Je suis Pays de France, et je me tiens debout #CharlieHebdo #attentats

Peut être une image de mur de briques

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

**

Je suis la passerelle

entre peuples lointains,

un creuset des sourires,

un infini destin.

Je suis le garde-fou

contre l’intolérance,

ce grand phare qui brille,

un flambeau qui jaillit.

Je suis la vie qui danse

en immense rivière

de nos espoirs dressés.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis l’enfant qui joue

à ses mille marelles,

regardant ces ballons

aux éclats d’arc-en-ciel.

Je suis l’aïeul qui tremble,

son regard ne faiblit

quand mémoire caresse

les fiertés de sa vie.

Je suis femme au beau ventre

palpitant d’espérance.

Tout enfant en son sein

sera nommé Français,

elle est la Marianne,

et elle nous tient la main.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu as voulu salir

tous nos siècles de lutte,

croyant que de tes fers

tu ôterais le jour.

Tu as en vrai barbare

conspué l’innocence,

éventrant d’un seul geste

une nation de paix.

Mais nulle arme ne peut

gommer nos insolences,

nul canon ne saurait effacer

ces couleurs, ces dessins magnifiques,

ces libertés qui dansent,

et nul boucher ne fera de nos cœurs

des agneaux.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu es ce porc ignoble qui

attend les cent vierges

en violant tant de femmes

dont tu voiles les corps.

Tu es coupeur de têtes,

tu es sabre levé, tu es balle qui tue,

mais tu ne comprends pas

que tout ce sang versé ne devient que lumière.

Tu attends paradis

mais iras en enfer,

car ton Dieu punira toute ta route impie.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis le poing levé,

quand de douleur intense

d’un pays tout entier le cœur

s’est arrêté.

Je suis la place immense,

un vaisseau de courage,

un grand galion qui vole,

en espoir rassemblé.

Je suis la dignité, le partage et l’audace,

je suis mille crayons

qui dessinent soleils,

je suis cette ironie au devoir d’insolence,

je suis million de pages,

et le feutre qui offre

ces immenses fous-rires,

je suis l’impertinence,

comme une encre jetée

pour amarrer demain.

**

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

7 janvier 2015

Peut être une image en noir et blanc de 5 personnes, personnes debout et intérieur

La lumière, c’est vers elle que tu marchais.#hommage à #SamuelPaty #école #attentat

Ouvrir les yeux.

Crier.

La lumière, c’est elle qui t’a ébloui.

Inspirer ta première bouffée de vie, te blottir, téter, être câliné.

Découvrir ta main, ton reflet. Beau bébé potelé tout gorgé de tendresse.

Jouer tenir assis ramper faire tes premiers pas gazouiller sourire édenté faire tes nuits rire aux éclats dire « papa ».

Regarder le ciel. T’émerveiller de ces vastes plaines auvergnates, courir le long des berges de l’Allier, devenir un garçonnet.

Apprendre à lire à la Communale, ambiance à la Pagnol peut-être, tes parents si fiers de leur fils si éveillé et curieux.

Avoir dix ans, des copains, des cartes panini, des légos et des livres, un ballon, un vélo, des genoux écorchés et toujours le sourire.

La lumière, c’est elle qui t’as guidé : vers ces auteurs que tu as dévorés dès l’adolescence, avec cette appétence pour les savoirs ; vers cette Histoire que tu rencontrais à chaque recoin de Moulins ; vers la géographie qui te donna le goût des voyages.

Grandir, écouter la radio, des CD, découvrir le rock, danser, regarder les sourires et les yeux des filles, aimer, s’émanciper, rêver, se projeter.

Travailler comme un fou, aimer l’école, le collège, le lycée, décrocher son bachot.

La liberté, tu l’as rencontrée à Lyon, jeune étudiant brillant, entre traboules et ENS, quais du fleuve et bibliothèque. À Lyon où coule le Rhône tu as su que ton cours suivrait celui de la transmission, depuis la source de tes apprentissages familiaux jusqu’au confluent de l’école de la République où tu retournerais, vers l’océan des enfants à éduquer.

Apprendre, toujours ; écrire des dissertations, des projets, des mémoires ; sortir, aussi, faire la fête, danser, chanter, être aimé. La fraternité, tu l’as vécue durant ces années étudiantes, en prépa et à la fac.

Passer les concours, te colleter aux savoirs et aux autres, te surpasser et pourtant la chérir plus que tout : l’égalité, celle qui permet à chaque enfant de la République de grandir au gé de l’école, du lycée, de l’université.

Trembler un peu avant ton premier cours, et puis te jeter dans l’arène et aimer cette étincelle, ce frisson de la foule qui t’attend et qui pourrait de toi ne faire qu’une bouchée, jeune prof fragile. Mais ne pas avoir peur, oser transmettre, combattre ta timidité, humble devant le regard des autres mais souverain sur la matière que tu enseignes.

La lumière, c’est vers elle que tu marchais. Celle qui s’allume dans les regards pleins de défi et pourtant d’espérance, celle qui fait briller la joie lorsque l’on a compris un texte ou une idée, celle qui fait danser les esprits toujours en quête d’absolu, comme le tien l’était lorsque tu avais l’âge de tes élèves.

Enseigner corriger guider rassurer calmer départager apaiser faire rire être complice partager aimer : tes cours te ressemblaient.

Et puis la vie qui passe un bonheur des nuages ton fils ta bataille une compagne qui comme toi aime la poésie vos sorties vos partages tout ces petits moments qui tissent nos chemins.

Chaque année sur le métier remettre ton ouvrage ne pas baisser les bras, car chaque enfant doit avoir le droit à l’insolence, au libre-arbitre, à la réflexion. Tu es toujours Charlie et c’est une évidence : décrypter dédramatiser ouvrir les esprits gommer les tensions nommer les libertés dessiner la laïcité se faire le flambeau de l’esprit démocratique.

Soudain l’orage gronde : expliquer t’expliquer faire face à la fronde faire le dos rond faire les cent pas faire front face aux meutes faire bonne figure auprès de tes proches faire des cauchemars faire abstraction des haines et des violences pour faire cours, encore et toujours, même au cœur des tumultes.

Te sentir humilié rabaissé avili isolé abandonné par la hiérarchie vilipendé par des inconnus lynché sur les réseaux sociaux mal à l’aise face aux élèves désemparé devant l’iniquité.

Avoir peur. Mais faire face.

La lumière. C’est vers elle que tu marchais. Enfin, les vacances. T’évader oublier te ressourcer dépasser ces horreurs.

Rabattre ta capuche, raser les murs, prendre un chemin isolé ; ne pas remarquer qu’on te suit, ou qu’on t’attend.

Crier. Hurler. Souffrir atrocement. Te sentir être mutilé découpé égorgé te sentir partir te sentir mourir.

Expirer ta dernière bouffée de vie.

Seul.

La lumière, c’est elle que tu as vu une dernière fois.

Fermer tes yeux.

***

Tu ne sais pas encore que la République que tu as tant aimée fera de toi un martyr. Que U2 veillera sur ton cercueil. Ni que le 2 novembre, le jour de la rentrée, il y aura simplement une minute de silence dans les classes, la lecture d’une lettre, et puis le silence.

Et puis la nuit.

Refuser. Refuser de t’oublier. Refuser d’oublier ta lumière, ton nom, tes combats, ta mort atroce. Sur nos pupitres d’écoliers, sur toutes nos pages lues, sur le fronton de nos collèges crier ton nom : et par le pouvoir d’un mot recommencer ta vie être né pour te connaître pour te nommer : 

Samuel Paty.

Le Principal porte un costume…#SamuelPaty #école #attentat #laïcité #jesuisprof

J’ai écrit ce texte en 2008. Je le retrouve en remettant en ligne mon ouvrage « #jesuislalaïcité« , que j’avais publié il y a quelques années. Les larmes me montent aux yeux en le lisant. En pensant à Samuel Paty, notre brillant collègue, mon frère, notre frère.

**

Le chef d’établissement et son adjoint, toujours tirés à quatre épingles, veillent au grain tels des capitaines de frégate. Le Principal porte un costume et semble toujours prêt à recevoir quelque délégation ministérielle.

Au fronton du collège, les mots « Liberté, égalité, fraternité », et ce drapeau qui vole au vent mauvais.

Un îlot. Notre collège est un îlot de résistance.

Mais nous ne sommes pas en terre inconnue, non, ni en terre ennemie. Non, nous sommes en France, juste en France.

La France qui, dans cette cité, comme dans des milliers d’autres, a la couleur des ailleurs. Ce sont ces serviettes de toilette qui sèchent à même le trottoir, sur l’étendoir, devant l’échoppe du petit coiffeur-barbier.

Ce sont ces femmes voilées, en majorité dans la cité, et parfois même entièrement voilées, malgré l’interdiction républicaine, qui se promènent, entre cabas et poussette, depuis le ED jusque chez le boucher hallal. La boulangerie aussi est hallal ; et puis la cantine du collège, aussi.

Ce sont les tours immenses, et les trottoirs salis. Et ces hommes, tous ces hommes désœuvrés, assis aux terrasses des cafés, ou faisant mine de conspirer avant quelque mauvais coup devant la station de métro. C’est que nous avons eu deux meurtres en deux semaines, dans le quartier…

Si l’on marche dans les rues, les seuls signes d’appartenance à la France sont les sigles des bâtiments administratifs : CAF, ASSEDIC… Pour tout le reste, on pourrait se croire à Tunis, Alger ou Marrakech. Pas de Monoprix ou de Zara, ici, seuls quelques magasins de décorations du Maghreb…

Les boutiques aussi sont tournées vers La Mecque.

Seule la pharmacie, courageuse en ces temps de l’Avent, a osé un sursaut de fierté chrétienne, disposant deux petits sapins sur le trottoir.

Au collège, pourtant, la République veille : la technique et les moyens mis en œuvre par l’Etat sont partout ; ordinateurs et rétroprojecteurs dans chaque salle, CDI flambant neuf… Les partenariats sont innombrables, les « dispositifs » bien rodés, bref, on a l’impression, plus que jamais, d’être au cœur de cette « école de la République », celle qui se bat pour ses enfants. Certains enseignants sont là depuis plusieurs années, en poste, heureux et motivés. Allant de « projet » en « parcours découverte 

Mais au collège, il y a aussi ce mégaphone utilisé pour appeler les élèves ; car la cour ressemble davantage à une jungle qu’à un couloir de Janson de Sailly… Et les traits tirés des assistants d’éducation ; et l’épuisement de quelques collègues. Car l’insularité a ses limites…

La réunion de parents, par exemple, où les dits parents ne viennent voir que le professeur principal, puisqu’ils doivent entrer en possession des bulletins en main propre. –bon, parfois, si, ils se déplacent, enfin les papas, mais là, c’est juste pour incendier une collègue, entre quatre yeux, et de façon extrêmement violente…

Les enfants, eux, dont certains sont brillants et motivés, débordent d’énergie. Une heure de cours en ZEP ne ressemble en rien à une heure de cours classique, puisqu’il s’agit aussi bien de transmettre du pédagogique que de l’éducatif…En troisième, encore et encore, leur dire qu’on ne se lève pas en cours…Et puis expliquer encore et toujours qu’on n’élève pas la voix, qu’on ne parle pas arabe en classe, qu’on ne s’insulte pas…

Certains m’ont fait une petite rédaction, sur leur vision de leur avenir. C’était édifiant, touchant, mais aussi très inquiétant.

Car si tous s’imaginaient riches, et exerçant un « bon métier », tous, aussi, comptaient épouser une femme « musulmane » (« elle portera le voile si elle le souhaite »), et, surtout, donner des prénoms arabes à leurs enfants.

Et c’est bien ce petit détail-là qui, plus que les voitures brûlées, plus que le port du voile intégral dans le métro, plus que le désœuvrement et la violence, m’interpelle : si, au bout d’une ou deux générations, les enfants des « quartiers », pourtant « français » à 90%, continuent à imaginer donner des prénoms arabes à leurs propres enfants, l’intégration ne se fera jamais. JAMAIS.

Et ce en dépit des énormes moyens que l’Etat investit dans l’éducatif ; et ce en dépit du « modèle républicain »… Et ce n’est pas tant lié à ce sentiment d’exclusion de nos élèves- la plupart d’entre eux ne se rendent jamais en centre-ville, vivant en vase clos dans le hors monde de la cité…- qu’à cette dérive protectionniste et communautariste dont ces enfants font preuve, dès leur plus jeune âge : leur pays, c’est… le « bled » ! Pourtant, certains viennent de décrocher des stages dans de prestigieuses entreprises de la région toulousaine, et rêvent de devenir PDG un jour. Mais on a l’impression toujours que leurs valeurs demeureront celles d’une autre culture, et d’un autre âge, quant à leur vision de traiter les femmes, par exemple…

Alors quand je pousse la grille de mon petit collège de ZEP, et que je vois cette devise républicaine en orner timidement le fronton, et toutes ces équipes pédagogiques et administratives motivées, mais épuisées, je me demande quelles solutions nous pourrions mettre en œuvre pour que Marine Le Pen n’ait PAS raison.

Comment, oui, comment arriver à une dynamique réelle d’intégration ? Comment arriver à transmettre ce creuset républicain à ces générations d’élèves n’ayant de la vie et du monde qu’une vision tronquée, muselée par leurs communautarismes ? Comment revitaliser ces cités où la France n’est plus représentée que par ses administrations ? Comment y faire régner non pas seulement l’ordre, mais la paix, et, surtout, la joie ?

Il me semble que ce que nous faisons et transmettons ne suffit pas, et que nous lâchons trop de lest. Certes, la loi sur la laïcité existe, mais elle n’est pas respectée, puisque de plus en plus de cantines sont hallal d’office. Certes, la loi sur l’interdiction du port de la burqa existe, mais elle est loin de faire la part des choses et de régler le problème des fillettes voilées de plus en plus jeunes.

J’ai peur que peu à peu, notre pays ne se clive et ne se détourne des processus d’intégration qui ont fait sa grandeur et sa force, j’ai peur que les métissages ne se fassent que dans un sens.

Je souhaiterais que soient mises en place de véritables heures d’éducation civique spécialement orientées vers l’idéal d’intégration et vers la place des femmes ; je souhaiterais que des commerces « non hallal » soient à nouveau implantés dans les cités, de grandes enseignes, des magasins de chaussures, de vêtements-et pas seulement des échoppes de babouches et de robes à paillettes-, des franchises « classiques », et aussi des magasins d’alimentation « lambda » ; je souhaiterais que des librairies non religieuses ouvrent dans nos cités, et des magasins de musique, et des salles de sport…Et des centres d’épilation, et des parfumeries, et des magasins de lingerie…Et des magasins de jouets, et des salons de thé sans menthe !

Je souhaiterais que la vie vienne vers la cité, puisque la cité ne vient plus vers la vie, hormis pour faire des « descentes »en ville, dont on sait qu’elles sont parfois liées à des dérives, à des vols en bande organisée, à des exactions de casseurs…

Ce qui nous manque, c’est une normalité intégrative, c’est un désir réciproque de partage. Quand j’ai dit, par exemple, que j’allais parler de Noël en cours, puisque Noël est la plus grande fête allemande et un moment fort de la culture germanique, « ils » m’ont tous rétorqué qu’ils ne fêtaient pas Noël, que c’était une fête chrétienne, etc. Mais nous avons malgré tout ouvert les fenêtres et mangé les chocolats du petit calendrier de l’Avent, et fait quelques activités. Et si j’en avais eu le temps et les moyens, j’aurais aimé les emmener voir un marché de Noël en Allemagne…

Je remarque chaque jour que mes élèves vivent dans un nomansland culturel, malgré le Centre Culturel du quartier, et malgré l’énergie remarquable dont font preuve les équipes administratives et pédagogiques du collège… Que soit au niveau des partages économiques ou intellectuels, ces enfants et ados sont dans une zone de non droit, dans un endroit où les échanges de base ne se font plus.

Et c’est à la République de se donner les moyens de changer cela, avant qu’il ne soit trop tard, avant que les camps ne se forment de façon définitive, avant que le FN ne prenne peut-être un jour le pouvoir, avant que les « Frères Musulmans » ne remplacent peu à peu sécu, ASSEDIC, école et loisirs…

Je ne veux pas que mon pays renonce à l’idéal des Lumières : éduquer, enrichir, élever les esprits.

Liberté de pensée, égalité entre les femmes et les hommes, fraternité entre nos cultures : agissons !

**

Ce texte a donc été écrit il y a plusieurs années et était paru dans « Le Post », ancêtre du Huffington Post, bien avant les attentats…

Quelques années plus tard, en 2012, j’avais à nouveau été en poste dans ces quartiers, au moment de l’affaire Merah… Car Samuel Paty n’a pas été, hélas, le premier professeur assassiné par un islamiste…

https://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Aujourd’hui je pense à ces collégiens victimes de leur naïveté et/ou de leur bêtise fomentée par le salafisme qui gangrène notre démocratie, et je pleure aussi sur cette situation inacceptable… Sur notre école qui n’a pas su prévenir l’horreur, faire corps défendant autour d’un collègue mis à mal par une fatwa. Et j’ai une pensée émue pour mes collégiens de l’époque, pour la brillance intellectuelle de certains, pour les garçons qui m’ouvraient la porte en disant « Ich bin ein Berliner », pour le petit mot de fin d’année où ils avaient écrit « Ich liebe dich ». Je les espère loin, loin de ces mouvances, et je souhaite que nous puissions, ensemble, faire front, nous relever, agir et apaiser.

Pour que « Monsieur Paty » ne soit pas mort mutilé, égorgé et décapité pour « rien ».

Et quelques liens vers les innombrables textes écrits après les attentats…

https://sabineaussenac.blog/tag/attentats/

Je suis Pays de France, et je me tiens debout

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis la passerelle

entre peuples lointains,

un creuset des sourires,

un infini destin.

Je suis le garde-fou

contre l’intolérance,

ce grand phare qui brille,

un flambeau qui jaillit.

Je suis la vie qui danse

en immense rivière

de nos espoirs dressés.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis l’enfant qui joue

à ses mille marelles,

regardant ces ballons

aux éclats d’arc-en-ciel.

Je suis l’aïeul qui tremble,

son regard ne faiblit

quand mémoire caresse

les fiertés de sa vie.

Je suis femme au beau ventre

palpitant d’espérance.

Tout enfant en son sein

sera nommé Français,

elle est la Marianne,

et elle nous tient la main.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu as voulu salir

tous nos siècles de lutte,

croyant que de tes fers

tu ôterais le jour.

Tu as en vrai barbare

conspué l’innocence,

éventrant d’un seul geste

une nation de paix.

Mais nulle arme ne peut

gommer nos insolences,

nul canon ne saurait effacer

ces couleurs, ces dessins magnifiques,

ces libertés qui dansent,

et nul boucher ne fera de nos cœurs

des agneaux.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Tu es ce porc ignoble qui

attend les cent vierges

en violant tant de femmes

dont tu voiles les corps.

Tu es coupeur de têtes,

tu es sabre levé, tu es balle qui tue,

mais tu ne comprends pas

que tout ce sang versé ne devient que lumière.

Tu attends paradis

mais iras en enfer,

car ton Dieu punira toute ta route impie.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Je suis le poing levé,

quand de douleur intense

d’un pays tout entier le cœur

s’est arrêté.

Je suis la place immense,

un vaisseau de courage,

un grand galion qui vole,

en espoir rassemblé.

Je suis la dignité, le partage et l’audace,

je suis mille crayons

qui dessinent soleils,

je suis cette ironie au devoir d’insolence,

je suis million de pages,

et le feutre qui offre

ces immenses fous-rires,

je suis l’impertinence,

comme une encre jetée

pour amarrer demain.

Je suis Pays de France,

et je me tiens debout.

Dédié à Cabu, Wolinski, Charb, Frédéric, Ahmed, Franck, Elsa, Michel, Bernard, Honoré, Tignous, Moustapha, Clarissa, et aux victimes dont j’entends parler à l’heure où j’écris ce texte, dans l’épicerie casher…

(Poème paru dans mon blog du Monde après les attentats de janvier 2015.)

Ou pas (Hommage aux victimes des attentats #Bataclan)

Aucun texte alternatif disponible.

Putain ils assurent les gars incroyable ça déchire grave c’est vraiment dommage que Fred soit pas là il aurait kiffé grave en plus j’adore le look du type à la batterie faudra que je pense à me dégotter un blouson aux Puces un de ces quatre attends c’est quoi ça merde des pétards n’importe quoi ça craint c’est pas cool en plein concert oh merde non c’est pas des pétards putain ça tire là non je rêve ça tire sur nous putain ils déconnent là les gars de la sécurité y a un dingue qui nous vise ou quoi pas le choix je me jette au sol je vais ramper jusqu’à la scène et me planquer je rêve et dire que la semaine dernière on a encore fait l’exercice de PPMS avec les gamins j’ai passé l’heure à les rassurer je rigolais intérieurement je me disais que c’était du grand n’importe quoi leurs lois sur la sécurité l’état d’urgence tout ça bon cool mec respire un grand coup ça va le faire oh non la fille devant moi vient de se prendre une balle elle hurle et son ventre m’éclate à la gueule je détourne le visage une seconde trop tard quel con j’ai du boyau sur la joue mais je m’en balance complet parce que là ça tire de plus en plus fort je rampe comme un fou je ne vois plus rien j’ai du sang sur les yeux c’est un cauchemar bon ils font quoi là les flics elle est où la police putain de bordel quand on a besoin d’elle et les pompiers putain quoi merde on est en France en 2015 on paye des impôts pour être protégés non ça beugle de partout ça tire je crois qu’ils sont plusieurs j’ai vu des gens arriver à partir par des portes de derrière la scène semble vide mais je vais jamais arriver à passer les mecs et les nanas sont agglutinés au sol devant moi y en a des dizaines qui pissent le sang qui hurlent qui appellent leur mère je vois la blonde qui m’avait filé du feu dans la queue qui me regarde avec les yeux emplis d’effroi elle est touchée on dirait elle me supplie du regard de rester avec elle je cherche au fond de ma poche je tire mon bandana je lui file et je l’aide à entourer son bras ça pisse dru elle en a plein son chemisier blanc je lui murmure ça va aller reste cool reste au sol ne parle pas et juste là on entend les mecs s’approcher je vois rien j’ai la tête penchée vers le sol je bouge pas je suis couvert de sang et de bouts de cervelle putain pourvu qu’ils pensent que je suis mort putain Seigneur si t’existes et que là tu me files un coup de main je te jure je fais tout ce que tu veux genre je vais voir mes parents chaque semaine je touche plus un verre de ma vie j’arrête Tinder je passe le CAPES au lieu de jouer les contractuels depuis des années je me range des voitures putain je te jure attends là ça craint ils tirent apparemment sur tous les gens qui leur adressent la parole qui disent pitié pitié épargnez moi j’ai des enfants bam une rafale ils descendent tout ce qui bouge on est des lapins dans leurs phares ils nous foncent dessus comme des malades je veux pas voir ça je veux me réveiller Seigneur faites que je me réveille merde non ils m’ont touché je sens une douleur atroce qui explose mon genou ils m’ont tiré dessus les salauds je bouge pas je mords ma main jusqu’au sang faut qu’ils croient que je suis mort je bouge pas un cil je suis un cadavre je suis un cercueil je suis ailleurs je n’existe pas putain on dirait que ça a marché ils sont partis à l’autre bout de la salle punaise je regarde vers le bas mon jean est rouge vif je chope un truc qui traîne par terre sous une nana qui regarde vers le ciel vide avec ses grands yeux ouverts horrifiés je crois que c’est un tee shirt il est plein de trucs mouillés mais je m’en sers comme d’un garrot putain voilà enfin ça me sert de m’être farci la formation de secouriste l’an dernier allez mon gars t’es fort t’es un killer tu vas t’en sortir t’es John McClane je sais maintenant pourquoi je préfère Bruce Willis à Woody Allen au moins ça peut servir de bouffer des pizzas devant Piège de Cristal allez respire t’es encore là attends je sens que je pars non c’est trop con pas maintenant non non putain c’est pas vrai ça a pas changé combien de temps je suis resté dans les vaps je glisse un œil à ma montre merde deux heures chuis resté deux heures dans ce boxon y a moins de bruit que tout à l’heure on dirait on entend presque plus rien sauf de temps en temps un sanglot ou un cri suivi d’une rafale ils vont finir par partir non c’est pas possible je les entends de nouveau s’approcher j’ose lever les yeux ils sont jeunes merde mon âge ils regardent de l’autre côté je me glisse sous un type qui a l’air complètement froid déjà je fous ma tête sous son torse et je prie putain je prie de nouveau Allah Vishnou Jéhovah Bouddha allez les gars qui que vous soyez je m’en tape je suis avec vous j’irai au temple chaque dimanche putain ils arrivent ils vont voir le mec bouger avec ma respiration pourvu qu’ils tirent sur lui il s’en fout il est mort putain allez ou alors qu’on en finisse tant pis pour tous ces pays que j’ai pas vus tant pis pour mon job de toutes façons j’y croyais à moitié tant pis pour ce putain d’amour de toutes façons depuis Mathilde j’y crois plus mais je jure je jure devant Dieu que si je m’en sors je prends mon billet pour NY et je lui hurle devant la Statue de la Liberté que je l’aime depuis des années putain quel con j’ai été de l’avoir laissée filer ils arrivent ils tirent mais ouf ils ont dégainé sur son bide la balle frôle mon visage mais je vais bien merci merci merci Seigneur et puis merde ça tire encore non ils sont encore plus nombreux mais c’est pas vrai ah non on dirait que les flics sont là enfin j’espère je vois des corps qui bougent autour de moi je croyais que c’étaient des cadavres non c’était un leurre c’est l’armée des ombres ou la nuit des morts vivants je sais pas mais bordel on dirait le clip de Thriller du coup je tente de me relever aussi je pousse un beuglement d’enfer mais c’est bon plus personne ne tire j’essaye de ramper sur un côté et là la blonde de tout à l’heure qui tient un mec par la main me dit de la suivre elle me tend l’autre main on avance éclopés débraillés ensanglantés on gémit y a des grands gars en cagoule et uniforme qui nous montrent une porte je passe sur des dizaines de corps à terre y a des jeunes des vieux des gamins des couples encore enlacés les yeux grands ouverts une gamine éventrée un vieux motard barbu qui fait un doigt d’honneur dans son sang y a des trucs horribles genre on dirait la Syrie ou les camps de la mort mais je m’en fous je suis là je vais peut-être m’en tirer je sors c’est la nuit mais c’est fini fini fini

 

ou pas

 

 

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https://actu.fr/occitanie/toulouse_31555/je-suis-pays-de-france-et-je-me-tiens-debout-un-an-pres-les-attentats-lhommage-dune-toulousaine-aux-victimes_3773478.html

Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages #vœux 2017

 Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages

 

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Je vous souhaite un torrent et des oiseaux sauvages, et ces grues qui s’envolent vers leurs pays lointains, et aussi des enfants aux yeux gourmands et sages, dévorant des bonbons comme au premier matin.

Je vous souhaite la joie, qui crépite et qui chante, surprenante parfois et allégresse enfin, la joie des collégiennes qui pouffent et qui pépient, oiselles folles dansant à l’orée de leurs vies.

Je vous souhaite du pain fleurant bon la campagne, le pain d’avant les villes, tout gonflé de levain, avec mies ondulantes, le pain aux belles tranches toutes ornées de saindoux.

Je vous souhaite du temps, celui qu’on apprivoise, le temps de ces horloges au balancier serein, le temps qui goutte à goutte nous ramène au silence, à tous ces autrefois qui nous voulaient du bien, le temps des diligences, des voyages en bateau, du transsibérien et des péniches lentes.

Je vous souhaite printemps débordant de jonquilles, avec des prés si verts qu’on en oublie la nuit, et puis mille clairières où palpite une biche, ses grands yeux vous offrant la confiance et la paix.

Je vous souhaite la mer, une plage au matin qui se donne au soleil, quand vaguelettes tendres sont caresses à nos âmes, et puis ce sable blanc, tout ourlé de destin.

Je vous souhaite des livres, des romans incroyables, et tant de nuits passées à en suivre la vie, et puis de vrais poètes, qui vous offrent en un mot l’univers paradis.

Je vous souhaite la foule qui ondule aux gradins, et puis les ballons ronds comme autant de sourires, mais aussi l’Ovalie, que chacun soit heureux.

Je vous souhaite ce ventre nubile et jaillissant qui soudain portera de doux rires à venir, et aussi les mains douces de cette aïeule folle, acceptons de l’aimer quand elle ne se sait plus.

Je vous souhaite l’été tout brûlant de cigales, le ressac qui murmure et les cheveux au vent, la montagne à gravir, le marché qui bourdonne, et mille mirabelles au panier rebondi.

Je vous souhaite la paix qui fait de nos déserts cette rose éclatante quand l’arme est déposée, la paix des lendemains, la paix dans les familles, la paix qui fraternise au Noël des tranchées.

Je vous souhaite un automne aux couleurs de vendanges, quand cette guêpe tangue d’avoir tant butiné, quand les grappes sont lourdes comme ventre de femme portant cette promesse comme on chante un secret.

Je vous souhaite l’amour, celui qui nous élève en calcinant joyeux tous nos doutes apaisés, celui des océans devenus des cours d’eau, quand le delta est source et la pluie fécondée, l’amour qui envahit, tourneboule et chavire, l’amour immaculé des amants de toujours.

Je vous souhaite des noces, des tablées de cousins, des épousailles folles, farandoles et festins, quand sous le grand tilleul on a dressé couverts, et que l’accordéon fait l’amour aux étoiles.

Je vous souhaite maisons aux draps de lin émus, surprenantes cuisines aux cuivres odorants, et des tapis moelleux qui rêvent d’Orient, quand un piano distrait rencontre un Darjeeling et que de la fenêtre on guette un beau retour.

Je vous souhaite un grand parc bondissant d’écureuils, des lilas audacieux, la chênaie toute fière, et cette roseraie qui ploie sous vermillons, la fontaine dressée vers ce patio dolent où comme en crinoline vous attendrez vos rêves.

Je vous souhaite un hiver tout ourlé de guirlandes, des cannelles enivrant le gingembre et le gui, des joues rosies d’enfants, un sapin odorant, et vos pas sur la neige qui crissent et qui s’enfoncent dans la ouate fragile de nos Noëls d’antan.

Je vous souhaite un travail, une tâche accomplie, ce qui relie les hommes et partage la terre, peut-être création, thaumaturge ou d’ilote, mais un travail surtout, pour demeurer debout.

Je vous souhaite courage si la nuit est partout, si un mal vous dévore, si la faim vous poursuit, si l’amour s’est enfui sous les traits d’une blonde, si on vous a trahi.

Je vous souhaite espérance des grands soirs aux drapeaux, quand on croyait en l’Homme en reniant les Dieux, car pour changer le monde il faut d’abord rêver.

Je vous souhaite des villes aux bruissements exquis, des klaxons en délire, des musées en folies, la culture partout, la musique hors les murs, le piano sur la place et les artistes en vol.

Je vous souhaite l’école en forêt buissonnière, l’instituteur qui rit et rassure et rayonne, les passions dévorantes pour l’atome ou le vers, l’école qui accompagne et le riche et le pauvre dans la fraternité.

Je vous souhaite des plages sous tous vos pavés, et l’imagination défiant les pouvoirs, des chars rouillant au loin, le lilas et les roses unis vers le destin.

Je vous souhaite mémoire de tant de vies des hommes, pour ne pas oublier les charniers et les camps, pour les enfants perdus à chérir dans les guerres, celles du temps présent, celles qu’on n’entend plus, celles qui surviendront malgré tous nos efforts.

Je vous souhaite la force, pour transcender l’horreur, les éclats des obus fracassant la Syrie, les migrants qui se noient dans cette mer atroce, les peurs du Bataclan et tous nos chers Charlie. Pour oublier Bruxelles et les cris des enfants, Nice vêtue de noir, Berlin ensanglantée et tous ces êtres éteints qui étaient de lumière, qui de notre planète ont fait un cimetière, pour oublier que l’Homme décapite et éventre, pour oublier les femmes qui partout sont souillées.

Pour oublier les maux, les souffrances et les nuits, ceux qui sont si malades, ceux qui errent sans vie dans nos villes sans cœur, pour oublier réel qui souvent n’est que fiel.

Je vous souhaite confiance en un monde nouveau, que l’Humain se relève, que tous les gens qui rêvent dessinent leurs destins, je vous souhaite de changer la vie, de transformer nos mondes, et que 2017 s’envole comme mille hirondelles vers un soleil nouveau.

 

http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-djihad-d-amour-l-emouvant-message-du-mari-d-une-victime-des-attentats-de-bruxelles?id=9489481&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=twitter_share

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Ma première matraque m’a frappée rue du Taur…dédié aux policiers de la Grande Borne

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Tag découvert ce jour dans une grande université française…

« Ma première matraque m’a frappée rue du Taur ». Bon, d’ordinaire, je ne me cite pas –d’ailleurs je ne connais aucun vers de mes propres poèmes…-, mais cette phrase, extraite de ma « Lettre à Toulouse » que Carole Bouquet avait lue lors d’un Marathon des Mots, je la trouve chouette.

C’est que j’ai été jeune, comme tout le monde, et de gauche avant de virer à droite, car, comme le dit un dicton célèbre, « Qui n’est pas de gauche à 20 ans est fou. Qui n’est pas de droite à 40 ans l’est aussi ». – je plaisante.

Mais bon, avec un père Conseiller Général RPR qui monnayait les WE entre copains à notre maison de campagne en échange des timbres collés sur ses enveloppes de vœux à ses administrés, comme me l’a rappelé hier un ami d’adolescence croisé par hasard, je n’avais d’autre choix qu’une belle rébellion, orchestrée par quelques saines lectures, de Marx à Krishnamurti, en passant par Neruda et Allen Ginsberg, au son de « El pueblo, unido, jamas sera vencido » -mais oui, chers Zadistes, vous n’avez pas l’apanage des sarouels et du cœur ! Les seventies aussi furent flamboyantes…

Bref, les flics, les keufs, la maison poulaga, les poulets, je les ai conspués, comme tout le monde, ou presque…Mélangeant dans un joyeux tintamarre insultes et autres « CRS-SS, étudiants-diants diants » (mon plus grand regret a longtemps été de n’avoir eu que sept ans en Mai 68…), photo de cette fleur tendue à un Police Man américain et tous les autres poncifs, bien avant que les cailleras des Cités et les grosses chaînes des rappeurs aux pantalons baissés ne niquent les mères de tous les Français, et la police aussi…J’ai donc couru gaillardement devant quelques bataillons, et arpenté les pavés en tenant des banderoles à bouts d’idéaux. Bref : j’ai eu 20 ans.

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Et puis un jour, j’ai grandi. Et réfléchi, un peu. Et puis j’ai eu plein d’enfants, avec plein de nuits blanches au moment de la naissance de « la Cinq », et entre deux tétées, hagarde, j’avoue avoir regardé moults séries et blockbusters qui me détendaient un peu…Cruchot, Maigret et Julie Lescaut sont devenus mes amis, et puis Derrick, aussi – je plaisante encore, là !- , j’ai succombé à la voix si douce et à la poigne de fer d’une « Femme d’honneur », et surtout à l’humour irrésistible de mon Bruce adoré (sa photo est punaisée dans mon armoire, si si…) et aux frasques flamboyantes de Mel…

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Plus sérieusement, en devenant membre actif et responsable de la société civile, puisque je suis enseignante et maman, je n’ai pu que comprendre l’utilité de notre « Police Nationale », et de la Gendarmerie, aussi. Bien sûr, je ne me sens toujours pas très proche des CRS, surtout lorsqu’ils dérapent en assassinant un Rémi Fraisse dans une ZAD. Et je suis la première à pleurer avec mes amis américains lorsque je compte les citoyens noirs que les US Cops tirent comme des lapins…Mais j’ai aussi frémi avec la France entière et applaudi quand le grand Charles a dit en souriant « On  a éliminé le terroriste » et que les petits sont sortis, blottis dans les bras des hommes du GIGN, de la maternelle de Neuilly. Et quand plus tard j’ai passé des heures dans des commissariats aux lumières blêmes, lors d’innombrables plaintes déposées à mon encontre par un ex vindicatif – qui pourtant m’avait laissé des milliers d’euros de dettes et ne payait plus de pension-, j’ai pu voir la bienveillance des officiers de police devant une citoyenne lambda, leur désir de séparer le bon grain de l’ivraie, et le zèle dont ils sont fait preuve pour rétablir la vérité.

J’ai vu aussi leur humanité, et puis leurs maigres moyens, les ordinateurs vétustes, les toilettes sales, les mines défaites, les néons fatigués…Eux qui défendent les Ors de la République vivent un quotidien de misère, et doivent s’en contenter…

Et puis j’ai enseigné parfois au cœur des Quartiers. J’ai vu des élèves qui chantaient « joyeux anniversaire ! » en hurlant lorsque des voitures brûlaient devant le collège, et les coursives désertes et délabrées où se hâtent les mamans épuisées, et les « espaces verts » qui ressemblent à des nomandsland désertiques. C’est là qu’ils étaient, l’autre jour, Jenny et Vincent, au cœur des Quartiers, avec leurs deux autres collègues, quand on est venu les assassiner. Car c’est bien de tentative d’assassinat dont il s’agit, quand on lapide des gens enfermés dans une voiture avant de les bourrer de coups de poing et de les faire brûler vifs après avoir lancé des cocktails Molotov…Ces quatre policiers étaient simplement en train de faire de la surveillance, postés à un carrefour stratégique, plaque tournante de drogue et d’autres dérives, en mission donc, mission de protection des populations.

Nous avons ici un jeune homme de 28 ans, dont le rêve était de devenir gardien de la paix  – oui, on peut rire devant le sketch des Inconnus mais respecter ce rêve-là, un beau rêve d’intégration sociale et de mise au service d’autrui…-, atrocement mutilé, et une jeune femme, maman de trois enfants, brûlée elle aussi, après 19 ans de bons et loyaux services…Ce ne sont pas des « sauvageons », comme l’a dit Manuel Valls, qui ont commis cette tentative d’homicide, non, ce sont des barbares, de la même veine que ceux qui ont tué Ilan Halimi, des êtres humains dégénérés, qui ont depuis longtemps perdu toute trace d’humanité, justement, assez désabusés pour vouloir abattre froidement des « flics », la tête sans doute pleine de mauvais rap et de scènes de violence, de pauvres crapules capables de rire en voyant un homme hurler en brûlant sous leurs yeux.

Alors hier, j’aurais attendu que, devant les commissariats, à midi, nous soyons un peu plus nombreux. Il était loin, l’esprit Charlie, il était même carrément absent. Très peu de « je suis policier » sur les réseaux sociaux, aucune manifestation de soutien dans les petites villes, et quelques rares personnes seulement à Toulouse, Bordeaux, Strasbourg…

Cela ne m’étonne qu’à moitié…Il y a quelques mois, lors d’une conversation presque de comptoir, au détour d’une salle des profs, j’ai entendu des collègues post soixante-huitards conspuer la police comme si ils rentraient tout juste du Larzac…Quelques jours après seulement, à Magnanville, deux policiers étaient pourtant sauvagement assassinés…Mais voilà : nous sommes en France, et, chez nous, il est de bon ton de critiquer l’État, de mettre en cause les règles sociétales, même quand on ne joue plus au gendarme et au voleur depuis longtemps, même quand on est de l’autre côté de la barrière.

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Sachez en tous cas, Jenny, Vincent, et vous, les autres « flics » de France, que je vous tire mon chapeau. Merci d’être là pour nous, pour nous tous.

http://www.huffingtonpost.fr/2016/10/11/lun-des-policiers-de-lagression-de-viry-chatillon-raconte/

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J’aurais voulu te parler de la France…#Nice

Bleue, la mer. De cet azur pérenne qui fait de cette côté un joyau.

Blanc, le sable, tant il miroite sous le soleil. Un appel fleurant bon les cigales, le pastis et l’été.

Rouges, les sourires. Ceux des belles Niçoises aux cheveux ondoyants, et ceux des enfants qui tiennent une glace à la fraise.

J’aurais voulu te parler de l’été. Nous l’avions rêvé, nous l’avions mérité. Après ces mois de grisaille et de cris, après ces terrasses sanglantes et cet hiver infini de la terreur. Nous en rêvions, des plages, de la légèreté et du mistral, nous avions le cœur tout empreint de lavandes et de vagues, comme en aube de vie.

J’aurais voulu te parler de mon voyage, qui commence demain, mais qui a encore l’envie de s’évader ? Tout avion sent la bombe, chaque train est enfer, et même les promenades deviennent des mouroirs.

Bleu, le petit pull marin du garçonnet. Il tient la main de sa mère et rit aux éclats devant les étincelles du ciel.

Blanche, la main que tient cette main brune toute empreinte de métissages, secrète et fière à la fois, image de notre belle France aux cent visages.

Rouge, la bouche de cette vieille dame aux cheveux argent, qui se souvient avec émotion de son premier baiser au Négresco…

J’aurais voulu te parler de la France. De cette France debout, après tant de défaites. De nos querelles folles et de ces espoirs enfuis, de l’Euro non gagnée et des lois qui m’ennuient. De cette maman qui se suicide à cause de la CAF ou de mon fils bachelier, de ces milles possibles qui se heurtent au réel.

J’aurais aimé te parler de mes élèves tant aimés cette année, mais le fiel m’est en bouche comme un poison maudit. Tout soleil est amer quand on tue les enfants, et ce boucher tournoie sous mes yeux ébahis comme un astre déchu, comme un porc d’infamie.

Bleus, les ongles turquoise de ces filles aux seins fiers, prêtes à manger l’été comme on va vers la mer.

Blanche, la peau de ce bébé qui tête encore sa mère, au regard d’amadou posé en sa confiance.

Rouge, la cocarde rieuse de ce groupe de zadistes, égarés en défilé pour se boire une bière, se moquant de la France, mais en aimant les joies.

J’aurais voulu te parler de confiance, de fraternité, de projets, de villages et de paix. De ces Migrants accueillis en Auvergne, de ces milliers de festivals, de mon pays qui rayonne et qui brille, malgré tant de noirceurs.

Mais il est des serpents qui nous mangent le cœur, blottis en nos cités comme viles vermines, nos villes en sont flétries, nos campagnes en frissonnent, et hier soir un seul chien a sonné l’hallali. Nul ne peut dire encore la folie ou la haine, mais mille biches saignent, innocence éventrée.

Bleu, le ciel de notre France malgré les deuils immenses.

Blanc, la couleur de mon drapeau qui ne crie pas vengeance.

Rouge, mon cœur assassiné qui hurle tout en sang.

Un drapeau qui perdure, une nation debout, un seul peuple qui s’aime, qui n’est pas à genoux.

Une cocarde immense qui éclaire la ville, oh toi Nice meurtrie comme le fut Toulouse, et puis Paris aussi.

Il n’est pas né encore celui qui nous prendra notre belle espérance et nous fera plier, nous aimons l’insolence. Un seul être abject s’est fait bête en un soir, mais la France est une âme, un rocher dans la nuit, un feu brillant de vie, que nul ne peut éteindre.

Bleu, ce regard plein d’amour du survivant qui rit.

Blanc, le lait qui coule au sein de la mère apaisée.

Rouge, la jupe aux cent volants de l’enfant qui sourit.

Je suis Pays de France, et je me tiens debout

Je suis Charlie ou l’Invincible été

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html

Cinq façons de ne pas devenir fou après un attentat #Bruxelles

Cinq façons de ne pas devenir fou après un attentat

(Hommage à toutes les victimes, dans tous les pays…)

 

A4 prends soin mon amour de la beauté du monde

 

  • Boire un thé. Non, pas simplement un thé préparé avec un sachet, fusse-t-il de mousseline.

Prendre sa plus belle théière, la bleue, en porcelaine du Devon, ou la transparente, qui laisse voir éclore les délicates fleurs de cerisier.

Y verser une poignée de votre meilleur thé, d’un de ceux qui vous transportent au-delà des neiges du Mont Fuji ou des sentiers escarpés du Népal. Choisir un nom prometteur, tel que « Nuit à Venise » ou « Thé des poètes », regarder les brisures délicates des feuilles venues d’Orient, les bleus sombres de quelque plante rare et les baies roses s’épanouir en corolle, calices offerts à l’éternité de cet instant.

S’assoir en silence et boire à petits gorgées, recueillie comme une Geisha, rêveuse comme une Lady regardant s’éloigner son amant à dos d’éléphant, dans le vacarme des Indes Impériales.

Oublier les hurlements des survivants et des sirènes.

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  • Aller marcher. Nul besoin de partir en treck ou sur les chemins de Compostelle. Non, simplement se diriger d’un bon pas vers le square tout proche, celui que l’on ne remarque même plus tant les ombelles familières des pissenlits et les silhouettes apaisantes des grands marronniers nous semblent faire partie du quotidien, au même titre que la machine à café ou que les jouets des enfants qui jonchent le tapis.

Lever les yeux. Observer la lumière douce qui s’ébroue entre les branches toutes frémissantes de ce vert printanier, guetter un écureuil imaginaire, avoir envie de grimper dans ce géant tutélaire, d’y jouer les barons perchés, de se blottir dans la canopée murmurante.

Baisser les yeux. Compter chaque brin de cette herbe neuve qui même en cœur de ville nous parait soudain steppe, pampa, grandes plaines du Wyoming. Un microcosmos fertile, qui bientôt s’emplira de grillons que nous « tutions » dans nos enfances, une couverture infinie sur laquelle nous pourrions presque nous allonger. S’imprégner de tout ce vert, de l’émeraude des feuilles enroulées de ce lilas, du vert mousse des petits lichens modestement agrippés au creux de la grille du parc, du vert pomme de ces bambous qui se caressent au gré de l’Autan.

Oublier le carmin et les vermillons de l’horreur.

Crédits Sylvan Hecht

  • Lire un roman. N’importe lequel, du moment que c’est un roman.

Un roman de gare, un harlequin à trois sous, dans lequel le fils d’une comtesse désargentée se fait maître d’hôtel et sera remarqué par une riche héritière ; un roman russe où s’égrènent des noms si compliqués que vous devrez prendre des notes pour ne pas confondre Natacha Anastasia Vronski et sa cousine, un roman où tintinnabulent des troïkas qui filent devant l’avancée des Rouges voulant s’emparer de la datcha, un roman de 1000 pages où Anna ou Lara embrassent passionnément la vie ; un roman japonais, figé comme l’eau dormante qui veille sur les cercles parfaits tracés dans les gravillons entourant la pagode, dans lequel seul murmure légèrement le papier de riz lorsque les paravents s’écartent pour laisser passer ce plateau délicatement orné d’un ikebana parfait ; un roman norvégien, où l’on l’entend fondre les neiges lorsque l’héroïne part pagayer sur les eaux vives du fjord, riant devant le vert étincelant des grands sapins et plongeant nue vers ces profondeurs, pour oublier ce frère qui en aime une autre.

Oublier tous ces autres personnages, ces êtres de chair et de sang que l’on vient de voir blastés ou emplis de clous rouillés.

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  • Regarder un enfant. N’importe lequel, un grand, un petit, un beau, un moche, un riche, un pauvre, un noir, un blanc, un des Cités, un de Neuilly, un fils de paysan, un intello, un costaud, un binoclard, un Migrant, un cousin. Un enfant.

Rester simplement avec lui. Si c’est un bébé, voir l’agilité sans nom avec laquelle il porte son petit pied potelé à sa bouche ; croiser son regard plein de confiance et apercevoir la perle de sa première dent lorsqu’il rit aux éclats.

Regarder jouer la fillette aux joues roses, qu’elle ait de grands yeux noirs apeurés par une longue marche depuis les Balkans ou qu’elle soit en maternelle en Vendée : observer le soin qu’elle prend de sa poupée, les câlins infinis qu’elle lui prodigue. De même, s’émerveiller de l’habileté de ce garçonnet qui empile des légos comme s’il construisait déjà sa vie, ou de l’intelligence qui pétille dans celle ou celui qui désigne du doigt des centaines d’objets qu’il reconnaît dans son imagier, avant même que de savoir parler.

Passer un peu de temps avec votre adolescent. Regardez-le parler à ses centaines d’amis et partager des #Jesuisvivant, ou lire Rimbaud à quatre heures du matin, ou dévorer une tartine de Nutella une demi-heure après un repas pantagruélique. Aimer sa faim. Aimer leur vie. Leur appétit.

Oublier la soif de mort de ces décérébrés qui ont choisi l’enfer.

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  • Parler à tout le monde. Aux amis de toujours, ceux qui se souviennent de votre bouille d’enfant ou de vos chagrins adolescents, ceux avec lesquels vous avez pris des coups de matraque ou chanté autour du feu vaillant d’un camp scout, ceux qui vous ont vu lors de votre premier rallye, ou dans votre premier job d’été ; ceux-là mêmes que vous pouvez appeler encore après minuit, ils sont rares, mais ils existent. Justement, c’est le moment de les appeler, même si vous ne les avez pas vus depuis dix ou vingt ans.

Aux camarades, aux collègues, à tous ces êtres qui foisonnent autour de vous et auxquels vous ne prêtez plus attention, voire même qui vous agacent, voire même que vous détestez…Les aigris, les grincheux, les pisse-vinaigre, les fiers-à-bras, les dragueurs, les pimbêches, les pétasses, les connards. Parlez-leur. Offrez un café, apportez des chocolats, riez. Même Loana mérite qu’on s’intéresse à elle –et d’ailleurs, comment a-t-elle fait pour mincir ?

Et puis parler aux inconnus. Au chauffeur du bus qui bade devant le feu, à la vieille voisine qui vous racontera ses premiers émois pour un soldat allemand, à la factrice, à la vendeuse du LIDL, au SDF qui pourtant sent si mauvais. Lui aussi est un humain.

Oublier la déshumanisation de ceux qui ont hier conspué le Vivant.

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https://www.youtube.com/watch?v=sghdhJBUe3s

 

Amis bien aimés,

Ma Loulou est partie pour le pays de l’envers du décor, un homme lui a donné neuf coups de poignard dans sa peau douce. C’est la société qui est malade, il nous faut la remettre d’aplomb et d’équerre, par l’amour et la persuasion.

C’est l’histoire de mon petit amour à moi arrêté sur le seuil de ses 33 ans. Ne perdons pas courage ni vous ni moi. Je vais continuer ma vie et mes voyages avec ce poids à porter en plus et nos deux chéris qui lui ressemblent. Sans vous commander, je vous demande d’aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches. Le monde est une triste boutique, les coeurs purs doivent se mettre ensemble pour l’embellir, il faut reboiser l’âme humaine.

Je resterai sur le pont, je resterai un jardinier, je cultiverai mes plantes de langage. A travers mes dires, vous retrouverez ma bien aimée, il n’est de vrai que l’amitié et l’amour. Je suis maintenant très loin au fond du panier des tristesses ; on doit manger chacun, dit-on, un sac de charbon pour aller au paradis. Ah comme j’aimerais qu’il y ait un paradis, comme ce serait doux les retrouvailles…

En attendant, à vous autres, mes amis d’ici-bas, face à ce qui m’arrive, je prends la liberté, moi qui ne suis qu’un histrion, qu’un batteur de planches, qu’un comédien qui fait du rêve avec du vent, je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd’hui :

je pense de toutes mes forces, qu’il faut s’aimer à tort et à travers.

Julos

Nuit du 2 au 3 février 75

***

Texte dédié en particulier à tous mes amis de Belgique, ma troisième patrie.

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/bruxelles-belgique-division-flamand-wallon_b_1966015.html

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Connaissez-vous Navid Kermani ?

Connaissez-vous Navid Kermani  – نوید کرمانی‎-?

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© picture-alliance­/Sven Simon - Navid Kermani
© picture-alliance­/Sven Simon – Navid Kermani

http://info.arte.tv/fr/navid-kermani-mediateur-des-cultures

 

Cet écrivain germano-iranien aux multiples talents, orientaliste, poète, dramaturge, essayiste, journaliste, exégète, a obtenu hier le Prix de la paix des éditeurs et libraires allemands, un prix attribué depuis 1950 par l’Association des éditeurs et libraires allemands qui lui a donc été remis le 18 octobre 2015 à l’église Saint-Paul de Francfort-sur-le-Main, lors de la  cérémonie de clôture de la Foire Internationale du Livre.

Depuis notre bastion franco-français, empreint de certitudes tant électorales que littéraires, peu de voix se sont fait l’écho de cette prestigieuse récompense ; il faut dire que notre hexagone se targue toujours d’être le centre du monde des idées, et que, noyés sous les multiples lettrés de notre intelligentsia, forts de nos penseurs maison, entre les innombrables Finkielkraut, Attali, Onfray, BHL, nous, le petit peuple de France, n’avons que peu d’occasions d’ouïr des voix différentes, rarement invitées chez les Ruquier et autres « GG »…

Pourtant, je vous assure que Navid Kermani vaut le détour ! Son profil atypique et polymorphe fait de lui l’un des penseurs essentiels de notre temps. Né en 1967 de parents iraniens, il a grandi en Rhénanie-Wesphalie. Son père, médecin en Iran, exerçait dans un hôpital chrétien, et la famille s’est ensuite installée dans la ville de Siegen, très influencée par le protestantisme. C’est par l’un de ses grands-pères que l’écrivain découvre l’Islam dans son versant chiite. Très tôt, dès l’âge de quinze ans, il a commencé à écrire pour le journal Westfälische Rundschau, avant d’écrire pour la FAZ et pour différents organes de presse. Après son diplôme d’études secondaires, il a étudié l’islamologie, la philosophie et la dramaturgie à Cologne, au Caire et à Bonn, a enseigné la poétologie dans les universités de Francfort, de Göttingen et de Mayence, la littérature allemande à Dartmouth, mais a aussi été reporter en Irak pour le Spiegel, avant de prononcer le 23 mai 2014 le discours inaugural à l’occasion de la soixante-cinquième commémoration de la Loi Fondamentale allemande, le Grundgesetz.

Sa thèse de doctorat « Gott ist schön. Das ästhetische Erleben des Koran » (« Dieu est beau. L’expérience esthétique du Coran ») a très vite attiré l’attention des médias et des milieux universitaires.  Après avoir travaillé comme dramaturge pour le Théâtre de la Ruhr à Mühlheim et celui de Francfort tout en ayant collaboré au Berliner Wissenschaftskolleg, Kermani décida en 2003 de vivre de sa plume foisonnante.

Cet auteur très connu outre-Rhin traite dans ses multiples publications de thèmes aussi différents que la mort, la sexualité, la musique, l’engagement, mais toujours avec cette mise en abyme de la mystique et de l’Islam. La Süddeutsche Zeitung a dit de lui qu’il manie aussi bien la critique envers Goethe, Herder ou Kafka qu’envers la mystique islamique. Son regard acéré, aiguisé par la fréquentation des textes sacrés et par le maniement d’une langue riche et imagée, est ainsi le révélateur de nos sociétés agitées par des conflits millénaires, mais aussi sous-tendues par d’innombrables sagesses.

En plus de ses livres et de ses essais, Navid Kermani prend toujours position dans les débats publics et politiques avec ses discours, ses conférences et ses articles de journaux. Il intervient particulièrement pour l’évolution du projet européen, a pris position lors du Printemps Arabe et bien entendu contre le prétendu État Islamique et au sujet des Migrants… Son œuvre lui a déjà valu de nombreuses récompenses, comme le Prix Hannah Arendt en 2011 ou le Prix du Livre Allemand et le Prix Kleist, en 2011 et 2012… Il avait aussi obtenu en 2009 le Prix Culturel de la Hesse, décerné aussi au Cardinal Karl Lehmann, à l’ancien Président synodal Peter Steinacker et au Vice-Président du Consistoire Salomon Korn, un prix récompensant le dialogue interreligieux.

Car au cœur des préoccupations de Navid Kermani on retrouve l’idée de laïcité, bien peu maniée chez nos voisins allemands qui n’ont pas connu de séparation entre l’Église et l’État, une idée que l’écrivain défend en lui associant une profonde connaissance des religions, arguant que seule une tolérance et un dialogue interreligieux pourront devenir le terreau d’une diversité pacifique et respectueuse de l’Autre.

Dans le magnifique discours tenu hier soir lors de la remise de son prix, l’écrivain est aussi longuement revenu sur le sort des minorités chrétiennes d’Orient, évoquant avec une grande émotion la libération du père Jacques Mourad, récemment libéré en Syrie, et expliquant aussi que si un porteur de prix « de la paix » n’avait déontologiquement pas le droit d’appeler à la guerre, il en appelait néanmoins à la plus grande détermination possible afin que cesse un conflit désormais presque mondial, comme il l’avait d’ailleurs déjà prédit en 2014 en comparant la guerre en Syrie à la Première Guerre Mondiale.

Vous retrouverez ici le discours en partie retranscrit et à réécouter :

http://hessenschau.de/kultur/kermani-rede-bei-friedenspreis-vergabe-im-wortlaut,kermani-rede-friedenspreis-100.html

Et voici un extrait vidéo :

http://www.zdf.de/ZDFmediathek/beitrag/video/2517758/Navid-Kermani-Redeausschnitt#/beitrag/video/2517758/Navid-Kermani-Redeausschnitt

Navid Kermani est un penseur éclairé, qui ose affirmer qu’il y aura d’autres attentats, d’autres décapitations, que l’Europe n’est et ne sera pas épargnée, mais que l’espoir peut rester présent si une majorité clairvoyante s’engage à la fois pour la paix et la tolérance sans être dans le déni devant les exactions de l’EI.

Gibt es Hoffnung ? Ja, es gibt immer Hoffnung.

Reste-t-il un espoir ? Oui, il reste toujours un espoir.

À mon tout petit niveau, poétesse, blogueuse, essayiste, romancière, dramaturge…seulement primée dans des concours de nouvelles et de poésie, j’ai trouvé dans les écrits de Navid Kermani comme un bel écho à mes propres textes, en particulier à tous mes écrits autour de la laïcité…

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2015/09/02/jesuislalaicite-nouvelles-reflexions-poesies-et-theatre-autour-de-la-laicite/

 

Et je dédie à ce grand penseur que je voudrais voir traduit en français mon poème, retranscrit en persan par mon ami  Hossein Mansouri, fils de la grande poétesse iranienne Forough Farrokhzad :

میگویم: در نازک هوای شفاف صبح گاهی

 

میگویم: به رنگین کمان شسته شده از رنگ

 

میگویم: به شادکامی از دست رفته

 

میگویم: در سکوت ستاره ای شبانگاهی

 

میگویم: حتا اگر کسی نخواهد گوش کند

 

میگویم: به غریبی که پشت میله های زندان زندگی میلرزد

 

میگویم: به فرزندانم، هر بامداد، با سلام روشن خورشید

 

میگویم: به دوستانم، دوستان دیروزیم، امروزیم، ابدیم

 

میگویم: به گلهای آفتاب گردان، به درختان صنوبر

 

میگویم: به قمری های غمگین، به تپشهای مضطرب قلبم

 

میگویم: بی آنکه از باد انتظار پژواکی داشته باشم

 

میگویم: همچون کلامی رمزآلود

 

میگویم: همچون سوغاتی از راه دور

 

میگویم: همچون رحمتی نابهنگام

 

میگویم: حتا اگر به من بخندند، مسخره ام کنند

 

میگویم: همچون بهاری که به مصاف زمستان جاوید زمین میرود

 

میگویم: همچون خورشیدی که میدرخشد

 

میگویم: همچون لذتی جان بخش

 

میگویم: چون این کلام الفبای زندگی من است، دلیل زنده ماندنم:

 

دوستت دارم.

 

Traduit par Hossein Mansouri

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2014/01/18/ich-liebe-dich/

https://www.youtube.com/watch?v=9RfqZLWFEyg

 

https://de.wikipedia.org/wiki/Navid_Kermani#cite_note-32

 

 

#Jesuislalaïcité: Nouvelles, réflexions, poésies et théâtre autour de la laïcité

http://www.thebookedition.com/jesuislalaicite-sabine-aussenac-p-130306.html

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En janvier 2015, de battre mon cœur s’est arrêté. Mais cela s’était déjà produit lors des attentats de Toulouse, à la mort de la petite Myriam et des autres victimes…Et depuis plusieurs années, dans mes nouvelles, mes réflexions, mes poésies, je parle de la laïcité, de nos démocraties en danger et des courages de ceux qui défendent la paix et la tolérance.
Car la laïcité est le cœur battant de notre République. C’est pourquoi j’ai rassemblé ces divers écrits dans ce recueil qui se veut mémoire et espérance.

***

Le livre est cher, je sais, car j’ai voulu une couverture brillante et colorée, et l’imprimeur fixe les prix. 

C’est pourquoi j’envoie le fichier intégral de ce recueil par mail à toute personne en faisant la demande; il ne s’agit pas ici d’argent, mais d’une cause à défendre, d’une idée majeure, qui nous fonde et nous construit.

Extraits…

– Sans prétention aucune, ce petit recueil rassemble mes déambulations autour de l’idée de la laïcité, celle avec laquelle je travaille lors de mes cours, pour la transmettre à nos élèves, et autour de laquelle j’ai brodé différents écrits : textes parus dans les tribunes du Huffington Post ou de mon blog du Monde, nouvelles et poésies parfois primées, ébauche de pièce de théâtre…

La laïcité, à mon sens, ce n’est pas seulement cette idée chère à notre République et qui voudrait que le respect de ce cœur laïc, qui fait battre notre démocratie,  enterre toute velléité religieuse. Car la compréhension du fait laïc passe forcément par celle du fait religieux, et ce n’est que par le respect de toutes les croyances, qu’elles soient religieuses, agnostiques, ou simplement en l’Homme, que les sociétés pourront avancer vers la lumière et la paix.

C’est pourquoi j’ai intégré à ce livre quelques textes évoquant justement la foi, la religion, la croyance, et, hélas, les innombrables crimes commis autour des religions, afin de mieux préserver cette identité laïque qui fait de la France ce pays d’exception qui a su placer, depuis l’Édit de Nantes jusqu’à la manifestation du 11 janvier 2015, en passant par la loi sur la laïcité, cette préoccupation au centre même de la flamme républicaine.

La laïcité fait corps avec notre passé : défendons la chaque jour de notre présent, aussi difficile soit-il, afin de préserver l’avenir de nos enfants, de notre pays et du monde.

***

–  Je me souviens.

Des larmes de mes parents quand je partis pour Paris qui m’accueillit avec ses grisailles et ses haines. De ces couloirs de métro pleins de tristesse et de honte, de ce premier hiver parisien passé à pleurer dans le clair-obscur lugubre de ma chambre de bonne, quand aucun camarade de Normale ne m’adressait la parole, bien avant qu’un directeur éclairé instaure des « classes préparatoires » spéciales pour intégrer des jeunes « issus de l’immigration ». Je marchais dans cette ville lumière, envahie par la nuit de ma solitude, et je lisais, j’espérais, je grandissais. Un jour je poussai la porte d’un local politique, et pris ma carte, sur un coup de tête.

Je me souviens.

Des rires de l’Assemblée quand je prononçais, des années plus tard, mon premier discours. Nous étions peu nombreuses, et j’étais la seule députée au patronyme étranger. Les journalistes aussi furent impitoyables. Je n’étais interrogée qu’au sujet de mes tenues ou de mes origines, quand je sortais de l’ENA et que j’officiais dans un énorme cabinet d’avocats. Là-bas, à Toulouse, maman pleurait en me regardant à la télévision, et dépoussiérait amoureusement ma chambre, y rangeant par ordre alphabétique tous les romans qui avaient fait de moi une femme libre.

Je me souviens.

Des youyous lors de mon mariage avec mon fiancé tout intimidé. Non, il ne s’était pas converti à l’Islam, les barbus ne faisaient pas encore la loi dans les cités, nous nous étions simplement envolés pour le bled pour une deuxième cérémonie, après notre union dans la magnifique salle des Illustres. Dominique, un ami, m’avait longuement serrée dans ses bras après avoir prononcé son discours. Il avait cité Voltaire et le poète Jahili, et parlé de fraternité et de fierté. Nous avions ensuite fait nos photos sur la croix de mon beau Capitole, et pensé à papa qui aurait été si heureux de me voir aimée.

Je me souviens.

Des pleurs de nos enfants quand l’Histoire se répéta, quand eux aussi furent martyrisés par des camarades dès l’école primaire, à cause de leur nom et de la carrière de leur maman. De l’accueil différent dans les collèges et lycées catholiques, comble de l’ironie pour mes idées laïques qui se heurtaient aux murs de l’incompréhension, dans une république soudain envahie par des intolérances nouvelles. De mon fils qui, alors que nous l’avions élevé dans cette ouverture républicaine, prit un jour le parti de renouer follement avec ses origines en pratiquant du jour au lendemain un Islam des ténèbres. Du jour où il partit en Syrie après avoir renié tout ce qui nous était de plus cher. Des hurlements de douleur de ma mère en apprenant qu’il avait été tué après avoir égorgé des enfants et des femmes. De ma décision de ne pas sombrer, malgré tout.

Je me souviens.

De ces mois haletants où chaque jour était combat, des mains serrées en des petits matins frileux aux quatre coins de l’Hexagone. De tous ces meetings, de ces discours passionnés, de ces débats houleux, de ces haines insensées et de ces rancœurs ancestrales. De ces millions de femmes qui se mirent à y croire, de ces maires convaincus, de ces signatures comme autant d’arcs-en-ciel, de ces applaudissements sans fin, de ces sourires aux parfums de victoire.

Je me souviens.

De mes professeurs qui m’avaient fait promettre de ne jamais abandonner la littérature. De ces vieilles dames, veuves d’anciens combattants, qui m’avaient fait jurer de ne jamais abandonner la mémoire des combats. De ces enfants au teint pâle qui, dans leur chambre stérile, m’ont dessiné des anges et des étoiles en m’envoyant des bisous à travers leur bulle. De ces filles de banlieue qui, même après avoir été violées, étaient revenues dans leur immeuble en mini-jupe et sans leur voile, et qui m’avaient serrée dans leurs bras fragiles de victimes et de combattantes.

Je me souviens que dans une minute, le moment viendra. Il est l’heure.

Mon conseiller me demande de le suivre. L’écran géant va montrer le « camembert » et le visage pixellisé du nouveau président de la République. La place de la Bastille est noire de monde, et je sais que la Place du Capitole vibre, elle aussi, d’espérances et de joies.

Un cri immense déchire la foule tandis que l’écran s’anime et que mon visage apparaît, comme c’est le cas dans des millions de foyers guettant devant leur téléviseur.

Le commentateur de la première chaîne hurle, lui aussi, et gesticule comme un fou : « Zohra Rahmani ! Pour la première fois, une femme vient d’être élue Présidente de la République en France ! »

Je me souviens que je suis française, et si fière d’être une femme. Je souris, et je monte sur l’estrade, toutes les couleurs de l’espérance en mon cœur.

(Fiction écrite pour un concours)

***

– Nour : (nostalgique.)

 

Maman, éteins ce poste, si tu veux discuter.

Mon Yassine aux yeux noirs qui devient un guerrier,

Moi aussi je m’inquiète pour mon frère que j’aime.

Lui qui aimait Hendrix, qui vivait sa bohême,

Qui écoutait du rap et du rock en riant :

Obsédé par les rites, psalmodiant le Coran !

Le voilà comme un sage récitant des Sourates,

Il veut voiler sa sœur, il en oublie les maths !

D’ailleurs je crois qu’il ne va plus en cours,

Il reste à la Mosquée, tant la nuit que le jour.

Mostafa m’a parlé de ses fréquentations :

Lui qui voulait aussi passer l’agrégation…

(…)

Nour (excédée)

 

Moi je suis musulmane, mais j’irai à Paris.

Tu m’agaces Yassine, lâche-moi, c’est compris ?

Va prier et maudire avec tous tes barbus !

En tailleur ou en jean, je ne serai pas nue !

Tu fais peur à maman avec tes extrémismes,

Tu disais autrefois détester les fascismes :

Reviens plutôt aux maths, finis ton doctorat.

Je crains fort que l’islam n’ait fait de toi un fat…

Tu prétends tout savoir, tu veux tout contrôler.

Tu aimais le macdo, tu adorais danser….

Mes amis, mes sorties, et notre nourriture,

Aujourd’hui l’occident devenu pourriture

Te paraît grand Satan, tu menaces et t’énerves :

Tu critiques la France de ton immense verve…

Quand je t’entends crier contre notre pays,

J’ai bien peur que mon frère ne soit pris de folie…

 

Yassine :

 

Tu ne sais pas ma sœur ce que disent les Sourates :

Tu as perdu la tête, tu as trop lu Socrate ;

Seul le Juste est reçu quand il vit dignement.

Mais je serai ton guide pour trouver le Coran.

 

Imen :

 

Mon petit, mon Yassine, et où sont tes projets ?

A l’école, dans la rue, tout le monde m’enviait !

Tu étais si brillant, un nouveau Pythagore,

Toi qui aimais tant lire, qui dévorais encore

Les romans et journaux, quand je fermais la porte…

Mehdi veut te parler, il veut que tu t’en sortes,

Ton frère m’a appelée ce matin du pays :

Il sera sur Facebook à t’attendre, cette nuit.

 

Yassine :

 

Ce traître à sa famille, qui ne prie plus Allah ;

Un Français à Tunis, qui se prend pour le roi,

Avec ses idées folles, enseigner le français,

Il ne sait même plus ce qu’est l’identité !

Et nous à la cité, on magouille et on rame,

Avec les keufs partout, les bagnoles qui crament…

Mon pays c’est ici, mais mon cœur est là bas,

Et Le Coran un jour deviendra la vraie foi.

(Il se tourne vers Nour)

Allez mets ta Burka, on dirait une tasspé,

Cache ton maquillage et va faire à bouffer !

(extrait d’une pièce en ébauche…)

***

–  Bien sûr, les Allemands ont souffert : ma mère encore ne peut entendre un avion sans frémir, et je sais que la blondinette de 4 ans a eu peur, faim, fro

Mais quelque part, je suis la seule de ma famille à, en quelque sorte, « porter la Shoah ». La Shoah par balles de mon grand-père, que personne n’a jamais encore osé évoquer avec moi. Et surtout la Shoah tout court.

Alors depuis mon adolescence, je cherche, je regarde, je réfléchis…Ces amis chez lesquels j’avais été jeune fille au pair, qui, chaque année, partaient dans un kibboutz pour « racheter la Faute », m’avaient donné des livres sur le judaïsme…Et puis un jour j’ai trébuché sur Rose Ausländer, « ma » poétesse juive de la Shoah, et, bien tard, à 44 ans, je lui ai consacré un mémoire de DEA…J’ai même, un temps, flirté avec une idée de conversion…

Les miens se moquaient de moi : « Mais qu’est-ce-que tu as encore, avec tes juifs ? » Pourtant, oui, il y a cette étrange proximité, et puis mes larmes d’enfants lorsque j’entendais du Chopin ou des valses tziganes, et puis mon profond dégoût à mélanger par exemple du fromage et du poisson…

Mais au-delà de l’anecdote, je me suis juré de témoigner. De dire, toujours. Ainsi je parle de la Shoah lors de mes cours, bien entendu, lorsque je fais mon métier de prof…d’allemand. Même quand on m’envoie en terre d’Islam, dans les Quartiers où les élèves ricanent au seul nom de « juif », dans ces classes où, une année, j’ai été obligée de faire noter dans le carnet de correspondance :

« Je ne prononcerai plus le nom du Führer en cours sans y avoir été invité », tant les élèves adoraient parler d’Hitler et du gazage des juifs…

Alors en ce beau matin de mars 2012, quand un élève, dans mon lycée de campagne, a reçu un sms de son père policier à l’interclasse, un sms qui lui parlait du massacre à l’école juive de Toulouse, j’ai immédiatement écrit, à la récréation, une phrase sur le tableau d’affichage devant la salle des profs : au feutre, j’ai noté simplement :

« Premier attentat antisémite en France depuis la rue des Rosiers. »

Et j’ai dessiné une petite étoile juive.

Puis je suis retournée en salle des profs. Moi, je tremblais. Entre temps, j’avais allumé l’ordinateur. J’avais lu les dépêches, les récits des faits.

J’avais lu qu’un homme fou avait abattu de sang-froid un père et ses deux enfants, dont j’apprendrais plus tard qu’il s’agissait du jeune Jonathan Sandler et de ses petits Gabriel, 4 ans, et Arieh, 5 ans, devant l’école Ozar Hatorah de ma ville rose, à quelques kilomètres de la bourgade où j’enseignais. J’avais lu que cet homme ensuite avait pénétré dans l’enceinte de l’école et blessé d’autres personnes, et surtout qu’il avait tiré une balle dans la tête de la petite fille qu’il tenait par les cheveux. Plus tard, on me dira qu’elle s’appelait Myriam Monsonegro, qu’elle avait 7 ans et était la fille du directeur de l’école : ce dernier avait vu mourir sa fille.

En ce matin du 19 mars 2012, vers 10 h, je tremblais. Parce que déjà j’avais lu certains détails, et parce qu’il me semblait intolérable qu’un tel attentat se produise, en France, si longtemps après la Shoah. Après la Shoah.

***

–  Nous devons devenir des Veilleurs, des Gardiens du phare de la Démocratie, des porteurs de flambeau. Car comme le proclamait fièrement et crânement Charb, « mieux vaut mourir debout que de vivre à genoux ». Cependant, n’oublions pas qu’il disait aussi qu’il n’avait pas l’impression « d’égorger quelqu’un avec un feutre »…

Alors dessinons, nous aussi, le visage de la liberté et de l’humour. Osons rire, parler, nous moquer, faire face. Car le moment est venu, vraiment, de tenir chaudes les braises du courage et de l’honneur, afin de ne pas céder au feu des émotions et de la vengeance. Ne stigmatisons pas les innocents, mais réfléchissons à des solutions qui permettront un vivre-ensemble pacifié. En même temps, ouvrons aussi les yeux sur les dérives si multiples que nous ne les voyons plus, sur les cités devenues des poudrières à islamistes, sur les femmes avilies et soumises aux diktats d’un pseudo Islam prônant le mépris du corps de la Femme, sur les brèches de plus en plus nombreuses qui permettent à des zones de non droit de polluer les règles de la République.

Il convient, avant tout, d’éduquer, d’intégrer, de pacifier. Le ver est dans le fruit, mais chaque dessin de presse, chaque écrit, chaque discussion est comme une fleur de cerisier qui s’envole dans le vent, à la rencontre du soleil.

N’en doutons pas un seul instant : il reviendra, le temps des cerises, des merles moqueurs de Charlie-Hebdo et des gais rossignols qu’étaient ces papys qui faisaient, de la pointe de leur humour, cette incroyable résistance !

(…)

(Texte paru dans le blog du Monde, et repris par Opinion Internationale le 15 juillet 2015 à la suite d’un entretien avec Pascal Galinier médiateur du Monde, « L’exigence de retisser le vivre-ensemble » suite à la parution de son livre « Qui est vraiment Charlie ».

Opinion Internationale publie un des commentaires des lectrices(eurs) du Monde : Sabine Aussenac, professeure d’allemand à Toulouse, a posté sur son blog du Monde le 8 janvier 2015 le texte « Je suis Charlie ou l’invincible été », véritable appel à la solidarité et à la fraternité, un appel à la réunion plutôt qu’à la division.)

***

–  Cette édition ressemblait en tous points à celle qu’elle avait presque toujours dans son sac, écornée, un peu jaunie, les pages presque vivantes d’avoir été relues mille fois. Elle pouvait presqu’en sentir le parfum, cette odeur caractéristique des livres de poche, qui lui faisait parfois tourner la tête de joie. Ce parfum-là, pour Aïcha, avait l’odeur de l’indépendance et du secret ; il symbolisait sa révolte sourde contre sa condition, contre la fatalité qui aurait voulu qu’elle arrête ses études à la fin du collège, ou qu’elle prenne une des voies professionnelles où tant de jeunes filles des « Quartiers » étaient enfermées, comme dans une nouvelle prison faisant écho à la ghettoïsation de leur cité.

***

–  La petite cuisine sentait le thé à la menthe et l’amlou, cette pâte d’amandes et de miel au parfum ensoleillé. Fatima, la maman de Nour, fabriquait des pâtisseries pour les grandes surfaces de la cité.

  • Nour, ma fille, prends encore un peu de thé !
  • Maman, tu sais bien que je ne peux rien avaler le matin…Allez, je file au métro, j’ai une colle de français. A ce soir !
  • Va, ma fille, et fais attention à toi !

 

Nour dévalait déjà les escaliers quatre à quatre. Le vieil ascenseur était en panne, une fois de plus. Devant la barre HLM, la cité s’éveillait, radieuse sous le soleil toulousain, malgré les carcasses calcinées, les canettes abandonnées et les papiers gras. Sous un ciel inondé d’hirondelles, le lac de la Reynerie miroitait. Un court instant, Nour s’imagina être sur une plage tunisienne…

 

La rame bondée se frayait un chemin à travers la ville rose. Assise sur un strapontin, la jeune fille pianotait, inlassablement, sur ses genoux. Il ne restait que quinze jours avant l’audition, et à peine dix avant le concert aux Jacobins…Nour savait que sa vie entière se jouerait, là, en quelques heures, en quelques minutes, lorsque ses notes deviendraient, ou pas, un passeport pour une nouvelle liberté. Elle songea à ses cousins de Tunisie, aux cris et aux morts, mais aussi aux extases de la liberté retrouvée. Elle se sentait, elle aussi, dépositaire d’une révolution.

-Nouvelle « Le rossignol et la burqa »

***

–  Le chef d’établissement et son adjoint, toujours tirés à quatre épingles, veillent au grain tels des capitaines de frégate. Le Principal porte un costume et semble toujours prêt à recevoir quelque délégation ministérielle.

Au fronton du collège, les mots « Liberté, égalité, fraternité », et ce drapeau qui vole au vent mauvais.

Un îlot. Notre collège est un îlot de résistance.

Mais nous ne sommes pas en terre inconnue, non, ni en terre ennemie. Non, nous sommes en France, juste en France.

La France qui, dans cette cité, comme dans des milliers d’autres, a la couleur des ailleurs. Ce sont ces serviettes de toilette qui sèchent à même le trottoir, sur l’étendoir, devant l’échoppe du petit coiffeur-barbier.

Ce sont ces femmes voilées, en majorité dans la cité, et parfois même entièrement voilées, malgré l’interdiction républicaine, qui se promènent, entre cabas et poussette, depuis le ED jusque chez le boucher hallal. La boulangerie aussi est hallal ; et puis la cantine du collège, aussi.

Ce sont les tours immenses, et les trottoirs salis. Et ces hommes, tous ces hommes désœuvrés, assis aux terrasses des cafés, ou faisant mine de conspirer avant quelque mauvais coup devant la station de métro. C’est que nous avons eu deux meurtres en deux semaines, dans le quartier…

Si l’on marche dans les rues, les seuls signes d’appartenance à la France sont les sigles des bâtiments administratifs : CAF, ASSEDIC…Pour tout le reste, on pourrait se croire à Tunis, Alger ou Marrakech. Pas de Monoprix ou de Zara, ici, seuls quelques magasins de décorations du Maghreb…Les boutiques aussi sont tournées vers La Mecque.

Seule la pharmacie, courageuse en ces temps de l’Avent, a osé un sursaut de fierté chrétienne, disposant deux petits sapins sur le trottoir.

Au collège, pourtant, la République veille : la technique et les moyens mis en œuvre par l’Etat sont partout ; ordinateurs et rétroprojecteurs dans chaque salle, CDI flambant neuf…Les partenariats sont innombrables, les « dispositifs » bien rodés, bref, on a l’impression, plus que jamais, d’être au cœur de cette « école de la République », celle qui se bat pour ses enfants. Certains enseignants sont là depuis plusieurs années, en poste, heureux et motivés. Allant de « projet » en « parcours découverte

Mais au collège, il y a aussi ce mégaphone utilisé pour appeler les élèves ; car la cour ressemble davantage à une jungle qu’à un couloir de Janson de Sailly…Et les traits tirés des assistants d’éducation ; et l’épuisement de quelques collègues. Car l’insularité a ses limites…

La réunion de parents, par exemple, où les dits parents ne viennent voir que le professeur principal, puisqu’ils doivent entrer en possession des bulletins en main propre. –bon, parfois, si, ils se déplacent, enfin les papas, mais là, c’est juste pour incendier une collègue, entre quatre yeux, et de façon extrêmement violente…

Les enfants, eux, dont certains sont brillants et motivés, débordent d’énergie. Une heure de cours en ZEP ne ressemble en rien à une heure de cours classique, puisqu’il s’agit aussi bien de transmettre du pédagogique que de l’éducatif…En troisième, encore et encore, leur dire qu’on ne se lève pas en cours…Et puis expliquer encore et toujours qu’on n’élève pas la voix, qu’on ne parle pas arabe en classe, qu’on ne s’insulte pas…

Certains m’ont fait une petite rédaction, sur leur vision de leur avenir. C’était édifiant, touchant, mais aussi très inquiétant.

Car si tous s’imaginaient riches, et exerçant un « bon métier », tous, aussi, comptaient épouser une femme « musulmane » (« elle portera le voile si elle le souhaite »), et, surtout, donner des prénoms arabes à leurs enfants.

Et c’est bien ce petit détail-là qui, plus que les voitures brûlées, plus que le port du voile intégral dans le métro, plus que le désœuvrement et la violence, m’interpelle : si, au bout d’une ou deux générations, les enfants des « quartiers », pourtant « français » à 90%, continuent à imaginer donner des prénoms arabes à leurs propres enfants, l’intégration ne se fera jamais. JAMAIS.

Et ce en dépit des énormes moyens que l’Etat investit dans l’éducatif ; et ce en dépit du « modèle républicain »…Et ce n’est pas tant lié à ce sentiment d’exclusion de nos élèves- la plupart d’entre eux ne se rendent jamais en centre-ville, vivant en vase clos dans le hors monde de la cité…- qu’à cette dérive protectionniste et communautariste dont ces enfants font preuve, dès leur plus jeune âge : leur pays, c’est…le « bled » ! Pourtant, certains viennent de décrocher des stages dans de prestigieuses entreprises de la région toulousaine, et rêvent de devenir PDG un jour. Mais on a l’impression toujours que leurs valeurs demeureront celles d’une autre culture, et d’un autre âge, quant à leur vision de traiter les femmes, par exemple…

Alors quand je pousse la grille de mon petit collège de ZEP, et que je vois cette devise républicaine en orner timidement le fronton, et toutes ces équipes pédagogiques et administratives motivées, mais épuisées, je me demande quelles solutions nous pourrions mettre en œuvre pour que Marine Le Pen n’ait PAS raison.

Comment, oui, comment arriver à une dynamique réelle d’intégration ? Comment arriver à transmettre ce creuset républicain à ces générations d’élèves n’ayant de la vie et du monde qu’une vision tronquée, muselée par leurs communautarismes ? Comment revitaliser ces cités où la France n’est plus représentée que par ses administrations ? Comment y faire régner non pas seulement l’ordre, mais la paix, et, surtout, la joie ?

Il me semble que ce que nous faisons et transmettons ne suffit pas, et que nous lâchons trop de lest. Certes, la loi sur la laïcité existe, mais elle n’est pas respectée, puisque de plus en plus de cantines sont hallal d’office. Certes, la loi sur l’interdiction du port de la burqa existe, mais elle est loin de faire la part des choses et de régler le problème des fillettes voilées de plus en plus jeunes.

J’ai peur que peu à peu, notre pays ne se clive et ne se détourne des processus d’intégration qui ont fait sa grandeur et sa force, j’ai peur que les métissages ne se fassent que dans un sens.

Je souhaiterais que soient mises en place de véritables heures d’éducation civique spécialement orientées vers l’idéal d’intégration et vers la place des femmes ; je souhaiterais que des commerces « non hallal » soient à nouveau implantés dans les cités, de grandes enseignes, des magasins de chaussures, de vêtements-et pas seulement des échoppes de babouches et de robes à paillettes-, des franchises « classiques », et aussi des magasins d’alimentation « lambda » ; je souhaiterais que des librairies non religieuses ouvrent dans nos cités, et des magasins de musique, et des salles de sport…Et des centres d’épilation, et des parfumeries, et des magasins de lingerie…Et des magasins de jouets, et des salons de thé sans menthe !

Je souhaiterais que la vie vienne vers la cité, puisque la cité ne vient plus vers la vie, hormis pour faire des « descentes »en ville, dont on sait qu’elles sont parfois liées à des dérives, à des vols en bande organisée, à des exactions de casseurs…

Ce qui nous manque, c’est une normalité intégrative, c’est un désir réciproque de partage. Quand j’ai dit, par exemple, que j’allais parler de Noël en cours, puisque Noël est la plus grande fête allemande et un moment fort de la culture germanique, « ils » m’ont tous rétorqué qu’ils ne fêtaient pas Noël, que c’était une fête chrétienne, etc. Mais nous avons malgré tout ouvert les fenêtres et mangé les chocolats du petit calendrier de l’Avent, et fait quelques activités. Et si j’en avais eu le temps et les moyens, j’aurais aimé les emmener voir un marché de Noël en Allemagne…

Je remarque chaque jour que mes élèves vivent dans un nomansland culturel, malgré le Centre Culturel du quartier, et malgré l’énergie remarquable dont font preuve les équipes administratives et pédagogiques du collège…Que soit au niveau des partages économiques ou intellectuels, ces enfants et ados sont dans une zone de non droit, dans un endroit où les échanges de base ne se font plus.

Et c’est à la République de se donner les moyens de changer cela, avant qu’il ne soit trop tard, avant que les camps ne se forment de façon définitive, avant que le FN ne prenne peut-être un jour le pouvoir, avant que les « Frères Musulmans » ne remplacent peu à peu sécu, ASSEDIC, école et loisirs…

Je ne veux pas que mon pays renonce à l’idéal des Lumières : éduquer, enrichir, élever les esprits.

Liberté de pensée, égalité entre les femmes et les hommes, fraternité entre nos cultures : agissons !

(Texte écrit il y a plusieurs années et paru dans « Le Post », bien avant les attentats…)