Enfin! Mon essai est sorti, tout bleu comme un ciel d’été enrobé du cercle stellaire! Merci à Jean-Luc Veyssy et aux éditions du Bord de l’Eau d’accueillir Rose et ses poèmes, et d’avoir permis l’existence de cet ouvrage passerelle entre poésie et judéité. Merci à Antoine Spire, le directeur de la superbe collection Judaïsme, pour son accompagnement, et à Laurent Cassagnau de l’ENS Lyon pour sa très belle préface. Voici la présentation de l’éditeur:
« Rose Ausländer, dont les poèmes sont traduits dans le monde entier, fait partie des figures majeures de la littérature allemande du vingtième siècle. Sa voix demeure pourtant quasi ignorée en France en dehors de cercles universitaires, alors même que son ami et compatriote Paul Celan la portait en haute estime et qu’elle est considérée comme l’une des grandes poétesses de la Shoah, au même titre que Nelly Sachs. C’est cette injustice que Sabine Aussenac a voulu réparer en retraçant les flamboyances culturelles de Czernowitz, la « petite Vienne » de la Bucovine, avant de fixer les béances du ghetto, de la Shoah et de l’exil, jusqu’à la renaissance en poésie de Rose Ausländer. Et c’est bien autour de cette césure fondamentale du génocide et de la problématique de la judéité que se noue le lien passionné de la poétesse à son public allemand, en miroir du rapport intime et universel la liant à son peuple et à sa religion. Lire cette poésie, c’est aussi se sentir transporté aux confins de la Mitteleuropa ou dans le staccato de l’exil new yorkais avant de se recueillir dans l’atmosphère épurée et stellaire de la langue-souffle d’une poétesse dont la voix ne vous quittera plus. »
J’ai voulu, en écrivant ce texte qui est aussi l’antichambre du roman que j’espère un jour publier autour de Rose, faire découvrir cette femme exceptionnelle et ses milliers de poèmes à un vaste lectorat francophone, tout en articulant ma recherche autour des liens entre sa poésie et le judaïsme.
La voix de Rose bouleversera les âmes sensibles à la poésie; son destin saura aiguiser la curiosité des passionnés d’Histoire; sa langue émerveillera les germanophiles; sa résilience, miroir d’une époque, inspirera tous les exilés, tous les opprimés; son courage devant la guerre, lors de la Shoah et face à la maladie forcera l’admiration de tous.
Et chacun de ses textes, petite lumière en écho aux étoiles qu’elle aimait tant, nous offre en quelque sorte la possibilité de devenir un Mensch… Mon essai, en effet, s’inscrit aussi dans une lutte incessante contre l’antisémitisme.
Enfin, n’oublions pas que Czernowitz, capitale de la Bucovine, se situe aujourd’hui en Ukraine… Lire Rose, c’est aussi dire non à toutes les guerres!
N’hésitez pas à me contacter via le formulaire de ce blog si vous souhaitez acquérir un ouvrage dédicacé. Je me tiens bien sûr à la disposition des librairies qui souhaiteraient organiser une rencontre, une séance de signatures, une lecture… Ce serait tout aussi passionant de pouvoir parler de Rose dans une bibliothèque ou une médiathèque, afin de sensibiliser les jeunes publics et les adolescents… Enfin, si des associations communautaires souhaitaient me recevoir pour parler de cet ouvrage, Rose et moi en serions ravies!
Un dernier appel à destination de l’édition: Helmut Braun, le découvreur, l’ami et le légataire de Rose Ausländer, devenu aussi un proche collaborateur, m’a chargée de traduire certains recueils de Rose… Nous sommes donc à la recherche d’un accueil en poésie….
J’ai la grande joie de vous annoncer que mon essai sur Rose Ausländer, « Rose Ausländer, l’autre grande voix juive de la Bucovine », paraîtra courant 2022 dans une superbe collection de la très belle maison d’édition Le Bord de l’Eau…
Lire Rose, c’est tout d’abord être aveuglé par l’empreinte de ce linceul lancinant de la Shoah, décryptant dans cet ossuaire testimonial l’itinéraire cette exilée, de la Bucovine à NY jusqu’à l’Allemagne qui deviendra paradoxalement sa terre d’accueil. Cependant, au fil de la découverte plus pointue de l’œuvre abondante de cette poétesse atypique, au gré de l’hétérogénéité de cette langue éclatée et polymorphe, allant de la célébration rilkéénne des débuts à l’indicible pneuma caractérisant les dernières productions poétiques, on en vient à comprendre le silence ausländerien, cette légèreté de l’essence poétique d’une survivante chantant encore le lilas de l’enfance malgré « le lait noir de la mémoire ».
C’est justement cet équilibre entre l’être et le néant, cette force résiliente qui sous-tend toute l’œuvre de la « poétesse de Düsseldorf », voix majeure de la littérature allemande : « Ecrire, c’était vivre. C’était survivre. »
C’est la lumière qui m’alerte en premier. Imperceptiblement différente. Une sorte de frémissement de l’air, une envolée.
D’ordinaire, j’ai comme un sixième sens. Je sais que lorsque je vais lever les yeux, elles seront là. Un peu comme vous devinez qu’une lettre importante vous attend dans la boîte.
Alors j’ose tourner mon visage vers le ciel, vers ce bleu, ce jour-là, intense, presqu’insupportable, ce bleu qui nous réconcilie soudain avec toute la beauté du monde ; et elles sont là : mes hirondelles.
Je les vois, je les aime, je les sens, si proches, si lointaines, et leurs grands cercles fous me sont comme une aubaine ; soudain, tout s’apaise. Je sais que le monde est à sa place, et que j’ai ma place au monde. Ces frémissements d’ailes dans la première lueur du couchant font de cet instant, de cette minute précise où j’assiste au retour des hirondelles, le moment le plus précieux de mes ans.
Cet instant est mon renouveau, mon équinoxe. Ce moment est mon mascaret et ma dune, mon éveil. Car pour moi, ces hirondelles symbolisent la vie, son éternel retour, sa puissance infinie, la vie, pleine, entière, résiliente et solaire, indestructible.
La grâce, déjà, de ces cercles infinis, de ces ballets aériens, fusant au crépuscule jusqu’au ras des tuiles, ou s’égarant jusqu’aux confins du ciel, me bouleverse. Moi la femme-glèbe, aux sabots de plomb, embourbée dans mes vies tristes, je me sens soudain comme transfigurée, touchée par cette légèreté aérienne.
La liberté, aussi. Assignée à résidence dans ma propre existence, pieds et poings liés par mes soucis, en immobilisme total de par mon manque de surface financière, je suis en admiration devant ces gitanes du ciel, devant ces nomades absolues. Mes hirondelles me disent la bonne aventure, elles seules savent qu’à travers le prisme obscurci de mes gouffres, il reste cette lumière.
Et puis l’oxymore du Bleu de Delft de ce ciel de mai parsemé d’onyx, le contraste parfait entre les ailes veloutées des ébènes en envol et notre printemps d’azur : d’aucuns aiment regarder une ligne d’horizon maritime, qui apaise et invite à tous les voyages… Moi, c’est en contemplant ces tableaux toujours renouvelés que je me sens revivre.
Chaque année reviennent mes grandes espérances : je rêve à un été qui serait différent, qui aurait à nouveau un goût d’enfance et de vent… Je revois la route sinueuse qui menait à la mer, et ce moment précis où le paysage se fait méridional. Au détour d’un virage, l’air s’emplissait de cigales et de pins. Les vacances commençaient. Et puis les cousinades, les odeurs de vergers, les haricots cueillis et le foin engrangé…
Oui, lorsque reviennent mes sœurs du ciel, je reconnais le chemin du bonheur.
*** Cette petite prose a été écrite il y a quelques années, lorsque je me débattais encore dans un enfer social, entre un douloureux divorce international et un monceau de dettes laissées par un autre…
Je me cogne à la prison du ciel
Je me cogne à la prison du ciel
Hirondelle perdue en confins d’irréel
A la recherche de ces infinis soleils
Englués au fond des vallées de merveilles
Tournoyant en cercles éperdus d’immense
Fébrile enfant comme soudain en transes
Je voudrais pour toujours décrocher vieilles lunes
Alourdie dans ma quête par d’ancestrales runes
Je frôle cimes d’arbres
En poussant cris de marbre
En tombeau de ma vie
Je me sens engloutie
Et puis je redescends en piqué maladroit
Happer quelque lumière aux confins des grands froids
Mes grandes migrations ne me sont que misère
J’avais rêvé l’Afrique me voilà en hiver
Oiselle sans boussole
Egarée un peu folle
Oh rendez moi mes ailes
Donnez moi ces printemps que je m’y fasse belle
Où sont ces crépuscules en confins de lumière
Qui m’offriront enfin ces espérances fières
Je veux crier au ciel mes chants d’été soyeux
Je veux à tire d’aile voleter vers les feux
De ces couchants si roses que les joues en frémissent
Me faire signe noir de nos amours prémisses
J’écrirai dans l’azur
Je serai des plus pures
Et au jour déclinant nous quitterons les sols
Vous et moi mon ami pourqu’enfin je m’envole…
Et puis les dettes ont été effacées, le temps a fait son oeuvre, et j’ai même décroché l’agreg externe en 2016, ce qui m’a permis de voyager à nouveau, de fouler enfin ma terre germanique, celle de mon deuxième pays, et aussi celle d’outre-Danube… J’en ai bien profité après ces années de disette: la Rhénanie, bien sûr, berceau familial, mais aussi la Baltique tant aimée à Rügen, les peintres fous de Worpswede, la vallée de l’Elbe en poussant jusqu’à Prague… Un stage de l’institut Goethe m’a offert, enfin, l’émerveillement de Berlin… Une résidence d’artiste m’a permis de déguster les fastes viennois… Mon projet autour de Rose Ausländer a encore ancré cet amour de la découverte. Puis vint le Covid, et, à nouveau, l’immobilisme…
Et ce soir, en voyant revenir les voyageuses, j’ai pensé à toutes nos envies de liberté, de voyages, de routes, de sentes, de navires, de vols, d’envols… Bientôt…
En attendant, sachons, comme nos sœurs du ciel, tournoyer en cercles infinis au-dessus des bonheurs du quotidien… Regardons le bourgeon, inspirons ce printemps, et regardons-nous, dans les yeux. Le masque ne nous prive pas de ce plaisir-là.
Avec un peu de retard à la suite de soucis de santé, recevez tous mes vœux pour cet an neuf: qu’il vous soit, ainsi qu’à vos aimés, joie, lumière et douceur.
Trois anciens poèmes pour nous souvenir des voyages qui nous semblent si lointains et inaccessibles, des campagnes qui nous manquèrent tant durant les confinements, et un dernier poème presque prémonitoire:)
Une pensée particulière à toutes celles et ceux qui ont été malades et/ou qui ont perdu un proche.
Prenez soin de vous! Aimez-vous! Que les cœurs soient unis et qu’ensemble nous résistions au virus et au découragement!
PS: n’ayez pas peur du vaccin…
Auch…, un premier janvier…
Un jour nous irons vers les Nords
Un jour nous irons vers les Nords Nos paysages seront blancs d’or Reine des Neiges tu m’aimeras Cristal de l’œil repartira
Je serai Gerda ou bien la Reine Palais de Glace fondra sans peine En fjords folies fendrons nos rêves Vie boréale passion sans trêve
Un jour nous irons vers les Ests Vers des toundras inaccessibles En yourtes libres lâchant du lest Humant ces bises inaudibles
Nous grimperons Himalayas Amour sherpa de nos tendresses Toujours je serai ta Geisha Sous cerisiers tu me caresses
Un jour nous irons vers les Suds Oubliant froidures trop prudes Palmiers de feu air indigo Terres sauvages douceurs des eaux
Quatre éléments un seul amour Tous nos lointains disent « toujours » Abyssinie parée de sienne Îles Marquises céruléennes
Un jour nous irons vers les Ouests Vers une Irlande aux embruns vifs Rousseurs rochers l’amour nous reste Voilier ancré en château d’If
Une certitude et un voyage Comme un élan d’envols immenses Comme l’arc-en-ciel en paysage Points cardinaux des mille transes.
Vienne…
Se souvenir des belles choses
Se souvenir des belles choses Du vent qui siffle sur les lauzes De ces châtaignes en bogue douces Et des clairières gorgées de mousses Savoir encore le goût des mûres Qui éclatent à nos palais d’été Et de ces rires en cousinades Sous les glacis de la cascade Lorsqu’en retrait du monde adulte Nous échangions premiers baisers Se souvenir de l’aigle noble Et de la buse en la vallée Ils hurlent majesté aèdes D’un temps où seule comptait La vérité Se souvenir de mots si simples Margelle bougie édredon La vie n’était que plume d’ambre Et la lumière vacillait L’eau gouttait en ribambelle Elle coulait de source vive Se faisait truite en ru d’été Se faisait lac en vraie montagne Et mer là bas côté garrigues Notre eau puisait en monde propre Et nous savions le poids des beaux Se souvenir des odeurs sombres Fermer les yeux sur nos antans Voilà la cave aux vins poussière Et les pommes suries embaumant Montons échelle vers poutrelles Foin et graines aux blonds décors Et la malle aux mille dentelles Maie de la bru bonnet jeté Oh vous moulins tournez encore Se souvenir des pas sur neige rêche Blottis glacés on rêve au feu Minuits chrétiens la cloche sonne Nos noëls ressemblaient à un « Martine » Et Sébastien parmi les hommes Nous fredonnait ses brumes claires Se souvenir des jours d’école Des encriers violets tachés Nous étions tous des Petit Chose Meaulnes m’aurait bien épousée La Seine prend sa source Et ma vie me détrousse Peu à peu je me noie en bien tristes horizons Rendez-moi Saint-Louis sous le chêne Et l’autre dit le Hutin M’entendez-vous vieille Pucelle Qui guérira mes écrouelles La vie se fait tendre buvard Se souvenir de nos enfances Nous redresser toucher du bois La vie était une évidence Peut-être n’est-il pas encore trop tard…
Quelque part dans le Tarn…
Bas les masques !
Bas les masques ! Il ne suffit plus de désirer les frasques Ou de maudire en sang les impossibles humeurs… Toi et moi nous serons de plus en plus fantasques Et un jour nous saurons déguster nos bonheurs.
Hauts les cœurs ! Désormais au grand jour je vivrai mes rondeurs; Nul n’aura la main mise sur mes appétits d’ogre Vins et miels me seront comme un appât frondeur Si tu m’aimes à mon corps ne jetteras l’opprobre.
Liberté ! Si le ciel m’appartient, la terre m’est contée: J’en serai citoyenne jusqu’aux confins des jours! Voir Venise et mourir mais plutôt y rester; Nos voyages auront la couleur des amours…
Garonne, en voyage immobile…
Et puis, pour rire un peu, en souvenir, mes « mauvaises résolutions » du premier janvier …2009!! Comme elles semblent lointaines, et pourtant si proches:)
Mes mauvaises résolutions….:::)))
Mieux trier mes ordures. Vraiment. Pas seulement de temps à autre, en visant la bonne poubelle. Ne pas mentir à mon fils en lui disant que j’ai rapporté les piles… Ne plus utiliser 10 mugs dans la même journée pour mes thés et tisanes. Ne pas shooter dans le chat, même très légèrement, quand il miaule plus d’une demi heure après avoir déjà eu sa ration de croquettes bio. Résister à la tentation de regarder les mails toutes les 5 minutes Disons, m’accorder plutôt 10 minutes. Ne pas boire plus de 25 tasses de café par jour. Arrêter de me dire malade pour le plaisir de voir mon doc chinois. Ne plus mettre les Gipsy King à fond; il n’est pas certain que mes voisins les aiment et ils ne savent pas forcément que cela m’aide à me concentrer lorsque je vide le bac du chat. Arrêter d’avoir tout le temps des pensées moqueuses et/ou médisantes: exemple: Au tribunal, alors que j’y suis pour un ÉNORME souci: « Tiens, je n’avais pas remarqué que dans ma petite ville même les avocates ne se maquillaient pas! » Ne plus écouter France Info plus de 15 minutes, voire plus, jusqu’à être capable de réciter les flashs aussi bien qu’une poésie de Maurice Carême. Basculer plutôt sur « Lahaie, l’amour, la vie » en faisant la vaisselle du midi, ça m’évitera de mourir coincée et me permettra de briller dans les soirées en donnant des adresses coquines du fin fond de ma campagne. Travailler cette idée du lancement d’un MAXI SEXY CENTER dans mon département. Car le foie gras, c’est has been, non? Arrêter de ne PAS m’épiler les jambes sous prétexte que je suis « hors ligne ». Oui, on ne sait jamais. Toujours être habillée comme si Karl Lagerfeld himself venait souper. « La STYLE », ou rien. Lire le Monde. Non, je n’ai pas dit « acheter », ça, ça m’arrive. J’ai bien écrit « Lire ». Aller à Paris. Le dire, le faire, et recommencer. Parce que la vie, la vraie, se passe statistiquement aux endroits peuplés, nantis de théâtres, de librairies, de quartiers, de rencontres. Aller à la mer. Sans rien. Aller à la plage en maillots et en tongues, même sans serviette, et si possible sans enfants, panier, goûter, crème solaire, ballon, livre, portable, monnaie pour les beignets, maillot de rechange, parasol, couche de rechange-bon, ok, je n’ai plus de nourrisson, c’est dans l’absolu-, bouteille d’eau, petits jus. Juste aller à la plage, regarder, nager, se coucher à même le sable, sentir. Aller à la montagne. Sans rien. Aller à la montagne avec une bonne paire de chaussures, une carte et un chapeau-un bonnet selon la saison. Et surtout sans enfants, sacs, deux mille barres de survie, batons que je porte, guide des GR, pique nique débordant… Faire faire des cartes de visites ciblées, les garder dans des petites pochettes et les distribuer. Sur la carte pro, bien mettre un titre ronflant et une super photo, et la donner le plus souvent possible, ne pas oublier les liens internet, et ne pas hésiter à aller au devant des possibles. Bien sûr que ça existe, des profs qui quittent l’Education Nationale… L’autre carte, celle où il est écrit « I’m free, what else? », je la donne comme ça, au feeling, je la tends à cet inconnu croisé au parc et qui a un si beau regard, je la dépose sur le siège de mon voisin de train qui est plongé dans la lecture de Baudelaire-si si, ça existe, aussi!!!-, et je m’épargne ainsi les 39,90 euros de l’abonnement Meetic. Tiens, à propos Meetic, je blackliste illico toute personne faisant plus de 5 fautes d’orthographe par ligne et je me mets à faire des recherches par mots-clefs. La quête de l’Homme doit se pratiquer avec la rigueur d’une recherche universitaire. Je regarde les émissions intelligentes. Je ne zappe pas quand je vois Arlette Chabot ou Yves Calvi. Ils sont aussi respectables que Cauet et ont DROIT à leur part d’Audimat. J’arrête de regarder » Miss Swann », de toutes manières je n’aurai JAMAIS le courage de m’attaquer chirurgicalement à ma ptose abdominale, et il est HORS DE QUESTION que je me transforme en Barbie. J’admets que ma PREMIERE OPERATION esthétique a été une erreur, et j’assume enfin la joie de ma transformation: Avant, j’étais blonde à forte poitrine, aux yeux bleus, 95/60/95, je mesurais plus d’un mètre 75 et je chaloupais des hanches et du regard. Aujourd’hui, je porte de grosses lunettes, je mesure un mètre 60 pour 60 kilos, je n’arrive pas bien à trouver ma taille de soutif et les abdos ne marchent pas, mais je dois être heureuse avec ce nouveau corps et cesser cette nostalgie ridicule. J’ai droit à ma différence. Je ne tchatte plus avec**** jusqu’à 2h du matin, c’est ridicule. Je relis Proust, Hugo, j’apprends enfin à tricoter et je fais des chaussettes pour les petits prématurés du Brésil.
Mes Mémoires d’Autan sont des miscellanées poétiques entremêlées de réflexions autour de l’être-soi d’un Sud-Ouest baigné par l’Atlantique et Mare nostrum, illuminé par nos campagnes gorgées de tournesols, et bien sûr surtout, pour moi, toulousain et tarnais ; alternances de nouvelles, d’essais et de poèmes en ancrage de cette terre d’Oc qui m’est chère, ces textes vivent au gré des méandres de Garonne et de l’Histoire ancienne ou contemporaine de la Ville Rose et du Grand-Sud…
En ces jours où la terre australienne semble se consumer, où les réseaux sociaux évoquent le hashtag #WWIII ou #troisièmeguerremondiale et où l’on dénombre déjà quatre féminicides en France en cinq jours, sans oublier les luttes contre les diverses réformes, celle des retraites, celles du bac…, mes traditionnels « vœux de bonne année » me sont quelque peu restés en travers de la plume…
Mais il en faudrait plus pour me faire taire 😊
Voilà donc, de tout ♥, mes souhaits pour 2020 en bonheurs :
Que votre année soit claire, comme un ciel boréal illuminant les froids. Oubliez les scories et les pisse-vinaigres, pour ouvrir vos persiennes en un printemps jonquille. Laissez parler les fats, éteignez les ignobles, ne gardez que le pur, celui qui nous élève et nous fait voyager vers la vie et le rêve.
Que votre année soit forte comme un acier trempé, comme un chêne aguerri par cent mille tempêtes, pour affronter les nuits d’une époque en folie. Soyez prêts au combat si il est juste et vrai, ne baissez pas la tête, relevez vos fiertés piétinées par les Grands, faites confiance au peuple et conspuez les peurs.
Que votre année soit légère comme un vol d’hirondelles redécouvrant soleil. Oubliez les ennuis, souriez au mystère, devenez ce grand vent qui vous pousse hors rivages, soyez foc et Grand Voile : nul besoin de Marquises quand on devient une île.
Que votre année soit folle en fou-rire éternel, gloussement lycéen ou clowneries d’un jour. Rien qui vaille la joie, soyez gais, des pinsons en goguette, jetez au feu tous ces costumes de golden boys brimés, portez hauts la couleur de vos joies. Empourprez tous ces gris, carminez les fadeurs, osez le tyrien, oubliez l’outre noir, faites de votre jour un arc-en-ciel torride !
Que votre année soit douce comme un velours d’antan, peau de pêche et câline, une soie chatoyante. Soyez fous de vous-mêmes, aimez-vous, que tout miroir soit frère et toute glace amie, cessez tous ces mépris pour embrasser votre ombre et vous chérir toujours.
Que votre année soit parfumée, comme une aube sans fin où pré de mai respire, comme un arbre en été quand mille fruits débordent, comme un bois en automne quand toute mousse est vie, comme un âtre en hiver où l’on marie les bûches. Devenez le gingembre, baptisez-vous cannelle, faites de l’ambre l’alliée de vos désirs sans fin.
Que votre année soit dansante comme un bal de juillet, ballerine infinie d’un opéra viennois ou langoureuse en tango, espiègle cha-cha-cha ! Déchaussez-vous, faites de chaque instant un pas de deux, faites des pointes au lieu de faire la tête, soyez Rock’n Roll !
Que votre année soit libre comme un oiseau sauvage, pour vous rendre à vous-même dignité et partage. Vous cesserez les esquives et les compromissions pour enfin devenir ce que vous rêviez d’être. Devenez la cascade, le mustang ou l’étoile, larguez toutes les amarres, levez l’ancre de vos vies !
Que votre année soit tendre comme un premier amour, quand se tenir la main valait un firmament. Oubliez les records, les audaces poisseuses, osez le peau à peau bien plus fort que dentelles, ne gardez que le Beau qui murmure en respect.
Que votre année pétille, tintinnabule en joie, qu’elle cavale caracole virevolte en farandole, qu’elle dévale et dévore, qu’elle charpente vos vies, qu’elle arpente vos rêves et déchire vos nuits, qu’elle crépite en feu de joie, qu’elle vous porte aux nues, vers les autres, frères humains, qu’elle nous rassemble en ronde pour devenir demain.
Écrire. Parce que ça brûle et que les mots mangent les miasmes mortels. Parce que je me consume. Écrire. Pour hurler les insupportables injustices d’une vie entre chien et loup, pour appeler tous les soleils. Écrire. Pour respirer les lilas et les roses, parce que consommer ne suffit plus. Écouter la petite fille de sept ans qui déjà dans une rédaction voulait « son nom écrit en lettres d’or » Écouter l’adolescente rondelette qui savait qu’elle ne serait jamais starlette, mais que son esprit avait la grâce des vents. Écouter la jeune fille qui noircissait cahiers et carnets de poèmes et d’intimes. Faire taire les médisants et les jaloux, ceux qui ricanent en disant « tu fais encore tes poèmes ? » et ceux qui ne lisent jamais.
Écrire. Sentir les mots qui fusent dans mes veines comme autant de petits shoots, les modeler comme je respire, les coucher tous neufs sur le papier de soie de l’imaginaire. Les voir s’embouteiller pare choc contre pare choc sur le bitume de mes nuits, les regarder décoller ou décolérer, me prendre soi-même par la main. M’amener au parc Monceau des mémoires et manger des mots tagadas. Écrire. Exister. Survivre. Se sentir relié au vivant. Microcosme dans le macrocosme des auteurs. Relire Rilke, Desnos, Sophocle, jouer dans la cour des grands. La solitude n’existe plus, dès lors que les lettres ont pris forme dans un cerveau d’enfant. Je me souviens de cet immense chagrin : et comment ferai-je pour « tout » lire ? Le fait de ne jamais visiter la Patagonie ou les Maldives me tourmentait bien moins que l’idée de ces milliards de pages que je n’aurais jamais le temps de parcourir…
Écrire. Pour te parler. Pour vous parler. Pour les méridiens célaniens autour d’une terre murmurante et dialogique. Pour bousculer les idées reçues et pas pour recevoir des prix. Pour maculer les neiges et éblouir les nuits. Pour faire basculer dans le vide les parachutes dorés. Par devoir d’insolence. Par malice ou par fierté, par respect ou culpabilité. Écrire. Pour le poids des mots, le choc des idées, pour les mots tocsins et les caresses d’âmes. écrire. Te toucher dans le mille. Te bouleverser. Te traverser. Te tournebouler. Te secouer jusqu’à l’extrême. Pour t’inventer, te rencontrer, te trouver. Pour te parler.
Écrire. T’écrire. Oublier ceux qui m’accusaient de verbiage. De me répéter. D’oser communiquer par le bais des mots couchés en lieu et place d’une discussion franche. Relever la tête des mots. Leur apprendre à défiler comme sur un podium, entre insolence et grâce. Couper les franges, outrer les regards, charbonner les yeux, raccourcir les jupes. Mots de filles, mots de femme libre, créatrice, mannequin et cliente : j’écris et m’habille comme bon me chante. Mots de blonde, mots de bombe. Mes mots bombent le torse et s’affichent en talons aiguilles. T’écrire, te dire. Écrire les envies aussi, les désirs, les folies. Ecrire le feu, écrire par le feu. Et les frissons tentants.
Écrire. Partout. Sur des bouts de papier volés, sur la nappe des restaurants, griffonner, noircir, exploser. Sentir la brûlure de l’urgence quant l’idée naissante se présente dans la maïeutique du quotidien. Oser réclamer du papier au magasin de fleurs, et griffonner sur tout support possible. Les chéquiers se font Nobels en puissance, le plan de Paris devient Goncourt. Écrire encore à la main, pour le plaisir des volutes de l’encre et de la sensualité des lettres papiers. Envoler des majuscules gracieuses sur des enveloppes ensuite personnalisées. Et parfumer la lettre, bien sûr, en synesthésie malicieuse de femme amoureuse.
Écrire. Frapper aux portes du ciel. Détourner les avions du quotidien. Se faire chasseurs d’orages. Devenir le hacker de sa propre vie, pirater ses données pour ne jamais les formater. Souffler sur ses rêves jusqu’à tisonner l’impossible. Mots silex. Guerre du feu de l’imaginaire. Devenir tribu. La horde, c’est vous. Garder le feu, se faire caverne et découvreur de mythes. Écrire. Rassembler les possibles, croiser le fer contre la banalité. Devenir peuplade inconnue, terre vierge. Mots berceau de l’humanité. Écrire. Se faire parchemin, tablette, vélin. Devenir Table de la Loi, Torah, Coran. Mots buisson Ardent. Révélations.
Écrire. Etre l’historien des mondes et un monde en soi. Bâtisseur de cathédrales et patron de start up. Écrire le vent et les villes, les sables et le froid, écrire les pertes et les dons, le pardon et la grâce. Écrire pour trouver grâce à tes yeux. Écrire pour que tu me manges des yeux. Écrire qu’il n’est jamais trop tard. Pour faire fleurir le désert des Tartares. Écrire. Pour que tu me déshabilles du regard. Pour que tu me lises très tard. Écrire. Pour que tu devines mes lettres dans le noir. Pour que tu devines mes formes le long des soirs. Écrire. Pour que tu aies envie de me prendre la main. Pour que tu sentes soudain la roue du destin. Écrire. Pour que mes mots te soient caresses, pour que tu sentes mes tendresses. Pour que ma lune te soit soleil. Pour que mes étoiles deviennent arc-en-ciel.
http://www.poesie-sabine-aussenac.com/cv/portfolios/ich-liebe-dich Écrire. Pour apaiser mes creux au ventre. Pour te dédier l’inextinguible. Pour te faire sentir que je tremble. Écrire. Pour allumer tous nos possibles. Pour que la nuit nous soit complice. Pour te murmurer des serments, pour que tu m’embrasses dans le cou. Pour que tu deviennes fou. Écrire pour que tu me trouves belle. Pour devenir ciel et enfer de ta marelle. Pour te susurrer des images. Écrire pour trouver le passage. Écrire pour ne pas être sage. Écrire pour t’aimer, nous aimer, aimer. Écrire.
Prix d’encouragement : 6 textes ont été distingués par le jury pour leur intérêt et leur qualité d’écriture. Ils seront publiés par l’Harmattan dans le recueil 2019 « Il aurait suffi de presque rien» :
Texte 1 : Sabine AUSSENAC : Puella sum »
Paris,
an de grâce 1255
Bertille
leva les yeux, enchantée par le soleil du midi. Adossée au lourd portail, elle
prit une profonde inspiration. Après une matinée passée à manier le taillant
dans la pénombre du transept, elle eut soudain l’impression de se retrouver au
bord de l’océan, chez elle, toute grisée d’enthousiasme. Des mouettes
tournoyaient d’ailleurs non loin de l’immense chantier, poussant leurs cris
familiers qui se perdaient dans le vacarme de la foule assemblée sur le parvis.
Tout le petit peuple de Paris se croisait, se parlait, se regardait bruyamment
dans ce savant désordre de la Cour des Miracles, tandis que la cathédrale,
paisible vaisseau en partance pour l’éternité, s’élevait, année après année,
siècle après siècle…
Bertille
resserra les pans de sa chemise autour de sa poitrine, vérifiant que le bandage
était bien en place, et repensa avec émotion au calme qui régnait dans son
petit village breton… C’est là qu’elle avait appris à tailler le granit auprès
de Jehan, son père : elle le suivait en cachette, délégant la garde des
moutons à sa sœur, et observait, cachée dans les genêts, le moindre de ses
gestes. Un soir, alors qu’elle n’avait pas huit ans, elle revint dans leur
modeste maison battue par la grève nantie d’une roche polie, taillée et sculptée
d’un ange aux ailes joliment déployées ; Jehan comprit que si le ciel ne
leur avait donné ce fils qu’il espérait tant, c’était sans doute que Bertille suffirait
à le remplacer ; il lui avait tout appris, lui transmettant son fabuleux
savoir.
Lorsque
l’architecte Jean de Chelles avait appelé les plus grands artisans du royaume
afin de poursuivre la construction de Notre-Dame de Paris, Bertille n’avait pas
eu à insister beaucoup : en dépit des craintes de sa mère, elle coupa ses
longues tresses blondes à la diable et banda sa jeune poitrine en en étau si
serré que bien malin eût été celui qui aurait pu deviner qu’elle n’était point
un garçon… Au village, on raconta qu’elle était partie au couvent, et seul
Martin, le fils du forgeron, son promis de toujours, était au courant de ce
secret. C’est ainsi que la jeune fille secondait son père vaillamment, maniant
le burin et la gouge et marquant parfois la pierre de quelque signe lapidaire,
fière de lui apposer sa marque de tâcheron et de poser son empreinte féminine
dans l’Histoire, elle qui aurait eu normalement sa place auprès du foyer ou aux
champs… Chaque coup de maillet lui semblait faire sonner sa liberté à toute
volée.
Dans
la pénombre de la nef, lorsque résonnaient matines à travers les mille églises
de Paris, Bertille avait, le matin même, gravé l’inscription en latin que lui
avait apprise le jeune abbé qui parfois prenait les apprentis sous son aile,
leur montrant durant sa pause enluminures et phrases en latin dans son immense
bible … « Puella sum !» (« Je suis une fille ! »),
avait-elle patiemment gravé dans le cœur tendre de la pierre située juste à l’embrasure
de la montée vers la « forêt », la charpente si majestueusement entrelacée
par les habiles fustiers… Elle y avait ensuite enchâssé un deuxième éclat de
roche, scellant ainsi son secret. Seule Notre-Dame connaissait la vérité.
Son
père l’attendait dans la loge réservée aux tailleurs de pierre, c’est là qu’il œuvrait
depuis l’aube à la taille d’un énorme bloc destiné à consolider le pourtour de
la rosace qui serait bientôt achevée. Soudain, une main de fer saisit Bertille au
collet, tandis qu’un méchant murmure lui glissait à l’oreille de se taire. En
reconnaissant le regard cruel du chanoine, elle se sentit prise au piège, tenta
en vain de se débattre mais se retrouva très vite entravée dans l’une des allées
du transept. On l’avait percée à jour, lui dit le prêtre de sa voix doucereuse
et pleine de fiel, et le sort réservé aux pècheresses de son acabit serait terrible :
on la jugerait comme une sorcière, puisqu’elle avait bravé la loi des hommes et
celle de Dieu en se prétendant un homme. Au moment où la main avide du prélat
allait se saisir du sein blanc qu’il avait commencé à frôler, tel un fauve jouant
avec sa proie, en défaisant le bandage de Bertille, le lourd vantail s’abattit
avec fracas et Jehan entra dans la cathédrale déserte en hurlant qu’il fallait
lâcher sa fille. Lorsqu’il abattit son maillet sur la tête du démon déguisé en
prêtre, le soleil dardant les vitraux de la rosace enveloppa la pierre d’un
faisceau purpurin.
La
chevauchée à travers Brocéliande, les bras ouverts de Martin qui l’attendait au
village, les récits émerveillés de son père quand il rentra, des années plus
tard, pour raconter la beauté des tours et du jubé, et puis une vie de femme
simple, de la paille aux pourceaux, des langes de ses quinze enfançons aux
toilettes des morts : rien ne put jamais effacer de la mémoire de Bertille
le goût salé de la liberté et de la création… Il aurait suffi de presque rien
pour que son rêve s’accomplisse, et, si ce dernier s’était brisé en chemin, le « Puella
sum » en témoignerait néanmoins au fil des siècles : ainsi, dans la
famille Letailleur, la légende dirait qu’une jeune fille déguisée en homme avait
construit Notre-Dame, et que la preuve de cette incroyable imposture dormait
sous le vaisseau de pierre…
Paris,
15 avril 2019
Sarah
soulève délicatement le cadre et regarde la photo, comme elle le fait tous les
soirs lorsque sonnent les vêpres… Le petit appartement coquet de la rue du Cloître-Notre-Dame
est baigné de la belle lumière annonçant le crépuscule, et Sarah se souvient de
cette dernière messe, après laquelle elle avait renoncé à ses vœux. Jamais elle
n’avait regretté ce choix et elle sourit en regardant son Simon, si beau
sur leur photo de mariage, à peine moins décharné que lorsqu’elle l’avait aimé
au premier regard au Lutétia, mais resplendissant de joie : il avait fait
partie des rares rescapés d’Auschwitz et, ayant survécu par miracle, s’était
juré d’être heureux. La petite moniale bretonne avait définitivement quitté son
passé et embrassé la foi juive avant de seconder Simon dans leur atelier du
Sentier, à quelques encablures de Notre-Dame… C’est sur le parvis qu’ils
avaient échangé leur premier et chaste baiser ; plus tard, Simon avait insisté
pour que leurs futurs enfants se nomment « Letailleur » et pas « Zylberstein » :
« On ne sait jamais », disait-il, pensif…
Soudain, une odeur âcre de brûlé saisit Sarah à la gorge. Au même moment, une immense clameur s’élève depuis la rue. Inquiète, la vieille dame écarte les voilages avant d’ouvrir précipitamment sa fenêtre : elle porte une main à son visage et blêmit, se cramponnant à la croisée. Ce qu’elle découvre à quelques mètres de son bel immeuble haussmannien est inimaginable, insupportable : Notre-Dame est en feu. D’immenses flammes lèchent l’horizon obscurci par un panache de fumée orangée, et Sarah manque défaillir en constatant que l’incendie semble d’une violence extrême. Son portable vibre, elle découvre le texto de son petit-fils, Roméo, laconique : « Je pars au feu. Je t’aime, mammig ! », puis elle reçoit un appel de son fils Jean qui devait venir manger et qui lui annonce, totalement paniqué, qu’il arrivera plus tôt que prévu : il s’inquiète, lui conseillant de fermer ses fenêtres. Sarah s’exécute, épouvantée par le spectacle dantesque qui se joue sous les yeux de centaines de badauds, et se dirige vers la chambre de Roméo pour fermer ses persiennes.
Voilà
un mois que le jeune homme, désespéré, s’est réfugié chez sa grand-mère, ne
supportant plus les disputes quotidiennes avec son père. Ce dernier l’avait
élevé seul, son épouse étant morte en couches, et avait essayé de lui
transmettre à la fois le goût de l’aventure de leurs ancêtres bretons et la solidité
et l’histoire de leur lignée juive ; mais au fil des années, un fossé
infranchissable s’était élevé entre un père de plus en plus rigoriste, ancré
dans des certitudes et des bien-pensances et un fils de plus en plus enclin à
la fronde et aux extrémismes… Jean, médiéviste passionné, professeur à la
Sorbonne, ne vit que pour la quête exaltée de cette pierre gravée par une
mystérieuse ancêtre dont il se raconte qu’elle aurait construit Notre-Dame. Il
a embrassé la foi catholique et sa propre mère le traite parfois de « grenouille
de bénitier », se moquant de ses engagements radicaux et de ses « manifs
pour tous »… C’est bien là que le bât blesse entre les deux Letailleur, le
père réprouvant les fréquentations du fils qui passe beaucoup de temps à écumer
les bars du Marais…
Car
Roméo, d’après Jean, a d’étranges relations : infatigable chantre des
droits LGBT, athée, il milite à l’extrême-gauche et ne supporte plus les
regards obliques de son père envers ses amis. Pompier de Paris, il commence aussi
à souffrir au sein de sa caserne, subissant quolibets et railleries… Il n’a
parlé à personne de son projet, se contentant de noircir les pages d’un journal
qu’il a caché dans le bureau de la chambre où il s’est réfugié, chez sa grand-mère.
Qu’il est difficile de faire partager à ses proches ce que l’on ressent lorsque
l’on ne se comprend pas soi-même, lorsque depuis l’enfance on est tiraillé non
seulement entre deux religions, deux appartenances, mais aussi entre deux sexes…
Certes, le jeune homme trouve du réconfort auprès d’associations, mais il ne
sait pas s’il aura réellement le courage d’aller au bout de son envie de transformation.
Et pourtant il en est comme consumé de l’intérieur, brûlant de devenir « une »
autre . Il a même choisi un prénom : Roméo deviendra Juliette.
Jean,
sa sacoche sous le bras, était justement en train de remonter le boulevard
Montebello, flânant au gré des stands de bouquinistes, lorsqu’il a aperçu l’impensable.
Son église, son pilier, sa clé de voûte, l’alpha et l’oméga de sa vie est en
feu ! Éperdu, il pousse un cri d’horreur, à l’instar des passants qui,
ébahis, ne peuvent détacher leurs regards du brasier. Jean, courant presque
vers l’appartement de sa mère, se souvient de cette autre course effrénée,
lorsqu’il avait joué à cache-cache avec les CRS des heures durant, à l’époque où
il était encore de gauche et écumait le Boul’Mich au gré des manifs… Il n’avait
dû son salut qu’à la gouaille fraternelle du Cardinal Marty, admonestant les
policiers de son accent rocailleux après avoir abrité les jeunes manifestants
dans la sacristie… « Eh bé ma caniche, c’était moins une, vous avez failli
finir dans le panier à salade ! », leur répétait-il, jovial, après le
départ des CRS. Passant devant un groupe de jeunes gens agenouillés au pied de
la Fontaine Saint-Michel, qui, en larmes, chantent des cantiques à Marie, Jean
implore intérieurement l’intercession de son cher Cardinal, lui demandant de
sauver leur cathédrale…
Partout,
on s’agite, les hommes semblent des fourmis désorientées grouillant en tous
sens après un coup de pied dans leur fourmilière. Paris brûle-t-il à
nouveau ? Car quand Notre-Dame se consume, c’est Paris tout entier, c’est
la France même qui sont touchés : Jean croise des regards épouvantés, des
visages défaits, des sanglots inconsolables ; il assiste au ballet des
hommes du feu, songeant soudain à son fils, l’espérant assis dans l’appartement
douillet de Sarah, n’osant imaginer son Roméo aux prises avec cet enfer ; on
se bouscule, on hurle, on s’enlace, on détourne le regard avant de revenir,
comme aimanté par la terreur, le déposer comme une colombe impuissante sur le
toit embrasé de Notre-Dame qui semble n’être plus que flammes, tandis que de
fragiles marionnettes que l’on devine désemparées tentent d’arroser le brasier…
Jean
arrive enfin, à bout de souffle, sur le palier de sa mère qui lui ouvre en lui
jetant un regard éploré et lui murmure d’une voix tremblante que Roméo est au
feu. Il s’effondre sur le vieux fauteuil de son père avant de remarquer deux silhouettes
familières qui se détachent dans l’embrasure de la fenêtre : Fatima, l’amie
de toujours, l’ancienne couturière de l’atelier, et Roger, son époux, viennent
d’arriver de La Courneuve pour soutenir Sarah. Jean se relève pour les embrasser
et les remercier de leur présence, puis ils se tiennent là, silencieux, face à
ce ciel de Paris qui embrase le crépuscule. Et c’est un seul et unique cri que
poussent, à 19 h 45, Sarah, l’ancienne moniale convertie au judaïsme, Fatima, la
musulmane voilée, Roger, le communiste pratiquant et athée et Jean, le fervent catholique,
en voyant tomber la flèche terrassée. Et c’est une seule et même prière que
murmurent les lèvres de ceux qui croient au ciel et de celui qui n’y croit pas,
afin que survive la mémoire des pierres : en un seul élan consolatum, kaddish,
salâtu-l-janâza et foi en l’Homme s’élèvent en miroir des opaques fumées et des
télévisions, pleureuses de cette chorégie internationale, puisque le monde entier
est venu
au chevet de « Sa » Dame. Jean, terrassé par l’inquiétude, se détourne
alors pour se réfugier dans la chambre de Roméo.
C’est
là qu’il s’empare d’un cahier posé sur le bureau. D’une belle écriture ronde,
son fils a calligraphié sur la couverture deux mots précédés d’une enluminure :
« Puella sum »… Et Jean, la gorge
serrée, commence à découvrir son fils…
Roméo
a la gorge tellement nouée qu’il peine à respirer. L’incendie ne semble plus du
tout maîtrisable, et les pompiers, débordés, se battent contre des moulins,
affrontant des colonnes de flammes, évitant la lave du plomb fondu, regardant,
horrifiés, la légende des siècles s’évanouir en fumée. « Il faut sauver
les tours ! », a hurlé le capitaine en encourageant ses hommes qui
ressemblent à des Lilliputiens aux prises avec un dragon, et personne, en cette
nuit apocalyptique, ne pense à se moquer des longs cheveux de Roméo et de son
allure féline. Vers minuit, il est même le héros de la soirée, puisque c’est
lui qui vient de prêter main forte à l’abbé Fournier, l’aumônier des pompiers
de Paris, l’aidant à arroser le foyer et sauvant ainsi in extrémis de
précieuses reliques et certains trésors de la cathédrale. Toute une rangée de
camarades a applaudi Roméo lorsqu’il est sorti, chancelant, portant la Sainte
Couronne, et lui, l’anarchiste, le bouffeur de curé toujours prêt à en découdre
avec son père, s’est surpris à pleurer à chaudes larmes sous son casque… Mais à
peine les reliques mises à l’abri, il est retourné au feu, qui, loin d’être
circonscrit, menace à présent la nef et le transept…
C’est
étrange. Plus le feu gagne du terrain, dévorant la charpente malgré le poids
des siècles, insatiable contempteur du Beau, plus Roméo reprend confiance en
lui et en la vie, lui qui, hier encore, ne savait s’il trouverait le courage de
sa transition ou s’il devait se jeter dans la Seine depuis le Pont Mirabeau… Ce
combat qu’il mène depuis des années envers lui-même et contre la société a en effet
pâle allure face à ce duel titanesque entre les Hommes et les éléments :
oui, Roméo veut devenir une fille, mais cette nuit n’est plus celle des
destinées particulières, elle est celle du fatum qui broie et élève les êtres,
celle de l’ultime lutte contre le démon du Mal, et les hommes sont bien peu de
choses face à la puissance maléfique de ce feu carnassier, outrageant la
Chanson du Royaume de France devenu République… Le jeune homme se sent plus que
jamais dépositaire d’une puissance du Bien, et prêt à tous les sacrifices, bien
décidé à « sauver ou périr »… Et, tenant sa lance comme Saint-Michel
tenait son glaive face au dragon, actionnant l’eau lustrale et salvatrice comme
Saint-Pierre faisant résonner ses clés, se promettant que son nouveau corps deviendrait
le temple de son âme comme le demandait Saint-Augustin, Roméo ne sauve pas
seulement Notre-Dame, mais toutes les Lumières du pays de France et toutes les prières
venues s’y réfugier au fil des millénaires.
Vers
quatre heures du matin, le feu ayant grandement diminué d’intensité, Roméo s’approche
de la Rosace auréolée de l’or des dernières flammes, découvrant à l’abri d’une voussure
une pierre descellée sous l’effet de la chaleur ; intrigué, il se penche
vers la roche roussie et déchiffre, incrédule, la légende de la famille
Letailleur : « Puella sum » C’est bien ce qui a été gravé d’une
main ferme et habile sur la surface lapidaire par cette ancêtre dont le
souvenir a perduré, de génération en génération, narrant la mémoire des
simples, des humbles, des petites gens qui ont fait toute la trame de la Grande
Histoire, et rappelant surtout le courage et l’audace de cette femme ayant bravé
les conventions. Bouleversé, Roméo enlève
son casque malgré le danger et attrape le téléphone au fond de sa combinaison.
Il photographie la pierre avant de retourner vers son combat, espérant que cet
endroit serait préservé et loué à sa juste valeur.
C’est seulement vers dix heures que le jeune homme rentrera chez sa grand-mère, épuisé, mais heureux. Il aurait suffi de presque rien, titreront les médias, pour que Notre-Dame périsse entièrement, et, sans la vaillance et le combat des soldats du feu, la cathédrale aurait pu connaître une fin terrible. Roméo sourira à la capitale hébétée, il sourira à la Seine, langoureuse et apaisée après tous ces fracas nocturnes, il sourira aux passants étonnés de voir un jeune homme au visage maculé de suie semblant pourtant auréolé par la grâce, il sourira en entendant les sons familiers du petit matin parisien, toute cette vie revenue malgré le drame, car Paris et la France toujours se relèvent, outragés, brisés, martyrisés, mais libérés ! Il sonnera chez Sarah, les bras chargés de croissants, pour faire un pied de nez à la nuit blanche et à la mort noire, et en montrant, des larmes d’émotion dans les yeux, la photo de l’inscription à son père qui lui ouvrira la porte, il entendra la voix douce de Jean l’accueillir avec une infinie tendresse :
Bonjour, ma Juliette ! Puella es !
*
Le
cri de joie poussé par Jean en voyant la pierre gravée résonnera dans toute l’Île
de la Cité et même jusqu’au sourire de Bertille, sa chère ancêtre…
Et
Sarah, époussetant sa photo de mariage quelque peu noircie par les scories, reposant
le journal de son petit-fils sur son bureau, regardera le soleil se lever sur
Notre-Dame presque déjà ressuscitée.