« …le portail gauchi des étés oubliés » : à propos du Grand Concours de poésie de Hildesheim 2014

« …le portail gauchi des étés oubliés » : à propos du Grand Concours de poésie de Hildesheim 2014

 http://lyrik-bestenliste.de/sites/wettbewerb.htm

Imaginez toute une ville réunie autour de la poésie, d’un évêché, et d’un projet.

Peu probable en notre république laïque, férue de sa sacro-sainte séparation de l’Église et de l’État, très occupée actuellement à régenter les voiles et autres cantines hallal, et toujours prête à d’interminables querelles…de clochers.

Chez nos voisins d’outre-Rhin, tout est différent. Et c’est bien en partenariat avec l’évêché de la ville de Hildesheim, non loin de Hanovre, que c’est concrétisé le quatrième concours de poésie de la ville, le Hildesheimer Lyrik-Wettbewerb 2014, qui a réuni 1200 participants du monde entier, puisque les auteurs ont écrit, en allemand, depuis les USA, le Brésil, la Hongrie…, dont le plus jeune a 6 ans, et le doyen 88 !

Il suffisait de s’inscrire sur un forum et de poster un texte, et ce ne sont pas moins de 80 000 « clics » qui ont fait de cette manifestation un véritable portail de la poésie, en démontrant une fois de plus l’actualité, la modernité et la nécessité.

Certes, ici, nous avons le Printemps des Poètes. Mais avouons qu’en dehors de ces manifestations pré-estivales ponctuelles, qui plus est noyautées par un gouvernement central poétique aux lois d’airain (j’en suis par exemple exclue, le président, Monsieur Siméon, m’ayant écrit que ma poésie était « démodée, peu adaptée aux exigences actuelles… ») la poésie se terre dans ses petits souliers, réservée soit à des élites lisant des poètes morts publiés par de grandes maisons, soit à de poussiéreux concours rétribuant leurs lauréats en « médailles », alors que le peuple, pourtant, réclame à hauts cris, en plus du pain et du cirque, des vers ! Car en France aussi, les forums de poésie font florès, on s’y bouscule, s’y rencontre, s’y exprime, et ce hélas dans le plus grand silence médiatique et éditorial…

C’est pourquoi il me paraît important d’exposer cette belle initiative, qui a su mettre en avant la vitalité de la poésie, en acceptant sur ce forum d’expression toutes les formes, ne clivant pas ce concours en « forme classique » et autres « vers libres », donnant simplement, cette année encore, un thème de réflexion, qui était : « Was mir heilig ist », « Ce qui pour moi est sacré ». L’affiche du concours dénotait elle aussi d’une belle modernité, avec cette croix recouverte d’un billet de 50 euros et les mots « hab und sein » (avoir et être), tandis que se bousculaient pêle-mêle des photos du Dalaï Lama, de Jimmy Hendrix, d’un ballon de foot et…d’un postérieur féminin bien encadré par un mini short !

lyrikwettbewerb_titel

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Car la poésie, c’est aussi le vivant. On écrit et on lit de la poésie depuis que le monde est monde, et rien n’est plus triste que notre époque qui l’a reléguée à cette place de sous-fifre littéraire, et que notre pays dont les ministres de l’éducation ont privé des enfants de « récitation » et dont les éditeurs ont privé les lecteurs de vers !

À Hildesheim, toute une ville a mis la main à la pâte. Les sponsors se sont bousculés, des mécènes privés aux différentes institutions, de la Sparkasse au Landkreis, et la brochure rassemblant les poètes lauréats est à présent distribuée gratuitement dans le réseau de bus, où circulent quotidiennement 50 000 passagers, tout en s’affichant dans les rues de la ville. La page web www.lyrik-bestenliste.de permet aussi de lire les poèmes primés par le jury et les 99 poèmes choisis par les lecteurs. Car que seraient la vie et le quotidien sans la poésie ?

« Les choses essentielles de la vie demeureraient imperceptibles- indicibles, s’il n’y avait pas la littérature, la poésie. Les poèmes peuvent consoler er adoucir, éveiller et donner courage. Un poème ne pose pas de frontières, ne vous coupe pas des autres, au contraire, il élargit l’horizon et ouvre une fenêtre vers un autre monde. », dit ainsi Jo Köhler, responsable du Vorstand des Forum-Literaturbüro.

(„Die wesentlichen Dinge des Lebens sind unfassbar- unsagbar, gäbe es nicht die Literatur, die Poesie. Gedichte können trösten und besänftigen, aufrütteln und Mut machen. Ein Gedicht tröstet nicht aus und ab, sondern weitet den Horizont und öffnet ein Fenster in eine andere Welt.“)

Vous retrouverez les membres du jury sur le site internet dédié, et je voudrais simplement traduire quelques vers parmi les poèmes retenus…Il n’est pas facile de traduire la poésie, je m’emploie donc modestement, tentant de mêler ma propre sensibilité poétique et mon bilinguisme. Je suis cependant persuadée que la poésie est aussi universelle que l’art, et qu’une langue étrangère peut émouvoir. Ainsi, hier soir, mon fils m’a fait découvrir un groupe de musique islandaise, et j’ai été bouleversée par la musicalité de ces paroles qui pourtant m’étaient totalement étrangères…

https://www.youtube.com/watch?v=eS3XtJUSJTs

Voici donc en miscellanées de vers quelques extraits poétiques du concours de Hildesheim.

La double gagnante, porteuse du Grand Prix et aussi lauréate du vote des internautes, est Angelika Seithe, 69 ans, auteure et psychothérapeute de Wettenberg, Allemagne. Elle nous dit que l’écriture poétique fait partie de sa vie, « en tant que joie de la création, moyen de sublimation et source de jugement de valeurs »…

 Le voile du soleil

 

Des cabanes de mots nous habitons

attendant derrière la plage

Avant le coucher du soleil nous allons pêcher

jetons le filet

en espérance de pêche miraculeuse

de phrases d’argent mouvantes et miroitantes

 

Ne rapportant que le voile

du soleil dans la barque

 

Assez pour la journée

 

( Den Schleier der Sonne

 

In Worthütten wohnen wir

hocken hinter den Strand

Vor Sonnenaufgang gehen wir fischen

werfen das Netz

hoffen auf Schwärme

auf Sätze beweglichen Silbers

 

Ziehen nichts als den Schleier der

Sonne ins Boot

 

Genug für den Tag )

http://www.angelica-seithe.de/joomla/

Ma préférence personnelle va je crois au texte de Dagmar Scherf, 72 ans, de Friedrichsdorf, en Allemagne. Elle nous apprend que la poésie est « son axe de vie. Expression et approfondissement de son être au monde »

 

Un été en Franconie

 

Voilà les jours parfaits-

 

Quand derrière le soleil de juillet

dort le grand dragon,

quand la pierre et la terre se fendillent,

perceptibles,

à portée de main,

comme une peau familière.

 

Quand les buissons de sureau,

qui en hiver nous fixaient de leur désespérance,

comme si l’été était mort à jamais,

quand les buissons de sureau

fièrement tendent leurs verts éclatants

par-dessus des éboulis de murs empierrés,

en silence, vers le soleil.

 

Parfois s’ouvre alors

en grinçant doucement

le portail gauchi des étés oubliés.

Un enfant est debout derrière la grille,

dans la poche du tablier l’odeur entêtante

d’une fleur de sureau

et des grumeaux de terre entre les orteils.

 

Le grand dragon cligne des yeux vers la lumière,

étend sa peau craquelée

et s’assoupit à nouveau.

 

Voilà les jours parfaits-

 

(Fränkischer Sommer

 

Das sind die wunschlosen Tage-

 

Wenn unter der Julisonne

das Drachentier schläft,

wenn Stein und Erde rissig werden,

fühlbar,

greifbar,

wie eine vertraute Haut.

 

Wenn die Holunderbüsche,

die winters so trostlos starrten,

als käme kein Sommer mehr,

wenn die Holunderbüsche

ihr strotzendes Grün

über bröckelnde Mauern hinweg

still in die Sonne halten.

 

Manchmal öffnet sich dann

leise knarrend

das schiefe Hoftor vergessener Sommer.

Ein Kind steht am Zaun,

in der Schürzentasche den starken Geruch

einer Holunderblüte

und Erdkrummen zwischen den Zehen.

 

Das Drachentier blinzelt ins Licht,

dehnt die rissige Haut

und schläft wieder ein.

 

Das sind die wunschlosen Tage-)

http://www.dagmar-scherf.de/index.php?page=veroeffentlichungen

 

Me touchent aussi beaucoup les „Augenblicke“ (les « Instants ») de Michael Starcke, 64 ans, de Bochum, en Allemagne, qui a reçu quelques prix littéraires et a autoédité ses textes. Ils me rappellent les « Instanti » de Borges…https://schabrieres.wordpress.com/2008/11/20/jorge-luis-borges-instants/

Instants

 

Parmi tout

ce que je rencontre,

ce sont toujours seulement les

instants

qui sont pour moi sacrés.

 

celui lors duquel mon père

rompit son silence

après un passage de frontière,

pays collinaire et touffeur de l’après-midi,

regards méprisants.

 

celui qui décida

du moment de la rencontre avec

mon premier amour,

malade de passion,

en désir de mourir,

libre de toute contrainte.

 

ce moment où la fièvre monte

et cette certitude qu’il n’y aurait

qu’un chemin

pour se trouver,

la douleur,

le soleil du soir,

ma parole mise en gage.

 

ce sont toujours seulement les instants,

qui pour moi sont sacrés,

l’annonce de la paix

en quelque lointain que ce soit,

la beauté d’une Blanche-Neige,

l’amour pour une femme

qui ne s’intéresse pas

à moi.

 

ce matin le champ de maïs

en lisière de la ville.

j’ai vu le vent se perdre en lui,

mais n’entendais aucun bruissement.

 

( augenblicke

 

von allem,

was mir begegnet,

sind es immer nur

augenblicke,

die mir heilig sind.

 

der, als mein vater

sein schweigen brach

nach einem grenzübertritt,

hügelland im nachmittagsdunst,

verächtliche blicke.

 

der, der entschied,

wie ich der ersten

liebe begegnet bin,

krank vor sehnsucht,

mit der absicht zu sterben,

keinem zwang unterworfen.

 

der, wenn das fieber steigt

und die einsicht,

es gebe nur einen Weg,

um sich zu finden,

den schmerz,

die abendsonne,

mein verpfändetes wort.

 

Immer sind es nur augenblicke,

die mir heilig sind,

eine meldung vom frieden

in welcher ferne auch immer,

schneewittchenschönheit,

die liebe einer frau,

die sich nicht

für mich interessiert.

 

heute morgen das maisfeld

am rande der stadt.

ich sah, dass

der wind sich in ihm verfing.

aber hörte kein rascheln.)

http://www.michael-starcke.de/

Je prendrai peut-être le temps de traduire d’autres poèmes, et de citer plus longuement les autres auteurs. Car je ne veux pas oublier Ingeborg Brenne-Markner, Uwe Müller, Raphaela Gentemann, Maja Loewe, Anna Diouf, Christa Issinger, Flora von Bistram, ni Lara Mensen, la benjamine, ni Marlene Wieland, la doyenne des lauréats, avec ses 81 printemps !

Je vous laisse aussi le soin d’aller flâner sur le site et de lire des poèmes… http://lyrikwettbewerb.forumieren.de/f13-gedichte-2014-zur-abstimmung-durch-autor_innen

Le mot de la fin sera celui de l’Évêque de Hildesheim, Monseigneur Norbert Trelle, qui cite Peter Handke :

« Mais  nous- oui, nous- ne renoncerons pas à cela : à la poésie, cette trouée vers le Divin. »

http://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/prix-de-poesie-de-hildesheim-2014

http://www.sabineaussenac.com/cv/portfolios/ein-aprikosensommer-prix-de-hildesheim-2014

Un été d’abricots attend devant la porte

 

 

 

Une hirondelle aux douceurs de lavande attend ciel neuf.

 

L’arc-en-ciel fait claquer ses couleurs à travers le désert, une pluie de chants nouveaux abreuve la terre.

 

Jouer à colin-maillard dans le désastre des bonheurs perdus: viens, et trouve mes soleils.

 

Rouillé, l’air de notre amour étouffe devant la grille de la vie. Je le peins de couleurs bariolées, jusqu’à la résurrection.

 

J’entends ton coeur en larmes et te brode en tendresse angélique de nouvelles ailes pour la vie. Crois-moi: tu apprendras à voler.

 

Un été d’abricots attend devant la porte. Oh, comme le jour est juteux, et la nuit sucrée!

 

Chercher des étoiles en pays de déserts, et y trouver de l’eau. La source miroitante a un goût d’infinis, notre peur disparaît à la vitesse d’une comète.

 

 

(Ein Aprikosensommer wartet vor der Tür

 

Lavendelsanft wartet die Schwalbe auf einen neuen Himmel.

 

Der Regenbogen knallt seine Farben durch die Wüsten, es regnen neue Lieder auf die Erde.

 

Blinde Kuh spielen im Desaster der verlorenen Wonnen; komm und finde meine Sonnen.

 

Verrostet erstickt unsere Liebesluft am Gitter des Lebens. Ich male sie kunterbunt, bis zur Auferstehung.

 

Ich höre dein weinendes Herz und sticke engelssanft dir neue Flügel fürs Leben. Glaube mir: Du wirst fliegen lernen.

 

Ein Aprikosensommer wartet vor der Tür. Oh wie saftig der Tag, wie süss die Nacht!

 

Im Wüstenland Sterne suchen, und dabei Wasser finden. Die blizende Quelle schmeckt himmlisch, kometenhaft verschwindet unsere Angst.)

http://lyrik-bestenliste.de/sites/links.htm

*** Bientôt Noël…:)

http://www.amazon.fr/Prends-Soin-Amour-Beaut%C3%A9-Monde/dp/1447629868/ref=la_B00K0ILDZS_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=1414416053&sr=1-4

http://www.thebookedition.com/fiat-lux-sabine-aussenac-p-116155.html

et mon blog de poésie allemande:

http://sabine-aussenac-dichtung.blogspot.fr/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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