Lettre à une jeune poétesse…

À Rainer Maria Rilke

Un texte de 2011, splendidement mis en mots par mon amie Corinne:

Chère jeune poétesse!

Vous me demandez si vos poèmes méritent d’être nommés poèmes. Vous me demandez si vous êtes une poétesse.

Que vous répondre, chère jeune poétesse, que vous répondre, si ce n’est que la nuit vous sera vie.

La nuit, lorsque soufflera l’Autan et que Garonne gémira comme femme en gésine, vous le saurez.

La nuit, lorsque seul le rossignol entendra vos soupirs, vous le vivrez.

Vous vivrez ces instants où le mot se fait Homme, où quand d’un corps malade jaillit cette étincelle que d’aucuns nomment Verbe, quand certains la dédaignent; les étoiles apparaissent, et des mondes s’éteignent.

Vous me demandez, jeune amie, si vous êtes faite pour ce métier d’écrivain.

Mais écrire, belle enfant, ce n’est point un métier, ce n’est pas un ouvrage.

Poésie et argent ne font pas bon ménage, poésie est jalouse, et le temps est outrage.
Vous verrez le soleil dédaigner vos journées, et les ors, les fracas, les soirées et les fêtes, bien des autres y riront, se payant votre tête.

Seule au monde et amère, comme un fauve en cavale, vous lirez, vous irez, sachant mers et campagnes, portant haut vos seins doux, vos enfants en Cocagne. Loin de vous les amours, parfois quelque champagne.

Mais les mots, jeune amie, les mots, ils seront vôtres.

Vous les malaxerez comme on fait du pain frais, vous les disposerez en lilas et bouquets, vous en ferez des notes, des sonates, des coffrets.

Et quand au jour dernier vous serez affaiblie, vos mains seules en errance, votre bouche enfiévrée, on vous murmurera qu’on vous a tant aimée.

Mais il sera trop tard: vos vers auront fugué.

Alors soudain des peuples chanteront vos ramages, on vous récitera, des statues souriront; un écolier ému relira quelque page. Et un soir, quelque part, au fin fond d’un village, ou dans un bidonville, enfumé et bruyant, une jeune fille timide osera les écrire, ses premiers vers d’enfant, vous prenant en modèle.

Alors ma jeune amie, ce jour-là, doucement, comme en ronde éternelle:

vous serez poétesse.

 

Sabine Aussenac.

 

Aucun texte alternatif disponible.

Kiosque en poésie: Printemps des Poètes!

Le kiosque de la Place Pinel a une acoustique unique au monde: on entend les murmures d’un pilier de béton à l’autre, et, du centre, le son se fait écho captif, immense!

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J’y dirai mes textes à la demande, aux chandelles le soir, ou les WE! Performances toulousaines pour ce dix-septième Printemps des Poètes dont le thème est « L’insurrection poétique »!

Vous trouverez mon annonce sur le site du Printemps des Poètes, dans les « événements » du département de la Haute-Garonne…

http://www.printempsdespoetes.com/

Pour découvrir notre bijou :

http://mariuspinel.over-blog.com/article-jean-montariol-concepteur-du-kiosque-pinel-1892-1966-49776868.html

http://www.lastree.net/fragmentslog/fragments/MVI_3970.AVI

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Contact via mon blog , performances à la demande!

Page facebook de l’événement:

https://www.facebook.com/kiosqueenpoesie/timeline

 

Et la pierre respire

Toutes les photos ont été prises au musée Lehmbruck de Duisbourg.

Et la pierre respire

En colombes furtives apaisées de réel,

Les poitrines se galbent, élancées en plein ciel.

Tourterelles subtiles, telles oiselles endormies,

Elles frémissent en rêve, quand leur bronze sourit.

 Émouvantes rondeurs de ces seins martelés,

Qui se donnent impudiques en leurs corps dévoilés.

Et la pierre respire, le burin la caresse,

Toute femme est lumière, la statue une messe.

Au musée endormi le visiteur frissonne,

Il découvre égaré les langueurs des Madones

Qui lui offrent ce sein comme au matin du monde,

Et la pierre s’éveille, jeune fille en printemps,

Sa douceur auréole une valse à mille temps.

Les tétins si mutins aux fatwas font la fronde.

Inspiré par le Musée Lehmbruck de Duisburg.

Texte à lire aussi sur:

Album du Musée sur:

On m’a volé le Mur de Berlin

On m’a volé le Mur de Berlin

 

 Le chancelier Kohl devant la Porte de Brandebourg

On m’a volé le Mur de Berlin.

Déjà à l’époque, je me sentais comme derrière un rideau de fer.

Car Berlin était bien the place to be…

Mais moi, toute jeune professeur d’allemand, j’étais bloquée, enceinte jusqu’aux dents, en Auvergne, dans Clermont la Noire, avec ma princesse de quatre ans et mon cher et tendre number one, lequel était cheminot, et avant tout syndicaliste. D’ultra-gauche, il aurait fait passer Mélanchon pour un membre de l’UMP ; je vivais sous une dictature des idées qui aurait fait pâlir Pol Pot : je n’avais même pas le droit de posséder un téléviseur, car de tels objets sataniques faisaient bien sûr partie de la société de consommation et du Grand Capital abhorré…

Parfois, je fuguais en douce, ma fille sous le bras, pour regarder Miami Vice chez les voisins, en rêvant d’un repas au Mac Do, avant de rentrer éplucher les légumes de notre potager…

Le jour où l’Histoire bascula, j’étais couchée, malade, mon petit transistor collé à l’oreille. Je me souviens avec précision de ma joie et de mes larmes.

Ma joie en pensant très fort à Iris, ma correspondante allemande; des années durant, nous nous étions écrit et avions échangé pensées, coups de cœur et cadeaux…Je revoyais son visage radieux et les petites figurines en bois tourné fabriquées dans le  Erzgebirge, ce massif montagneux où elle passait ses vacances ou partait en camp de « pionniers »,  qu’elle m’envoyait depuis la RDA, depuis Dresde…En échange, je lui avais offert son premier jean, et puis tous ces vinyles des Stones, de Abba…Nous avions, jeunes adolescentes, rêvé en vain notre improbable rencontre…

Mes larmes, car en tant qu’enfant de l’Europe, j’aurais tellement en être, de cette fête autour de la Chute du Mur…Entre une mère de Rhénanie et un père né dans le Tarn, j’avais toujours navigué entre les forêts de sapins enneigés et d’immenses champs de tournesols, entre Heine et Hugo, Renoir et Klimt…J’avais quelques années auparavant rédigé mon mémoire de maîtrise sur « La révolte de la jeunesse en RFA », y évoquant les premiers mouvements alternatifs, les squats, la naissance du mouvement écolo, et j’eusse tant aimé, en cette semaine de 1989, moi aussi, devenir « le peuple »…

Mais non. Même les images de ce bouleversement du monde m’étaient refusées, et ce n’est que de loin que je les pressentis, en ce jour où le mur tomba : l’allégresse et la joie, qui se mêlaient en ce ciel enfin réunifié et qui m’atteignaient jusqu’au au fin de ma solitude.

Lorsque retentirent les premières notes du violoncelle de « Rostro », je pleurai si fort que ma deuxième fille faillit venir au monde…

Oui, déjà à l’époque, ce sentiment de non appartenance à la marche du monde m’étreignit. J’aurais tant aimé festoyer de concert avec ce peuple réunifié, escalader le Mur, offrir des bananes, j’aurais tant aimé jouer un infime rôle d’actrice, ou au moins de figurante, dans cette superproduction de l’Histoire…

Aujourd’hui, alors qu’un même peuple commémore les vingt-cinq ans de la Chute du Mur, un même sentiment d’impuissance m’envahit.

On m’a volé le Mur de Berlin.

Alors même qu’une ville entière s’est parée de lumières pour retracer le parcours du Mur de la Honte, alors même que la Chancelière a magnifiquement parlé de ce que peut faire un peuple, dès lors qu’il en a la volonté, je ne peux m’empêcher de penser à la gigantesque supercherie qu’est devenu l’enseignement de l’allemand en France…

Certes, dans certaines académies, comme en Alsace ou à Versailles, le dynamisme est intact. Mais partout ailleurs, dans tout l’hexagone, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors que les partenariats entre nos deux pays sont plus vivaces que jamais, que ce soit sur le plan économique, culturel ou sociologique, nos effectifs ont fondu comme neige au soleil, et les « postes fixes » se comptent sur les doigts d’une main. D’innombrables enseignants se retrouvent dans des situations de remplacements pérennes, souvent des années durant, faisant même d’épuisants trajets entre plusieurs établissements. Tenez, dans l’académie de Toulouse, nous accueillons cette année 27 stagiaires, alors qu’il est plus qu’évident que notre discipline est excédentaire…Ils ont pris les rares postes disponibles, avant d’être envoyés vers d’autres cieux où, gageons-le, on n’aura pas vraiment besoin d’eux, non plus…

Je ne reviendrai pas sur le pourquoi du comment, je me suis suffisamment exprimée à ce sujet dans d’autres tribunes, et ne sais toujours pas qui, de l’œuf ou de la poule, est responsable de cet état de fait.

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/manque-eleves-germanophones_b_1775203.html

Cette année encore, lors d’un magnifique repas collégial autour d’un échange (croyez-le ou non, le premier échange rencontré dans un établissement depuis une dizaines d’années, mais porté à bout de bras par des équipes administratives, en raison du turn over permanent des enseignants…), « on » m’a lancé au visage que « les professeurs d’allemand se sont coupés l’herbe sous le pied », entendez que nous, les professeurs, serions responsables de la « mort de notre discipline », de par une politique élitiste, des manuels poussiéreux…

Balivernes que tout cela. Voilà belle lurette que l’apprentissage de l’allemand n’est plus réservé aux « bonnes classes », en raison du collège unique et des cartes scolaires éclatées (j’ai par exemple souvent fait des remplacements en banlieue) ; nos méthodes sont innovantes, calquées sur les nouveaux programmes, tout aussi ludiques et performantes que celles des anglicistes ou hispanisants, même si, je vous l’accorde, la montée d’Hitler au pouvoir ou les déclinaisons font moins rêver que Mandela ou une chanson de Lady Gaga…

Non, il y a bien quelque chose de pourri au royaume du franco-allemand, et c’est dans le cadre de l’enseignement que ce malaise transparaît le plus ouvertement, malgré l’engouement de nos publicitaires pour « DAS Auto » et les coupes du monde remportées, malgré l’apitoiement autour de ce pauvre Schumi et les festivités autour de ce jubilée berlinois.

Parce qu’il faudra un jour qu’on m’explique le silence radio des inspecteurs du primaire devant des départements entiers sans une seule classe offrant la possibilité de débuter l’allemand (je pense au Gers où j’ai vécu sept ans, mais c’est le cas dans d’innombrables coins de France…), ou celui de nos décideurs dans les arcanes de l’EN, là où « on »  a décidé depuis longtemps le primat de l’anglais et l’abandon de l’allemand comme première langue, se réfugiant un temps derrière de rares « bilangues » faisant débuter deux langues aux enfants, leur ôtant par là-même la possibilité de décider que l’allemand, et pas une autre langue, serait LEUR véritable PREMIÈRE langue…

Pourtant, les chiffres sont là, parlants, et je vous renvoie au superbe portail du Deutschmobil :

http://www.deutschmobil.fr/espace-pedagogique/pourquoi-apprendre-l-allemand/

Je pourrais aussi vous parler des recruteurs qui favorisent les candidats germanistes, des fabuleuses possibilités d’embauche non seulement outre-Rhin, mais en …Suisse, où les employeurs recherchent des personnes maîtrisant la langue de Goethe, ou en Autriche, voire même en …Belgique, dont l’allemand est la troisième langue officielle…

Mais le problème dépasse largement le cadre de l’éducation nationale. Ce soir, à l’heure où j’écris ce texte, les deux JT viennent de lancer leurs titres. Aucune des grandes chaînes ne diffuse d’émission spéciale, et la commémoration allemande n’apparaît qu’en troisième ou quatrième position…Il y aura bien un petit direct, mais rien de plus, et TF1 poussera le vice jusqu’à mettre aussi un titre sur le 11 novembre. Une fois de plus, à l’heure où nous devrions penser et agir en Européens, en France, nous nous réfugions derrière le chant du coq et nos frilosités ancestrales…

Tout le monde le sait, il y a encore, et bien souvent, des rivalités, des rancœurs qui ont la peau dure…Dans son superbe blog, Grégory Dufour évoque ici la germanophobie :

http://www.gregorydufour.eu/Interview-sur-la-germanophobie-en-France-sur-Antenne-Saar_a5.html

On pourrait aussi relire cet article :

http://www.atlantico.fr/decryptage/france-est-elle-encore-germanophobe-georges-petite-histoire-germanophobie-georges-valance-flammarion-1676609.html

Bref, je ne vais pas crier haro sur le baudet envers de pauvres parents d’élèves qui, de toutes façons, baignent depuis leur propre enfance dans un environnement où l’Allemand est celui qui tient le lance-flammes et brûle la belle Romy dans le Vieux Fusil –version hard- ou, dans le meilleur des cas,-version soft- donne des ordres en gesticulant et hurlant dans La Grande Vadrouille, qui passe au moins une fois par an à la télévision, et où l’allemand est donc une langue éructée et tonitruante, qu’ils estiment difficile, et qu’ils vont épargner à leur enfants…

Ce soir, Berlin est en liesse, et la France s’en fout.

On m’a volé, une fois de plus, le Mur de Berlin.

(Cette tribune s’inspire en partie d’un texte écrit en 2009 et retravaillé ici :

http://sabine-aussenac-dichtung.blogspot.fr/2014/11/die-gestohlene-mauer.html )

 

Sabine Aussenac.

« …le portail gauchi des étés oubliés » : à propos du Grand Concours de poésie de Hildesheim 2014

« …le portail gauchi des étés oubliés » : à propos du Grand Concours de poésie de Hildesheim 2014

 http://lyrik-bestenliste.de/sites/wettbewerb.htm

Imaginez toute une ville réunie autour de la poésie, d’un évêché, et d’un projet.

Peu probable en notre république laïque, férue de sa sacro-sainte séparation de l’Église et de l’État, très occupée actuellement à régenter les voiles et autres cantines hallal, et toujours prête à d’interminables querelles…de clochers.

Chez nos voisins d’outre-Rhin, tout est différent. Et c’est bien en partenariat avec l’évêché de la ville de Hildesheim, non loin de Hanovre, que c’est concrétisé le quatrième concours de poésie de la ville, le Hildesheimer Lyrik-Wettbewerb 2014, qui a réuni 1200 participants du monde entier, puisque les auteurs ont écrit, en allemand, depuis les USA, le Brésil, la Hongrie…, dont le plus jeune a 6 ans, et le doyen 88 !

Il suffisait de s’inscrire sur un forum et de poster un texte, et ce ne sont pas moins de 80 000 « clics » qui ont fait de cette manifestation un véritable portail de la poésie, en démontrant une fois de plus l’actualité, la modernité et la nécessité.

Certes, ici, nous avons le Printemps des Poètes. Mais avouons qu’en dehors de ces manifestations pré-estivales ponctuelles, qui plus est noyautées par un gouvernement central poétique aux lois d’airain (j’en suis par exemple exclue, le président, Monsieur Siméon, m’ayant écrit que ma poésie était « démodée, peu adaptée aux exigences actuelles… ») la poésie se terre dans ses petits souliers, réservée soit à des élites lisant des poètes morts publiés par de grandes maisons, soit à de poussiéreux concours rétribuant leurs lauréats en « médailles », alors que le peuple, pourtant, réclame à hauts cris, en plus du pain et du cirque, des vers ! Car en France aussi, les forums de poésie font florès, on s’y bouscule, s’y rencontre, s’y exprime, et ce hélas dans le plus grand silence médiatique et éditorial…

C’est pourquoi il me paraît important d’exposer cette belle initiative, qui a su mettre en avant la vitalité de la poésie, en acceptant sur ce forum d’expression toutes les formes, ne clivant pas ce concours en « forme classique » et autres « vers libres », donnant simplement, cette année encore, un thème de réflexion, qui était : « Was mir heilig ist », « Ce qui pour moi est sacré ». L’affiche du concours dénotait elle aussi d’une belle modernité, avec cette croix recouverte d’un billet de 50 euros et les mots « hab und sein » (avoir et être), tandis que se bousculaient pêle-mêle des photos du Dalaï Lama, de Jimmy Hendrix, d’un ballon de foot et…d’un postérieur féminin bien encadré par un mini short !

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Car la poésie, c’est aussi le vivant. On écrit et on lit de la poésie depuis que le monde est monde, et rien n’est plus triste que notre époque qui l’a reléguée à cette place de sous-fifre littéraire, et que notre pays dont les ministres de l’éducation ont privé des enfants de « récitation » et dont les éditeurs ont privé les lecteurs de vers !

À Hildesheim, toute une ville a mis la main à la pâte. Les sponsors se sont bousculés, des mécènes privés aux différentes institutions, de la Sparkasse au Landkreis, et la brochure rassemblant les poètes lauréats est à présent distribuée gratuitement dans le réseau de bus, où circulent quotidiennement 50 000 passagers, tout en s’affichant dans les rues de la ville. La page web www.lyrik-bestenliste.de permet aussi de lire les poèmes primés par le jury et les 99 poèmes choisis par les lecteurs. Car que seraient la vie et le quotidien sans la poésie ?

« Les choses essentielles de la vie demeureraient imperceptibles- indicibles, s’il n’y avait pas la littérature, la poésie. Les poèmes peuvent consoler er adoucir, éveiller et donner courage. Un poème ne pose pas de frontières, ne vous coupe pas des autres, au contraire, il élargit l’horizon et ouvre une fenêtre vers un autre monde. », dit ainsi Jo Köhler, responsable du Vorstand des Forum-Literaturbüro.

(„Die wesentlichen Dinge des Lebens sind unfassbar- unsagbar, gäbe es nicht die Literatur, die Poesie. Gedichte können trösten und besänftigen, aufrütteln und Mut machen. Ein Gedicht tröstet nicht aus und ab, sondern weitet den Horizont und öffnet ein Fenster in eine andere Welt.“)

Vous retrouverez les membres du jury sur le site internet dédié, et je voudrais simplement traduire quelques vers parmi les poèmes retenus…Il n’est pas facile de traduire la poésie, je m’emploie donc modestement, tentant de mêler ma propre sensibilité poétique et mon bilinguisme. Je suis cependant persuadée que la poésie est aussi universelle que l’art, et qu’une langue étrangère peut émouvoir. Ainsi, hier soir, mon fils m’a fait découvrir un groupe de musique islandaise, et j’ai été bouleversée par la musicalité de ces paroles qui pourtant m’étaient totalement étrangères…

https://www.youtube.com/watch?v=eS3XtJUSJTs

Voici donc en miscellanées de vers quelques extraits poétiques du concours de Hildesheim.

La double gagnante, porteuse du Grand Prix et aussi lauréate du vote des internautes, est Angelika Seithe, 69 ans, auteure et psychothérapeute de Wettenberg, Allemagne. Elle nous dit que l’écriture poétique fait partie de sa vie, « en tant que joie de la création, moyen de sublimation et source de jugement de valeurs »…

 Le voile du soleil

 

Des cabanes de mots nous habitons

attendant derrière la plage

Avant le coucher du soleil nous allons pêcher

jetons le filet

en espérance de pêche miraculeuse

de phrases d’argent mouvantes et miroitantes

 

Ne rapportant que le voile

du soleil dans la barque

 

Assez pour la journée

 

( Den Schleier der Sonne

 

In Worthütten wohnen wir

hocken hinter den Strand

Vor Sonnenaufgang gehen wir fischen

werfen das Netz

hoffen auf Schwärme

auf Sätze beweglichen Silbers

 

Ziehen nichts als den Schleier der

Sonne ins Boot

 

Genug für den Tag )

http://www.angelica-seithe.de/joomla/

Ma préférence personnelle va je crois au texte de Dagmar Scherf, 72 ans, de Friedrichsdorf, en Allemagne. Elle nous apprend que la poésie est « son axe de vie. Expression et approfondissement de son être au monde »

 

Un été en Franconie

 

Voilà les jours parfaits-

 

Quand derrière le soleil de juillet

dort le grand dragon,

quand la pierre et la terre se fendillent,

perceptibles,

à portée de main,

comme une peau familière.

 

Quand les buissons de sureau,

qui en hiver nous fixaient de leur désespérance,

comme si l’été était mort à jamais,

quand les buissons de sureau

fièrement tendent leurs verts éclatants

par-dessus des éboulis de murs empierrés,

en silence, vers le soleil.

 

Parfois s’ouvre alors

en grinçant doucement

le portail gauchi des étés oubliés.

Un enfant est debout derrière la grille,

dans la poche du tablier l’odeur entêtante

d’une fleur de sureau

et des grumeaux de terre entre les orteils.

 

Le grand dragon cligne des yeux vers la lumière,

étend sa peau craquelée

et s’assoupit à nouveau.

 

Voilà les jours parfaits-

 

(Fränkischer Sommer

 

Das sind die wunschlosen Tage-

 

Wenn unter der Julisonne

das Drachentier schläft,

wenn Stein und Erde rissig werden,

fühlbar,

greifbar,

wie eine vertraute Haut.

 

Wenn die Holunderbüsche,

die winters so trostlos starrten,

als käme kein Sommer mehr,

wenn die Holunderbüsche

ihr strotzendes Grün

über bröckelnde Mauern hinweg

still in die Sonne halten.

 

Manchmal öffnet sich dann

leise knarrend

das schiefe Hoftor vergessener Sommer.

Ein Kind steht am Zaun,

in der Schürzentasche den starken Geruch

einer Holunderblüte

und Erdkrummen zwischen den Zehen.

 

Das Drachentier blinzelt ins Licht,

dehnt die rissige Haut

und schläft wieder ein.

 

Das sind die wunschlosen Tage-)

http://www.dagmar-scherf.de/index.php?page=veroeffentlichungen

 

Me touchent aussi beaucoup les „Augenblicke“ (les « Instants ») de Michael Starcke, 64 ans, de Bochum, en Allemagne, qui a reçu quelques prix littéraires et a autoédité ses textes. Ils me rappellent les « Instanti » de Borges…https://schabrieres.wordpress.com/2008/11/20/jorge-luis-borges-instants/

Instants

 

Parmi tout

ce que je rencontre,

ce sont toujours seulement les

instants

qui sont pour moi sacrés.

 

celui lors duquel mon père

rompit son silence

après un passage de frontière,

pays collinaire et touffeur de l’après-midi,

regards méprisants.

 

celui qui décida

du moment de la rencontre avec

mon premier amour,

malade de passion,

en désir de mourir,

libre de toute contrainte.

 

ce moment où la fièvre monte

et cette certitude qu’il n’y aurait

qu’un chemin

pour se trouver,

la douleur,

le soleil du soir,

ma parole mise en gage.

 

ce sont toujours seulement les instants,

qui pour moi sont sacrés,

l’annonce de la paix

en quelque lointain que ce soit,

la beauté d’une Blanche-Neige,

l’amour pour une femme

qui ne s’intéresse pas

à moi.

 

ce matin le champ de maïs

en lisière de la ville.

j’ai vu le vent se perdre en lui,

mais n’entendais aucun bruissement.

 

( augenblicke

 

von allem,

was mir begegnet,

sind es immer nur

augenblicke,

die mir heilig sind.

 

der, als mein vater

sein schweigen brach

nach einem grenzübertritt,

hügelland im nachmittagsdunst,

verächtliche blicke.

 

der, der entschied,

wie ich der ersten

liebe begegnet bin,

krank vor sehnsucht,

mit der absicht zu sterben,

keinem zwang unterworfen.

 

der, wenn das fieber steigt

und die einsicht,

es gebe nur einen Weg,

um sich zu finden,

den schmerz,

die abendsonne,

mein verpfändetes wort.

 

Immer sind es nur augenblicke,

die mir heilig sind,

eine meldung vom frieden

in welcher ferne auch immer,

schneewittchenschönheit,

die liebe einer frau,

die sich nicht

für mich interessiert.

 

heute morgen das maisfeld

am rande der stadt.

ich sah, dass

der wind sich in ihm verfing.

aber hörte kein rascheln.)

http://www.michael-starcke.de/

Je prendrai peut-être le temps de traduire d’autres poèmes, et de citer plus longuement les autres auteurs. Car je ne veux pas oublier Ingeborg Brenne-Markner, Uwe Müller, Raphaela Gentemann, Maja Loewe, Anna Diouf, Christa Issinger, Flora von Bistram, ni Lara Mensen, la benjamine, ni Marlene Wieland, la doyenne des lauréats, avec ses 81 printemps !

Je vous laisse aussi le soin d’aller flâner sur le site et de lire des poèmes… http://lyrikwettbewerb.forumieren.de/f13-gedichte-2014-zur-abstimmung-durch-autor_innen

Le mot de la fin sera celui de l’Évêque de Hildesheim, Monseigneur Norbert Trelle, qui cite Peter Handke :

« Mais  nous- oui, nous- ne renoncerons pas à cela : à la poésie, cette trouée vers le Divin. »

http://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/prix-de-poesie-de-hildesheim-2014

http://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/ein-aprikosensommer-prix-de-hildesheim-2014

Un été d’abricots attend devant la porte

 

 

 

Une hirondelle aux douceurs de lavande attend ciel neuf.

 

L’arc-en-ciel fait claquer ses couleurs à travers le désert, une pluie de chants nouveaux abreuve la terre.

 

Jouer à colin-maillard dans le désastre des bonheurs perdus: viens, et trouve mes soleils.

 

Rouillé, l’air de notre amour étouffe devant la grille de la vie. Je le peins de couleurs bariolées, jusqu’à la résurrection.

 

J’entends ton coeur en larmes et te brode en tendresse angélique de nouvelles ailes pour la vie. Crois-moi: tu apprendras à voler.

 

Un été d’abricots attend devant la porte. Oh, comme le jour est juteux, et la nuit sucrée!

 

Chercher des étoiles en pays de déserts, et y trouver de l’eau. La source miroitante a un goût d’infinis, notre peur disparaît à la vitesse d’une comète.

 

 

(Ein Aprikosensommer wartet vor der Tür

 

Lavendelsanft wartet die Schwalbe auf einen neuen Himmel.

 

Der Regenbogen knallt seine Farben durch die Wüsten, es regnen neue Lieder auf die Erde.

 

Blinde Kuh spielen im Desaster der verlorenen Wonnen; komm und finde meine Sonnen.

 

Verrostet erstickt unsere Liebesluft am Gitter des Lebens. Ich male sie kunterbunt, bis zur Auferstehung.

 

Ich höre dein weinendes Herz und sticke engelssanft dir neue Flügel fürs Leben. Glaube mir: Du wirst fliegen lernen.

 

Ein Aprikosensommer wartet vor der Tür. Oh wie saftig der Tag, wie süss die Nacht!

 

Im Wüstenland Sterne suchen, und dabei Wasser finden. Die blizende Quelle schmeckt himmlisch, kometenhaft verschwindet unsere Angst.)

http://lyrik-bestenliste.de/sites/links.htm

*** Bientôt Noël…:)

http://www.thebookedition.com/fiat-lux-sabine-aussenac-p-116155.html

et mon blog de poésie allemande:

http://sabine-aussenac-dichtung.blogspot.fr/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Oh Capitaine mon Capitaine…

Oh Capitaine mon Capitaine…

« On ne lit pas ni écrit de la poésie parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passions. La médecine, le droit, le commerce sont nécessaires pour assurer la vie, mais la poésie, la beauté, la romance, l’amour, c’est pour ça qu’on vit. »

Voilà. Mon fils de seize ans vient de découvrir le Cercle des poètes disparus en ce 14 août 2014, trois jours après le suicide de Robin Williams…

Je ne vous parlerai pas ce soir de Madame Doubtfire, ni de Will Hunting, ou de Peter Pan. Même si mes filles, elles, ont grandi avec Madame Doubtfire, qu’elles ont vu et revu en pensant à leur papa dont j’étais séparée. Le talent protéiforme de Robin Williams est extraordinaire, et j’allume presque chaque matin la radio en imaginant un « gooooooooooooooood morning France » sur France Info…

C’est de John Keating dont je souhaiterais me souvenir, avant tout, car il aura marqué ma carrière de prof. Oh, bien pitoyable « carrière », entre rapports d’inspection bien moyens et remplacements pitoyables, à des années lumières de mon domicile, puisque nous n’avons plus assez d’élèves, en allemand…

Mais j’aurais essayé. D’inculquer aux élèves ce devoir d’insolence. De leur prouver que Frost avait raison en disant que nous devons toujours choisir le chemin le moins fréquenté de la forêt. Et que « peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde. »

Cette scène inaugurale de l’arrachage des pages d’introduction de ce manuel voulant soupeser la poésie et l’analyser comme un problème de maths est, pour moi, la littéraire, d’une jouissance ABSOLUE.

Car mon monde ne se soupèse pas. Car mes rêves ne se comptabilisent pas. Car ma vie n’est pas une équation.

De même, voir ces élèves jouer au football en écoutant l’Hymne à la joie, ou les regarder shooter après avoir déclamé une citation est comme « vivre intensément et sucer toute la moelle secrète de la vie. » Mon fils, bien peu sportif, mais plutôt intello, a eu devant cette scène le regard brillant de ceux qui vivent une révélation : « Désormais je prendrai les feuilles de mon calendrier de citations avant les cours d’EPS », m’a-t-il dit…

Chaque minute de ce film est un petit bonheur, de ceux que l’on roule en boule au fond de son mouchoir pour les retrouver le soir, et s’en imprégner intensément. Caillou blanc de Petit Poucet, étoile du Petit Prince comme celle évoquée par Zelda, la fille de Robin, le jour de sa disparition, ou simplement rêve à conserver, à veiller, à chérir.

« Je ne vis pas pour être un esclave mais le souverain de mon existence. » Ne devrions-nous pas, nous, les professeurs, commencer chacun de nos cours par cette maxime ? N’est-ce pas là le sel même de la vie, la substantifique moelle de l’éducation, cette idée de la souveraineté de l’être et de la liberté de penser ? « À présent dans cette classe, vous apprendrez à penser par vous-même, vous apprendrez à savourer les mots et le langage ! »

Ma belle-sœur, récemment, tentait d’expliquer à mon fils, tout heureux de passer en L et d’être libéré des maths qu’il n’aime pas trop, que c’était une bêtise absolue, que les maths étaient le fondement de l’existence, la pierre philosophale de notre monde qui ne tenait que par l’idée mathématique, depuis les dosages d’un quatre-quarts jusqu’au pilotage d’un bombardier…

Mais justement, non. Nous sommes tous différents, et la liberté de mon fils passera peut-être par sa volonté de faire du théâtre, comme le jeune Neil, en lieu de place de devenir médecin…Et son choix sera le bon, s’il est en cohérence avec son désir, avec ses envies, avec sa vie : « Je partis dans les bois parce que je voulais vivre sans me hâter. Vivre intensément et sucer toute la moelle secrète de la vie. »

J’ai aimé ce film, oh, comme je l’ai aimé. Jeune professeur qui n’aurait jamais voulu devenir professeur, puisque je ne voulais qu’écrire, j’y ai senti qu’au-delà des déclinaisons allemandes, je pourrais peut-être aussi parler de la poésie romantique ; qu’au-delà du nazisme, je pourrais aussi évoquer Schiller et les paroles de l’Hymne à la joie ; qu’au-delà des sempiternelles ritournelles des réformes successives de l’Éducation Nationale, je pourrais garder un cap, un seul, celui de la liberté.

« Écoutez ce que dit Whitman : « Ô moi ! Ô vie !… Ces questions qui me hantent, ces cortèges sans fin d’incrédules, ces villes peuplées de fous. Quoi de bon parmi tout cela ? Ô moi ! Ô vie ! ». Réponse : que tu es ici, que la vie existe, et l’identité. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. Que le spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime… Quelle sera votre rime ? »

Quelle sera la rime de nos élèves, de nos enfants ? Ce soir, à quelques encablures de la rentrée 2014 , entre les morts d’Ukraine et ceux de Gaza, entre les enfants Yazidi que l’on égorge et ceux atteints d’Ebola que l’on emmure, dans un pays dit en crise, quelle sera la rime de nos enfants dans nos villes peuplées de fous ?

« C’est dans ses rêves que l’homme trouve la liberté, cela fut, est, et restera la vérité. »

Il faudra rêver, mon fils, il faudra rêver, chers élèves, encore, et toujours.

Oh Capitaine, mon Capitaine, tu es parti. Un jour, il y a longtemps, quand j’avais encore des élèves dans mes cours d’allemand, certains aussi dont montés sur leurs tables, au dernier jour de l’an.

Adieu, Mister Keating.

Adieu, Robin. Merci.

http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2011/06/14/2522542_baccalaureus.html

Je devins une enfant de l’Europe

 

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Vous savez, moi non plus, je ne sais pas encore très bien pour qui je voterai, dimanche. Peut-être pour cette liste féministe, même s’il faut imprimer le bulletin de chez soi. Ou sans doute Modem, parce que leur clip de campagne est sublime, ainsi que leur « Faites l’Europe, pas la guerre »…

Parce que « mon » Europe est celle de l’émerveillement de la paix. Mon Europe existe car mes parents, une sublime Romy rhénane et un jeune Castrais beau comme un camion, qui s’étaient rencontrés dans une auberge de jeunesse,  qui lisaient Prévert en écoutant Mouloudji, qui s’écrivirent des cartes et des lettres des mois durant, entre Londres, l’Allemagne et le pays tarnais, ont eu le culot de traverser les frontières de la haine et d’oser braver les regards obliques des anciens résistants. Mon Europe est celle d’une enfance binationale incroyablement exotique, et, oui, j’aime mes deux patries, mais encore plus cette idée d’être issue de la paix, de la tolérance, de la résilience des nations.

Et puis il y a tous mes souvenirs incroyablement « kitsch », de l’Eurovison –la vraie, l’unique, celle où ma mère et sa sœur (qui a…aussi épousé un Français !) s’appelaient pour commenter, tout comme ma sœur (qui vit…en Allemagne et qui a épousé un Allemand !) et moi nous appelions aussi…- aux hurlements de joie poussés, dès septembre en découvrant, au LIDL, puisque la mondialisation touche aussi nos nourritures terrestres, les premiers « Marzipan » de Noël, et, inversement, cette fierté d’être « Française » en traversant hors des clous outre-Rhin, pour le plaisir de montrer mon esprit si différent, si rebelle, si libre…

Parce l’Europe, c’est ça, aussi, au-delà de la PAC et du Parlement : cette certitude que, oui, nous sommes des dizaines de pays différents, mais qui avons le pouvoir et surtout la LIBERTÉ d’avancer ENSEMBLE, en fédérant nos richesses.

Alors dimanche : votez !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

 

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(Mes grands-parents, Anneliese et Erich, Allemagne année zéro…Vivre, à nouveau…)

J’ai dix ans.

 Je suis dans le jardin de mes grands-parents allemands, à Duisbourg. Plus grand port fluvial d’Europe, cœur de la Rhénanie industrielle, armadas d’usines crachant, en ces années de plomb, des myriades de fumées plus noires les unes que les autres, mais, pour moi, un paradis…

J’adore la grande maison pleine de recoins et de mystères, la cave aménagée où m’attendent chaque été la poupée censée voyager en avion tandis que nous arrivons en voiture-en fait, la même que chez moi, en France !-, la maison de poupées datant de l’enfance de ma mère, avec ses petits personnages démodés, les magnifiques têtes en porcelaine, la finesse des saxes accrochés dans le minuscule salon… J’aime les tapis moelleux, la Eckbank, ce coin salle à manger comportant une table en demi-lune et des bancs coffre, les repas allemands, les mille sortes de pain, les charcuteries, les glaces que l’on va déguster chez l’Italien avec mon arrière-grand-mère… Je savoure avec un infini plaisir les trajets dans la quatre cent quatre familiale, les maisons qui changent d’allure, les briquettes rouge sombre remplaçant peu à peu notre brique toulousaine et la pierre, les seaux de chocolat Côte-d’or achetés à Liège, les petites barrières en croisillon de bois, les longues formalités à la Douane- c’est surtout au retour que mon père cachait des appareils Grundig et le Schnaps !

J’aime aussi les promenades au bord du Rhin, voir défiler les immenses péniches, entendre ma grand-mère se lever à cinq heures pour inlassablement tenter de balayer sa terrasse toujours et encore noircie de scories avant d’arroser les groseilliers à maquereaux et les centaines de massifs… J’adore cette odeur d’herbe fraîchement coupée qui, le reste de ma vie durant, me rappellera toujours mon grand-père qui tond à la main cette immense pelouse et que j’aide à ramasser le gazon éparpillé… Et nos promenades au Biegerhof, ce parc abondamment pourvu de jeux pour enfants, regorgeant de chants d’oiseaux et de sentes sauvages, auquel on accède par un magnifique parcours le long d’un champ de blés ondoyants… C’est là tout le paradoxe de ces étés merveilleux, passés dans une immense ville industrielle, mais qui me semblaient azuréens et vastes.

http://www.duisburg.de/micro2/duisburg_gruen/oasen/parks/102010100000253135.php

Je parle allemand depuis toujours, puisque ma mère m’a câlinée dans la langue de Goethe tandis que mon père m’élevait dans celle de Molière. Ce bilinguisme affectif, langagier, culturel, me fonde et m’émerveille.

C’est une chance inouïe que de grandir des deux côtés du Rhin…

J’aime les sombres forêts de sapins et les contes de Grimm, mais aussi les lumières de cette région toulousaine où je vis et les grandeurs de cette école de la République dont je suis une excellente élève, éduquée à l’ancienne avec des leçons de morale, les images d’Épinal de Saint-Louis sous son chêne et tous les affluents de la Loire… Ma maman a gardé toutes les superbes traditions allemandes concernant les fêtes, nos Noëls sont sublimes et délicieux, et elle allie cuisine roborative du sud-ouest et pâtisseries d’outre-Rhin pour notre plus grand bonheur, tandis que même Luther et la Sainte Vierge se partagent nos faveurs, puisque ma grand-mère française me lit le Missel des dimanches et ma mère la Bible pour enfants, ce chiasme donnant parfois lieu à quelques explications orageuses…

Bien sûr, il y a les autres. Les enfants ne sont pas toujours tendres avec une petite fille au visage un peu plus rond que la normale, parfois même habillée en Dindl, ce vêtement traditionnel tyrolien, qui vient à l’école avec des goûters au pain noir et qui écrit déjà avec un stylo plume- je serai je pense la première élève tarnaise à avoir abandonné l’encrier…

Un jour enfin viendra où l’on m’appellera Hitler et, inquiète, je commencerai à poser des questions…Bientôt, vers onze ans, je lirai le Journal d’Anne Franck et comprendrai que coule en moi le sang des bourreaux, avant de me jurer qu’un jour, j’accomplirai un travail de mémoire, flirtant longtemps avec un philosémitisme culpabilisateur et avec les méandres du passé. Mon grand-père adoré, rentré moribond de la campagne de Russie, me fera lire Exodus, de Léon Uris, et je possède aujourd’hui, trésor de mémoire, les longues et émouvantes lettres qu’il envoyait depuis l’Ukraine, où il a sans doute fait partie du conglomérat de l’horreur, lui-même bourreau et victime de l’Histoire… Il écrivait à ma courageuse grand-mère, qui tentait de survivre sous les bombes avec quatre enfants, dont le petit Klaus qui mourra d’un cancer du rein juste à la fin de la guerre, tandis que ma maman me parle encore des avions qui la terrorisaient et des épluchures de pommes de terre ramassées dans les fossés…

Cet été-là, je suis donc une fois de plus immergée dans mon paradis germanique, me gavant de saucisses fumées et de dessins animés en allemand, et je me suis cachée dans la petite cabane de jardin, abritant des hordes de nains de jardin à repeindre et les lampions de la Saint-Martin.

https://www.google.fr/maps/@51.3852866,6.7505207,41m/data=!3m1!1e3?hl=fr

J’ai pris dans l’immense bibliothèque Le livre de la jungle en allemand, richement illustré, et je compte en regarder les images. Dehors, l’été continental a déployé son immense ciel bleu, certes jamais aussi limpide et étouffant que nos cieux méridionaux, mais propice aux rêves des petites filles binationales… Le Brunnen, la fontaine où clapote un jet d’eau, n’attend plus qu’un crapaud qui se transformerait en prince pour me faire chevaucher le long du Rhin et rejoindre la Lorelei. Je m’apprête à rêver aux Indes flamboyantes d’un anglais nostalgique…

Je jette un coup d’œil distrait à la première page du livre et, soudain, les mots se font sens. Comme par magie, les lettres s’assemblent et j’en saisis parfaitement la portée. Moi, la lectrice passionnée depuis mon premier Susy sur la glace, moi qui ruine ma grand-mère française en Alice et Club des cinq, qui commence aussi déjà à lire les Pearl Buck et autres Troyat et Bazin, je me rends compte, en une infime fraction de seconde, que je LIS l’allemand, que non seulement je le parle, mais que je suis à présent capable de comprendre l’écrit, malgré les différences d’orthographe, les trémas et autres SZ bizarroïdes…

Un monde s’ouvre à moi, un abîme, une vie.

C’est à ce moment précis de mon existence que je deviens véritablement bilingue, que je me sens tributaire d’une infinie richesse, de cette double perspective qui, dès lors, ne me quittera plus jamais, même lors de mes échecs répétés à l’agrégation d’allemand… Lire de l’allemand, lire en allemand, c’est aussi cette assurance définitive que l’on est vraiment capable de comprendre l’autre, son alter ego de l’outre-Rhin, que l’on est un miroir, que l’on se fait presque voyant. Nul besoin de traduction, la langue étrangère est acquise, est assise, et c’est bien cette richesse là qu’il faudrait faire partager, très vite, très tôt, à tous les enfants du monde.

Parler une autre langue, c’est déjà aimer l’autre.

Je ne sais pas encore, en ce petit matin, qui sont Novalis, Heine ou Nietzsche. Mais je devine que cette indépendance d’esprit me permettra, pour toujours, d’avoir une nouvelle liberté, et c’est aussi avec un immense appétit que je découvrirai bientôt la langue anglaise, puis le latin, l’italien… Car l’amour appelle l’amour. Lire en allemand m’aidera à écouter Mozart, à aimer Klimt, mais aussi à lire les auteurs russes ou les Haïkus. Cette matinée a été mon Ode à la joie.

Cet été-là, je devins une enfant de l’Europe.

 

Limoges mes croissants

 

Limoges mes croissants.

La quatre-cent-quatre de papa, et presque la Belgique. Chocolat Côte d’Or en apnée frontalière.

Les gouttes se chevauchent sur la vitre embrumée.

Les briques se font brunes, Ulrike ma poupée a pris l’avion.

Au réveil, je suis au bled : mon métissage à moi a la couleur du Rhin.

 

***

L’autre côté de moi

 

L’autre côté de moi sur la rive rhénane. Mes étés ont aussi des couleurs de houblon.

Immensité d’un ciel changeant, exotique rhubarbe. Mon Allemagne, le Brunnen du grand parc, pain noir du bonheur.

Plus tard, les charniers.

Il me tend « Exodus » et mille étoiles jaunes. L’homme de ma vie fait de moi la diseuse.

Lettres du front de l’est de mon grand-père, et l’odeur de gazon coupé.

Mon Allemagne, entre chevreuils et cendres.

 

***

Petite nixe sage

 

Cabane du jardinier. Petite nixe sage, je regarde

les images.

Les lettres prennent sens. La langue de Goethe, bercée à mon cœur, pouvoir soudain la lire.

Allégresse innommable du bilinguisme. L’Autre est en vous. Je est les Autres.

Cet été-là mon Hymne à la joie.

De heili heilo à Jobi Joba…

De heili heilo à Jobi Joba

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Tiens, c’est amusant, ce départ d’un ex prof d’allemand et l’arrivée d’un natif de Barcelona à Matignon, vous ne trouvez pas ?

J’y vois, moi, une excellente métaphore de la situation de l’enseignement de l’allemand dans notre belle France…

Oui, l’Espagne et l’enseignement de l’espagnol ont bien toujours le vent en poupe, comme l’anglais –what else ?- et les langues dites émergentes (car des parents d’élèves s’imaginent encore que leurs têtes blondes vont réussir à maîtriser le mandarin en quelques années, quand certains peinent à écrire leur propre nom -du vécu !!- et ne maîtrisent déjà plus l’écriture cursive – alors les idéogrammes, je vous laisse imaginer…)

Les classes de mes collègues hispanisants sont toujours remplies ; et c’est vrai que c’est sympa, cool, fun, d’apprendre cette langue latine dont les sonorités nous semblent si familières, et puis le soleil, la salsa, etc…Je vous épargne les clichés !

Nous, par contre, en allemand, c’est le désert des Tartares. Les profs d’allemand sont devenus des has been, véritables boloss de l’Éducation Nationale. Tiens, c’est simple, dans notre immense académie de Toulouse, à la rentrée 2014, AUCUN poste au « mouvement » ; dans certains départements, et pas seulement dans le Sud-Ouest, aucune école primaire ne propose l’enseignement de l’allemand ; j’ai personnellement un statut de remplaçante depuis des années, malgré ma réussite au CAPES en 1984…

Nos classes ressemblent à des rassemblements de clandestins sous quelque dictature…Nous sommes les disciples de la dernière chance, les résistants, nous sommes la mémoire d’un grand peuple qui, autrefois, existait : les élèves qui faisaient de l’allemand, les germanistes. Souvenez-vous : de cette époque où l’allemand était enseigné dès la sixième, et où les germanistes rayonnaient de leur réputation de « bons élèves »…De ces trente glorieuses des jumelages, de ces images d’archives d’Adenauer et du Général applaudis à Reims ou à Berlin, de votre petite « corres » si blonde et si délurée…

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Oui, hier, en voyant la valse de nos dirigeants, je n’ai pu m’empêcher d’y lire un symbole…

Pourtant, non, nos cours ne sont pas soporifiques comme un discours de notre ex Premier Ministre ! Je vous assure, les méthodes ont évolué depuis Rolf et Gisela, nous aussi, nous utilisons autre chose que des magnétos à bande, et nous savons même naviguer sur l’ENT ! Non, non et non, nous ne parlons pas des heures sur un ton monocorde, au contraire, nous faisons faire des activités aussi variées que celles de nos collègues d’espagnol, même si, c’est vrai, nos manuels –les livres, hein, pas Valls (elle était fastoche)- parlent de façon un peu répétitive de la chute du Mur, des immigrés de Berlin et des discours du Moustachu…

Pourtant, non, nous ne faisons pas aux élèves et à leurs parents des promesses que nous ne tiendrons pas, comme un certain ex prof d’allemand sus cité…Quand même des orthophonistes recommandent l’apprentissage de la langue de Goethe aux élèves en difficulté –pour l’ordre de la syntaxe, pour la logique de la langue…-, quand toutes les grandes entreprises et même PME recrutent à tout va des candidats germanistes, quand il suffit à un étudiant de franchir la ligne Maginot des préjugés, et surtout le Rhin, pour d’un claquement de doigts décrocher un CDI en terre teutonne, c’est du solide, et pas de la promesse électorale !

http://www.connexion-emploi.com/fr/offers

Mais bien sûr, l’Espagne attire le chaland, elle claque des doigts comme une danseuse de flamenco, et quand on voit notre nouveau Premier Ministre –que je salue respectueusement, et dont j’ai réellement apprécié le magnifique discours de tolérance et d’humanisme qu’il nous a tenu récemment dans la Ville Rose, lorsque j’ai eu la chance d’être conviée au dîner du CRIF organisé peu de temps avant la commémoration des meurtres de la Bête…-, on ne peut s’empêcher d’admirer son dynamisme…Oui, cet homme né de l’autre côté des Pyrénées a le sang bouillant des Ibères, oui, il va, je n’en doute pas un instant, mener sa barque avec une autre poigne, oui, il va se jeter dans l’arène, et c’est bien l’Espagne qui pointe un peu sa corne à Matignon, comme le chantait notre Claude.

Faisons amende honorable et reconnaissons à nos collègues hispanisants que leurs cours peuvent, de la même façon, attirer nos élèves. Mais je voudrais ce jour rétablir la vérité : nos cours d’allemand peuvent être aussi gouleyants qu’une chanson gitane, aussi intéressants qu’un voyage en Argentine, aussi riches de sens qu’une expo de Dali ! Nous avons les Prinzen, et puis les îles de la Baltique, les Alpes, et Berlin !!! L’allemand reste aussi la deuxième langue du marché international et d’internet…

Françaises, Français, ne jetez pas l’ancien Premier Ministre avec l’eau du Rhin !

Élève, si t’es malin, viens à Berlin ! Car comme le dit une affiche : Allemagnifique !

PS : Manuel, te quiero !

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/tourisme-allemagne_b_3168676.html

L’autre côté de moi

L’autre côté de moi

 

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Je n’ai aucune réelle légitimité pour évoquer le 19 mars 2012 et les autres meurtres commis par Mohamed Merah.

Je ne suis pas juive, je ne suis pas militaire, je n’ai pas été touchée par l’antisémitisme. Ou, en fait, si, mais à contrario : parce que je suis, par ma mère, d’origine allemande. Parce que je sais que si mes grands-parents n’ont pas eu la carte du parti, mon grand-père était cependant soldat de la Wehrmacht ; il a fait le Front de l’Est, est resté des mois prisonnier.

C’est lui qui, un jour, m’a mis le roman « Exodus » entre les mains, sans un mot. J’avais 13 ans, je lisais à peine l’allemand, et pourtant j’ai lu, et compris. La même année, j’avais lu le Journal d’Anne, et, là aussi, ouvert les yeux. Mon pays adoré, ma deuxième patrie, mon Allemagne des contes de Grimm, des longues promenades le long du Rhin, de mes grands-parents chéris, avait donc aussi été le pays de l’Indicible.

L’autre côté de moi

L’autre côté de moi sur la rive rhénane. Mes étés ont aussi des couleurs de houblon.

Immensité d’un ciel changeant, exotique rhubarbe. Mon Allemagne, le Brunnen du grand parc, pain noir du bonheur.

Plus tard, les charniers.

Il me tend « Exodus » et mille étoiles jaunes. L’homme de ma vie fait de moi la diseuse.

Lettres du front de l’est de mon grand-père, et l’odeur de gazon coupé.

Mon Allemagne, entre chevreuils et cendres.

 Bien sûr, les Allemands ont souffert : ma mère encore ne peut entendre un avion sans frémir, et je sais que la blondinette de 4 ans a eu peur, faim, froid.

Mais quelque part, je suis la seule de ma famille à, en quelque sorte, « porter la Shoah ». La Shoah par balles de mon grand-père, que personne n’a jamais encore osé évoquer avec moi. Et surtout la Shoah tout court.

Alors depuis mon adolescence, je cherche, je regarde, je réfléchis…Ces amis chez lesquels j’avais été jeune fille au pair, qui, chaque année, partaient dans un kibboutz pour « racheter la Faute », m’avaient donné des livres sur le judaïsme…Et puis un jour j’ai trébuché sur Rose Ausländer, « ma » poétesse juive de la Shoah, et, bien tard, à 44 ans, je lui ai consacré un mémoire de DEA…J’ai même, un temps, flirté avec une idée de conversion…

Les miens se moquaient de moi : « Mais qu’est-ce-que tu as encore, avec tes juifs ? » Pourtant, oui, il y a cette étrange proximité, et puis mes larmes d’enfants lorsque j’entendais du Chopin ou des valses tziganes, et puis mon profond dégoût à mélanger par exemple du fromage et du poisson…

Mais au-delà de l’anecdote, je me suis juré de témoigner. De dire, toujours. Ainsi je parle de la Shoah lors de mes cours, bien entendu, lorsque je fais mon métier de prof…d’allemand. Même quand on m’envoie en terre d’Islam, dans les Quartiers où les élèves ricanent au seul nom de « juif », dans ces classes où, une année, j’ai été obligée de faire noter dans le carnet de correspondance :

« Je ne prononcerai plus le nom du Führer en cours sans y avoir été invité », tant les élèves adoraient parler d’Hitler et du gazage des juifs…

Alors en ce beau matin de mars 2012, quand un élève, dans mon lycée de campagne, a reçu un sms de son père policier à l’interclasse, un sms qui lui parlait du massacre à l’école juive de Toulouse, j’ai immédiatement écrit, à la récréation, une phrase sur le tableau d’affichage devant la salle des profs; au feutre, j’ai noté simplement :

« Premier attentat antisémite en France depuis la rue des Rosiers. »

Et j’ai dessiné une petite étoile juive.

Puis je suis retournée en salle des profs. Moi, je tremblais. Entre temps, j’avais allumé l’ordinateur. J’avais lu les dépêches, les récits des faits.

J’avais lu qu’un homme fou avait abattu de sang-froid un père et ses deux enfants, dont j’apprendrais plus tard qu’il s’agissait du jeune Jonathan Sandler et de ses petits Gabriel, 4 ans, et Arieh, 5 ans, devant l’école Ozar Hatorah de ma ville rose, à quelques kilomètres de la bourgade où j’enseignais. J’avais lu que cet homme ensuite avait pénétré dans l’enceinte de l’école et blessé d’autres personnes, et surtout qu’il avait tiré une balle dans la tête de la petite fille qu’il tenait par les cheveux. Plus tard, on me dira qu’elle s’appelait Myriam Monsonegro, qu’elle avait 7 ans et était la fille du directeur de l’école : ce dernier avait vu mourir sa fille.

En ce matin du 19 mars 2012, vers 10 h, je tremblais. Parce que déjà j’avais lu certains détails, et parce qu’il me semblait intolérable qu’un tel attentat se produise, en France, si longtemps après la Shoah. Après la Shoah.

Dans la salle des profs qui bruissait et papotait, les conversations, certes, s’étaient quelques minutes orientées vers la nouvelle de l’attentat, mais, bien vite, le quotidien avait repris le dessus ; on parlait des devoirs surveillés, du bac blanc, de telle classe à problèmes…Je me souviens du rire presque hystérique de cette collègue, qui déchirait l’espace et me vrillait indécemment ce décalage dans les oreilles.

En passant pour remonter en cours, un collègue, posté devant le tableau blanc portant mon inscription, m’interpella :

–         C’est toi qui as écrit ça ? Mais c’est n’importe quoi ! Comment affirmes-tu qu’il s’agit d’un attentat antisémite ? Tu te bases sur quoi ?

Interloquée, je le regardai, sans comprendre. Je lui répétai alors ce que j’avais lu et entendu, je lui parlais du nom de ce lycée juif, et de la balle tirée à bout portant dans la tête de Myriam.

Il souriait, ricanait presque. Il me répéta que cette action pouvait aussi être celle d’un déséquilibré, ce ne serait pas la première fois. Il monta en cours, presque guilleret. J’avais envie de vomir.

Mon inscription a disparu très vite. Quelques jours plus tard, « on » m’a convoquée, « on » m’a expliqué que mes activités d’écriture avaient déjà été « repérées » par « les autorités », et puis la loi sur la laïcité, et qu’est-ce-que c’était que ce dessin d’étoile juive, mais je me croyais où ? Entre temps, j’avais en effet écrit sur le Huffington Post ma « Lettre à Myriam », qui avait fait le tour du monde, qui avait été reprise sur d’autres blogs, mais…le fait que j’y évoque mon métier, et l’autre établissement où j’enseignais cette année-là, avait dérangé…

http://www.huffingtonpost.fr/sabine-aussenac/myriam_1_b_1371928.html?just_reloaded=1

« On » me parla du « devoir de réserve », qui, j’ai vérifié, n’existe pas pour les enseignants. Et puis durant quelques jours, alors même que Toulouse pleurait, organisait des Marches Blanches, alors même que la terre d’Israël accueillait les victimes, alors même que Éva Sandler, la veuve et maman des petites victimes, impressionnait la terre entière par sa dignité, alors même qu’une autre maman extrêmement courageuse commençait son combat pour la mémoire de son fils assassiné, son combat pour la paix et la fraternité qui lui a valu encore récemment de recevoir un prix à Toulouse, lors du repas du CRIF, car je n’oublie pas ici la mémoire des soldats tués à Montauban et Toulouse, Abel Chennouf, Mohamed Negouad et Imad Ibn Ziaten, moi, je tremblais à nouveau, mais de peur :

Car « on » m’avait parlé de représailles administratives, « on » m’avait mise en garde, « on » m’avait expliqué que certaines choses n’étaient pas bonnes à dire, que je devais tenir ma langue, mon rang, au lieu de tenir tête…

Je me souviens de mes mails à des amis en Israël, de quelques contacts avec des avocats…

C’est si loin…C’est si dérisoire, aussi. J’ai presque honte de m’être inquiétée, quand les parents des victimes pleuraient encore leurs morts, quand les balles des forces de l’ordre eurent raison de la Bête.

Je pensais que la France serait forte. Je pensais sincèrement que cet acte odieux serait le dernier, que jamais, plus jamais de telles abjections se produiraient.

Mais j’étais naïve. Car depuis, dans cette même ville rose, il y a quelques semaines, des quolibets et des insultes ont empêché la délégation juive de manifester après que des tags antisémites aient souillé notre brique rose. Car depuis, dans tout l’hexagone, un prétendu humoriste à la solde de l’Iran et des néonazis a libéré la parole en reprenant le salut hitlérien sous la forme de cette ridicule quenelle.

Je ne suis pas juive. Je ne suis pas militaire.

Je n’ai pas été victime de Mohamed Merah.

À Toulouse, le printemps est là, les forsythias ensoleillent les jardins, nous guettons presque les onyx des hirondelles qui bientôt reviendront. J’entends quelque part les voix de ceux qui me soufflent « Mais qu’est-ce-que tu fais encore avec tes histoires de juifs ? Reste tranquille, fais ton travail, c’est tout…Qui es-tu, pour prétendre t’exprimer sur ces sujets-là ? »

Rien. Je ne suis rien, je ne suis personne.

Simplement une prof d’allemand en deuil de la démocratie.

Damit kein Licht uns liebe

Sie kamen

mit scharfen Fahnen und Pistolen

schossen alle Sterne und den Mond ab

damit kein Licht uns bliebe

damit kein Licht uns liebe

 

Da begruben wir die Sonne

Es war eine unendliche Sonnenfinsternis

Pour qu’aucune lumière ne nous aime

Ils sont venus

portant drapeaux acérés et pistolets

ont abattu toutes les étoiles et la lune

pour qu’aucune lumière ne nous reste

pour qu’aucune lumière ne nous aime

 

Alors nous avons enterré le soleil

Ce fut une éclipse sans fin

 

(in Blinder Sommer / Été aveugle)

Rose Ausländer

http://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/document_rose-auslander-une-poetesse-juive-en-sursis-d-esperance

 

 

 

The piano

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Dédié aux révolutionnaires d’Ukraine…Dedicated to the free Ukraine!

(Ludovico Einaudi, joué devant les manifestants!)

https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=GGaQ5BDNouM

The piano

http://www.youtube.com/watch?v=2X5EQZHCiIk

Plage, ressac, galets.

Il est posé, roche d’onyx.

 

Fragile esquif, Napoléon à Sainte-Hélène.

Les eaux montantes lui lèchent presque l’antre.

Oiseau de feu, il va se faire ode à la joie.

Nocturne, un prélude tressaille

Et la foule, béance en extase, se tait.

 

La mer se retire sur la pointe des vagues,

Les notes nagent en surface, plongent telles dauphins

Tirant enfants autistes, et l’enfant comprend, l’enfant écoute, l’enfant sourit.

 

Tel coquillage à l’oreille, le piano

Souffle chofar sons de désert et apothéoses.

La mer s’ouvre, passage et buisson ardent,

Bach allume les étoiles du ciel méditerran.

 

Au festival inachevé, des âmes passent.

Piano inopportun, sable concertiste.

Sous les portées la plage.

**

Liberté, je joue ton nom

L’air d’été bruissait de lumière. Des notes cristallines s’élevaient depuis le vantail de la petite chapelle de pierres blanches humblement dressée au milieu de ce pré tourangeau. Les Variations Goldberg de Bach semblaient se fondre au ciel d’azur et aux parfums estivaux. Les spectateurs, bien trop nombreux pour la modeste nef, couchés dans l’herbe, fermaient les yeux, bercés par la musique des anges.

Dans la douce pénombre, accueillie et protégée par les solides murs de pierre, la jeune pianiste jouait, les yeux fermés, cette partition qui l’avait à la fois hantée et soutenue de si longues années. Les images d’un autre temps se bousculaient dans sa tête. C’était la première fois qu’un public, à nouveau, l’entendait jouer. Elle devait se souvenir, une dernière fois, pour ne jamais oublier ceux qui n’étaient pas revenus. Elle jouait pour eux, et aussi pour l’insouciante petite fille qu’elle avait été, dont les yeux graves et le cœur pur avait rencontré, dans son pays du soleil levant, cette musique baroque qui s’était faite arc-en-ciel, alliance entre l’occident et l’orient, pont culturel, avant d’être brisée par les diktats insensés du Grand Timonier…

Des heures. Des jours. Des nuits. Des siècles. Au début de sa détention dans les geôles politiques chinoises, Zhu Xia Mei était arrivée à conserver une notion du temps, grâce au rapide de  Shanghai qu’elle entendait siffler chaque soir, mais depuis son transfert dans ce qu’elle supposait être les confins de la Mongolie, elle avait perdu même ce dernier repère. Elle gisait, ce matin là, au milieu d’une mare de sang. Elle était à présent bien loin du pays de l’ici bas. Sa sœur de cœur avait été tuée là, sous ses yeux, dans une infinie cruauté, et Mei entendait encore les affres de ses hurlements et les suppliques adressées à leurs tortionnaires. Elle n’avait plus qu’une envie : partir, mourir, elle aussi, fuir cette épouvante sans nom, les coups, les humiliations, cette déshumanisation qui avait fait d’elle, la jeune pianiste de renom, la belle jeune fille cultivée et lettrée, l’insouciante amoureuse des vents et des rêves, une bête apeurée, terrifiée, un squelette sans nom ni visage, qui, dans ses rares moments de lucidité, elle le savait, ressemblait à ces poètes juifs assassinés, à ces êtres englués dans la nuit et le brouillard, dont son professeur d’histoire française lui avait si bien expliqué l’atroce destin. Eluard lui revint soudain en mémoire.

« L’idée qu’il existait encore

Lui brûlait le sang aux poignets »

C’est ce que dit le condamné à mort dans « Avis »

Et Mei se récita intérieurement ce poème, les yeux mi clos. Elle se souvint du vers suivant,

«C’est tout au fond de cette horreur

Qu’il a commencé à sourire… »

Mei n’était plus dans sa geôle sordide. Elle n’entendait plus les chaînes des forçats, les gémissements des accouchées à qui l’on avait arraché leurs nouveaux nés, les rires gras et les insultes des gardiens si fiers de leurs humiliations. Mei était à nouveau cette petite écolière aux nattes sages, si pleine d’espérances et d’envies, qui ne vivait que pour la musique et la poésie. Mei était à nouveau cette adolescente passionnée de baroque et de littérature française, la plus brillante de sa promotion, toute entière bercée par la beauté du monde. A quatorze ans, elle avait fait la connaissance de Johann Gottlieb Goldberg, ce jeune prodige du clavecin qui avait enchanté le grand Kantor de Leipzig en jouant ses divines arias. Mei et Gottlieb avaient le même âge, et les quelques siècles qui les séparaient n’avaient guère d’importance. Leurs deux prénoms signifiaient « bénis des Dieux », et la jeune pianiste faisait l’admiration de publics immenses en interprétant ces Variations Goldberg qui, pour un soir, reliaient la Grande Muraille au Rhin. On l’avait surnommée la « Lorelei chinoise », elle, la petite nixe du Yang Tsé, et c’est justement cette sublime alchimie entre l’âme et la culture qui avait provoqué la hargne des dirigeants à son encontre.

Elle se redresse, relève la tête, et, elle aussi, du fond de son horreur, commence à sourire. Non, elle ne mourrait pas. Elle sortirait de ce camp, de cette pénombre pestilentielle, elle témoignerait de ces abjections. Et, surtout, elle jouerait à nouveau. Il lui semble entendre toutes ces voix chères qui s’étaient tues depuis longtemps, comme dans un rêve familier. Sa maman qui lui chantait des comptines au-dessus de son berceau de jonc tressé ; les psalmodies des bonzes qui murmuraient d’apaisantes litanies dans la douceur des encens ; son vieux professeur de piano, Monsieur Tran, dont la rigueur lui avait ouvert les libertés infinies de la création.

Elle n’est plus dans ce camp de Mongolie, elle n’est plus prisonnière de la folie des hommes. En un instant, elle abroge elle-même sa peine, elle brise ses chaînes et s’évade. Elle décide d’un soleil resplendissant et d’étoiles multicolores, elle se fait démiurge, et rejoint son camarade à quatre mains, bien loin des folies communautaires et des chasses aux sorcières contre l’esprit. Zhu Xia Mei décide de vivre, et, surtout, de jouer de la musique, et, ce faisant, de parcourir le monde comme si elle en était particule élémentaire et non plus privée.

Elle joue. Des heures. Des jours. Des nuits. Des siècles. Sonates, arias, concertos, cantates, elle se fait femme-orchestre, symphonie d’un nouveau monde, libérant les notes de leur gangue de mort, explorant l’infini. Ses doigts martèlent la terre nue de son cachot, la pierre rêche des murs, l’argile sèche des briques qu’elle devait transporter. La nixe du Yang Tsé façonne les notes de sa poigne de fée, indifférente aux aboiements des gardiens, aux privations, aux abjections.

Et ce sont les Variations Goldberg qui l’aident à survivre, à relever l’âme, à garder le cœur haut et l’espérance folle. Lorsqu’elle joue les douces arias du vieux Jean Sébastien, elle n’est plus au fond de son enfer, mais elle vogue au-delà du Rhin, au-dessus des sombres forêts de sapins de Thuringe. Du pays des musiciens et des philosophes, qui avait engendré l’horreur, elle ne garde que la beauté, elle devient gardienne de l’âme allemande, doublement rebelle face à tous les fascismes de l’humanité, elle devient ambassadrice d’une paix qui ne peut qu’aboutir. Elle parcourt  toujours et encore les méandres de sa mémoire, révélant chaque variation à son souvenir, aiguisant les silences, fuselant les béances. Du néant surgit un être de lumière. Zhu xia Mei, petit papillon aveugle, se cogne à toutes les vitres de son ciel plombé, mais résiste, et répète, inlassablement, cette musique muette. Ces Variations qui n’étaient, au départ, que douce récréation pour un musicien presque fatigué, elle en fait une re-création, une genèse, elle en renaît, intacte, purifiée, libérée.

**

Les dernières notes s’estompaient dans l’azur tourangeau, tournoyant dans le ciel comme des hirondelles ivres de printemps. Le public, fasciné, se relevait, étourdi, ébloui d’infini. La jeune femme apparut dans le vantail de la chapelle, telle une jeune mariée, portée par l’amour et le rêve, par son amour pour la musique et par cette foi inéluctable dans la beauté du monde. Elle salua son public et s’inclina cérémonieusement devant lui, avant de laisser éclater son bonheur simple. « Que ma joie demeure… », écrivait Jean Sébastien.

 

Sabine Aussenac