Aline Korenbajzer, déportée et assassinée à Auschwitz-Birkenau, le 31 août 1942, le jour de ses 3 ans
Ne pas oublier
barbaries indicibles.
Garder la lumière.
忘れないで
言葉にならない野蛮人。
光を保ちなさい。
Wasurenaide
Kotoba ni naranai yaban hito.
Hikari o tamochi nasai.
Unsere irdischen Sterne
Brot Wort und
Umarmung
***
Nos étoiles terrestres
pain parole et
embrassement
Rose Ausländer
Ce sont les grands
marronniers qui lui manquent le plus. Elle se souvient de leurs fleurs
majestueuses piquant en corolles vers les pâquerettes, puis du vert flamboyant
de leur canopée, et enfin des dizaines de marrons polis et brillants qu’elle glissait,
émerveillée, dans ses poches.
Rachel l’amenait au parc
presque tous les soirs, malgré sa fatigue quand elle avait œuvré à la machine de
longues heures durant dans la pénombre de l’atelier de Monsieur Rosenstein.
Elle revenait toujours avec une part de roulé au pavot ou de strudel à la
cannelle, et Sarah sautillait ensuite à ses côtés en dégustant son goûter et en
racontant sa journée. Ces derniers temps, il se passait de drôles de choses, des
élèves disparaissaient, et la maîtresse, Mademoiselle Sylberberg, avait appris
aux enfants comment fuir par la porte arrière de la classe, au cas où, comme
elle disait…
Sarah et Rachel saluaient des dizaines de voisines, on parlait du temps, et on se demandait des nouvelles en chuchotant pour ne pas que les enfants entendent… En arrivant au Burggarten, Sarah commençait toujours par admirer la gracieuse statue de Mozart, en demandant à sa mère quand elle pourrait enfin avoir un violon pour jouer comme l’oncle David. Puis elle entraînait Rachel vers les imposantes serres qui se dressaient juste sous le musée de l’Albertina, immenses vaisseaux emplis de palmiers et de cactus comme un jardin de paradis.
Max Liebermann, « Die Gartenbank » (Le banc de jardin)
En cette heure vespérale, l’étrange lactescence des cieux viennois s’illuminait souvent d’un dernier bleu presque indigo, juste avant les éblouissements crépusculaires. Les merles s’interpelaient d’un arbre à l’autre, le gazon verdoyait en été et blanchissait en hiver, on poursuivait des cerceaux et, cachés par les douces frondaisons, on jouait ensemble, sans se préoccuper de qui portait l’étoile…
Sarah grelotte, malgré la
couverture pouilleuse jetée sur sa paillasse. Elle sourit néanmoins de toute
son âme lorsque Rachel titube vers elle et la soulève délicatement en lui
murmurant qu’elles vont enfin pouvoir aller prendre une douche. La jeune femme
se dirige vers l’extrémité du camp, ombre parmi les ombres, frissonnant dans la
bise qui au loin agite les grands bouleaux blancs, tandis que, perchées sur les
branches dénudés des hêtres, des corneilles croassent de l’autre côté des
barbelés.
Le soir est tombé, une
douce lumière céruléenne baigne leur enfer de bruit et de fureur et illumine
les fumées noires et âcres. Rachel chantonne une berceuse en yiddish, elle
répète à Sarah qu’elle l’aime jusqu’aux étoiles du ciel, qu’elle reviendront
bientôt courir dans les allées du Burggarten, qu’elle iront manger une glace
sur les bords du canal du Danube et qu’elles reverront l’oncle David, grand-père
Moshé et surtout papa, le beau Chaïm, qui est sûrement en train de construire
la maison de poupées que Sarah se souhaite pour Hanukkah.
La porte blindée s’ouvre sur un carrelage bleuté. Rachel embrasse sa fille et lui sourit, encore et toujours.