C’était bien, c’était chouette : hommage à Michel Delpech

Il est parti la veille de mon anniversaire, et je lui en sais presque gré, puisque tout au long du jour j’ai pu faire découvrir à mon fils les sourires de Laurette, les folies de l’île de Wight et les brumes du Loir-et-Cher. Les larmes aux yeux mais le sourire aux lèvres, mon gâteau couleur de
Bien sûr, nous le savions tous. Au gré d’un mot de son ami Drucker ou de quelque reportage, nous tous, oui, nous le savions : que les jours ici-bas de notre ami Michel étaient comptés. Et pourtant je fais partie de ces innombrables anonymes qui, aujourd’hui, sont brusquement orphelins d’un frère.
Un frère malgré tout quelque peu incestueux…Je dois à Michel mes premiers émois d’adolescente, lorsque ses chemises blanches et son sourire ravageur me faisaient voler loin, loin de mes carcans embourgeoisés et que je rêvais à ce garçon à la beauté désarmante comme à un Prince Charmant…

https://www.youtube.com/watch?v=sJuFkpIYfUk
Il était de tous les samedis chez Maritie et Gilbert Carpentier, ses pattes d’eph’ et ses jabots virevoltant sur scène, entre les neiges du Lac Majeur et les complaintes de Mike Brant, son charisme rivalisant avec sa jovialité, en ces temps bénis où les Français se contentaient des cuisses des Clodettes en guise de Journal du Hard, et où les jeunes, le samedi soir, ne brûlaient ni joints ni voitures, se contentant des baloches où, justement, Marianne n’était pas conspuée, simplement « jolie »…
https://www.youtube.com/watch?v=SxJpnEjIIH4
Je n’étais qu’une enfant aux joues innocentes, en ces seventies débutantes, mais je percevais l’effervescence apaisée de cette époque où, dans mon souvenir, les adultes savaient rire, se détendre, comme en apprenance de vie après les années gaulliennes…Ces grandes tablées champêtres au hameau près de « notre campagne », quand on écoutait C Gérôme ou Dave, et puis les fêtes de village et les concerts de province, et, toujours, les paillettes, annonciatrices des années disco…
https://www.youtube.com/watch?v=yrn0MsKAWDU
Il est là, le Michel de mon enfance, celui que mon premier mari, le cégétiste, m’interdirait, des années plus tard, d’écouter, parce que cette « variétoche » n’était plus de mise, et qu’il était de bon ton, chez les post soixante-huitards, de n’idolâtrer que les grands chansonniers et les rockeurs engagés…Il fallait s’enivrer de Led Zep et brûler Julien Clerc, renoncer à la télé et ne lire que des BD…Oh triste, triste est la dictature du prolétariat…
C’est d’ailleurs peu après ces moments-là que notre Michel a traversé, lui aussi, le désert. Jamais je n’ai pu le lui dire en face, alors que j’aurais tant aimé l’interviewer en le croisant en un festival d’été, mais aujourd’hui j’ose le dire haut et fort : je continuais à frissonner de plaisir en entendant sur quelque Radio Nostalgie « Les divorcés » se regarder en chiens de faïence encore pleins d’amour, tout comme j’ai ensuite acheté une compil de chansons françaises pour rêver, de temps à autre, au bonheur…Sa voix, cette voix à l’incomparable velours, et aux tessitures comme autant de madeleines, m’était indispensable…
Et je l’ai toujours revendiquée, cette liberté-là : oui, on a le droit d’aimer Leo Ferré et Michel Delpech, Sheila et Brel, Bach et U2 !
https://www.youtube.com/watch?v=Sze86HFr0x0
Comme je la déteste, notre France des clivages et des partis, cette France frileuse et boudeuse qui voudrait compartimenter l’amour et la beauté, et qui a produit la triste incurie de notre jeunesse fragmentée et inculte…Michel, justement, hormis son come back avec un album reprenant ses plus grands succès en duos, n’a pas eu la chance de connaître un « revival » à l’image des Sheila et autres Annie Cordy devenues icones de dance floor…
https://www.youtube.com/watch?v=7nb-BQ3yTTs
Pourtant, les textes et les mélodies de ses derniers albums demeurent d’une finesse rare, tout aussi émouvants que le reste de sa discographie, démontrant que notre Michel a bien été un l’un de ces « chanteurs populaires » qui d’un mot d’un seul savent ressusciter chez tout un chacun les douceurs des mémoires…
https://www.youtube.com/watch?v=mNGcs2SraLQ
Tout comme est bouleversante la profondeur de sa pensée, telle qu’il nous l’a explicitée lors de la parution de ses confessions spirituelles…
http://www.amazon.fr/Jai-os%C3%A9-Dieu-Michel-DELPECH/dp/2750907624
En ces jours sombres où la vie, pour tant de bourreaux sanguinaires, semble ne plus avoir aucun prix, je trouve bouleversantes la fraicheur et la confiance avec lesquelles Michel parle de la mort, et, au-delà, des immenses beautés de cette vie qu’il chérit tant…
https://www.youtube.com/watch?v=akSnSGkb10Q
Parce qu’il avait grandi, notre Michel, au gré des années écornant les pattes d’eph’ au profit d’une belle maturité engagée et sereine, malgré la maladie et les épreuves. Sa magnifique lettre aux Chrétiens d’Orient en témoigne, tout comme le courage et la dignité dont il a fait preuve.
« Que ferais-je à votre place? C’est plutôt ainsi que je veux me poser le problème. Je l’ignore. Il faut toujours de l’héroïsme pour être chrétien : la voix du Christ est ardue. Je ne vous dirais pas de fuir comme des couards, mais de suivre votre conscience. Il ne faut pas chercher l’épreuve, ce serait du masochisme, mais chaque épreuve est là pour nous édifier; elle fait souffrir deux fois plus lorsqu’on ne voit pas ce qu’elle peut nous apporter. Je crois à la communion des saints, à l’efficacité de la prière. Le soir de Noël, je prierai pour vous, et pour tous les hommes. Je vous demanderai, à vous aussi, de prier pour nous. »
http://www.la-croix.com/Archives/2013-12-21/Chers-freres-d-Orient-.-Michel-Delpech-chanteur-Le-soir-de-Noel-je-prierai-pour-vous-2013-12-21-1079307
Si tu savais, cher Michel, comme je regrette de ne pas avoir croisé au moins une fois ton beau regard d’amadou et ton sourire charmeur…Je te dédie ces modestes impressions en te racontant comment, pour les quatre-vingt ans de mon père, un ami de mon fils, venu spécialement chanter pour nous, a fait rougir ma sœur en lui disant qu’elle était jolie, avant de faire pleurer mon oncle, un ancien chasseur…
https://www.youtube.com/watch?v=dF0I-yxOzNA
Parce que tu es « de ma famille », comme dirait Jean-Jacques, de cette famille des temps heureux, des temps légers et badins…
J’ai appris aujourd’hui que Laurette, en fait, s’appelait Christiane. Mais tu sais, Michel, ça nous est égal. Parce qu’avec toi, c’était bien, c’était chouette. J’ai l’âme en peine, mais on y retournera vers tes chansons, toujours…
https://www.youtube.com/watch?v=KJNDUJflo_c
Et ça restera bien, ça restera chouette.
