Je saurai que le temps est venu du partage #Sète #VoixVives #poésie #Méditerranée

Un jour, j’irai à Sète.

Pas seulement pour traverser en venant garrigues et citadelles du vertige, pour découvrir ce grand bleu insolent, pour me perdre dans la douceur des sables… Pas seulement pour voir miroiter les plages infinies, pour écouter le cliquetis des mats dans le port, pour rêver aux mers lointaines en marchant Quai d’Alger…

Pas seulement pour grimper à l’assaut du Mont Saint-Clar entre blancheurs et effluves de pins, pour cueillir folle avoine autour de la tombe de Jean Vilar au Cimetière Marin, pour sentir la moustache de Georges me chatouiller la mémoire…

Pas seulement pour arpenter la jetée que foulèrent des cohortes de survivants en espérance, pour passer ma main sur la plaque du souvenir de l’Exodus, pour imaginer le grand vaisseau porteur d’horreurs et de renaissances… Pas seulement pour frémir en voyant les jouteurs au canal, pour déguster tielles et sardinades, pour m’étourdir de fauves et pastels au gré des galeries… Pas seulement pour sourire devant la plaque de la rue « Du Maire Aussenac », pour m’inonder de beauté au musée Paul Valéry, pour m’extasier devant les richesses du MIAM…

Non, quand j’irai à Sète, peut-être, si Dieu me prête vie comme disait ma grand-mère, et, surtout, si mes poèmes ne dorment pas seulement en tiroirs, ne demeurent pas cantonnés dans quelque revue française ou occitane, ne se partagent pas simplement au gré de Jeux Floraux toulousains où je fus double lauréate et de pages internet, mais trouvent un port en quelque recueil ayant pignon sur plage, alors ce sera pour être non seulement spectatrice, mais invitée aux Voix Vives

Bien sûr, je rêve un peu… Car ma poésie est plurielle, aussi variée que les lumières qui tamisent les couchants sur les étangs, passant de l’alexandrin aux aphorismes, du vers libre au sonnet… Sans doute devrais-je apprendre à me plier aux contraintes de la modernité et de l’épure, comme me le hurla un jour Serge Pey en m’admonestant lors d’une conférence auscitaine… Mais, que voulez-vous, je ne m’y résous pas, trop attachée à ma liberté et à mon éclectisme, les mêmes qui me font me pâmer devant Bach ET le jazz, me délecter de maîtres flamands ET d’impressionnistes…

Un jour, oui, j’irai à Sète, pour me trouver de l’autre côté des bancs et des parasols… Peut-être aurai-je la joie de lire quelques extraits de « Garonne est une femmes amoureuse », mon opus qui scintille au fil des eaux vécues et rêvées de mon existence -oui, ces textes cherchent édition !! … Ou le bonheur de faire une conférence autour de mon essai « Rose Ausländer, une grande voix juive de la Bucovine », paru le premier juillet aux éditions Le Bord de l’Eau, en lisant aussi mes traductions de Rose, ma Rose lumière qui aimait tant la Méditerranée et qui l’a chantée dans de nombreux poèmes… Ou la chance de présenter mon projet en cours de montage, « Mare nostrum », qui tricote voix vives de l’ensemble du pourtour méditerranéen, puisque j’y ai rassemblé des traductions dans presque toutes les langues du bassin, du Catalan à l’Hébreu, de l’Italien au Romani…, fédérant autour de l’un de mes poèmes les accents modestes d’amis et de camarades de mon fils et les éclats miroitants de poètes et d’universitaires reconnus, en un puzzle d’allégresse en ode à notre mer, à la paix et aux rencontres…

Un jour, j’irai à Sète, Nausicaa rêveuse, et je n’aurai plus peur. La lumière éblouira mes pages et, le cœur empli de sables et de rencontres, je saurai que le temps est venu du partage.

Cézanne, ouvre-toi !

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Soudain, les cigales.

La route de la mer serpentait vers les bleus.

Cézanne, ouvre-toi !

Garrigue frissonnait en femme fatale,

thyms et serpolets guidaient

vers les isthmes.

Mare nostrum. Phocéenne, grecque, andalouse :

ma Méditerranée

un delta du monde.

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ξαφνικά, τα τζιτζίκια.

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Ξαφνικά, τα τζιτζίκια.

Ο δρόμος της θάλασσας περιδινήθηκε στα γαλάζια.

Σεζάν, άνοιξε!

Ο θαμνότοπος έτρεμε σαν ερωτευμένη γυναίκα,

Τα θυμάρια και οι έρπυλλοι  μας οδήγησαν

στους ισθμούς.  

Mare nostrum. Φωκεαϊκή, ελληνική, ανδαλουσιανή :

Η Μεσόγειός μου

ένα δέλτα του κόσμου. 

Traduit par Démosthène Agrafiotis

(Cliquer sur le lien pour écouter le fichier)

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https://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/soudain-les-cigales-en-grec-

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L’été prend le large

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Sète scintille, regarde

au Levant.

Mare nostrum caresse

soleil.

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Vagues moutonnent comme blé

en levain. Enfants aux joues pâles font au sable

une offrande.

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Au Môle endormi, l’Exodus bat

pavillon des mémoires.

Terre promise dès la

jetée.

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Genêts et roses en fauvisme

éclatant grimpent à

l’assaut de Saint-Clar.

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Criée et sardinades,

espadrilles,

bandol : l’été prend

le large.

Passerelle émeraude

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Platanes mirés en l’eau

assoupie.

Parfois trouver péniche,

grand oiseau marin ensablé,

belle endormie à l’ancre

roussie.

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Passerelle émeraude,

l’eau serpentine fait arc entre

éblouissements et

déferlantes. Grimper la dune

du Pyla ou entendre cigales

à chaque écluse.

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Chanson douce qui berce

Ville Rose,

antichambre de la

Méditerranée, promesse océane,

Canal du Midi :

route de la soie des Suds.

(Pardon pour ces signes entre les vers… L’interface capricieuse de ce blog semble hermétique aux paginations poétiques…)

https://www.voixvivesmediterranee.com/

Son Vercors, son pays, son ancre à tout jamais #Alpes #Isère #JacquesLamoure #nature

Son Vercors, son pays, son ancre à tout jamais

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Comme en traits enfiévrés ses idées se consument

Par ces encres aux contours en lavis irisés,

Où tels torrents fougueux mille vies en musées

Semblent un écho cascade à sa maison aux runes.

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Il y a là un grand aigle rappelant les montagnes,

Des visages en des troncs qui dansent tarentelle ;

C’est une tour de livres devenant autant d’ailes,

Et ces herbes douceurs quand la mort bat campagne…

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Son Vercors, son pays, son ancre à tout jamais

Où nature et culture en symbiose il disait,

Il en chantait les gens et les bêtes et les pierres,

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Par cent photos jaunies, par tant objets glanés,

Pour les vies de ses humbles, envol d’éternité :

Jacques Lamoure et ses encres nous emportent en lumières.

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Bravo aux plumes lauréates de ce superbe concours et merci aux organisatrices d’avoir retenu mon texte pour le magnifique recueil!

J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir la personnalité extraordinaire de Jacques Lamoure.

Je vous engage à cliquer sur les liens, en particulier sur les deux premiers!

https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/villard-lans-entrons-insolite-maison-musee-jacques-lamoure-549658.html

https://www.vercors-tv.com/1998-La-maison-musee-de-Jacques-Lamoure_v1058.html

https://www.ledauphine.com/culture-loisirs/2021/12/03/un-concours-de-poesies-autour-de-jacques-lamoure

https://www.villarddelans-correnconenvercors.com/offres/maison-du-patrimoine-villard-de-lans-fr-3286940/

Notre-Dame de l’Espérance: hommage pascal à Notre-Dame de Paris

Concert hommage à Notre-Dame, 20 avril 2019: Petits-Chanteurs à la Croix de Bois

« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. »

 Victor Hugo, Notre-Dame de Paris

Comme nous les avons lues et relues, ces lignes prophétiques, depuis quelques jours…

C’est la première chose que chercha mon fils en arrivant à bout de souffle, après mon coup de fil, à la maison : le roman de Victor Hugo, qu’il avait lu et relu en Classes préparatoires, il y a deux ans. Quant à moi, ébahie, criant et pleurant seule devant les images effroyables diffusées par les chaînes de télévision aussi sidérées que le monde, je me crus revenue en d’autres jours dévastés, me remémorant les panaches de fumée et mon bouleversement du 11 septembre, mais aussi mes cris de tristesse lors des massacres de Charlie-Hebdo et mes pleurs inconsolés du Bataclan…Pour Charlie, j’avais appelé mon premier ex-mari, et nous avions évoqué ensemble, effondrés, nos bulles et nos révoltes de jeunesse. Ce qui est pratique, quand on a eu plusieurs vies, c’est de pouvoir aussi appeler un deuxième ex-époux : ce dernier, je l’avais vu pour la première fois devant le Parvis de Notre-Dame…

J’ai lu depuis des centaines de lignes autour des polémiques ravageant internet et les médias depuis ce funeste ravage ; j’ai entendu hurler les bien-pensants qui refusent de comparer une seule vie humaine et des « vieilles pierres », et puis les idéologues des réseaux sociaux, scandalisés par les dons des « riches » alors que tant de « misérables » battent le pavé ou y dorment, nourrissons dans les bras, sous quelque tente de fortune, sans oublier les cris d’orfraie qui s’ensuivirent après les paroles catholicisantes et complotistes d’un Zemmour au mieux de sa forme…

Ce n’est pas du tout, pourtant, ce que je retiens de cette semaine à la fois Sainte et emplie des démons du feu et de la désolation.

Henri Garat/ Ville de Paris

Non, en ce samedi de Veillée Pascale, j’ai plutôt l’impression que la France et le monde m’ont, chaleureusement, serrée entre leurs bras, tant nous fûmes nombreux, depuis les Quais de Seine ou via nos écrans, à nous rassembler, pleurant, priant, nous lamentant, nous consolant de concert …

« Bien des hommes, de tous les pays de la terre

Viendront, pour contempler cette ruine austère,

Rêveurs, et relisant le livre de Victor :

Alors ils croiront voir la vieille basilique,

Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,

Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! »

Gérard de Nerval, « Notre-Dame de Paris »

Car lundi soir, déjà, celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas, ou différemment, m’avaient déjà bouleversée à parts égales : Il y avait eu les larmes de notre cher histrion du patrimoine, Stéphane Bern, et son émotion en miroir du chagrin de tout un peuple, sincère et irrépressible.

https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/stephane-bern-on-a-que-nos-larmes-pour-pleurer-1154377.html

Et, peu ou prou en même temps, on entendit s’élever les mots-tocsins, comme disait Maïakovski, de notre tribun national, lui aussi si profondément touché qu’on l’eût soudain cru converti au catholicisme, tout mécréant qu’il semble…

https://lafranceinsoumise.fr/2019/04/16/incendie-a-notre-dame-de-paris-tout-va-au-grand-corps-qui-est-la-et-qui-brule/

Mélenchon a su évoquer, avec la force d’un historien, cette grâce qui auréole notre cathédrale, des avancées des sciences qui rendirent possible son élévation à la foi patrimoniale qui nous rassembla si incongrument en ce beau soir d’avril. Oui, en cet instant qui dura une nuit, veillée pascale avant l’heure, « tout va au grand corps qui est là et qui brûle », et il reprendra ces réflexions sur son blog pour évoquer notre « cathédrale commune » :

https://melenchon.fr/2019/04/15/notre-cathedrale-commune/

Ainsi, de l’hériter des « bouffeurs de curés » au chantre des lieux sacrés, nous perçûmes un même élan qui vint rejoindre celui de ces jeunes inconnus rassemblés Place St Michel, pleurant des Pater, des Ave et des chants en regardant se consumer leur foi comme un grand vaisseau de feu :

Mais bien au-delà des quais de Seine endeuillés, c’est bien le monde entier qui, comme devant un jardin où brûleraient les lilas et les roses, a accouru au chevet d’une église assiégée par le feu :

« Je n’oublierai jamais l’illusion tragique
Le cortège les cris la foule et le soleil
Les chars chargés d’amour les dons de la Belgique
L’air qui tremble et la route à ce bourdon d’abeilles
Le triomphe imprudent qui prime la querelle
Le sang que préfigure en carmin le baiser
Et ceux qui vont mourir debout dans les tourelles
Entourés de lilas par un peuple grisé »

Louis Aragon, « Les lilas et les roses »

En effet, en zappant, hébétée et effondrée, à près de 600 km du Point zéro du Parvis de Notre-Dame depuis ma ville rose, entre les chaînes d’information de différents pays, c’est bien un cortège de soutien à notre église en flammes que j’ai vu s’avancer, en une immense marche blanche virtuelle, comme une chorégie de pleureuses venue épauler un pays en passe de devenir orphelin d’un monde perdu.

Jean-Claude Coutausse

Et cette solidarité a continué au fil de la semaine Sainte, du don des petites gens offrant un euro en déposant leur caddy, telle une modeste obole dans le panier de la quête des dimanches, aux sommes incalculables des financiers de ce monde, offertes spontanément ou presque, avec ou sans promesse de profiter d’une déduction de l’impôt, comme si les Fugger, ces grands banquiers de l’Europe médiévale, avaient décidé de contribuer gratuitement à la construction d’une basilique…

Comment ne pas évoquer les vers de Péguy dans sa « Présentation de Paris à Notre-Dame », et son vaisseau voguant vers la mer des Sargasses ?

« Nuls ballots n’entreraient par les panneaux béants,
Et nous arriverions dans la mer de Sargasse
Traînant cette inutile et grotesque carcasse
Et les Anglais diraient : ils n’ont rien mis dedans. »

Car ce n’est plus Notre-Dame qui vogue vers l’immense mais une planète entière qui s’est empressée pour voler au secours d’une dame outragée, toutes religions et pensées confondues. Et ce ne sont pas les quelques centaines de tweets décérébrés, à la gloire de je ne sais quelle puissance vengeresse qui serait venue allègrement détruire le Sacré de Paris, que je retiens encore, mais toujours cette union sacrée des libres-penseurs et des croyants, et surtout ces appels des consistoires et des grands conseils juifs et musulmans à relayer la chaîne des dons, comme des villageois d’antan se passant les seaux d’eau pour éteindre les flammes d’un beffroi, une eau soudain aussi lustrale que celle des sacres baptismaux, d’un mikvé, ce bain rituel de purification hébraïque ou des ablutions de l’Islam…

Jamais le terme « religion » n’a été aussi proche, pour notre France à genoux, de celui de « religere », qui signifie « relier ». Il est là, notre miracle pascal, précieux comme ce coq sauvé des flammes et protégeant encore la fameuse relique de la Couronne d’épines, bourdonnant en nos cœurs comme les abeilles miraculés des toits de la cathédrale, incandescent, mais debout, comme la croix et le tabernacle de l’autel, vigies vaillantes, demeurées à bord du vaisseau en perdition comme le capitaine et son second refusant de quitter un navire, un miracle que même les fiels des mauvaises langues pharisiennes n’écorneront pas car il nous appartient, comme nous appartiennent nos émotions singulières et nos relations intimes à ce monument national.

Nul n’a le droit de me dicter mes ressentis, et je maintiens que j’ai brûlé de la même colère et pleuré de la même dévastation que lors de l’effondrement des Tours Jumelles ou des attentats, car ce sont les milliards d’âmes que je voyais, dans ces « jumelles tours » devant l’immonde rougeoiement, se consumer tels les damnés d’un tableau de Jérôme Bosch, ces âmes-mémoires qui ont fondé, depuis mille ans, notre histoire et notre rapport au monde…

« Comme, pour son bonsoir, d’une plus riche teinte,
Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte,
Ébauchée à grands traits à l’horizon de feu ;
Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre,
Semblent les deux grands bras que la ville en prière,
Avant de s’endormir, élève vers son Dieu. »

Théophile Gautier, « Notre-Dame »

Dessin et lavis de Victor Hugo

Je pensais à ces Laboratores, à ces paysans devenus Compagnons, qui par milliers, au fil des siècles, façonnèrent notre joyau, des maîtres-verriers aux petites mains, en passant par les hectares de chênaies ayant permis l’élaboration extraordinaire de notre charpente-forêt partie en fumée, à ces troncs devenus piliers de la terre ; je pensais aux circonvolutions dentellières de la pierre caressée par mille burins experts, aux rosaces parfaites et au plomb fondu à nouveau, un millénaire plus tard, sous nos yeux incrédules.

Je pensais à ces Oratores et à leurs ouailles, à ces bergers et à leurs troupeaux qui, de l’aube du christianisme à nos Pâques de l’an 2019, ont su faire ériger de fragiles chapelles, des rondeurs romanes, puis des arcs gothiques pour dresser des ponts entre l’Homme et le Divin, et à la tristesse insondable des chrétiens, qui ressemble tant à celle des juifs après la Nuit de Cristal où l’on brûla les synagogues ou à celle des musulmans lorsque des barbus devenus fous détruisirent des lieux sacrés à Mossoul, ou lorsque l’état chinois rasa des mosquées en région ouïgoure…

https://www.nouvelobs.com/monde/20190407.OBS11230/la-chine-a-rase-plusieurs-grandes-mosquees-en-region-ouigoure-montrent-des-images-satellite.html

Et je pensais à ces Bellatores, le cœur vaillant et l’âme fière, qui rallièrent les cloches battant à la volée lors de la Libération, quand on entonna un Magnificat malgré une fusillade, comme en un « arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus »…

« Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe

Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus

Liberté dont frémit le silence des harpes

Ma France d’au-delà le déluge salut »

Louis Aragon, « Je vous salue ma France »

https://www.franceculture.fr/litterature/louis-aragon-lit-je-vous-salue-ma-france

N’oublions pas enfin que nous avons tous en nous quelque chose de Notre-Dame, cœur de Paris et de l’Île Saint-Louis, mais aussi patrimoine architectural et cultuel universel… Et pour nous, petit peuple de France, c’est comme un chapelet mémoriel que nous pouvons, chacun dans notre demeure, dévider, en hommage à cette maison de Dieu devenue à la fois agora communautaire et oïkos personnel : on se souviendra d’un voyage de classe et des ors de Lutèce surgis après une nuit passée dans le « Capitole » qui ralliait Paris depuis la ville rose, où, devant nos yeux éblouis les deux tours nous semblaient centre du monde… Ou peut-être d’un cadenas fermé d’un baiser sur un pont de Paris juste avant ce cierge scellant quelque promesse…

Aujourd’hui, en ce samedi où la fièvre jaune une foi(s) de plus arpente le pavé, je ne veux retenir que la grâce et l’espérance pascales, et me souvenir que Notre-Dame, outragée, brisée, martyrisée mais libérée des flammes, sera reconstruite par notre peuple de bâtisseurs, par une France toujours, même si souvent bien frileusement, fille aînée de l’Église, n’en déplaise aux pisse-vinaigre.

Et je me veux résolument optimiste, comme toujours, allant jusqu’à l’espérance folle que cette chaîne de solidarité déployée de l’Oural à l’Atlas, des cities de cols blancs aux ors du Vatican, pourra bientôt aussi alimenter d’autres besoins, tout aussi criants, des armées de misérables qui hantent nos rues. Car la Cour des miracles, c’est vrai, se rencontre aujourd’hui non plus sur le Parvis de Notre-Dame, mais au détour de nos villes de province où, partout, les gueux grelottent dans des tentes dressées à la va-vite par quelque association, abritant les yeux de braise de mendiantes berçant des enfançons, devant l’indifférence des passants honnêtes… Il faudra que les élans de bienfaisance se multiplient, comme le pain et le vin aux Noces de Cana, et je l’espère de tous mes vœux.

« La Charité aime ce qui est.
Dans le Temps et dans l’Éternité.
Dieu et le prochain.
Comme la Foi voit.
Dieu et la création.
Mais l’Espérance aime ce qui sera.
Dans le temps et dans l’éternité.

Pour ainsi dire dans le futur de l’éternité.

L’Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera
Dans le futur du temps et de l’éternité. »

Charles Péguy, « La petite espérance »

Demain, dès l’aube, les chrétiens du monde se salueront en allégresse, s’écriant « Il est ressuscité ! » , confortés dans leur foi, tandis que leurs frères juifs seront dans la semaine de Pessah, leurs frères musulmans à l’orée du Ramadan, et que de nombreux enfants, croyants ou pas, en une immense ronde sucrée, chercheront des œufs et des cloches en chocolat…

Et dans quelques années, si Dieu me prête vie, comme disait ma chère grand-mère qui m’éleva à la foi chrétienne, peut-être me sera-t-il donné de visiter Notre-Dame reconstruite, et, surtout, de m’y recueillir.

« En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame. »

Théophile Gautier, « Soleil couchant »

Puisse cette cathédrale qui plonge ses racines dans notre unité nationale, creuset de nos passés, de nos Lumières françaises, à nouveau déployer les ailes de sa magnificence et de sa bienveillance, et que du feu renaisse un phénix de pierre, de beauté et de foi !

« Puisque les paroles, ô mon Dieu, ne sont pas faites pour rester inertes dans nos livres, mais pour nous posséder et pour courir le monde en nous, permettez que de ce feu de joie, allumé par vous, jadis sur une montagne, et de cette leçon de bonheur, des étincelles nous atteignent et nous mordent, nous investissent, nous envahissent. »

Madeleine Delbrêl.

Et que les cloches demain vrillent cette espérance pascale dans le cœur de tous, étourdissant les lilas et les roses, tourbillonnant dans l’air de Paris et de la France comme mille hirondelles annonçant les printemps, carillonnant comme une symphonie se faisant tempête, rebaptisant pour un temps notre cathédrale en « Notre-Dame de l’Espérance », en hommage à Notre-Dame de Paris chantée par Hugo :

« Au-dessous, au plus profond du concert, vous distinguez confusément le chant intérieur des églises qui transpire à travers les pores vibrants de leurs voûtes. — Certes, c’est là un opéra qui vaut la peine d’être écouté. D’ordinaire, la rumeur qui s’échappe de Paris le jour, c’est la ville qui parle ; la nuit, c’est la ville qui respire ; ici, c’est la ville qui chante. Prêtez donc l’oreille à ce tutti des clochers ; répandez sur l’ensemble le murmure d’un demi-million d’hommes, la plainte éternelle du fleuve, les souffles infinis du vent, le quatuor grave et lointain des quatre forêts disposées sur les collines de l’horizon comme d’immenses buffets d’orgue, éteignez-y, ainsi que dans une demi-teinte, tout ce que le carillon central aurait de trop rauque et de trop aigu, et dites si vous connaissez au monde quelque chose de plus riche, de plus joyeux, de plus doré, de plus éblouissant que ce tumulte de cloches et de sonneries ; que cette fournaise de musique ; que ces dix mille voix d’airain chantant à la fois dans des flûtes de pierre hautes de trois cents pieds ; que cette cité qui n’est plus qu’un orchestre ; que cette symphonie qui fait le bruit d’une tempête. »

Mon père, quais de Seine, années cinquante…

https://www.franceculture.fr/emissions/la-nuit-revee-de/lieux-de-memoire-notre-dame-de-paris

Allégresses en exil : rencontres transfrontalières au hasard de l’exposition « Picasso et l’exil » au Musée des Abattoirs de Toulouse

https://www.lesabattoirs.org/expositions/picasso-et-lexil

En allant à la rencontre de ce singulier triptyque formé par Hans Hartung, un peintre allemand ayant fréquenté l’école des Beaux-Arts de Leipzig et de Dresde dans les années 1920, par Julio Gonzalez, sculpteur et peintre espagnol intimement lié au cubisme et au surréalisme, et par la fille de ce dernier, Roberta Gonzalez, elle-même artiste, au gré des œuvres exposées dans la salle rassemblant leurs productions respectives, même le néophyte, qui sera passé auparavant devant la relecture de Guernica par Robert Lungo (After Guernica), peut reconnaître aisément l’influence de l’ami Pablo, que ce soit par exemple dans les dites « têtes » de Hartung ou dans celles de sa future épouse, Roberta.

C’est d’ailleurs Julio, le père de Roberta, qui avait appris à Picasso à sculpter le métal, et l’on se prend à imaginer les œuvres des deux artistes mises en miroir, de par ce motif de la tête sans cesse renouvelé, symbole d’une humanité bien malmenée par le siècle et par les brûlures de l’Histoire.

Car ces quatre artistes auront eu en commun l’exil, superbement représenté par la photo prise par Hartung de son beau-père espagnol Julio, souriant face à l’objectif, béret basque vissé sur la tête, moustache et bretelles complétant ce portait si typique de l’allégresse méridionale à l’élan soudain coupé net, si douloureusement peint à la gouache sur la toile faisant face à la photo, l’une des « têtes » de Hartung : au noir et blanc ensoleillé de la photographie s’opposent les tons froids de la peinture et les traits durcis d’un homme usé par les épreuves, par les camps de détention et par toutes ces confrontations à la barbarie du monde.

Cette violence de l’exil et des guerres se retrouve aussi dans le morcellement et l’éparpillement des corps et des chairs, en écho aux abracadabrantes représentations de Picasso, comme dans cette Jeune fille à la tête penchée de Roberta Gonzalez de 1939, puisque si la féminité du modèle est bel et bien encore présente au vu de ses deux seins dressés, la position complètement tordue de la tête de ce qui est visiblement un cadavre – rigidité des traits, yeux fixant l’horreur et bouche ouverte glaçant le spectateur – met cependant en exergue Éros et Thanatos au cœur même de l’art.

Le fusain Nu effrayé, daté lui aussi de 1939, fait lui aussi écho à la destinée de Picasso, de celui que l’on nomma tour à tour le « Gitan » ou le « demi-juif polonais », puisque dans cette œuvre de Roberta Gonzalez c’est toute une humanité méprisée, torturée et assassinée qui se contorsionne, figée dans cette gestuelle saccadée et souffrante.

La vie de Hartung sera à l’image de ces millions de destinées brisées, puisqu’il va errer dans une Europe en proie aux convulsions des fascismes, allant jusqu’à être incarcéré au camp de concentration de Miranda del Ebro en Espagne, avant d’être amputé à deux reprises à l’hôpital Purpan de Toulouse et d’être finalement naturalisé français et de recevoir, plus tard, la Légion d’Honneur.

Comme son ami Pablo, il aura connu la « crise de l’abstraction », passera du figuratif à l’abstrait, migrant d’une forme ver l’autre ; et en déambulant d’une œuvre à l’autre dans cette salle croisant divers destins des exilés européens, le visiteur de 2019 ne peut s’empêcher de penser aux migrations actuelles, aux innombrables exils des réfugiés issus de pays en guerre ou soumis à des dictatures, ou en proie aux errances climatiques…

Car les convulsions de l’Histoire restent les mêmes : les visages des errants se tordent dans des brisures similaires, et la main tendue en haut à droite du tableau de Guernica est bien cette même main qui surgit des flots quand les migrants se perdent dans les eaux de Mare Nostrum, non loin de Vallauris…

C’est ainsi que tous les « frères humains » déjà chantés par Villon, devenus « Frères migrants » sous la plume de Patrick Chamoiseau, nous regardent, vous regardent au travers des yeux éternels de ces artistes de l’exil, nous invitant au vivre-ensemble.

Ce texte a été rédigé lors d’un stage au Musée des Abattoirs, le premier avril 2019, organisé par la DDAC : « Du regard sensible au regard critique : devenir critique d’art».

Vous pouvez retrouver le padlet et d’autres textes ici :

Made with Padlet

http://www.seuil.com/ouvrage/freres-migrants-patrick-chamoiseau/9782021365290

http://www.seuil.com/ouvrage/freres-migrants-patrick-chamoiseau/9782021365290

http://www.fondationhartungbergman.fr/sitehhaeb/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Julio_Gonz%C3%A1lez

http://www.sciencespo.fr/artsetsocietes/fr/archives/539

Photos prises en visitant l’exposition.