32, rue des Paradoux

Cela fait déjà plus d’un mois, mais les notes résonnent encore allègrement dans les mémoires…

C’était le 21 juin, en cette nuit si spéciale depuis qu’un ministre la dédia toute entière à la musique, il y a mille ans, lorsque j’avais 20 ans…

Des Fêtes de la musiques j’en ai bien entendu vécues des dizaines…Celles des début, virevoltantes de passion, lorsqu’en chaque coin de rue de Clermont-Ferrand, (où l’Éducation Nationale m’avait exilée…) soudain solaire et primesautière sous la pierre noire de Volvic, des guitares déchiraient la nuit, ou qu’un violon égrenait les étoiles sous quelque saule du Jardin Lecoq… J’y croisais mes anciens élèves, nous nous embrassions, je les écoutais jouer et mes filles applaudissaient.

Celles des dernières années ne m’enchantèrent guère, devenues des parades commerciales pour artistes recrutés par des municipalités, envahies de fumées de merguez et de relents de bière, prétextes à beuveries et non plus au partage des talents, et même restituées sur écran géant, depuis deux ans, depuis mon Capitole aux allures de grosse caisse… J’avoue que cette surenchère sonore des bars propulsant pour une nuit des enceintes monumentales sous les briques roses ne ressemble plus vraiment, je pense, au projet initial de Jack le rêveur…

C’est donc presque à reculons que je me mis en route pour une soirée privée, espérant enfin y voir s’y produire le fameux ensemble des « Mâles au Chœur de Tolosa » dans lequel chante un non moins célèbre adjoint au Maire de Toulouse aux mille casquettes…

J’avais lu son appel sur un réseau social…

« Pour la fête de la musique, les Mâles au Choeur de Tolosa chantent rue des Paradoux… ceux qui savent, savent… »

Il fallut traverser la Ville Rose déjà jonchée de bruits plus moins pétaradants, éviter le Capitole en liesse, admirer rapidement quelque gros son de Métal ou de rock, avant d’atteindre le Graal, non loin de Garonne toute ondulante de cet été commençant, au creux de l’une de ces rues anciennes qui font de Toulouse un livre d’histoire à ciel ouvert…

Une lourde porte cochère nous découvrit une cour aussi secrète qu’un joyau de la couronne, trébuchante de pavés, lovée dans sa beauté. Des chaises y étaient disposées – nous apprendrons plus tard qu’elles étaient gracieusement prêtées par Convergencia Occitana -, un buffet semblait se dresser – superbement orné par la Maison des vins de Fronton – , bref, nous comprîmes très vite qu’une véritable institution  se tenait là, au 32, rue des Paradoux (et en effet, c’était loin d’être la première des soirées organisées par la copropriété, en partenariat avec l’association  Tous Mécènes en Midi-Pyrénées et avec Amadeus Piano… !)

On nous expliqua, malgré l’heure peu avancée, qu’il était bon de réserver ses chaises, car les places allaient être chères…Et nous nous fondîmes donc en ce décor de rêve, guettant impatiemment les bérets des « Mâles » qui se faufilaient vers les coulisses, heureux d’avoir pu nous glisser dans l’antre de ces happy fews…

Tout d’abord, il y eut les hirondelles.

Fières, insolentes, libres, indifférentes à nos activités et prétentions humaines, elles filaient, indomptables, frisant les tuiles, frôlant les briques, embrassant les pierres, inlassable ballet rythmant la soirée, puis la nuit.

Cet onyx lumineux étourdissait nos sens.

Les invités de cette fête privée n’eurent d’égal que la qualité du lieu ; nobles, inclassables, uniques, talentueux, ils transportèrent l’assemblée vers des hauteurs que la foule agglutinée devant mes chères Arcades ne pouvait pas imaginer, toute occupée qu’elle était à applaudir le commerce des médias – mais c’est bien entendu tout aussi respectable, et tous les frissons se valent, je n’écris pas pour Télérama et confesse écouter Radio Nostalgie aussi souvent que FIP et sourire devant The Voice, tout comme j’aime Bruce Willis ET Woody Allen…

Cependant, dans cette cour privée ceinte des brûlures et beautés de l’Histoire, allaient se succéder des voix et des talents rares, puisque nous entendîmes Sonia Menen, superbe soprano qui avait été lauréate en juin 2016 du deuxième prix Femme d’ « Opéra en Arles », ou la mezzo-soprano Nadia Yermani, elle aussi lauréate de nombreux concours d’art lyrique, professeur au conservatoire de musique du Tarn, qui nous régalèrent de Saint Saëns, de Puccini et du sublime Lakmé en passant par Gounod et Strauss…

Ce fut un plaisir intense que d’entendre ces voix divines disputer l’azur de cette presque Saint-Jean aux hirondelles qui fusaient au ras de la scène. Le son, lové timidement dans la chaleur de la pierre, s’élançait ensuite en droite ligne vers le ciel, comme en harmonie avec les éléments…

Le public se taisait comme à l’office, vibrait puis se déchaînait après chaque morceau. Les instruments n’étaient pas en reste. Cyril Kubler, pianiste accompagnateur et chef de chant, dont la carrière tourbillonne brillamment de la Turquie à Brême, a sublimé les airs lyriques de sa patte particulière, tandis que le QuarteXperience, qui réunit quatre professeurs du conservatoire de Toulouse, transformé en quintette exceptionnel avec la présence de Francis Tropini, ancien clarinettiste soliste de l’Orchestre du Capitole, réinventa les répertoires romantiques et contemporains, de Mozart à Piazzolla.

Le 32, rue des Paradoux était ce soir-là baigné de passion et de tendresse, le partage de ces copropriétaires allant bien au-delà de quelque réunion visant à sabler un mur ou à payer des charges. Nous oscillions entre une fête de voisins et un moment d’intensité culturelle exceptionnelle, car vous imaginez bien les heures de préparation et d’investissement qui sont nécessaires à de tels moments de bonheur… Oui, l’esprit de la Fête régnait particulièrement en ce lieu, devenu quintessence de ce qui avait été imaginé il y a  longtemps, en ce temps où la rose tenait soudain le haut du pavé: nous vivions bien une nuit spéciale, dédiée au talent, au partage et à l’allégresse des sens, pour faire la nique aux longs mois d’hiver, à nos heures inlassables de travail, comme une promesse estivale infinie…

Et puis vint Constant Despres.

Je ne m’y attendais pas, j’avoue humblement que je n’avais pas entendu parler de ce jeune prodige, pourtant récemment révélé par l’émission éponyme…

Un regard, avant tout, d’immenses yeux ourlés de cils à faire pâlir tous les mascaras du monde.

Un sourire, modeste, mais aussi sûr de lui, souverain devant la musique, humble devant le public.

Et surtout, un talent fou du haut de ses dix printemps… C’est sans partitions qu’il a interprété de nombreuses compositions, faisant valser la pierre avec Chopin, fuguant vers Garonne en compagnie de Jean-Sébastien, rivalisant de dextérité avec les plus grands déjà, éblouissant de fraîcheur et de maestria.

Il rentrait tout juste de Lille, où il avait participé à l’émission Prodiges et joué le final du Carnaval des animaux avec l’orchestre national de Lille, devant 45000 spectateurs, et j’ai senti en lui la grâce de ces êtres que la vie a dotés d’un don exceptionnel…

Pour exemple, un extrait de l’émission de décembre…

Fidèle de « Piano aux Jacobins », j’avais en mémoire les doigtés mélodieux d’une Zhu Xiao-Mei sur les Variations Goldberg, ou les malices d’un David Lively, et je peux vous assurer que le jeune Constant est de cette étoffe-là.

Bien sûr, sa radieuse maman était à ses côtés au moment du bouquet de fleurs, et j’ai appris plus tard que puisque les chats ne font pas des chiens, son papa, exceptionnel lui aussi, avait en son temps enchanté Toulouse et la France entière de ses propres talents!

Toute l’assemblée semblait elle aussi portée par la grâce en écoutant Constant, et c’est donc dans cet état quasi extatique que les Mâles au Chœur, last but not least, trouvèrent un public grisé déjà par mille notes.

Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises.

Car le final de cet ensemble polyphonique exclusivement masculin vagabonda du Pays Basque à la Corse, ourlant les Pyrénées et mare nostrum de ses voix graves aux tessitures mélodieusement accordées à trois ou quatre voix, faisant résonner la cour de toutes les chaleurs méditerranéennes et de toute la puissance de la côte atlantique…

Ils nous régalèrent de leur pointe d’accent qui me fait toujours frissonner de toute mon âme occitane:

Je fus très émue de découvrir enfin cette nouvelle facette des engagements de mon élu préféré, qui, lorsqu’il ne supervise pas des chantiers de métro toulousain ni ne corrige de partiels ou ne tourne de films Place Pinel, se fait l’écho de ses chères montagnes en en entonnant les refrains…

Les Mâles faisant ici vibrer le Capitole:

Nous repartîmes à regret, tout étourdis de sensations et de notes.

Il nous avait semblé assister à tout un festival, nous avions eu l’impression d’être venus écouter « Un violon sur le sable » en Charentes, ou les cigales enivrées de piano à La Roque d’Anthéron…

Car la musique classique, lorsqu’elle ose pousser les murs des salles de concert, n’en est que plus majestueuse, rejoignant en synesthésie les respirations de la nature…

Et nous partîmes au gré des briques roses, espérant secrètement que nous serions, un jour prochain de juin, entre copies de bac et effluves de monoï, à nouveau invités à nous glisser au 32, rue des Paradoux…

***

Lundi 5 février 2018. West Side Story avec VM Ballet et le QuarteXperience…

http://lesmalesauchoeur.org/

http://www.tousmecenes.org/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Convergence_occitane

Et pour continuer le concert, quelques notes imaginaires…

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2016/08/17/le-rossignol-et-la-burqa-une-ancienne-nouvelle/

Elle te plaît pas, ma chanson ? « Imagine », la Corse, la langue arabe et la Fête de la Musique!!

Elle te plaît pas, ma chanson ?

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 (Prenez la peine de visionner toutes les vidéos, vraiment, elles en valent la peine !!)

 

 Imagine there’s no heaven,

Imagine qu’il n’y ait aucun Paradis,

It’s easy if you try,

C’est facile si tu essaies,

No hell below us,

Aucun enfer en-dessous de nous,

Above us only sky,

Au-dessus de nous, seulement le ciel…

La Corse, quand on se l’imagine, c’est comme un petit paradis…Avec, au-dessus de nous, ce ciel, bleu comme en enfer, et puis les chants corses, les cigales, un souffle de vent léger, et toute cette grande Histoire insulaire exotique qui rencontre les petites histoires des gens et des rêves, entre Napoléon, Colomba, les jolis ânes tout poilus et le fromage…

Pourtant, il y a quelques jours, des gens sans histoires, justement, se sont mis martel en tête à cause d’une chanson. Des gens qui, au lieu de vivre « pour aujourd’hui », dans le présent, dans le moment, sont allées chercher midi à quatorze heures et ont vu le mal là où simplement des instits avaient imaginé un beau moment de paix et de partages…

Imagine all the people,

Imagine tous les gens,

Living for today…

Vivant pour aujourd’hui…

http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/corses-des-enseignantes-menacees-pour-avoir-voulu-faire-chanter-leurs-eleves-en-arabe-693020

C’est incroyable. Incroyable et tellement mal venu, à quelques jours du début du Ramadan, que notre petite île d’irréductibles nationalistes se soit soudain recroquevillée sur elle-même au point de vouloir bouter la langue sarrasine hors de ses eaux bleues, utilisant qui plus est l’innocence enfantine pour assouvir d’étroites idées corporatistes et chauvines. Je ne sais ce qui m’a le plus choquée, entre cette exploitation immonde d’une fête dédiée aux plus jeunes et le fait que ce soit la chanson « Imagine » qui ait mis le feu aux poudres…

Imagine there’s no countries,

Imagine qu’il n’y a plus aucun pays,

It isn’t hard to do,

Ce n’est pas si dur à faire,

Nothing to kill or die for,

Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir,

No religion too,

Aucune religion non plus,

Imagine all the people,

Imagine tous ces gens,

Living life in peace…

Vivant leurs vies en paix…

Ah, ils en sont loin, de la paix, ces parents d’élèves qui ont osé salir la mémoire de Lennon et de son rêve. Les voilà, les idolâtres de lointains bruits de botte, les adoreurs de quenelles,  les moustachus à la Cabu, emplis de leur beauf attitude, n’ayant pas honte de porter haut le drapeau de la bêtise et de l’ignorance, se cherchant au seuil d’un bel été et d’innocents lâchers de ballons des « causes pour tuer ou mourir », vilipendant une langue, l’arabe, comme si une langue pouvait être responsable de l’incurie des hommes…

You may say I’m a dreamer,

Tu peux dire que je suis un rêveur,

But I’m not the only one,

Mais je ne suis pas le seul,

I hope some day you’ll join us,

J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,

And the world will live as one.

Et que le monde vivra uni

 

On en est loin, de ce monde uni imaginé par le poète. Ils existent, pourtant, les rêveurs qui croient au pouvoir de la paix. On les retrouve dans le monde entier, à lutter pour des idéaux malmenés par les dictatures et les violences, et parfois même leurs efforts aboutissent, comme pour Daniel Barenboïm et son orchestre du Divan d’Orient et d’Occident, qui vient de trouver un lieu pérenne à Berlin, à défaut de s’être installé en Israël…

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2015/06/19/le-rossignol-et-la-burqa-et-lacademie-barenboim-said/

Et ils en ont, de l’imagination, les rêveurs…C’est cette petite fille qui croit au pouvoir de l’éducation, quitte à presque mourir d’une balle dans la tête ; c’est cet Africain du Sud qui passe la moitié de son existence en prison, avant de devenir président de la nation arc-en-ciel ; c’est ce chanteur de Liverpool qui chantait la paix depuis ses lunettes rondes, avant de s’écrouler sous les balles d’un tireur fou…

Imagine no possessions,

Imagine qu’il n’existe plus aucune possession,

I wonder if you can,

Je me demande si tu en es capable,

No need for greed or hunger,

Aucun besoin d’avidité ou de faim,

A brotherhood of man,

Une fraternité humaine,

Imagine all the people,

Imagine tous les gens,

Sharing all the world…

Qui se partageraient le monde…

Mais à quoi pensaient-ils donc, ces parents d’élèves corses, menaçant des institutrices jusqu’à faire interdire toute une kermesse de par leurs cris de guerre ? Pensaient-ils peut-être que le monde leur appartiendrait, sous prétexte qu’ils seraient les détenteurs d’une seule vérité linguistique ? L’autre jour, sur ma chère Place du Capitole, s’est tenu justement le Forum des langues du monde, un superbe moment d’universalité au cœur des briques roses, et sous le beau soleil toulousain ont éclaté mille chants bariolés, tandis que des enfants émerveillés  découvraient les particularismes de langues mortes ou vivantes, en perdition ou éclatantes, du latin au chinois, en passant par l’occitan, le créole, le lingala…Car une langue, c’est avant tout le meilleur moyen de partager le monde, d’accéder à la fraternité humaine, au-delà de toutes nos différences…

https://onedrive.live.com/redir?resid=8DAAE5B306BE4C6!20655&authkey=!AErwH5Nft1T2SII&ithint=video%2cmp4

Alors bien sûr, d’aucuns ont peur. Cette peur de l’Autre, chevillée à nos cœurs et à nos histoires, cette peur ancestrale de l’ennemi, du village voisin, du territoire inconnu qui empiète sur notre pré-carré. Et je vais vous faire une confidence : moi aussi, j’ai peur. J’ai peur depuis des années, bien avant Charlie, DAESH et les gangs des barbares, j’ai peur de cet islamisme qui fait d’une des grandes religions du monde une déviance dangereuse, lorsque ses préceptes sont malmenés. Je suis, même, terrifiée, en voyant les eaux bleues des Maldives se noircir de burqas, en lisant l’horreur dans les yeux des Chrétiens d’Orient. Et pourtant j’ai souhaité un bon Ramadan à mes amis musulmans, qui sont nombreux. Je l’ai souhaité à des commerçants des kébabs de la Ville Rose, à des femmes voilées avec lesquelles je papote dans le bus, et à tous mes amis poètes et enseignants si chers à mon cœur….

http://www.oasisdesartistes.org/modules/newbbex/viewtopic.php?topic_id=53448&forum=2

Car je sais bien la différence entre les folies et l’innocence, entre le Bien et le Mal, toute rêveuse que je suis. Et je souhaiterais que ces parents d’élèves réfléchissent au mal qu’ils ont fait à leurs enfants et à leurs maîtresses, en actant la bêtise, l’ignorance et la haine.

J’espère qu’un jour les enfants de ces parents leur chanteront qu’ils volent, comme dans le superbe film de la Famille Bélier…Au-delà des clivages, de la peur, et des nationalismes.

 You may say I’m a dreamer,

Tu peux dire que je suis un rêveur,

But I’m not the only one,

Mais je ne suis pas le seul,

I hope some day you’ll join us,

J’espère qu’un jour tu nous rejoindras,

And the world will live as one.

Et que le monde vivra uni

(mon modeste fils…)

Enfin, cette superbe « cover » par le groupe corse Incantèsimu !

https://ghjuventucorsa.wordpress.com/incantesimu-groupe/

http://www.sabine-aussenac.com/cv/portfolios/photo2633

Photo2633

 Bonus 🙂

https://www.youtube.com/watch?v=VlxI2fAUymw

https://www.youtube.com/watch?v=LgWa4gUGZFE

https://www.youtube.com/watch?v=rk43kgy_M0o

https://www.youtube.com/watch?v=DTeEwpam2Z0