Estivales…Antisémitisme, musique, poésie, action…

Un été passé sur les traces de la poétesse allemande Rose Ausländer m’a quelque peu éloignée de mes briques roses…

Voici le projet de départ : En parallèle de l’écriture d’un roman autour de Rose Ausländer, j’avais imaginé la création d’un événement participatif en rédigeant une sorte de « journal de voyage », de Düsseldorf à Czernowitz (où je me rendrai dans un an), en passant par des lieux de mémoire juifs -Berlin, Vienne, où Rose a vécu, Prague, pour respirer l’air de la « Mitteleuropa », et en partageant sur « les réseaux sociaux » (Facebook, Twitter, Instagram) le récit et des photos et vidéos de ma quête, afin de sensibiliser aussi les jeunes publics à cette démarche, un peu à la manière de « Eva-stories » sur Instagram..

Tous les quinze jours, un cimetière juif est profané outre-Rhin… Ma démarche s’inscrit dans une actualté brûlante, car rien n’est acquis… Et les dérives des populismes, dans le monde entier, de Bolsonaro au Brésil à Salvini en Italie, m’amènenet à penser que j’ai raison de vouloir écrire au sujet de Rose…

https://www.tagesspiegel.de/politik/antisemitismus-in-deutschland-jede-zweite-woche-wird-ein-juedischer-friedhof-geschaendet/24865114.html

Le ministre des affaires étrangères Heiko Maas lui-même a récemment appelé à une extrême vigilance… Le rabbin Yehuda Teichtal, prsident du centre d’éducation juive Chabad de Berlin, a été en effet violemment agressé…

https://www.i24news.tv/fr/actu/international/europe/1564643189-allemagne-le-rabbin-yehuda-teichtal-agresse-a-berlin

Car quand un rabbin reçoit des insultes et des crachats, c’est toute la communauté juive allemande qui est visée, et toute l’Allemagne qui ressent honte et dégoût… Heiko Maas affirme que le pire serait l’indifférence face à ces actes ignobles, car c’est bien l’indifférence qui a amené à la Shoah…

https://www.juedische-allgemeine.de/politik/judenfeindlichkeit-ist-gift-fuer-unsere-gesellschaft/

Le réusmé anglais de mon projet:

Rose Ausländer

Rose Ausländer is a Jewish poet from Chernivtsi. Despite her encounter with the horrors of the Shoah, she believed that the power of the word would relay a message of hope to humanity, perfect example of resilience; as a survivor from the Holocaust she has translated her hope through her poetic words. In our time of terrorism and antisemitism, it’s important to share ways of resilience, and poetry can be an amazing way to trust in life again. I would like to write a novel about her, not a biography, but a kind of polysemic work, mixing translations of her texts and romanced story of her life, and parallel to this writing I will share this process on digital ways, reading some of her texts on videos, sharing pics and a diary of my European travel on social medias. I will meet Rose’s editor, a performer, a musician and members from the Jewish community in Berlin, Vienna and Prague…

Ce blog est à retrouver ici :

https://avecmavalisedesoieroseauslander.home.blog/

Voilà les liens vers les trois derniers articles :

** Dans « Un rossignol à Düsseldorf », j’ai relaté ma formidable rencontre avec le musicien Jan Rohlfing et son épouse, qui ont monté un projet de lecture musicale des textes de Rose.

Extraits :

Jetzt ist sie eine Nachtigall

Nacht um Nacht höre ich sie

im Garten meines schlaflosen Traumes…

**

Maintenant elle est un rossignol

Nuit après nuit je l’entends

dans le jardin de mon rêve dans sommeil…

Meine Nachtigall, mon rossignol

https://www.lyrikline.org/de/gedichte/meine-nachtigall-547

***

https://griot-verlag.de/rose-auslaender-wirf-deine-angst-in-die-luft.html

C’est autour d’un gâteau aux framboises et au müsli que Eva-Susanne Ruoff et Jan Rohlfing m’ont reçue le lendemain de mon arrivée à Düsseldorf, dans leur merveilleuse maison non loin de Ratingen, dont l’immense séjour accueille aussi des concerts privés.

(…)

La création de ce “Hörbuch” va d’ailleurs bien au-delà de la simple mise en musique des textes de Rose Ausländer, et c’est aussi ce qui transparaît à la fois lors des multiples concerts donné par l’orchestre de chambre portant le projet – composé de neuf musiciens – et dans le succès du CD; car on retrouve dans ce travail non seulement la modeste magnificence des textes de la poétesse, considérée en Allemagne comme l’une des voix majeures de la poésie du vingtième siècle, mais aussi tous ces thèmes d’une brûlante actualité que sont l’idée de la patrie, de l’identité et de la langue maternelle perdues, de l’exil, des réfugiés…

(…)

Chaque plage s’ouvre sur une lecture de texte, et le silence des pauses, si important pour que l’auditeur s’imprègne de l’anastomose entre lyrisme et musique, s’ouvre ensuite sur les compositions qui varient entre la profusion instrumentale de certains titres et le minimalisme d’autres plages plus épurées. Et l’on se sent transporté aux confins de la Mitteleuropa au rythme des accents yiddish rappelant des violons de Chagall, puis, dans le staccato new yorkais des cuivres et de la batterie, on plonge, au son des notes jazzy rappelant l’exil, dans l’humeur chaloupée de l’outre-atlantique avant de se recueillir dans l’atmosphère feutrée et mono instrumentale des textes tardifs de la poétesse, passant ainsi, au gré des arrangements de Jan Rohlfing, par les mille émotions procurées par cette vie d’artiste.

(…)

Si vous aimez la musique et la poésie, je vous invite à lire l’intégralité du texte en cliquant sur le lien plus haut et à découvrir cette aventure passionnante !

** Dans « Une journée particulière », j’ai raconté l’incroyable journée passée en compagnie de l’éditeur et ami de Rose, Helmut Braun, aujourd’hui en charge du fonds Ausländer et responsable de la Rose Ausländer Gesellschaft.

http://www.roseauslaender-gesellschaft.de/

Helmut m’a accueillie à Düsseldorf et a pris le temps de me montrer tous les lieux de mémoire autour de la vie de Rose, depuis la pension de famille où elle arriva en 1965 au cimetière où elle repose, en passant par la maison de retraite juive dans laquelle elle passa de longues années, grabataire mais toujours incroyablement active en écriture. J’ai pu aussi visiter une superbe exposition consacrée aux poèmes anglais de Rose et, le soir, assister à un concert autour de ces mêmes textes.

Extraits :

Le 12 juillet, en attendant Helmut Braun, j’ai pu tranquillement me plonger dans la superbe exposition consacrée par Helmut Braun aux regards croisés sur Rose Ausländer et sur la poétesse américaine Marianne Moore, entre lettres, images d’archives et textes traduits. Marianne Moore a joué un rôle essentiel lors du changement de style opéré par Rose Ausländer, de nombreux écrits en témoignent et évoquent les textes anglais de notre poétesse, préludes à son retour vers l’écriture en langue allemande après la césure du silence, conséquence de la Shoah. Le livre « Liebstes Fräulein Moore /Beautiful Rose », bien plus que le catalogue de cette exposition, riche et dense, dirigé par Helmut Braun, est disponible aux bien nommées éditions Rimbaud :

https://www.rimbaud.de/neuer.html#liebstesfraeuleinmoore

J’ai pu aussi découvrir les locaux de cette intéressante fondation consacrée au rayonnement et à la mémoire de la culture des anciens territoires de l’Est de l’Allemagne, ainsi que des territoires occupés par des Allemands dans l’Europe du Sud, et à toutes les personnes déplacées lors des grandes migrations autour des deux guerres mondiales.

(…)

Des mots bien différents de ses poèmes de jeunesse, orphelins des rimes et de l’enfance, ayant traversé l’Holocauste et les années d’exil et sans doute aussi influencés par « la » rencontre avec Paul Celan… En témoigne ce poème dont le titre est aussi celui du recueil rassemblant les œuvres de 1957 à 1963 :

Die Musik ist zerbrochen

In kalten Nächten wohnen wir

mit Maulwürfen und Igeln

im Bauch der Erde

In heißen Nächten

graben wir uns tiefer

in den Blutstrom des Wassers

Hier sind wir eingeklemmt zwischen Wurzeln

dort zwischen den Zähnen der Haifische

Im Himmel ist es nicht besser

Unstimmigkeiten verstimmen

die Orgel der Luft

die Musik ist zerbrochen

La musique est brisée

Dans de froides nuits nous vivons

avec des taupes et des hérissons

dans le ventre de la terre

Dans de froides nuits

nous nous enterrons plus profondément

dans le flux sanglant de l’eau

Ici nous sommes coincés entre des racines

là entre les dents des requins

Au ciel ce n’est pas mieux

des dissonances désaccordent

les orgues de l’air

la musique est brisée

Nous remontons en voiture. Je suis très émue de concrétiser le lien qui me lie à Rose depuis tant d’années en posant mon regard sur ce qui a été sa vie…

(…)

De 1972 à sa mort, en 1988, Rose demeurera donc en ce lieu assez spécifique, puisque d’une part magnifiquement situé, et d’autre part empreint d’une réelle philosophie de vie, comme en témoigne ce bel article que je vous invite à lire.

https://journals.openedition.org/tsafon/409?lang=fr#text

Certes, suite à des transformations, la chambre dans laquelle Rose séjourna, grabataire mais toujours active en écriture, n’existe plus, mais un petit salon porte encore son nom, et j’ai eu plaisir à marcher sous les frondaisons des arbres du Nordpark qu’elle affectionnait tant…

Le foyer Nelly Sachs, maison de retraite juive de Düsseldorf

(…)

J’aime infiniment les cimetières allemands, et celui-là ne déroge pas à la règle : paisible, ombragé par d’immenses arbres, on peut y flâner comme dans une forêt… Rose est morte le 3 janvier, le jour de mon anniversaire, en 1988… Elle repose parmi d’autres tombes juives, et je vais déposer un petit caillou sur la pierre tombale, la matzevah, selon la tradition hébraïque. Le caillou provient du Waldfriedhof de Duisbourg, dans lequel est enterré mon grand-père allemand… En accomplissant ce geste hautement symbolique au regard de mon histoire personnelle et de mon lien avec le judaïsme, j’ai l’impression qu’une boucle est bouclée…

La tombe de Rose, au Nordfriedhof

(…)

Pour découvrir plus précisément la vie de Rose, je vous renvoie donc vers cet article détaillé et illustré…(cliquer sur le lien plus haut!)

** Enfin, dans « Nausicaa, Rose Ausländer et Ai Weiwei: „Wo ist die Revolution“? (« Où est la révolution ? ») », j’ai thématisé ma rencontre avec l’artiste Ai Weiwei, au gré d’une monumentale exposition consacrée en partie à l’exil et aux Migrants, vue au K20 et au K21… J’ai été bouleversée par les passerelles entre le travail de ce dissident chinois et les écrits de Rose…

Extraits :

Nausikaa

Schilf und Zikadensilber

Schnuppen die Blaubucht entlang

Der Wandrer erwacht

Zersplitterte Sterne im Blick

Nausikaas Antlitz aus Tau

taucht auf

und spiegelt sich doppelt

in seinen Pupillen

Ihr Haar löst sich

von den Strähnen der Meteore

strömt nieder und schwemmt

die Jahrzehnte weg

Ihre Hand voll Muscheln und Meerschaum

lässt alles fallen

Sie sammelt das Meer

Gestirn und Gestade

und setzt sie zusammen

Sie sammelt den Fremden

Zelle um Zelle

und setzt ihn zusammen

Sie färbt die Erde

mit Nausikaa-Atem

hängt das Amulett

um Odysseus‘ Hals

und führt ihn zum Vater

im neugeschliffenen Weltall

Nausicaa

Le roseau et l’argent des cigales

Respirations le long de la baie bleue

Le randonneur s’éveille

des étoiles éparpillées dans le regard

Le visage tout en rosée de Nausicaa

émerge

et se reflète doublement

dans les pupilles du promeneur

Sa chevelure se détache

des écheveaux des météores

vogue vers les grands fonds et nage

le long des décennies

Sa main pleine de coquillages et d’écume de mer

laisse tout choir

Elle recueille la mer

les constellations et les rives

et les rassemble

Elle recueille l’étranger

cellule après cellule

et en fait un tout

Elle colorie la terre

avec le souffle de Nausicaa

accroche l’amulette

au cou d’Ulysse

et le conduit vers le père

dans l’univers remodelé

Rose Ausländer, de „Blinder Sommer“ (traduction Sabine Aussenac)

Ces quelques jours passés à Düsseldorf en compagnie de Rose sont aussi l’occasion d’accompagner mon fils dans la découverte de la région de son futur Master (il a obtenu une bourse Erasmus) et de voir quelques musées…

(…)

Ces saynettes rappellent l’arrestation, le 3 avril 2011, de l’artiste, et miment donc le regard d’un surveillant de prison sur les moments du terrible quotidien d’un prisonnier politique. Comment, pour moi, ne pas penser à la jeune Rose, rentrée des États-Unis où elle aurait pu librement demeurer, perdant d’ailleurs la nationalité américaine du fait de son séjour à nouveau hors des USA,  pour revenir en Bucovine, aux côtés de sa mère, et croupissant ensuite durant de longues années dans le ghetto de Czernowitz, en partie cachée dans une cave…

Photo de l’exposition S.A.C.R.E.D

(…)

En parcourant les différentes salles, une émotion submerge le visiteur, avec cette évidence de l’Universel qui si souvent vient percuter l’individu, le briser, lui, fétu de paille malmené par les dictatures ou les colères de la terre, et c’est bien la voie et la voix de l’art que de dénoncer malversations, injustices et brisures…

Certes, le poing levé d’Ai Weiwei et ses doigts d’honneur devant différents monuments du monde peuvent sembler bien loin des murmures poétiques de Rose Ausländer, qui jamais ne « s’engagea » réellement politiquement, tout en thématisant tant de fois la césure de la Shoah… Mais jamais le lecteur ne se trouve non plus dans la mouvance parnassienne de l’art pour l’art, tant les passerelles vers le monde et les hommes, leurs souffrances et leurs malheurs, sont nombreuses…

Performance frondeuse de l’artiste…

(…)

Je fais lentement le tour de ce navire, lisant attentivement des citations inscrites sous la poupe et la proue, dont les mots évoquent les dangers et les aléas de ces exils, pensant bien sûr aux naufragés de mon cher Exodus… C’est bien le livre de Leon Uris, relatant l’épopée tragique de ses passagers, que mon grand-père allemand, qui avait fait le Front de l’Est, m’avait offert l’année de mes treize ans, avant que je ne plonge à mon tour dans l’histoire tourmentée de mes ancêtres… Cet Exodus dont j’ai bien des fois admiré la plaque commémorative à Sète… Et je songe aussi aux transatlantiques empruntés par notre Rose lors de ses allers-retours entre l’Europe et son exil…

Un enfant du camp d’Idomeni, en Grèce…

(…)

Il faut lire le texte entier pour se plonger dans l’univers démesuré d’Ai Weiwei et découvrir les incroyables similitudes entre les destinées des exilés…(Il suffit de cliquer sur le lien en haut du pragraphe…)

Lien vers kes photos de l’exposition

Je mettrai d’autres textes en ligne au fil de mon travail de recherches, tout en continuant à écrire, bien sûr, sur d’autres sujets…

Une merveilleuse fin d’été à toutes les lectrices et à tous les lecteurs qui passeront sur ce blog…

Dame Garonne…

Cézanne, ouvre-toi !

Cet éclat de lune qui me baigne de joie. Ne jamais l’échanger contre un néon sordide.

Se souvenir de l’âpreté des vents, des houppelandes grises où grelottaient nos rêves. Blottis en laine feutrée, ils attendent leurs printemps.

Bien sûr il faudra se soumettre. Et puis s’alimenter, raison garder, louvoyer en eaux troubles. Mais nous ne baisserons pas la garde de nos avenirs.

Aquarelliste, dentellière, allumeuse de réverbères, souffleur de verre : il n’y a pas de sot métier !

Ne jamais renoncer au Beau. Décréter la laideur hors-la-loi : nous deviendrons chasseurs de rimes.

Cercles chamaniques des promesses tenues. Ne pas abjurer notre foi aux mots ; prendre la clé des chants.

Rester l’étudiant russe et la danseuse, ne pas devenir la ménagère et le banquier. Oser ne jamais pénétrer dans un lotissement.

Les soirs bleus d’été respirer les foins lointains et aimer l’hirondelle. Se faire Compostelle : nous sommes notre but à défaut de chemin.

Rêver nos vies toujours ; et veiller aux chandelles : seul celui qui connaît la nuit deviendra rossignol.

L’indécence n’est pas d’être riche ; il n’est pas interdit de préférer le luxe à la misère. Ne pas oublier de partager les soleils.

Aimer la pluie avant qu’elle ne tombe, et la chaleur de l’arc-en-ciel ; s’enhardir en bord de nuit, jusqu’aux mystères d’Eleusis.

Trouver belle celle qui a enfanté et qui est devenue terre et mère ; aimer celui qui a parcouru ses mondes : le printemps est de soie mais l’automne est velours.

Bannir les sordides et ensemencer nos âmes de sublimes ; vivre comme si la mer était à nos portes, en terre océane. Cézanne, ouvre-toi !

(Sabine Aussenac)

Du « Wald » séculaire aux jardins partagés : une Allemagne enracinée dans son rapport poétique, mystique et mythique à ses paysages

L’image contient peut-être : ciel, plein air et nature

Photo prise à la Alte Nationalgalerie, Berlin: Karl Friedrich Schinkel, Landschaft mit Pilger 

L’Allemagne, entre nature et culture, depuis le « Wald » millénaire aux réaménagements des friches postindustrielles, s’est construite depuis « Germania » en osmose entre les forêts et les hommes… Car comme l’écrit Simon Schama dans « Le paysage et la mémoire » :

«Le jardin que j’ai traversé (…) c’est celui de l’imaginaire du paysage en Occident, petit espace fécond, où notre civilisation s’est figuré ses bois, ses eaux et ses rochers, et où les mythes les plus fous se sont enracinés dans notre topographie. »

Comment l’homme s’est-il donc approprié ce territoire apprivoisé et aménagé peu à peu au fil des siècles ? Quelle vision en a l’artiste ? Quelles passerelles peut-on établir entre les représentations picturales de cette nature allemande et les miroirs qu’en donne la littérature, sans oublier l’approche sociologique, en y intégrant des réflexions historiques, géographiques et économiques…?

C’est le paysage longtemps…

Ce vers du poème éponyme de Rainer Maria Rilke nous invite d’emblée à nous interroger sur le rôle de la nature :

C’est le paysage longtemps, c’est une cloche,

c’est du soir la délivrance si pure -;

mais tout cela en nous prépare l’approche

d’une nouvelle, d’une tendre figure …

Ce paysage en tension entre un au-delà symbolisé plus loin par l’ « ange » et l’ici-bas où résonne longtemps une cloche rappelle les coalescences brisées que l’homme toujours cherchera à retrouver. Car la nature, dans la philosophie allemande, a toujours joué le rôle de passeuse entre les mondes : Fichte déjà développa, comme dans son essai « Destination sur l’homme », sa vision des transformations et de l’impermanence des éléments :

« Cependant la nature a poursuivi le cours de ses transformations successives. Pendant que je parle encore du spectacle qu’elle m’a offert au moment où j’ai voulu le contempler, ce spectacle n’existe déjà plus. Autour de moi tout s’est métamorphosé.(…)», avant que Lessing ne fonde une philosophie de la nature plus personnelle, développant sa conception d’une identité absolue de l’esprit et de la nature, puisque  « ce qui est une imitation de la nature ne peut pas être un défaut »

À quoi ressemblent ces paysages outre-rhénans que si peu de nos compatriotes, hélas, connaissent ? L’Allemagne offre une infinie palette de mers en allées avec le soleil, de plaines et de montagnes, certes peut-être plus anthropomorphisées que dans notre hexagone, mais où l’on peut encore aisément trouver des vestiges de l’état premier de ces terres germaniques.

L’image contient peut-être : ciel, arbre, plein air et nature
Les falaises de craie de l’île de Rügen

J’ai identifié trois grands axes autour desquels serpente l’imaginaire allemand : la forêt, marqueur primitif d’un état sauvage, grande pourvoyeuse de mythes et de légendes et actuellement redevenue iconique après un best-seller sur lequel je reviendrai en fin de communication ; l’arbre, justement, élément central de si nombreuses peintures et véritable schibboleth, élément de reconnaissance central de la littérature ; et enfin les parcs et jardins, s’inscrivant dans une perspective domestiquée, zeugmas policés par l’empreinte humaine et parfaite illustration d’une nature demeurée au cœur de la civilisation.

Des forêts et des hommes…

« Connaître l’Allemagne, c’est arpenter ses bois », disait Victor Hugo. Et les sombres forêts de sapin immortalisées par les contes de Grimm ou dans les tableaux de Caspar David Friedrich représentent le décor emblématique de tout un panorama pictural et littéraire qui nous renvoie aux origines premières de l’humanité, là où le paysage longtemps n’a été constitué que d’océans et de territoires vierges et boisés… Encore aujourd’hui, la forêt recouvre environ 11 millions d’hectares outre-Rhin, soit environ un tiers de son territoire.

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Statues des frères Grimm dans l’Europa-Park, Rust, Allemagne

Mais au-delà des figures tutélaires des arbres gravitent aussi clairières et tourbières, marais et sous-bois, éléments kaléidoscopiques d’un paysage aussi sombre que riche en microcosmes de toutes sortes, sans oublier les personnages légendaires qui l’habitent, du Roi des Aulnes chanté par Goethe à Rumpelstizchen, dénommé chez nous le « nain Tracassin », en passant par les enfants perdus jusque dans l’antre de la sorcière, les célèbres Hänsel et Gretel.

« Quand le soleil d’automne dardait ses rayons sur les marais, elle s’enfonçait, en chantonnant, entre les fûts des grands pins, souriante et toute plongée dans ses pensées. Elle s’arrêtait pour regarder la résine, que la chaleur du soleil faisait suinter à travers l’écorce, ou pour écouter le pivert chanter au fond des bois. » Voilà comment l’un des personnages de Ernst Wiechert dépeint la forêt dans « Missa sine nomine », cette forêt immortalisée par d’innombrables tableaux par Caspar David Friedrich ou par les peintres de la communauté artistique de Worpswede. Ricarda Huch nous décrit d’ailleurs Friedrich comme une âme profondément allemande :

« Il avait eu pour ancêtres des gens tous honnêtes et industrieux ; il possédait l’humilité raide, la droiture et la force d’isolement des Peuples nordiques. Jamais il n’avait même essayé d’apprendre une langue étrangère, car il était et voulait rester pleinement allemand.»

Ce lien profond entre un homme et sa terre ancestrale, le peintre le tissera au fil de ses toiles, explorant les arcanes de cette forêt tutélaire tantôt mystérieuse et tentaculaire, tantôt synonyme de havre matriciel et de paix. L’artiste explore les entrailles du Königstuhl, ce mont bordant la Baltique, sur l’île de Rügen, au gré d’une immense forêt de hêtres surplombant les falaises de craie, aujourd’hui classé au patrimoine de l’UNESCO. Les arbres, au dense feuillage couleur vert bronze, assemblés en une masse compacte, semblent pétrifiés, le promeneur s’attend presque à entendre battre des cœurs comme dans les Visiteurs du soir.  Les hommes et les femmes peints par l’artiste, d’ailleurs très souvent représentés de dos, semblent en effet en symbiose avec un paysage dans lequel leur silhouette se fond en une anastomose sylvestre …

L’image contient peut-être : plein air et nature
Photo prise à la Alte Nationalgalerie, Berlin; « Mann und Frau den Mond betrachtend » (Homme et femme contemplant la lune).

« Cependant, l’art de Friedrich ne s’égare pas dans ces allégories, où d’autres peintres romantiques, tels que Runge, mirent trop d’intentions littéraires. Le symbole chez Friedrich, est moins explicite ; ses paysages imposent une fuite de l’esprit au-delà de ce que voient les yeux. » affirme Albert Béguin.  Il nous explique aussi que dans la peinture de Friedrich, « profondément symbolique », « le paysage n’est jamais une unité refermée sur elle- même, mais comme une allusion à d’immenses espaces », allusion symbolisée par ce « Voyageur contemplant une mer de nuages » dont la verticalité se fait pont entre les forces telluriques et divines, continuité de cette pierre ancrée dans les limbes.

L’image contient peut-être : une personne ou plus, ciel, nuage, plein air et nature

Voilà qui recoupe exactement les mots employés par un grand ami de Caspar David, le philosophe de la nature et peintre Carl Gustav Carus, pour définir la « peinture de paysage», puisqu’il nous parle à la fois de « Erdlebenerlebnis », de la communion avec la vie de la terre, et de « Erdlebenbildkunst », de l’art de la représentation de cette vie. Depuis leur publication en 1831, ses Neuf lettres sur la peinture ont été universellement considérées comme le fondement théorique de l’esthétique du paysage romantique allemand.

Cette extase eucharistique entre les forêts et les hommes, Ernst Wiechert, lui, la dépeindra à travers ses romans quelques siècles plus tard :

« J’ai tissé une toile et je la déploie. Je me tiens au bord du chemin et chacun peut la voir. Et celui qui s’arrête et se penche pourra peut-être discerner, tel qu’il en va pour moi, ce que Dieu a voulu avec la peine et le travail d’une main d’homme. » Préfaçant ainsi ses souvenirs d’enfance, « Des forêts et des hommes », Wiechert rassemble en un titre bifide son amour paratopique de la forêt et de l’Humain. Nous voilà à nouveau face à ce balancement ontologique dont le paysage se fait cœur battant : Mais, affirme Marcel Brion, « (…) dans les récits de Wiechert, l’homme ne cherche pas la nature pour s’y perdre et se confondre avec elle : au contraire, il y retrouve et il y affirme plus vigoureusement son humanité.» Wiechert, fils d’un garde-forestier, avait grandi loin de tout artifice au fin fond de la Prusse Orientale, auprès d’hommes bons et taiseux, dans cette « vie simple » dont il fera un roman. Alma mater, la forêt se confond avec ses habitants jusqu’à leur prêter une identité nouvelle et sylvicole :

« A l’odeur de l’air, au silence infini, il sent qu’il est seul, mais il sent aussi la fraîcheur de la terre sous ses pieds nus. Il reste tout à fait immobile, comme s’il voulait croître, et il la sent monter toujours plus avant, toujours plus haut, vigoureuse et humble, la sève qui veut se frayer un chemin jusqu’à son cœur Et il voit un champ couvert de pousses vertes, il les voit se dorer et ployer sous les épis. Et il voit un enfant couché sous les épis et qui dort, cependant qu’un homme et une femme coupent et lient le blé et dressent les gerbes. Il est là, toujours immobile, tandis que la mince vapeur s’élève du sol fraîchement retourné, et s’épaissit et l’enveloppe. Et pour finir, il est pareil à un arbre qui boit silencieusement l’humidité des nuits.»

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 Or, un arbre monta…

Les arbres des forêts germaniques ressemblent aux nôtres, à cette différence près que manquent aux paysages outre-rhénans l’olivier et le pin parasol, plus enclins aux climats mediterrans… La forêt est formée, pour les conifères, de 57 /% d’épicéas communs et, en ce qui concerne les feuillus, d’une majorité de hêtres et de chênes. C’est bien le hêtre commun, Fagus sylvatica, qui constituait l’espèce dominante, avant que la main forestière de l’homme ne dépouille les bois du Moyen-Âge jusqu’au dix-neuvième siècle et ne remplace ensuite les essences primitives par Picea abies, l’épicéa, ou par Pinus sylvestris, le pin sylvestre.

Bien d’autres espèces peuplent le territoire allemand, dont les arbres « mythiques » que sont le chêne et le sapin: ainsi, la légende prêta très tôt d’augustes vertus au chêne qui devint emblématique sur les blasons, puis sur ce que l’on nommerait aujourd’hui les objets dérivés, comme des timbres; le poète romantique Joseph Victor von Scheffel l’honora du titre «d’arbre le plus ancestral du peuple allemand ». Le sapin, qui bientôt envahira nos foyers, en cette approche de Noël, est, lui, chanté par un fameux cantique que tous les enfants du monde apprennent dès la maternelle enfin, c’était le cas en France jusqu’à notre fameuse loi sur la laïcité…

Qui mieux que Paula Modersohn-Becker a peint les arbres de l’Allemagne du Nord, seuls éléments verticaux de ce plat pays adulé par la petite communauté d’artistes de Worpswede, non loin de la ville hanséatique de Brême ? Dans ce Barbizon nordique se côtoyaient peintres et écrivains en recherche d’absolu, et les toiles de Paula nous offrent des saules tutélaires voisinant avec des pins et des bouleaux s’évadant à perte de vue.

L’image contient peut-être : arbre, ciel, plein air et nature
Arbres à Worpswede

Paula, fascinée par les arbres, les nomme des « phallus terrestres » et s’adresse à eux comme à des confidents. Celle qui est morte en s’exclamant « vivre ici est une splendeur », quelques jours après avoir donné naissance à sa fille, écrivait ainsi dans son journal :

« Worpswede […] tes pins puissants et grandioses ! Je les appelle mes hommes, larges, noueux, massifs et grands, traversés par tant de fibres sensitives et de nerfs extrêmement fins. C’est ainsi que je m’imagine une silhouette idéale d’artiste. Et tes bouleaux vierges, frêles, élancés, qui réjouissent l’œil ! Avec cette grâce rêveuse, molle comme si leur vie n’était pas encore éclose. Ils sont enjôleurs, il faut se donner à eux sans résister. Certains ont déjà une hardiesse virile, un tronc fort et droit. Ce sont mes ‘femmes modernes’. Et vous autres saules, vous êtes mes vieux hommes aux barbes d’argent […] Nous nous entendons fort bien et souvent, nous nous répondons gentiment d’un signe de tête. »

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Paula Modersohn Becker « Blasendes Mädchen im Birkenwald » (Fillette soufflant dans sa flûte dans le bois de bouleaux) , https://www.museen-boettcherstrasse.de/ausstellungen/sammlungshoehepunkte/

Otto Modersohn, son époux, a fixé sur ses toiles les silhouettes blanches de ces mêmes bouleaux toujours intiment liés à l’élément liquide, en cette région de marais et de tourbières, tandis que ses amis Overbeck et Vogeler rivalisaient de talent pour dupliquer à l’infini les paysages mélancoliques au sein desquels la petite communauté libertaire inventait un nouveau modus vivendi, faisait fi des carcans de la bourgeoisie. La nature joue un rôle prépondérant dans ce retour aux sources, l’arbre symbolisant le vestige pur et libre de la forêt primitive qui recouvrait autrefois « Germania ».

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Otto Modersohn, « Herbstmorgen am Moorkanal » (Matin d’automne au bord du marais ), photo prise à Worpswede

Cet arbre, passerelle toujours entre l’infini et le terrestre, dont l’élancement fait écho à l’enracinement, devient ancre et grand-voile comme dans ces deux poèmes de Rilke :

 Or, un arbre monta, pur élan, de lui-même.

Orphée chante ! Quel arbre dans l’oreille !

Et tout se tut. Mais ce silence était

lui-même un renouveau : signes, métamorphose… 

 

 Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être

sont des racines, buvant les cieux ;

et dans le sol, les profondes racines d’un hêtre

leur semblent des faîtes silencieux. 

Ainsi, les racines plongeant vers la terre mère se font prolongement inversé de la quête vers l’infini, et l’arbre en miroir répond au poète, lui-même messager d’une alliance mystique.

Que fait la rose en temps d’hiver ?

Goethe, le premier, a didactisé dans ses « Affinités électives » la fascination des Allemands pour les parcs et les jardins, mettant sans cesse en perspective confusion sauvage et ordre policé par la main de l’homme, les jardins à la française de le Nôtre s’opposant à la profusion chaotique des jardins à l’anglaise, et mettant en avant la volonté de trouver une troisième voie, spécifique à l’Allemagne, puisque l’art paysager s’émancipera de la tutelle anglaise. À la différence de la France et de l’Italie, l’Allemagne comptait en effet entre le XVIIIe et le XIXe siècle quantités de princes cultivés, passionnés et surtout assez riches pour s’entourer de paysagistes renommés comme Peter Joseph Lenné ou Friedrich Ludwig von Sckell.

La nature, domestiquée, va donc s’épanouir de plus belle, entre art floral et vergers ou potagers aux plates-bandes soigneusement entretenues par la minutie et la rigueur germaniques… Le parc du peintre et écrivain Max Liebermann au Wannsee, en périphérie berlinoise, fait partie de ces pépites intemporelles que l’on visite encore aujourd’hui. En 1909, le peintre avait fait construire une maison de campagne de style néoclassique près du lac de Wannsee.

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Source; Wikipedia

Un vaste jardin de plantes vivaces, d’arbres fruitiers et de légumes entouré d’une haute haie de tilleuls se trouve devant la maison. Un axe central, orienté vers la maison, établit la liaison avec les pièces intérieures, tandis que sur une aile une terrasse ouvre sur des parterres luxuriants donnant sur le lac, non loin d’un petit bois de bouleaux. Ce jardin d’agrément servira aussi d’atelier en plein air et inspirera au peintre plus de 400 tableaux et gravures. Liebermann, rejetant l’expressionnisme, pense d’ailleurs que la création doit provenir de l’observation précise du réel : « L’artiste saisit la réalité en devenir, pas accomplie.»

Les espaces parfaitement paysagés de son parc, devenu agora intime non loin de l’oïkos, symbolisent parfaitement cette utopie très allemande d’une existence harmonieuse au sein de la nature. Le parc se fait alcôve rassurante, espace où l’entre-soi familial et amical peut fleurir de façon paisiblement esthétique, en opposition au bruit et à la fureur du siècle. Sur l’un des tableaux, Liebermann représentera d’ailleurs sa maison dans une perspective erronée, surdimensionnant arbres et pelouse, sa demeure comme un havre de paix protégé par une nature plus que jamais bienveillante.

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Max Liebermann, « Der Birkenweg im Wannseegarten nach Westen », (Allée de bouleaux au jardin du Wannsee côté ouest)

Un peu plus au Nord, si nous revenons vers nos amis de Worpswede, nous retrouverons un même jardin paysager et bien ordonné, entre buis taillés, vases et terrasse, qui entoure encore aujourd’hui le musée Vogeler : le parc du Barkenhoff. Et dans sa toile Le concert , Vogeler a représenté, en 1905, toute la petite communauté vaquant à ses occupations au sein de ce cadre idyllique. Cependant, l’harmonie trompeuse des plantes et des buissons ne parvient pas, cette fois, à faire oublier les clivages émotionnels qui bouleversaient cette joyeuse bande où des couples se brisaient au gré des pulsions de chacun, Rilke, par exemple, ayant quitté Paula Modersohn pour la sculptrice Clara Westhoff. Ainsi, les artistes auront eu beau se retirer au sein de cette nature et y avoir recréé un paradis artificiel, les élans primitifs les chasseront parfois de cet Eden, comme si la nature retaillée et recadrée par l’homme était parfois dépossédée de sa puissance protectrice.

Sommerabend (Das Konzert), 1905

 Que fait la rose en temps d’hiver ?

Elle rêve d’un rêve rouge tendre.

Quand de neige elle est recouverte pour l’Avent,

elle rêve du sureau.

Quand le givre argenté tintinnabule sur ses tiges,

elle rêve du chant des abeilles

du papillon bleu lorsqu’il volète… 

Mascha Kaléko

Un dernier jardin me semble très emblématique d’une nature figée et malgré tout présente, aussi endormie que cette rose en hiver de la poétesse Mascha Kaléko, c’est le parc entourant le musée Lehmbruck à Duisbourg.

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Dans la grande ville industrielle de la Ruhr, où mugissaient autrefois les incandescences des hauts-fourneaux, on trouve ainsi un espace mêlant le minéral et le végétal, grand parc en cœur de ville orné de statues, abritant le bâtiment presque entièrement vitré du musée, tranchant singulièrement avec l’agitation des artères commerçantes proches et avec l’architecture industrielle du plus grand port fluvial d’Europe. Des statues et sculptures modernes s’érigent au gré des allées et des pelouses, la canopée des marronniers se mirant dans les grandes vitres du musée, qui abrite principalement des formes féminines modelées par Wilhelm Lehmbruck, mais aussi quelques œuvres filiformes de Giacometti, et le visiteur peut donc admirer le parc depuis l’intérieur du musée ou inversement découvrir les œuvres en déambulant dans les allées ; cette structure ouverte et en miroir a permis, dès l’ouverture du musée, en 1964, de replacer un pan de nature et de culture dans cette mégalopole rugissante qu’était Duisbourg, octroyant aussi à une population ouvrière et simple un extraordinaire accès à la beauté, redonnant ses lettres de noblesse à une ville souvent décriée, en créant cette rupture peu conventionnelle dans un paysage ultra urbanisé.

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 C’était le paysage où l’on vivait…

« L’homme, quoiqu’il durât depuis des millénaires, était encore trop neuf pour lui-même, trop enchanté de lui pour porter son regard ailleurs et loin de soi-même. Le paysage, c’était le chemin sur lequel il marchait, la piste sur laquelle il courait, c’étaient tous ces stades et ces places de jeux ou de danse où s’accomplissait la journée grecque ; c’étaient les vallées où se rassemblait l’armée, les ports d’où l’on partait pour l’aventure et où l’on rentrait, plus vieux et plein de souvenirs inouïs (…) – c’était le paysage où l’on vivait”»

Voilà comment Rilke décrit le paysage habité par les hommes, insistant sur l’opposition entre l’homme et la nature, afin de mieux revenir sur « leur profondeur commune où puisent les racines de tout ce qui croît ».

En parcourant en effet les paysages allemands, qu’ils soient réels, littéraires ou picturaux, on assiste à ces collusions entre la nature et les hommes qui s’en emparent pour la transformer, à d’improbables mariages perpétuels entre la terre mère et ses enfants. J’ai choisi deux lieux emblématiques pour leur exemplarité, le rocher de la Loreley et l’avenue Under den Linden à Berlin, intrinsèquement liés à l’âme allemande, étayant cette idée de l’osmose permanente déjà évoquée par Goethe dans « Ganymed » avec son vers « umfangend umfangen » : « englobé tout en englobant ».

Der Rhein mit der Loreley
Perlberg, Friedrich 1848–1921. “Der Rhein mit der Loreley”, 1880.

Le Rhin nous offre donc le mariage du fleuve et de la nixe, le nom de « Loreley » étant d’abord celui du rocher». Il attire chaque année près de 100 000 touristes, culminant à 132 mètres au-dessus du Rhin. Des textes du IXe siècle mentionnent déjà cet emplacement pour ses caractéristiques géographiques ; il s’agit en effet de l’endroit le plus étroit du fleuve entre la Suisse et la mer du Nord. Des indications étymologiques permettant d’élucider la signification de son nom : « lei » signifiant rocher, et « lore » étant un ancien mot allemand pour évoquer l’écho. A cet endroit, le cours très encaissé du Rhin réunit en effet les conditions idéales pour renvoyer les sons. En contournant donc ce rocher, le Rhin forme une boucle étroite, et le courant est y est tellement dangereux que de nombreux bateaux s’y fracassèrent.

C’est ainsi que naquit la légende de la Lorelei, un personnage créé par le poète romantique Brentano et revisité maintes fois sous diverses formes littéraires et musicales. Le règne minéral conflue vers l’élément fluvial en enfantant cette nixe aussi belle que dangereuse, dans cette légende où mythe, géologie et littérature se rejoignent pour donner naissance à l’une des balades allemandes les plus connues, la Lorelei de Heine :

 Et la vague engloutit bientôt

Le batelier et son bateau…

C’est ce qu’a fait au soir couchant

La Lorelei avec son chant. 

Car non loin de ce rocher s’élèvent les barres rocheuses des Externsteine, pierres nées de soubresauts géologiques il y a environ 130 millions d’années, quand toute cette région d’Europe Centrale était recouverte par une vaste mer, avant le « plissement saxonien» qui a créé la zone correspondant à l’actuelle forêt de Teutoburg ainsi que ses trois massifs rocheux. Les Externsteine sont constituées de grès, c’est-à-dire de sable de cette ancienne mer qui a été soulevé en blocs verticaux. Ce paysage où « il » , l’homme, vivait, tremblant, se soulevant, mugissant, se figeant, dresse ainsi d’étranges pierres levées qui protègent cette nixe doucereuse, fille des légendes du Rhin.

Orts- und Verkehrsverein Holzhausen-Externsteine
http://www.holzhausen-externsteine.de/

Un autre lieu hautement symbolique du paysage allemand se situe, lui, au cœur d’une perspective urbaine, puisqu’il s’agit d’un des principaux axes de Berlin, l’avenue « Sous les tilleuls ».

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L’avenue, qui s’étend de la Schlossbrücke jusqu’au Pariser Platz, est plantée, du côté que l’on nommait autrefois le côté occidental, de quatre superbes rangées de tilleuls.

Cet arbre avait déjà été chanté par le poète Walter von der Vogelweide, puis par Heine qui en loua la feuille en forme de cœur et la couronne parfaite pour abriter les tourtereaux. Le tilleul fait ainsi partie du cénacle sylvestre cher à l’âme allemande : ce sont d’ailleurs ces vers du poème « Wo » qui sont gravés à Montmartre sur le tombeau de Heine…

 Le dernier repos de celui que le voyage

A  fatigué, où sera-t-il ?

Sous les palmiers du sud ?

Sous les tilleuls du Rhin ? 

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Martin Luther l’avait affirmé aussi : « Nous aimons à chanter, boire, danser et être heureux sous les tilleuls. Rien de sérieux, pas de disputes non plus, car le tilleul est un arbre de joies et de paix» Et Sainte Hildegard de Bingen elle-même conseillait de dormir, en été, le visage et les yeux recouverts de feuilles de tilleul afin de garder un œil vif… C’est ainsi que l’un des arbres totems des Allemands orne l’une des avenues les plus archétypiques de la capitale, puisque son nom boisé et romantique évoque non seulement la forêt, mais aussi l’histoire millénaire du pays et ses soubresauts récents et douloureux.

Car parmi les imposants monuments qui bordent l’avenue se dressent par exemple l’université Humboldt ou l’Opéra, mais aussi l’ancienne Kommandantur ou l’ambassade de Russie, sans oublier le célèbre grand hôtel Adlon.

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Devant l’hôtel Adlon

Il n’est donc pas étonnant que sous le titre éponyme de « Unter den Linden », l’on trouve à la fois un poème de Walter von der Vogelweide et une marche militaire, le pas de l’oie et les arabesques des troubadours se mêlant en une valse folle, sans oublier les deux Lieds de Schubert qui évoquent aussi « Le tilleul » et « Le soir sous le tilleul ».

Ainsi, en arpentant les larges trottoirs de l’avenue menant à la Porte de Brandebourg, l’on se plait à penser que, dans les villes allemandes, fussent-elles peuplées de millions d’habitants, l’on n’est jamais très loin de cette forêt dont César disait dans la Guerre des Gaules qu’elle était si vaste qu’un habitant de la Germanie pouvait marcher 60 jours sans en voir la fin :

« Cette forêt Hercynienne (…) il n’est personne, dans cette partie de la Germanie, qui puisse dire qu’il en a atteint l’extrémité, après soixante jours de marche, ou qu’il sait en quel lieu elle se termine. »

Du « Chêne de Goethe » au « Jardin des Princesses »

Je pense que je ne peux pas faire l’impasse sur la césure de la Shoah, le terme de Buchenwald agissant comme un « chiffre » célanien négatif et comme un point de non-retour dans l’imaginaire collectif… Buchenwald, la forêt des hêtres, ces hêtres rouges qui ont veillé sur les terres germaniques tant de siècles durant, avant de se faire les chantres hurleurs d’un des plus sinistres lieux de mémoire…

Et c’est bien dans le camp de Buchenwald que se trouve encore la souche du fameux « Chêne de Goethe », nommé ainsi par les prisonniers en souvenir des longues promenades que l’auteur du Roi des Aulnes aimait à faire dans les bois avoisinants, un des rares arbres de cet univers concentrationnaire. Ainsi, la forêt aura accompagné l’Allemagne jusque dans les tréfonds de l’abjection…

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https://geo.viaregia.org/testbed/index.pl?rm=obj&objid=4571

Comment le réaménagement d’un pays qui n’existait plus, de ces territoires dévastés et divisés a-t-il été agencé, lorsque l’on sait que certaines villes allemandes avaient été détruites à plus de 90 % ?

Comment le peuple allemand a-t-il réussi à se réapproprier l’amour pour cette terre synonyme de tant d’atrocités ?

Le 11 novembre 1945, Ernst Wiechert, qui avait été interné à Buchenwald en 1938, et qui relatera cette expérience dans « Le Bois des morts », a prononcé au Schauspielhaus de Munich son « Discours à la jeunesse allemande » :

« Et nous voici devant la maison abandonnée, nous voyons scintiller les étoiles éternelles au-dessus des ruines de la terre, ou bien nous entendons tomber la pluie sur les tombes des morts et sur le tombeau d’un siècle. Seuls, comme jamais sur cette terre un peuple n’a été seul. Marqués du sceau de l’infamie comme jamais un peuple n’a été marqué. Et nous appuyons notre front contre les murs qui s’écroulent et nos lèvres murmurent la vieille question qui est celle de l’humanité : «Que faire ?»

Oui, que faire ?

Par deux fois, mes amis, j’ai tenté de vous apporter une réponse à cette question. La première fois, c’était en 1933, la deuxième fois, deux ans plus tard. J’ai payé très cher pour vous avoir donné cette réponse, et vous avez payé très cher le fait de ne pas l’avoir entendue. »

C’est encore une fois dans la nature que l’auteur puisera une réponse, se réfugiant dans ses écrits presque entièrement dédiés à cette communion entre les hommes et la forêt que nous avons déjà évoquée. Transcendant l’obscure nuit national-socialiste, le récit de Wiechert se fait récit national inversé, glorifiant non pas les épopées des hommes mais la vie secrète des arbres dont, déjà, l’auteur sait la force qui guérit.

Marcel Brion cite encore une anecdote dans laquelle une tante de Ernst Wiechert lui parle d’un arbre planté en l’honneur du garçonnet : « Quand tu seras grand, dit-elle, et ses yeux bleus regardaient par-delà les forêts, et que tu auras peur dans le monde, alors tu reviendras sous ce bouleau et tu lèveras les yeux vers les branches d’où te viendra le secours. Et la paix sera dans ta pauvre âme. »

Dans cette Allemagne année zéro, reconstruite pierre par pierre par les « Trümmerfrauen », ces « femmes des décombres », cette Allemagne qui mettra plusieurs décennies à transcender son impossible deuil, les espaces paysagés feront partie intégrante des villes, puisque les destructions urbaines permirent une reconstruction à la respiration verte bien avant la naissance du parti des « Grünen », les premiers écologistes d’Europe… C’est ainsi que la plupart des zones urbanisées outre-rhénanes comportent d’immenses parcs, et qu’à Berlin même vous pouvez vous retrouver nez à nez avec un renard en vous promenant dans l’une des forêts de la ville…

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Au Biegerhof, un des grands parcs de Duisbourg

Duisbourg est allée encore plus loin, puisqu’elle est à la pointe des réaménagements post-industriels, s’étant réapproprié, en pleine transition écologique, les immenses friches industrielles dans lesquelles rougeoyaient autrefois les aciéries ; tout près des rives rhénanes, à quelques encablures des immenses péniches, là où l’air d’antan était vicié par les scories et les arbres rongés par les pluies acides, on peut à présent arpenter, au cœur de la cité, des hectares de prairies et de bois où tout un écosystème de faune et de flore s’épanouit entre deux vestiges rouillés qui font la joie du tourisme industriel tout en ravissant les habitants de la Ruhr.

https://www.landschaftspark.de/

C’est un peu le même esprit qui, allié à l’engouement écologique pour le « bio », a donné naissance à des jardins partagés comme le « Prinzessinnengarten », le « Jardin des Princesses », à Berlin… À l’entrée du rond-point de Moritzplatz, îlot insolite entre des rangées d’immeubles, un portail grillagé émaillé d’autocollants abrite l’entrée du paradis, et le visiteur incrédule découvre au fil des allées un inventaire à la Prévert, potagers, arbres fruitiers, serre, boite à livres, hamacs et cabanes… Sans oublier le restaurant tenu par des personnes en situation de handicap et la vente de graines et d’herbes aromatiques…

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L’entrée du Jardin des Princesses

Cet espace original, initié en 2009 par une association dite de « guerilla gardening », a transformé ce terrain, situé autrefois dans le No man’s land du Mur et abandonné depuis 50 ans, en projet écologiste à gestion collective et à visée éducative, puisqu’il s’agit d’un lieu ouvert et didactique, héritage croisé des jardins familiaux et des alternatifs de Kreuzberg, puisque c’est un certain Moritz Schreber qui fut à l’origine de ce « Schrebergarten » que chaque famille allemande citadine se devait de louer et d’entretenir, et que Berlin fut au cœur des transitions économiques lancées par les utopistes et activistes des années 70.

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Ce murmure profond qui fait rêver l’Allemagne

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Le Rhin à Duisbourg

« Ce soir-là… je contemplai longtemps ce fier et noble fleuve, violent, mais sans fureur, sauvage, mais majestueux. (…)Ses deux rives se perdaient dans le crépuscule. Son bruit était un rugissement puissant et paisible. Je lui trouvais quelque chose de la grande mer.(…) Oui, mon ami, c’est un noble fleuve, féodal, républicain, impérial, digne d’être à la fois français et allemand. Il y a toute l’histoire de l’Europe considérée sous ses deux grands aspects, dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l’Allemagne. »

Comment ne pas évoquer en conclusion notre Rhin transfrontalier et puissant, qui allie les paysages français et allemand en un même destin, immuable au milieu des tempêtes de l’Histoire ? Victor Hugo l’a fait avec brio, évoquant notre Europe qui m’est si chère puisque j’en suis le fruit, avec une mère allemande et un père français.

C’est d’ailleurs mon grand-père, ancien soldat de la Wehrmacht, qui m’a légué tous ses livres de Wiechert… Ce n’est que peu à peu que j’ai compris l’attachement de mon grand-père, qui avait aussi lui acheté une maison au cœur des bois, dans la Montagne Noire tarnaise, pour cet auteur chantant l’union des hommes et de la forêt pour conjurer la barbarie, en découvrant récemment que le fonds Wiechert avait aussi longuement séjourné à Duisbourg, végétalisant ainsi la Ruhr.

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Mes grands-parents allemands…

Cette forêt allemande que nous venons d’explorer, arpentée par les randonneurs allemands, dignes héritiers des voyageurs romantiques, a connu ces dernières années un regain extraordinaire aux yeux du grand public, après la parution du livre de Peter Wohlleben, « La vie secrète des arbres ». Ce best-seller, aujourd’hui traduit dans plus d’une trentaine de langues, nous entraîne dans une sorte de conte naturaliste où l’auteur, ancien garde-forestier, nous invite à partager sa joie de la fréquentation des forêts, proposant une intéressante réflexion non seulement sur la place de la nature, mais aussi sur la société des hommes.

Nous apprenons par exemple que les arbres, régis par une sorte d’organisation sociale et solidaire, peuvent, au sein d’une même espèce et d’un même peuplement, échanger des éléments nutritifs par leurs systèmes racinaires ou même prendre soin des individus faibles ou malades.

De telles avancées au sujet de la connaissance de la forêt nous viennent donc de ce pays où les hommes, depuis l’aube de l’humanité, savent sa valeur, et où les enfants allemands d’aujourd’hui passent leurs journées dans des « Jardins d’enfants forestiers » que l’on trouve à présent dans de nombreuses villes, les parents expédiant leurs rejetons, même au cœur de l’hiver nordique, dans les bois, sous la tutelle de leurs accompagnateurs…

Et c’est ainsi que les Allemands font perdurer leur attachement au paysage primaire et mythique de leur territoire et de leur héritage collectif que je vous invite vivement à découvrir lors de vos voyages…

Promenons-nous  donc enfin dans les bois…allemands! Osons enfin franchir la ligne Maginot de nos automatismes irrationnels qui font encore des terres germaniques une « terra incognita » pour bon nombre de nos compatriotes! Plongeons dans les légendes, écoutons le chant de la Loreley et entendons le vent bruisser dans les sapins!

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Arbre sur l’île de Rügen

Max Liebermann, "Die Gartenbank" (Le banc de jardin)
Max Liebermann, « Die Gartenbank » (Le banc de jardin)

  • les photos ont été prises par moi, hormis indication spécifique.

Comme une valse de Vienne #carnetdevoyageVienne1

Comme une valse de Vienne

 

Il suffit de lever les yeux.

Partout, sans cesse, de jour comme de nuit.

La beauté se niche dans les moindres recoins de la ville, envahissant les places et les larges avenues, escaladant les façades, se profilant comme une ligne d’horizon pérenne et sublimée.

De Vienne, je ne connaissais presque rien, hormis quelques souvenirs ancrés en ma mémoire, plutôt diffus, car noyés dans un très beau périple cyclotouriste que, jeune mariée à peine sortie de l’enfance, j’avais fait à 19 ans, entre Autriche et Forêt-Noire… Et nous n’avions passé qu’une journée dans la capitale, campant vers le Danube, entre les pentes escarpées, les prairies verdoyantes et les chalets fleuris d’une Autriche idyllique.

Je me souvenais de la lumière de ce ciel d’octobre, lactescente et diffuse, de la fabuleuse  serre à papillons non loin de l’Albertina, de ce parc immense où nous poussions, jeunes Français émerveillés, nos vélos déjà un peu épuisés par les cimes et l’air alpin, et de ces deux imposantes nefs de pierre se faisant face, deux musées, le Kunsthistorisches Museum (Musée des Beaux-Arts) construits en regard parfaitement symétrique du Naturhistorisches Museum (Musée d’histoire naturelle). Mon compagnon avait voulu visiter le muséum, et je ne gardais donc en mémoire que des images d’art précolombien, de plumes multicolores, de reptiles et de masques africains.

Du reste, je ne savais rien. C’est pourquoi j’étais si impatiente, l’été dernier, de plonger dans l’Histoire et de mettre des images sur tous les fastes impériaux dont je parlais souvent à mes élèves sans les connaître vraiment.

L’accueil de l’Office de tourisme envers une blogueuse française fut d’ailleurs tout simplement fastueux, lui aussi ! Nantie du « Vienne Pass », précieux sésame me permettant de voyager en illimité sur le réseau si bien achalandé, je me vis aussi offrir l’accès à des dégustations prometteuses dans des hauts-lieux de la gastronomie viennoise, tandis que les musées et le festival ImPulsTanz m’invitaient à découvrir collections et manifestations estivales… La légendaire hospitalité autrichienne n’est pas un vain mot, j’en fis la merveilleuse expérience tout au long de mon séjour.

C’est en fait en rentrant de Vienne et en redécouvrant des ruelles pourtant si familières et aimées que je pris douloureusement conscience du manque soudain de toute cette historicité et des grands espaces viennois, et surtout de la sensation oppressante d’étroitesse ressentie dans ma ville rose après cette escapade austro-hongroise… Plonger, au retour d’une ville où tout n’est que « luxe, calme et volupté », dans laquelle de larges boulevards et de grandes artères abritent un air presque alpin et pur, tant la circulation est policée et fluidifiée par la multiplicité des transports en commun, dans le caractère médiéval des venelles toulousaines et dans ma ville bien-aimée que soudain je trouvais non plus rose, mais grise, sale, encombrée, me fit prendre conscience de la magnificence unique de cette ville qui aimante, depuis des siècles, les arts, la musique et le Beau.

L’architecture, poumon séculaire de Vienne, séduit d’emblée le visiteur qui se retrouve soudain en posture de figurant dans quelque film historique, ébloui par la virtuosité de ces palais rencontrés à chaque coin de rue, par tous ces atlantes soutenant à bras le corps des murs aux encorbellements déliés, par les flèches élancées du Stephansdom (la cathédrale Saint-Étienne) et par la coupole et les ors baroques de la Karlskirche, quand il n’est pas éberlué par les facéties d’un Hundertwasser et de sa maison gironde et multicolore…

La ville vous aspire comme un tourbillon coloré, tantôt en suspens dans les couloirs du temps, lorsqu’au détour de quelque toile de musée ou devant quelque statue languissante vous vous retrouvez face au Baiser de Klimt ou en tête à tête avec le regard émouvant de Sissi, tantôt  en phase totale avec la modernité, au gré des scènes virevoltantes ou saccadées du festival ImPulsTanz , des troquets alternatifs et des tags longeant le canal du Danube ou des expositions ultra contemporaines du Mumok, le musée d’art moderne.

J’écris ce texte en surveillant le bac philo, dont l’un des sujets est : « Peut-on être insensible à l’art ? ». À Vienne, c’est tout bonnement impossible, impensable. Car l’art est partout, vous environne, vous englobe, vous caresse, vous dorlote, vous surprend, vous émeut, s’immisce en vous comme un doux poison vous inoculant ad vitam aeternam comme un parfum de Habsbourg…

Même le plus réfractaire des visiteurs finira par arpenter en fiacre sonnant et trébuchant les pavés tapissant la cour de la Hofburg (le Palais impérial) en faisant allégeance à l’imposante statue de Marie-Thérèse avant de s’élancer à l’assaut des petites places ombragées et des mémoires vives : Vienne est comme un livre d’histoire à ciel ouvert dont l’art serait le firmament.

Et la musique, que dire de la musique… L’ancienne capitale austro-hongroise n’a pas usurpé son titre de « capitale européenne de la musique », quand on sait qu’aucun Viennois ne passe une année sans aller qui à l’opéra, qui à l’un des innombrables concerts proposés par une armada de jeunes gens perruqués et poudrés qui, du haut de leur habit bleu roi ou pourpre, arpentent les rues piétonnes aux alentours de la cathédrale ou les abords de la Haus der Musik, (la Maison de la musique, un fabuleux musée interactif)  pour proposer quelque messe, requiem ou symphonie…

Bien entendu, le divin enfant prodige n’est jamais loin, et même si la folie des « Mozart Kugeln », ces délicieuses bouchées (littéralement « boules de Mozart » !) de pâte d’amande et de pistache enrobées de chocolat et de colifichets à l’effigie du Maestro n’égale pas celle de Salzbourg, Wolfgang Amadeus accueille le néophyte du haut du parterre en forme de clef de sol agrémentant sa statue, qui se dresse au cœur du Burggarten.

Au bout des allées d’un autre parc de la ville, très prisé des habitants, le Stadtpark, c’est un autre géant de la musique qui, tout étincelant de dorures et violon fringant au bras, fait valser Vienne et son Danube bleu… Johann Strauss, de ses compositions intemporelles, emblèmes des crinolines tournoyantes, accroît encore le romantisme échevelé de la ville aux valses à mille temps, du célèbre « bal des débutantes » au concert du nouvel an retransmis dans le monde entier.

J’embrassai cette ville avec passion, bercée par les lumières de ces cieux immenses veillant sur ces constructions plus étonnantes les unes que les autres, de l’imposante bibliothèque aux fastes du palais de Schönbrunn, valsant d’un musée à l’autre entre le Museumsquartier, les statues du Belvédère et les larmes du Musée juif, émerveillée par la luxuriance émeraude des parcs émaillant la ville, amusée par la typicité chantante de l’accent viennois, et surtout bouleversée de ma rencontre avec cette « Mitteleuropa« , berceau de tant de plumes dévorées depuis l’adolescence…

Combien de fois avais-je été moi-même veillée par les anges rilkéens, éblouie par les nostalgies d’un Stefan Zweig et emportée par les pages foisonnantes d’un Joseph Roth? Mettre enfin des visages sur tout un pan de ma cosmogonie littéraire fut comme un aboutissement d’un long chemin. De même, ma rencontre avec des toiles mythiques comme celles de Klimt ou de Schiele, imaginées, contemplées virtuellement ou sur papier glacé, et soudain incarnées, a été cathartique…

J’aurai encore besoin de plusieurs textes pour vous parler de ces « viennoiseries » culturelles, artistiques, musicales, gustatives, et je vais vous quitter en aiguisant vos papilles avant une suite prochaine de ce petit récit de voyage… D’abord, pour moi, il y eut une émouvante rencontre avec Gutenberg ! Oui, c’est bien une statue de cet immense pourfendeur de nuits, de par l’onyx de ses encres d’imprimerie qui apportèrent la lumière au monde, qui orne la place où se dresse la vénérable institution culinaire Lugeck où j’ai dégusté mon premier Wiener Schnitzel… Imaginez un instant le fondant d’une viande aussi tendre qu’un Lied de Schubert, qui se découvre après un croquant aussi doré que les ornements du joyau baroque de Schönbrunn… Ce restaurant et ses célèbres escalopes de veau à la viennoise ont tenu toutes leurs promesses, foi de presque végétarienne très difficile en ce qui concerne la viande…

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Mais pour ressentir le cœur battant de la cité, il faut avant tout déguster une Würstel, comme la nomment les autochtones avec leur inénarrable accent mâtiné de dialecte ! Aussi gâtée qu’une héritière des Habsbourg, j’eus encore une fois la joie d’être invitée dans ce véritable monument national qu’est la « friterie-saucisserie » Bitzinger, au Würstelstand sis juste devant le musée de l’Albertina, où, entre un solide montagnard en culotte de cuir traditionnelle, deux Japonaises et un cadre en costume cravate, je manquai défaillir de plaisir en croquant dans la plus divine « Knack », comme disent les jeunes, de toute mon existence, entourée par les adorables sourires des cuistots, Naim, Sam et Costa, aux origines variées mais à l’âme et au doigté indéniablement viennois pur jus ! Car comme à Berlin, qui revendique haut et fort la recette secrète de la sauce de la « Currywurst », c’est bien, à Vienne, autour des barquettes de saucisses que l’habitant, quand il n’est pas dans l’un des célèbres cafés dont je vous parlerai plus tard, partage, dans un joyeux brassage sociétal, ce plaisir simple et urbain.

Il faudrait enfin évoquer les saveurs exquises des créations du glacier Eis Greissler, découvertes encore une fois grâce à la générosité de mes bienfaiteurs. Et je terminerai ce premier opus mémoriel en remerciant très chaleureusement toute l’équipe de l’office du tourisme, et en particulier Madame Bettina Jamy-Sowasser et Monsieur Florian Wiesinger, qui ont si gracieusement facilité mon séjour dans la capitale austro-hongroise. Et bien entendu Nathalie, qui se reconnaîtra…

Une année presque a passé, à rêver à ce premier voyage et à imaginer le suivant, à retravailler les rencontres et les impressions, les images et les éblouissements de la découverte. Car aller à la rencontre de Vienne, pour une binationale franco-allemande, c’est aussi oser le dépaysement linguistique, historique, géographique. Puisque l’Autriche n’est pas tout à fait le même pays que l’Allemagne, mais pas tout à fait un autre non plus…

 

De Vienne les enfants sont l’art et la musique

La lumière laiteuse envahit la cité,

Des Atlantes alanguis, forces fantastiques…

Ors baroques, clameurs, opéras, menuets :

De Vienne les enfants sont l’art et la musique.

 

Cent Mozart nous accueillent, perruqués et poudrés,

Virevoltant joyeux d’une douce folie.

La légende des siècles, au quartier des musées,

Resplendit en ses toiles comme un ange sourit.

 

Un fiacre dodeline sur le haut des pavés:

Ici chaque touriste devient empereur !

L’Histoire aux tons immenses caracole en palais

 

Quand tant de valses folles y déclinent bonheur.

Les Schnitzel et les Würstel, aux parfums éternels,

Font réponse aux beaux-arts de leurs appâts charnels. 

PS :Je vais aussi, délibérément, éviter les sujets politiques durant ces petits instantanés de voyage… Oui, je le sais, la peste brune a de nouveau ravagé le pays, mais d’une part je ne souhaite pas ici relayer des éléments concernant les dernières élections mais au contraire prendre de la hauteur, et d’autre part je sais qu’à Vienne, justement, la population est encore éclairée et non hostile aux Migrants.

http://www.stadt-wien.at/wien/touristinfo.html

https://www.viennapass.fr/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mozartkugel

http://www.lugeck.com/

https://www.bitzinger-wien.at/

https://www.eis-greissler.at/unsere-laeden/innere-stadt/

NB: crédits  photos Sabine Aussenac et Sylvan Hecht.

 

 

 

 

 

Duisbourg ma jolie ville en barque sur le Rhin…

Duisbourg ma jolie ville en barque sur le Rhin…

Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs…Rimbaud. /Photo Sabine Aussenac

« Le mai le joli mai en barque sur le Rhin… »

Vers le Paradis /Photo Sabine Aussenac

Elle tourne, la « Nana » de Niki de Saint-Phalle, inlassablement, au-dessus de sa fontaine, au centre de la plus grande rue piétonne de Duisbourg, la Königsstraße, observant de ses rondeurs bariolées la grande échelle dorée du centre commercial « Forum » s’élevant bien loin de ce temple de la consommation, contrastant presque brutalement avec les grisailles du temps rhénan et avec les suies recouvrant encore souvent la brique de cette grande ville industrielle que bien peu de Français connaissent… Le grand oiseau, dénommé Lifesaver est devenu au fil des ans l’attraction majeure d’une « promenade des fontaines » cheminant à travers la ville (« Die Brunnenmaile »), éclipsant presque de façon emblématique l’aigle du véritable blason de la ville…

Une « Nana  » dans la Ruhr

https://www.derwesten.de/staedte/duisburg/der-lifesaver-ist-duisburgs-bunter-wappenvogel-id7612041.html

Bien sûr, on se souvient du commissaire Schimanski qui avait fait les belles heures de la Cinq, héros récurrent de la célèbre série « Tatort » ; plus récemment, de cette « Love Parade » de sinistre mémoire, avec ces jeunes vies fauchées par la foule ; et ceux qui ont connu ce temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître avaient sans doute appris que Duisbourg était le plus grand port fluvial d’Europe (devenu aujourd’hui le premier port intérieur mondial) … Mais sans jamais, je suppose, avoir l’idée de partir en vacances ou en week-end pour visiter cette capitale de la sidérurgie plus réputée pour ses hauts-fourneaux que pour ses monuments ou sa gastronomie…

L’Histoire en marche /Photo Sabine Aussenac

Cependant, gageons que nous ferons mentir les paroles de cette chanson parodique en appréhendant au fil du Rhin l’âme de cette superbe cité…

„Ja, dat is Duisburg – hier will einfach keiner hin dat is Duisburg – und dat macht auch keinen Sinn, Du musst schon hier geboren sein, um dat zu ertragen, allen Zugezogenen schlägt Duisburg auf’n Magen…“

(Oui, c’est Duisbourg – personne ne veut y aller, et cela n’a aucun sens… Tu dois être né ici pour pouvoir le supporter… Toutes les personnes qui vont y habiter sont prises de nausées…)

Vue du cœur de ville

Car Duisbourg l’industrieuse, Duisbourg l’industrielle, Duisbourg, cœur de la mégalopole Rhin-Ruhr, jouxtant presque sa voisine plus policée et bien plus achalandée Düsseldorf, est en passe de devenir un nouveau Berlin, avec ses nouveaux quartiers branchés, ses scènes culturelles innovantes, ses musées à l’incroyable richesse et surtout avec la transition écologique de qualité qu’elle a su proposer, malgré la crise.

Lumières rhénanes au Musée Lehmbruck /Photo Sabine Aussenac

Bien sûr, les pisse-vinaigre vous rétorqueront d’un ton grinçant que la qualité de la vie ne fait pas tout, que certains projets architecturaux sont restés en friche, que les écoles peinent à recruter des enseignants, que les rues sont peuplées de personnes issues de la diversité (vous comprendrez que j’édulcore la façon qu’ont les contempteurs de migrants et de personnes des classes sociales défavorisées de dépeindre leurs peurs de l’Autre…) et de détenteurs du fameux « Hartz IV », l’aide sociale dispensée d’une main de fer par Angela… Mais les habitants eux-mêmes, soutenus par le fringant club de foot de la ville, s’engagent pour faire mentir les frileux…

C’est que Duisbourg, justement, grouille de vie, d’énergie, de beautés naturelles enfin redécouvertes, de tendances, et, bien sûr, de projets. Et si son avenir s’y dessine enfin de façon apaisée et joyeuse, son passé mérite, lui aussi, que l’on s’y attarde un instant. Car cette cité à la modernité flamboyante fut aussi traversée par les légions romaines et les Vikings avant de devenir, belle confluence entre Rhin et Ruhr, déjà convoitée en raison de sa situation stratégique, résidence seigneuriale, abritant même un synode impérial en 929, tandis que divers ordres religieux y implantaient couvents et hospices. Certes, les vestiges du passé y sont moins apparents qu’à Cologne ou à Trèves, mais il suffit de longer les remparts disséminés comme galets de mémoire, de la « Tour de Coblence » à la Place de Calais, sans oublier les latrines d’un couvent, extraordinairement bien conservées,  pour imaginer sans peine la vie buissonnante des marchands et des marins qui firent de ce port un lieu d’échange si important que l’empereur Barberousse en fit en 1173 le théâtre de deux foires pour les commerçants flamands spécialisés dans les étoffes.

Duisbourg fortifiée./Photo Sabine Aussenac

Il faut savoir oublier un peu le passé récent, tellement omniprésent au vu de l’histoire industrielle des deux derniers siècles, pour replonger dans l’histoire d’une ville où a aussi vécu Gerardus Mercator, ce grand mathématicien, géographe et cartographe, inventeur de la cartographie éponyme, puisqu’il avait accepté une chaire de cosmographie à Duisbourg : sa « projection Mercator » s’est ensuite imposée comme « le » planisphère standard dans le monde entier, de par sa précision, ses dix-huit « feuilles » permettant aux navigateurs une description in situ des contours de la terre… Quelle émotion, lorsque l’on visite le « Kultur- und Stadthistorisches Museum », de pénétrer au cœur de la « salle du trésor » et de toucher du regard l’âme de ce monde où les grandes découvertes battaient l’amble de la modernité à venir.

Le globe de Mercator

http://mercator-museum.net/mercator

Niché devant l’un des pans des remparts, le musée fait de chaque visiteur un voyageur du temps, permettant de passer en quelques encablures des anciens greniers à céréales aux aciéries, sans oublier les murmures des familles juives que nous rappelle aussi le très émouvant centre communautaire juif tout proche, ni les balbutiements de la démocratie renaissante… Car il suffit de se promener dans le « Jardin du Souvenir », qui s’étend non loin des quais, pour percevoir le souffle de l’Histoire qui entoure ce joyau architectural en forme d’étoile de David…

Stolperstein, Duisbourg

http://www.innenhafen-portal.de/standort/juedisches-gemeindezentrum.html

Ce parc, perspective mêlant engazonnements et bâtiments, imaginée par l’artiste plasticien israélien Dani Karavan – qui a aussi créé le mémorial du souvenir dédié à Walter Benjamin à Port-Bou et de nombreuses autres œuvres de plein air inspirées par la mémoire des lieux -, croise les vestiges mnésiques dans lesquels le cœur battant de Duisbourg caracole au rythme des blés et d’autres céréales, emblèmes de ce quartier que l’on dénommait le « panier à pain de la Ruhr » ( « Brotkorb des Ruhrgebiets »), ses lignes d’épure blanches comme autant de veines irriguant le présent de toutes les sèves ancestrales, à l’instar de cette rigole construite de conserve avec l’architecte Zvi Hecker, concepteur du centre communautaire juif, ruisselant telle eau neuve en direction de l’ancienne synagogue détruite lors de la Nuit de Cristal…

Regains au Jardin des mémoires…

http://www.innenhafen-portal.de/standort/garten-der-erinnerung.html

Un autre parc, tout aussi fascinant, accueille le flâneur : le parc Emmanuel Kant, antre du Musée Lehmbruck, non loin duquel se dresse l’imposant musée DKM, temple de 5000 ans de traces civilisationnelles bigarrées et d’impressionnantes collections d’art moderne.

https://www.vogt-la.com/en/project/kant-park-duisburg

Cet écrin de verdure offre un havre de paix au beau milieu de l’agitation du quartier de Dell : en perpétuelle mutation depuis la transformation, en 1925, du parc privé d’un commerçant prospère, Theodor Böninger Jr, en un immense jardin public, en passant par l’ouverture, en 1964, de l’un des plus importants musées dédiés à la sculpture du monde, le Lehmbruck, jusqu’à la mise en perspective de l’abattage d’un grand nombre d’arbres décidé après des protestations houleuses, en 2017, sublimés en sculptures diverses dans l’exposition « KantparkStämme » (« Les souches du parc Kant »), ce parc expose au gré de ses allées des sculptures offertes aux éléments de grands noms comme Henry Moore, Meret Oppenheim, André Volten, Alf Lechner ou Toni Stadler.

Kant Park/ Photo Sabine Aussenac

https://www1.wdr.de/mediathek/video/sendungen/lokalzeit-duisburg/video-kunst-am-baum-im-kantpark-100.html

La Belle endormie au Lehmbruck, crédits Sabine Aussenac

Oui, les musées de Duisbourg gagnent à être connus, reconnus, phares culturels ayant remplacé les lumières incessantes de nombreuses aciéries. Le MKM, « Museum Küppersmühle für moderne Kunst », rivalise d’originalité avec le Lehmbruck dans son apparence extérieure, puisque l’immense nef de briques se dresse telle une forteresse entre bâtiments-souvenirs de la frénésie industrielle et quais, presque en miroir d’un autre géant de la ville neuve, le bâtiment des nouvelles archives régionales, avec ses façades aveugles pour préserver l’intégrité mémorielle, un peu plus en amont, sur l’autre rive du port intérieur.

Ombres et lumières aux Archives, crédits Sabine Aussenac

http://www.museum-kueppersmuehle.de/

Monter les marches en colimaçon de l’escalier en bois menant aux différents étages est déjà une expérience en soi ; découvrir les foisonnantes collections d’art moderne et contemporain qui jalonnent les salles est un pur ravissement, même pour le béotien, puisqu’ici l’art est aussi hors-les-murs, avec parfois des toiles aux matériaux composites qui permettent d’en appréhender plus facilement le sens.

Photo Sabine Aussenac

Et puis le MKM fait la part belle aux artistes en mouvement, comme avec l’exposition, en 2017, de l’inénarrable Erwin Wurm aux facéties multiples et absurdes.

Photo Sabine Aussenac

Et les arts à Duisbourg bouillonnent d’ailleurs comme les eaux du Rhin, car la musique et la littérature ne sont pas en reste… Encore une fois, la ville se fait confluence, car c’est au cœur même de l’un des grands centres commerciaux se dressant non loin de la gare centrale, le « City Palais », que la salle de la « Philharmonische Mercatorhalle » accueille en son acoustique grandiose non seulement l’orchestre philharmonique de la ville, la « Duisburger Philharmoniker », mais aussi les maestros du monde entier pour ravir les oreilles aiguisées du public rhénan.

Et que dire de toutes les initiatives littéraires, qui brassent les mots bien au-delà des rives du Rhin, comme l’association littéraire duisbourgeoise, le « Verein für Literatur Duisburg », dont le thème 2017/2018 n’est autre que « Liberté, égalité, fraternité » ?!

https://www.waz.de/staedte/duisburg/der-duisburger-verein-fuer-literatur-blickt-nach-frankreich-id211506239.html

Le franco-allemand est en effet très souvent à l’honneur dans cette ville jumelée à Calais depuis 1964, et dont l’association franco-allemande déborde d’activités culturelles :

Quant au « LiteraturBüro Ruhr », autre instance littéraire extrêmement active et renommée de la région, il appelle justement à une « Maison européenne de la littérature » qui serait sise en Rhénanie, car c’est bien là que vibre l’Europe enfin pacifiée…

http://www.literaturbuero-ruhr.de/index.php?id=36

Mais Duisbourg explose et expose aussi à l’air libre, au gré de l’imaginaire de l’architecte britannique Lord Norman Foster, qui a entièrement redessiné le port intérieur. Et c’est ici que Duisbourg la confluente réunit à la perfection son histoire et son avenir, lumineuse passerelle entre les échanges portuaires séculaires et cette nouvelle agora ouverte sur les liens de proximité et sur la culture. Les anciens bâtiments des docks, les silos, les moulins à céréales et les vestiges industriels ont ainsi été reconvertis en bureaux, en logements, en établissements de culture et de gastronomie jalonnant le bassin portuaire.

Le projet Foster /Photo Sabine Aussenac

https://www.fosterandpartners.com/projects/duisburg-masterplan/

C’est là, dans ce nouveau quartier à proximité du centre-ville, que se croisent en chiasmes audacieux des habitants ravis et des « bobos » et autres hipsters décrivant cet endroit comme ayant ce que les Allemands nomment du « Flair », ce qui s’apparenterait à du « chien » … Certains vont jusqu’à évoquer une « Sylt-Atmo », en référence à l’atmosphère isloise faisant les beaux jours de la fameuse île de la mer du Nord, entre les cliquetis des mats des bateaux de plaisance, les docks de bois menant à des établissements trendy et les événements culturels transformant ces quais historiques en un mélange de Beaubourg et de l’île de Ré.

Sylt on Rhein /Photo Sabine Aussenac

https://www.fosterandpartners.com/projects/duisburg-hafenforum/

Suivons-les, ces quais, et allons jusqu’au Schwanentor, la « Porte des cygnes », pour embarquer enfin sur sa Majesté le Rhin. Nous voilà aux portes du monde, à portée de navire de Rotterdam, Anvers, Hambourg, mais prêts aussi à entendre les échos des chants de la Lorelei et à déguster l’un de ces gouleyants vins rhénans… Duisbourg se fait carrefour des terres et des mers, et l’Histoire ne s’y est pas trompée, y arrimant tous ces échanges commerciaux, puis en permettant à l’industrie lourde de s’exporter facilement. Bien sûr ce n’est pas la Seine, dirait notre Barbara, mais quand l’immensité de la géographie maritime et fluviale croise ainsi les rumeurs du passé tout en se conjuguant à de nouvelles architectures futuristes, on a un plaisir infini à se sentir un maillon de cette chaîne en revenant au port après la promenade…

Les Flâneurs /Photo Sabine Aussenac

Les habitants de Duisbourg, eux, vont plus loin. Ils ont appris à ne plus voir les restes des carcasses rouillées qui parfois encore abîment le paysage et ne se souviennent plus vraiment de cette époque où l’on devait chaque matin balayer devant sa porte pour effacer les scories s’y étant déposées durant la nuit. Car ce qui frappe avant tout, lorsque l’on discute avec les Duisbourgeois, c’est leur fierté culturelle devant le superbe « Parc paysager de Duisbourg-Nord » : lorsqu’il a été question de remodeler l’ancienne friche industrielle, autrefois cœur en fusion de la cité, on a su intégrer et relier des signes existants de la fonction industrielle pour attribuer à l’ensemble une nouvelle syntaxe dans laquelle s’enchevêtrent îlots de végétation, voies ferroviaires, vestiges et land art. Cette ancienne cathédrale industrielle est ainsi devenue l’une des attractions majeures de la Rhénanie du Nord-Westphalie.

Une ville à la campagne

https://www.landschaftspark.de/rundweg-industriegeschichte/denkmal-huttenwerk/

Un autre parc ravit aussi petits et grands, autochtones et touristes, qui peuvent escalader à l’envi le « Tiger and Turtle », une sorte de grand-huit d’acier très impressionnant, installé au sommet d’un terril dans un espace vert aménagé autour d’une ancienne fonderie du quartier de Wanheim-Angerhausen. La nuit, la sculpture monumentale brille de mille feux et les visiteurs peuvent s’élever jusqu’à 13 m de haut au gré des volutes, dominant le paysage environnant de 48 m, se sentant comme des vigies scrutant les fleuves… Cette attraction-phare a été réalisée au printemps 2009 par la ville de Duisbourg, dans le cadre de l’opération « RUHR 2010 – Capitale européenne de la culture ». (Même si Essen avait représenté les 53 villes ayant postulé à ce titre, Duisbourg s’était aussi éminemment investie dans le projet.)

Et c’est empreints d’un enthousiasme écologique flamboyant que les habitants de Duisbourg évoqueront encore le domaine des six lacs, cette « Sechs-Seen-Platte » de 283 hectares, dont 25 kilomètres de promenades, un immense espace de détente où l’ont peur nager, pêcher, faire de la voile, et bien sûr randonner, comme tout Allemand qui se respecte ! Cet espace récréatif s’étend non loin du cœur de ville, à une portée de marche de l’émouvant « Waldfriedhof », le « Cimetière de la forêt » où l’on peut se recueillir, entouré d’arbres centenaires, devant les tombes de Lehmbruck et d’autres personnalités locales. Une nature luxuriante abreuve le promeneur qui soudain n’entend plus le vacarme de la cité, faisant silence devant le clapotis des vaguelettes ou respirant à pleins poumons un air rhénan devenu respirable et sain…

https://www.duisburg.de/wohnenleben/wasser/sechsseenplatte.php

On terminera cette aventure en s’aventurant encore dans un dernier parc duisbourgeois, le « Biegerhof », qui fait depuis 1961 le bonheur des habitants de ce quartier, racheté par la ville et richement boisé. Cet espace est devenu un domaine naturel protégé où un club équestre a aussi élu domicile et où l’on peut au fil des saisons admirer une faune et une flore variées.

Et on fond marchait mon grand-père…/Photo Sabine Aussenac

Duisbourg la confluente allie ainsi nature et culture dans une harmonie rarement égalée, tout en confiant ses enfants à un avenir de qualité grâce à l’université de qualité de Duisbourg-Essen, dont le campus abrite moult instituts à la pointe de la recherche, logés dans de curieux bâtiments en formes de… boîtes à gâteaux !

https://www.uni-due.de/welcome-centre/fr/

Oui, à mes yeux, Duisbourg est un peu une arche de l’alliance, résiliente après la crise industrielle, accueillante envers de très nombreux migrants après avoir été terre nourricière de générations d’immigrés issus d’Italie, de Turquie et d’Europe de l’Est, mêlant arts anciens et nouveaux, paysages urbains et espaces paysagers, et cette union sacrée se retrouve lorsque l’on a le bonheur de découvrir deux monuments historiques qui se dressent à quelques encablures l’un de l’autre, la « Salvator Kirche » (l’église Saint-Sauveur) et la mairie.

Alliance du trône et de l’autel…

Certes, le 13 mai 1943, le clocher de la plus ancienne église de la ville – qui se dressait depuis le quatorzième siècle à la place d’une ancienne église palatine et qui représentait l’un des plus marquants ensembles ecclésiaux du gothique tardif de la rive droite du Rhin – s’était effondré en flammes, lors d’un bombardement, sur l’église et la mairie, entraînant la destruction totale de l’église. Mais sa reconstruction, achevée en 1960, suivie par d’importants travaux de rénovation, permet aujourd’hui au visiteur d’admirer l’épitaphe de Mercator et surtout de fabuleux vitraux mis en lumière par divers artistes comme Jahnke ou Pohl, ainsi que le vitrail commémoratif érigé en l’honneur de l’ancienne synagogue d’après des esquisses de Naftali Bezem.

http://www.innenhafen-portal.de/standort/salvatorkirche.html

Mercator, encore et toujours, trône au-dessus du « Mercatorbrunnen », la « Fontaine de Mercator », depuis le jubilée du tricentenaire de son planisphère, en 1878, devant la mairie, tandis qu’un bas-relief d’un dieu aquatique et des statues de Charlemagne et de Guillaume Premier accueillent les administrés et les visiteurs du bâtiment néo-gothique. Mais c’est à l’intérieur que se découvre l’un des emblèmes de Duisbourg, rivalisant avec les imposants blasons de la salle des Illustres, sous la forme de ce « Paternoster », cet « ascenseur perpétuel » qui nécessite une certaine audace pour les aventureux citoyens de Duisbourg souhaitant sauter en marche dans cette drôle de machine à remonter le temps aux boiseries lustrées.

http://www.slate.fr/story/102493/sauver-paternoster-ascenseur

Voilà.

Nous sommes arrivés, ou peut-être pas, car nous reviendrons souvent, à l’instar de ces téméraires casse-cou empruntant le paternoster pour prendre l’Histoire en route…

Duisbourg, qui fait la nique à la grisaille de la Ruhr, Duisbourg, vieille dame de fer très droite encore avec sa collerette industrielle, mais qui peu à peu s’élance librement vers un avenir faisant la part belle à la nature et à l’écologie, Duisbourg où les soubresauts du passé se conjuguent aux audaces de la modernité au gré des musées et des arts, Duisbourg où cent nationalités s’égayent dans les jardins publics, au fil des rues piétonnes et dans les cours d’école, Duisbourg, cœur battant de l’Allemagne de toujours, de l’Allemagne d’aujourd’hui et de l’Europe, Duisbourg, « ville de l’eau et feu », comme le vante son office du tourisme, mais aussi ville de cette terre d’Europe et d’un air enfin libre et purifié, ville des quatre éléments en harmonie, nous tend les bras et continuera longtemps à tisser les fils du temps.

Partir et revenir…/Photo Sabine Aussenac

Quant aux statues du musée Lehmbruck, elles m’ont inspiré ce petit texte à écouter ici :

http://www.poesie-sabine-aussenac.com/cv/portfolios/et-la-pierre-respire-duisbourg-musee-lehmbruck-

Et la pierre respire

En colombes furtives apaisées de réel,

Les poitrines se galbent, élancées en plein ciel.

Tourterelles subtiles, telles oiselles endormies,

Elles frémissent en rêve, quand leur bronze sourit.

Émouvantes rondeurs de ces seins martelés,

Qui se donnent impudiques en leurs corps dévoilés.

Et la pierre respire, le burin la caresse,

Toute femme est lumière, la statue une messe.

Au musée endormi le visiteur frissonne,

Il découvre égaré les langueurs des Madones

Qui lui offrent ce sein comme au matin du monde,

Et la pierre s’éveille, jeune fille en printemps,

Sa douceur auréole une valse à mille temps.

Les tétins si mutins aux fatwas font la fronde.

**

Mai

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin

Des dames regardaient du haut de la montagne

Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne

Qui donc a fait pleurer les saules riverains ?

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière

Les pétales tombés des cerisiers de mai

Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée

Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement

Un ours un singe un chien menés par des tziganes

Suivaient une roulotte traînée par un âne

Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruines

De lierre de vigne vierge et de rosiers

Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers

Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

Guillaume Apollinaire, Rhénanes, Alcools, 1913

Merci à l’office de tourisme de Duisbourg qui m’a permis un incroyable séjour l’été dernier et m’a offert une extraordinaire visite guidée me faisant redécouvrir la ville de mon enfance, celle où je passais mes vacances chez mes grands-parents allemands. Merci à la si sympathique Inge Keusemann-Gruben et à notre guide si érudite, Astrid Hochrebe !

https://www.virtualmarket.itb-berlin.de/de/Inge-Keusemann-Gruben,a2289651

https://de.linkedin.com/in/astrid-hochrebe-561a361b

Le »Tierpark », le zoo de mon enfance…

Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages #vœux 2017

 Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages

 

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Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages, et ces grues qui s’envolent vers leurs pays lointains, et aussi des enfants aux yeux gourmands et sages, dévorant des bonbons comme au premier matin.

Je vous souhaite la joie, qui crépite et qui chante, surprenante parfois et allégresse enfin, la joie des collégiennes qui pouffent et qui pépient, oiselles folles dansant à l’orée de leurs vies.

Je vous souhaite du pain fleurant bon la campagne, le pain d’avant les villes, tout gonflé de levain, avec mies ondulantes, le pain aux belles tranches toutes ornées de saindoux.

Je vous souhaite du temps, celui qu’on apprivoise, le temps de ces horloges au balancier serein, le temps qui goutte à goutte nous ramène au silence, à tous ces autrefois qui nous voulaient du bien, le temps des diligences, des voyages en bateau, du transsibérien et des péniches lentes.

Je vous souhaite printemps débordant de jonquilles, avec des prés si verts qu’on en oublie la nuit, et puis mille clairières où palpite une biche, ses grands yeux vous offrant la confiance et la paix.

Je vous souhaite la mer, une plage au matin qui se donne au soleil, quand vaguelettes tendres sont caresses à nos âmes, et puis ce sable blanc, tout ourlé de destin.

Je vous souhaite des livres, des romans incroyables, et tant de nuits passées à en suivre la vie, et puis de vrais poètes, qui vous offrent en un mot l’univers paradis.

Je vous souhaite la foule qui ondule aux gradins, et puis les ballons ronds comme autant de sourires, mais aussi l’Ovalie, que chacun soit heureux.

Je vous souhaite ce ventre nubile et jaillissant qui soudain portera de doux rires à venir, et aussi les mains douces de cette aïeule folle, acceptons de l’aimer quand elle ne se sait plus.

Je vous souhaite l’été tout brûlant de cigales, le ressac qui murmure et les cheveux au vent, la montagne à gravir, le marché qui bourdonne, et mille mirabelles au panier rebondi.

Je vous souhaite la paix qui fait de nos déserts cette rose éclatante quand l’arme est déposée, la paix des lendemains, la paix dans les familles, la paix qui fraternise au Noël des tranchées.

Je vous souhaite un automne aux couleurs de vendanges, quand cette guêpe tangue d’avoir tant butiné, quand les grappes sont lourdes comme ventre de femme portant cette promesse comme on chante un secret.

Je vous souhaite l’amour, celui qui nous élève en calcinant joyeux tous nos doutes apaisés, celui des océans devenus des cours d’eau, quand le delta est source et la pluie fécondée, l’amour qui envahit, tourneboule et chavire, l’amour immaculé des amants de toujours.

Je vous souhaite des noces, des tablées de cousins, des épousailles folles, farandoles et festins, quand sous le grand tilleul on a dressé couverts, et que l’accordéon fait l’amour aux étoiles.

Je vous souhaite maisons aux draps de lin émus, surprenantes cuisines aux cuivres odorants, et des tapis moelleux qui rêvent d’Orient, quand un piano distrait rencontre un Darjeeling et que de la fenêtre on guette un beau retour.

Je vous souhaite un grand parc bondissant d’écureuils, des lilas audacieux, la chênaie toute fière, et cette roseraie qui ploie sous vermillons, la fontaine dressée vers ce patio dolent où comme en crinoline vous attendrez vos rêves.

Je vous souhaite un hiver tout ourlé de guirlandes, des cannelles enivrant le gingembre et le gui, des joues rosies d’enfants, un sapin odorant, et vos pas sur la neige qui crissent et qui s’enfoncent dans la ouate fragile de nos Noëls d’antan.

Je vous souhaite un travail, une tâche accomplie, ce qui relie les hommes et partage la terre, peut-être création, thaumaturge ou d’ilote, mais un travail surtout, pour demeurer debout.

Je vous souhaite courage si la nuit est partout, si un mal vous dévore, si la faim vous poursuit, si l’amour s’est enfui sous les traits d’une blonde, si on vous a trahi.

Je vous souhaite espérance des grands soirs aux drapeaux, quand on croyait en l’Homme en reniant les Dieux, car pour changer le monde il faut d’abord rêver.

Je vous souhaite des villes aux bruissements exquis, des klaxons en délire, des musées en folies, la culture partout, la musique hors les murs, le piano sur la place et les artistes en vol.

Je vous souhaite l’école en forêt buissonnière, l’instituteur qui rit et rassure et rayonne, les passions dévorantes pour l’atome ou le vers, l’école qui accompagne et le riche et le pauvre dans la fraternité.

Je vous souhaite des plages sous tous vos pavés, et l’imagination défiant les pouvoirs, des chars rouillant au loin, le lilas et les roses unis vers le destin.

Je vous souhaite mémoire de tant de vies des hommes, pour ne pas oublier les charniers et les camps, pour les enfants perdus à chérir dans les guerres, celles du temps présent, celles qu’on n’entend plus, celles qui surviendront malgré tous nos efforts.

Je vous souhaite la force, pour transcender l’horreur, les éclats des obus fracassant la Syrie, les migrants qui se noient dans cette mer atroce, les peurs du Bataclan et tous nos chers Charlie. Pour oublier Bruxelles et les cris des enfants, Nice vêtue de noir, Berlin ensanglantée et tous ces êtres éteints qui étaient de lumière, qui de notre planète ont fait un cimetière, pour oublier que l’Homme décapite et éventre, pour oublier les femmes qui partout sont souillées.

Pour oublier les maux, les souffrances et les nuits, ceux qui sont si malades, ceux qui errent sans vie dans nos villes sans cœur, pour oublier réel qui souvent n’est que fiel.

Je vous souhaite confiance en un monde nouveau, que l’Humain se relève, que tous les gens qui rêvent dessinent leurs destins, je vous souhaite de changer la vie, de transformer nos mondes, et que 2017 s’envole comme mille hirondelles vers un soleil nouveau.

 

http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-djihad-d-amour-l-emouvant-message-du-mari-d-une-victime-des-attentats-de-bruxelles?id=9489481&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=twitter_share

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Lorsque Sète scintille et regarde au Levant

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Lorsque Sète scintille et regarde au Levant

Lorsque Sète scintille et regarde au Levant,
La mer clame innocence et caresse soleil
De reflets azurés charmant l’astre vermeil,
Quand au loin s’éparpillent mille grands oiseaux blancs.

Les pêcheurs se reposent, la criée bat son plein,
Des enfants aux joues pâles font au sable une offrande :
Coquillages et palourdes danseront sarabande,
Et les vagues moutonnent comme un blé en levain.

Vers le Môle endormi un fantôme sourit,
C’est le bel Exodus qui découvre Arcadie.
En chemin de Saint-Clair on entend tourterelles.

Les genêts et les roses en fauvisme éclatant
Y conduisent nos pas vers un ciel d’hirondelles
Qui survolent d’onyx les tombeaux des plus grands.

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http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=194676&forum=2

Théâtre …à l’italienne! Les Journées du Théâtre Lycéen au TNT.

 

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Elle était là, l’Italie, le 10 avril, sur la grande scène du TNT. Vibrionnante de soleil, éclatante de rêves, foisonnante comme une rue de Naples, fébrile comme une scène de Fellini, embaumant l’atmosphère « comme un parfum de basilic dans l’assiette du monde »…

La centaine d’élèves issus de neuf lycées de notre académie, ayant pratiqué le théâtre au sein de leur établissement, étaient venus présenter à un public conquis leurs créations autour du thème de L’Oiseau vert de Carlo Gozzi, en écho à la création de Laurent Pelly, dans le cadre du partenariat entre le TNT et l’académie de Toulouse.

Cette magnifique manifestation, qui s’inscrit superbement aux côtés de « Jeunes au cinéma », du Prix d’écriture Claude Nougaro ou des « Projets d’Avenir », était donc la septième édition de ces Journées du Théâtre Lycéen qui transforment la scène du TNT en une pépinière de jeunes talents plus éblouissants les uns que les autres !

Il fallait les voir, nos jeunes, faisant mine d’être décontractés avant le spectacle, dansant nonchalamment au son des accords du groupe Down Jacket dans le hall, comme on danse à seize ans, pleins de grâce et d’innocence…

https://www.facebook.com/pages/Down-Jacket/298938433449965?fref=ts

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!18012&authkey=!AGaTWRqNZbCkq9Q&ithint=video%2cmp4

Mais j’ai pu aussi accompagner les lycéennes de Saint-Sernin cachées derrière la porte avant leur entrée en scène, tremblantes comme des biches aux abois à l’idée de la lumière, toutes inquiètes et pétrifiées de trac… C’est qu’il en fallait, du courage, pour monter sur cette scène qu’ont magnifiée les plus grands…

Le résultat des mois d’intense préparation a été à la hauteur de leurs espérances. Le public ne s’est pas ennuyé une minute, applaudissant à tout rompre. C’est le lycée Gabriel Fauré de Foix qui a ouvert le bal, avec un habile montage de la Divine Comédie et d’autres pièces. Mêlant airs culinaires et saveurs théâtrales, les lycéens ont, dans un déferlement de couleurs et d’audaces, restitué la belle ambiance festive de cette Italie dont ils scandèrent le nom.

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Le lycée Maréchal Soult de Mazamet, lui, avait choisi de présenter de façon plus classique les Cancans, de Goldoni, nous offrant dans une mise en scène colorée le portrait des rumeurs qui nous semblèrent étrangement actuelles… Les ragots des lavandières s’entrechoquaient aux rires des marchands de Venise dont le bel accent tarnais emporta le public…

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Vint ensuite, avec le lycée Clémence Royer de Fonsorbes,  un amusant mélimélo de deux pièces enchevêtrées, l’Oiseau vert parodié et Six personnages en quête d’auteur se disputant le premier rôle dans un fracas de gags et dans un joyeux désordre très applaudi.

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Le lycée du Caousou, de Toulouse, avait choisi de revisiter le Baron perché d’Italo Calvino, évoquant les soubresauts de révolte de l’adolescence face à l’immuable marche du monde. Il était beau, Côme, épris de liberté du haut de son arbre, ne cédant jamais au conformisme de ses aînés…

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!17996&authkey=!AC8Lv_robhaNWZ0&ithint=video%2cmp4

Le lycée agricole d’Auzeville avait travaillé dix séquences de la Fête, de Spiro Simone, nous emportant dans les gestes répétés d’un quotidien entrecoupé par la fête, virevoltant dans cette ronde inachevée et burlesque.

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Au lycée Saint-Exupéry de Blagnac, on s’était approprié l’âme de Fellini, mêlant les scènes les plus époustouflantes de la Dolce Vita et d’autres chefs d’œuvres qui soudain transformèrent le TNT en grand écran… Nous aurions presque cru apercevoir le visage de Marcello et de Monica…

Le lycée Pierre d’Aragon de Muret, lui, nous offrit Dario Fo et son Apocalypse différée, facétie experte d’un imaginaire bien proche du réel, nos jeunes mimant les illusions perdues d’un monde à la dérive.

La grande surprise nous vint du lycée Saint-Sernin de Toulouse, quand soudain quatre groupes de jeunes se postèrent à différents angles de la salle, dans une scène éclatée, obligeant le public à de savantes contorsions pour entendre leur balade du jeune Jean Baptiste, librement adaptée de Bruits d’eaux de Marco Martelli, en écho bouleversant des centaines de migrants s’échouant et périssant dans les eaux de mare nostrum et de l’Adriatique… Même leurs chuchotements, si audibles malgré le seul murmure, figèrent la salle dans une émotion quasi cathartique…

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https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!17988&authkey=!APVEVZUi2-7y6oU&ithint=video%2cmp4

Enfin, en véritable apothéose de cette soirée inoubliable, le lycée du Castella de Pamiers nous offrit une composition chorale et fantaisiste de la vie de Silvio B., régalant les spectateurs de divers délires colorés et décalés.

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N’oublions pas non plus les intermèdes, assurés par des jeunes de différents lycées dans une joyeuse créativité annonçant les divers tableaux.

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!17984&authkey=!ABaWOmvsFqzNmmQ&ithint=video%2cmp4

La salle applaudit longuement les acteurs en herbe, vedettes d’un soir et héros d’une vie, portant en eux les germes d’un talent certain et les promesses de tous ces avenirs bariolés que nous leur souhaitons tant…

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!17973&authkey=!AIUDrYwiJsjtGBQ&ithint=video%2cmp4

Et comme l’avaient souligné en introduction Laurent Pelly, accompagné de Madame la Rectrice et de la représentante de la Région, chacun a eu conscience du rôle capital que le théâtre et, par là-même, les arts, peuvent jouer dans la construction de toutes ces identités lycéennes et citoyennes…

C’est bien ces promesses de l’aube, d’ailleurs, dont nous regrettons tant la mort annoncée, avec ces réformes successives qui peu à peu érodent les richesses de notre système scolaire, quand la réforme si contestée du collège supprime les dotations dédiées aux clubs, aux chorales, aux activités diverses, quand les heures de latin ou d’allemand sont menacées de disparition, comme ont été mises à mort tant d’options au lycée… Oui, la blogueuse du Monde est aussi (et avant tout !) prof d’allemand, et je sais bien que jamais mes futurs élèves n’auront l’occasion de jouer une quelconque scène de Schiller ou de Brecht, quand presqu’aucune école primaire de l’académie ne propose de l’allemand en initiation, quand deux heures suffiront à peine pour apprendre les rudiments de la langue de Goethe…

C’est bien l’inverse qu’il conviendrait de mettre en place : l’art au service de l’école, le théâtre dès la maternelle, et pourquoi pas, un jour, les Journées de la Poésie Lycéenne au TNT… Car nos jeunes ont aussi besoin de s’exprimer, d’apprendre autrement que dans les livres, ces livres qu’ils ne lisent plus, et surtout de réinvestir la réalité, pour échapper à la dictature des écrans… Et cette réalité, ne la trouveraient-ils pas avant tout dans le rêve qu’offrent l’art, la culture et la création ?

« On enseigne tout aux gens, sauf à vivre. » Marcelle Auclair.

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Et le 28 mai , les lycéens du Caousou ont à nouveau joué…dans le Cloître du lycée!

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!20475&authkey=!AI_jlB-UJ7l7Ku8&ithint=video%2cmp4

 

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=69555&forum=2

http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2009/12/08/1829601_souviens-toi-du-vase-de-soissons.html

 

 

 

 

 

En attendant tous ces grands oiseaux blancs

En attendant tous ces grands oiseaux blancs

 en attendant tous ces grands oiseaux blancs A4 fond gris

Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent,

En vivante étincelle, talisman de merveilles.

Des colliers de bonheur pour conjurer la bile,

Tournesols et lilas aux odorants sommeils.

 

Parce qu’il ne faut pas emprisonner le soleil

Dans ces boîtes-prisons qui font de nous des fous,

Étalons la lumière sur le mur de nos ciels :

Notre terre infinie, d’Éternité la roue…

 

La lumière viendra, océan des possibles,

Réconcilier les hommes et la vie et le temps.

Plus besoin de Torah, de Coran ou de Bible :

 

L’amour aura vaincu, la paix sera enfin.

En attendant tous ces grands oiseaux blancs

Continuons à nous regarder, même de loin.

***

Dédié à Marlon qui se reconnaîtra 🙂

***
Création de Sabine Aussenac, inspirée de ces vers de Salah Al Hamdani…

http://www.confluences.org/Printemps-des-Poetes-Concours
« Parce qu’il ne faut pas enfermer le soleil
Dans une boîte
Étalons la lumière sur le mur
Et continuons à nous regarder même de loin »

Vidéo imaginée pour le Concours Confluences, à l’occasion du Printemps des Poètes!

-crédits:
* Musiques: Einaudi
* Vidéo tournée au collège Mermoz de Blagnac par l’auteur
* photo « Je suis Charlie » à Alep: Zaina Erhaim
* Poésie et photos Sabine Aussenac.
Image de la lumière sur le mur prise au musée du Catharisme de Mazamet.

Ensemble, au cœur des arts, osons l’Insurrection poétique!

Et la pierre respire

Toutes les photos ont été prises au musée Lehmbruck de Duisbourg.

Et la pierre respire

En colombes furtives apaisées de réel,

Les poitrines se galbent, élancées en plein ciel.

Tourterelles subtiles, telles oiselles endormies,

Elles frémissent en rêve, quand leur bronze sourit.

 Émouvantes rondeurs de ces seins martelés,

Qui se donnent impudiques en leurs corps dévoilés.

Et la pierre respire, le burin la caresse,

Toute femme est lumière, la statue une messe.

Au musée endormi le visiteur frissonne,

Il découvre égaré les langueurs des Madones

Qui lui offrent ce sein comme au matin du monde,

Et la pierre s’éveille, jeune fille en printemps,

Sa douceur auréole une valse à mille temps.

Les tétins si mutins aux fatwas font la fronde.

Inspiré par le Musée Lehmbruck de Duisburg.

Texte à lire aussi sur:

Album du Musée sur: