline vous attendrez vos rêves.

Je vous souhaite un hiver tout ourlé de guirlandes, des cannelles enivrant le gingembre et le gui, des joues rosies d’enfants, un sapin odorant, et vos pas sur la neige qui crissent et qui s’enfoncent dans la ouate fragile de nos Noëls d’antan.

Je vous souhaite un travail, une tâche accomplie, ce qui relie les hommes et partage la terre, peut-être création, thaumaturge ou d’ilote, mais un travail surtout, pour demeurer debout.

Je vous souhaite courage si la nuit est partout, si un mal vous dévore, si la faim vous poursuit, si l’amour s’est enfui sous les traits d’une blonde, si on vous a trahi.

Je vous souhaite espérance des grands soirs aux drapeaux, quand on croyait en l’Homme en reniant les Dieux, car pour changer le monde il faut d’abord rêver.

Je vous souhaite des villes aux bruissements exquis, des klaxons en délire, des musées en folies, la culture partout, la musique hors les murs, le piano sur la place et les artistes en vol.

Je vous souhaite l’école en forêt buissonnière, l’instituteur qui rit et rassure et rayonne, les passions dévorantes pour l’atome ou le vers, l’école qui accompagne et le riche et le pauvre dans la fraternité.

Je vous souhaite des plages sous tous vos pavés, et l’imagination défiant les pouvoirs, des chars rouillant au loin, le lilas et les roses unis vers le destin.

Je vous souhaite mémoire de tant de vies des hommes, pour ne pas oublier les charniers et les camps, pour les enfants perdus à chérir dans les guerres, celles du temps présent, celles qu’on n’entend plus, celles qui surviendront malgré tous nos efforts.

Je vous souhaite la force, pour transcender l’horreur, les éclats des obus fracassant la Syrie, les migrants qui se noient dans cette mer atroce, les peurs du Bataclan et tous nos chers Charlie. Pour oublier Bruxelles et les cris des enfants, Nice vêtue de noir, Berlin ensanglantée et tous ces êtres éteints qui étaient de lumière, qui de notre planète ont fait un cimetière, pour oublier que l’Homme décapite et éventre, pour oublier les femmes qui partout sont souillées.

Pour oublier les maux, les souffrances et les nuits, ceux qui sont si malades, ceux qui errent sans vie dans nos villes sans cœur, pour oublier réel qui souvent n’est que fiel.

Je vous souhaite confiance en un monde nouveau, que l’Humain se relève, que tous les gens qui rêvent dessinent leurs destins, je vous souhaite de changer la vie, de transformer nos mondes, et que 2017 s’envole comme mille hirondelles vers un soleil nouveau.

 

http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-djihad-d-amour-l-emouvant-message-du-mari-d-une-victime-des-attentats-de-bruxelles?id=9489481&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=twitter_share

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Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore

Le luth s’est brisé…#Jesuis Lahore

Lundi 28 mars, un enfant victime de l'attentat-suicide commis la veille, hospitalisé à Lahore

Mariam sourit à Mishael et Karen. Ses jumeaux, ses pépites, ses diamants, qu’elle a mis du temps à avoir, qu’elle désespérait de connaître un jour…Il fait un temps merveilleux à Lahore, un véritable temps de Pâques, la lumière semble vibrer de cette joie de la Résurrection, et à l’église, le matin, Mariam a senti toute l’espérance pascale lui redonner confiance, malgré les obscurités du monde…

Mishael est en train de pousser Karen sur les balançoires, au beau milieu du grand parc d’attraction de Gulshan-i-Iqbal. Elle les observe de loin, regarde la jupe à volants de la fillette et la casquette du petit garçon, autour d’eux des dizaines d’enfants s’ébattent, tous unis dans la joie de ce dimanche, heureux de cette pause festive. Les mamans sont assises, comme Mariam, sur les bancs, il y a aussi beaucoup de grands-mères qui dodelinent un peu de la tête ou qui sourient de leur bouche édentée. Aujourd’hui, il y a surtout des familles chrétiennes qui sont venues se détendre au milieu des pelouses et des manèges, en majorité des mamans, des grandes sœurs, des aïeules, toutes accompagnées de nombreux enfants, puisque les hommes sont plutôt rassemblés dans les cafés de Lahore…

Mariam fait un signe à la famille de Noor, sa meilleure amie depuis les bancs de l’université. Noor est médecin, et aussi maman de quatre enfants, qui courent à la rencontre des jumeaux en les appelant gaiement. Il y a l’aîné, Sunny, un beau garçon de 11 ans, dont les joues ont encore la rondeur de l’enfance, puis le petit Addy, qui vacille sur ses jambes potelées, suivis par leurs sœurs dont les tresses volent au-dessus de leurs belles robes à dentelles, Sana et Anam. Noor lui renvoie son signe, et malgré le brouhaha des rires d’enfants, malgré les bruits de la fête foraine qui bat son plein Mariam l’entend appeler son prénom avec allégresse, et elle se réjouit de serrer dans ses bras celle qui lui est aussi proche qu’une sœur. Ensemble, elles ont lutté pour avoir le droit d’aller étudier, comme leurs frères, en Angleterre, dont elles sont revenues diplômées, émancipées, fières de faire partie d’un pays en mouvement, dont elles espèrent qu’un jour il deviendra une démocratie.

Les deux amies avaient décidé de se rencontrer au parc pour deviser un peu en surveillant les enfants, avant de célébrer ensemble le repas du soir, en compagnie de leurs époux, eux aussi amis, et heureux de se retrouver pour les fêtes de Pâques. La maison de Mariam et Yasir embaume déjà du curry d’agneau et des parfums du gâteau à la carotte, les époux attendent le retour de leurs familles en fumant et en devisant de l’actualité internationale si agitée…Yasir vient d’échapper de peu à l’attentat de Bruxelles, il est rentré la veille de la capitale belge et a raconté à Mariam, épouvantée, les scènes de carnage auxquelles il avait assisté à Zaventem…

Mariam se lève pour serrer son amie dans ses bras, et au moment où elle pose son sac sur le banc, baissant les yeux une seconde, elle est poussée en arrière par un souffle d’une puissance inouïe, tout en perdant instantanément le sens de l’ouïe, après une explosion retentissante. Elle n’a pas vu.

Elle n’a pas vu la tête de son fils voler par-dessus la balançoire, arrachée en une fraction de seconde du petit corps à présent sans vie, dont il ne reste, d’ailleurs, rien, si ce n’est des lambeaux de chair éparpillés sur des centaines de mètres.

Elle n’a pas vu le corps démembré de sa fille ni le sweat rouge qu’elle portait voler vers les buissons, ni le rictus d’épouvante qui s’est dessiné sur le visage des quatre enfants de son amie, qui, un peu plus loin que les balançoires qu’ils n’avaient pas encore atteintes, ont eu le temps de voir la mort les faucher, implacablement. L’aîné de la fratrie n’a plus de visage, et a perdu l’une de ses jambes. Il tient la main et le bras du petit frère, lequel a été projeté bien plus loin, le corps criblé de billes de métal. Il ne respire déjà plus, plusieurs artères importantes ont été sectionnées. L’aînée des deux sœurs ouvre deux yeux énucléés sur le carnage en hurlant à pleins poumons, sa robe blanche est pleine de sang, ses entrailles sortent de son petit ventre d’enfant, tandis que la cadette, dont les deux jambes ont été arrachées, git, inerte, au milieu de centaines de corps dévastés.

Le bruit est indescriptible, tout comme l’odeur insoutenable des chairs qui se consument. Les enfants survivants hurlent en appelant leurs mères, les mères survivantes, mais blessées, hurlent les prénoms de leurs enfants, les bruits automatiques des manèges dont certains tournent encore continuent à percer le vacarme, tandis qu’au loin on perçoit déjà les klaxons des sirènes.

Mariam est miraculeusement indemne, elle a été protégée par l’arrière du grand toboggan, elle se relève, sonnée, sourde, éblouie, épouvantée, elle n’est plus qu’un cri, elle n’est plus qu’un hurlement, elle se met à courir, à courir dans cette mare de sang, de chairs mutilées, de cervelle, de mains coupées par une charia de l’infâme, elle trébuche sur des cadavres, elle vomit en courant et en hurlant, elle suffoque, et déjà elle voit, elle voit qu’il n’y aura plus jamais rien à voir, ni de petites mains brunes s’accrochant à la sienne pour traverser la grande avenue, ni d’uniforme d’écolier impeccablement repassé, ni de sourire édenté qui lui murmure un « je t’aime, maman chérie », ni même de voyage vers Paris qu’elle aime tant, ni de lecture de ces poètes qu’elle adore, dont Muhammad Iqbal malgré son attirance pour le Califat, ce poète dont le parc porte le nom, non, il n’y aura plus jamais rien, plus jamais de vie, car elle voit que la chair de sa chair a été désincarnée, mutilée, éventrée, elle s’aperçoit en une fraction de seconde que la bombe a explosé à l’endroit même où jouaient ses bébés, elle a le temps de voir les restes du corps sans tête éparpillés dans le sang et de se rendre compte que les lambeaux de vêtements accrochés aux buissons sont ceux du sweat rouge de sa fille.

Elle a le temps de maudire Dieu, Jésus, la Vierge et tous les Saints avant d’apercevoir le visage atrocement mutilé de son amie Noor, qu’elle reconnaît simplement grâce au rubis qu’elle porte au cou, Noor qui a perdu un œil et dont le nez n’est plus qu’une bouillie, Noor qui hurle en appelant ses enfants mais qui déjà a retrouvé ses réflexes de médecin et qui tente de rassembler les organes de sa propre fille d’une main tout en faisant un point de compression sur l’aine de sa cadette, Noor qui sait déjà que deux de ses enfants sont morts mais qui trouve la force de se battre pour sauver les deux âmes qui lui restent.

Noor et Mariam sont, elles, déjà deux âmes mortes.

Noor et Mariam n’existent pas. Ou plutôt elles existent, mais avec d’autres identités. Elles ont vécu l’enfer en compagnie d’autres mamans, musulmanes, elles, tout aussi visées par les exactions aveugles de ces barbares modernes…Le Monde titrait ce matin sur l’attentat de Lahore et l’article disait que l’on ne parle pas assez des réalités de ce terrorisme…

« On parle trop peu de ces blessures qui mutilent, traumatisent, défigurent – bref, ruinent autant de vies. On passe trop vite sur la violence chez « les autres ». On contextualise trop le terrorisme. On ne raconte pas assez les attentats pour ce qu’ils sont : l’odeur du sang ; les morceaux de chair explosés dans un lieu de la banalité quotidienne ; les corps démembrés, désarticulés par le souffle ; ces moments d’innocence interrompue par une volée de billes d’acier. Voilà ce qu’ont trouvé les secouristes, ce 27 mars, dans un jardin public de Lahore, du côté des balançoires

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/03/28/au-pakistan-un-attentat-suicide-du-cote-des-balancoires_4891121_3232.html#wSWAUT3ftAS6hB8T.99 »

Lahore le dimanche de Pâques, mais tant d’autres attentats, au Pakistan, en Afghanistan, en Irak, qui tous visent particulièrement des enfants, des jeunes, des adolescents, des étudiants…Tuer l’innocence, frapper au cœur-même de la vie, éventrer ces mères comme le font parfois des soldatesques, mutiler, marquer au fer rouge des vies qui ne seront que souffrance si elles résistent aux explosions…

Il n’y aura pas de présidents rassemblés à Paris après l’attentat de Lahore. Il n’y aura pas de centaines de médias internationaux, ni de bougies allumées dans le monde entier, ni de groupe de musique qui viendra se recueillir. Il n’y aura pas de poèmes, pas de textes, pas de veillées, peut-être un mot du Saint-Père, qui condamnera l’abjection, mais bien peu de vagues d’indignation, car c’est loin de nous, nous si prompts à être dans l’empathie lorsque l’horreur frappe au Bataclan, au Bardo, à Zaventem, nous si prompts à détourner la tête avec indifférence lorsque les kilomètres ou les différences culturelles nous font nous désolidariser presque immédiatement de l’horreur qui est pourtant identique. Nos journaux titrent sur la mort d’Alain Decaux, sur les grandes plaines de Jim Harrison, sur les hooligans de Bruxelles…Après avoir entendu la nouvelle sur France-Info, je gage que nombre d’entre nous seront retournés à leur chasse aux œufs ou à leur quotidien pascal…

C’est pourquoi j’ai voulu nommer l’innommable et décrire l’indescriptible.

#JesuisLahore.

«La musique qui réchauffait le cœur de l’assemblée

S’est tue et le luth s’est brisé… »

Muhammad Iqbal