Émilie de Villeneuve et les ailes du futur

Émilie de Villeneuve et les ailes du futur

 41470215

Ma mamie aurait été ravie. Je suis certaine, d’ailleurs, qu’elle aurait pris place dans le bus qui a véhiculé soixante-dix Castrais vers la Place Saint-Pierre, à l’occasion de la canonisation, en ce 17 mai 2015, d’Émilie de Villeneuve ; certes, mamie fréquentait plutôt les sœurs du couvent du Saint-Sacrement, dont elle fut, après la mort de son époux, la voisine. C’est aussi auprès d’une certaine Sœur Agnès, de cette même congrégation, au dynamisme contagieux et au joli visage rond, que j’avais fait ma communion « privée », avec un retard de quelques années, à treize ans, tandis que mes parents se décidaient enfin à faire baptiser mon dernier petit frère, déjà âgé de trois ans…

Mais c’est bien à Notre-Dame de la Platé, au cœur de Castres, et auprès de sœurs de « L’Immaculée Conception », les « sœurs bleues », que ma grand-mère allait souvent prier…Elle m’amenait avec elle, déjà, lorsque j’étais enfant et en vacances au Pesquier, chaque dimanche. Nous laissions papi dans sa 4L blanche et retrouvions les parfums et gestes immuables, et mamie me donnait de belles images de Saints et de Saintes au liseré doré, que je devais ranger dans mon « Missel ». Le soir, c’est à genou sur le plancher de la petite chambre que je devais « dire mes prières », les mains jointes.

Tous ces rituels catholiques agaçaient profondément ma mère, qui, protestante luthérienne, avait d’autres habitudes : elle nous lisait une Bible pour enfants et nous apprenait qu’en Allemagne, au temple, on priait en croisant les doigts sur le dessus des mains. Tout ce tumulte au sujet des « prétendus » Saints l’horripilait, tout comme le culte marial auquel mamie était si attachée. Mon père, lui, ayant été lycéen au « Petit Séminaire », à Barral, nous expliquait avoir mis le religion « en conserve » et ne plus en avoir besoin…

Alors aujourd’hui, c’est à la foi du charbonnier de ma grand-mère que j’ai beaucoup pensé, à la foi de nos aïeux paysans, à leur vie presque rythmée encore par Vêpres et Mâtines, à ces éducations simples et bienveillantes chapeautées, certes, par l’œil impitoyable de la morale et de la religion, mais somme toutes éclairées, aussi, par la fabuleuse lumière des évangiles. Oh, elle n’était pas partout, cette religion catholique, elle n’était pas hors les murs sous forme de vêtements ostentatoires ou de prières de rue, mais en même temps elle régissait les cœurs et les âmes, en ces temps où, de l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, les journées s’écoulaient dans une France sur laquelle veillaient encore clochers et cathédrales…

C’est d’une de ces petites villes de province que Jeanne-Émilie de Villeneuve décida de créer une nouvelle congrégation, et c’est aussi à Castres qu’elle mourra du choléra, après une vie dédiée aux plus démunis et à l’évangélisation.

http://www.lasemainedecastres.fr/emilie-de-villeneuve-le-charisme-dune-sainte-sociale/

Quelle fierté pour notre ville que de pouvoir présenter cette nouvelle Sainte en terre vaticane, et quel bonheur d’être associée en cette journée à la canonisation de deux religieuses palestiniennes, les premières de l’époque moderne ! Le pape François a d’ailleurs fait remarquer que l’une d’elles, Mariam Bawardi, avait été «instrument de rencontre et de communion avec le monde musulman». Elle avait fondé à Bethléem le premier couvent carmélite de Palestine ;  quant à Marie-Alphonsine Ghattas, elle est à l’origine de la congrégation du Très Saint Rosaire de Jérusalem. Au risque de froisser mes amis juifs, dont certains refusent la reconnaissance de l’état palestinien, je me réjouis infiniment de cette journée qui aura vu le Saint-Père qualifier Mahmoud Abbas d’ «ange de paix » en insistant sur la nécessité du dialogue interreligieux…

Quelle différence avec l’ambiance de désolation qui régnait à Castres il y a quelques semaines, lors de la profanation de centaines de croix du cimetière, et avec le choc ressenti aujourd’hui par les habitants de Portet en découvrant leur église vandalisée…

http://www.ladepeche.fr/article/2015/05/17/2106149-indignation-apres-le-saccage-de-l-eglise.html

En cette journée où les folies de prétendus musulmans s’apprêtent à détruire l’antique cité de Palmyre et ses colonnades qui avaient pourtant résisté à tant d’invasions, au nom d’un Dieu dont ils scandent le nom en oubliant ses véritables préceptes, il m’a semblé une fois de plus que la seule réponse aux inepties de ces contempteurs d’idoles, nouveaux iconoclastes, était la force de la bienveillance. Une douce jeune fille tarnaise l’a démontré avec l’infinie volonté de sa foi, n’en déplaise à ceux qui ne croient pas au ciel, comme dit le poète, et je ne doute pas qu’elle faisait partie des lumières accueillant les jeunes filles chrétiennes assassinées à Garissa il y a quelques semaines…

http://www.refletsdutemps.fr/index.php/thematiques/actualite/politique/monde/item/ubi-et-orbi-a-garissa?category_id=10

La barbarie est à nos portes, chassant des milliers d’innocents sur des radeaux de la Méduse, décapitant, violant, brûlant, égorgeant, mais aujourd’hui comme il y a deux siècles des jeunes filles osent tenir tête à la maladie, à la mort et aux insanités des hommes, venant en aide aux malheureux, ne renonçant pas à leur foi, et cette lumière de la bonne intelligence fait de chaque être qui sait aimer « son prochain » un « Saint » du quotidien, un appelant à la béatification. Chaque enfant sauvé des flots de Mare nostrum devient miracle, chaque femme aidée après un viol se fait tabernacle, chaque accolade entre juifs, chrétiens, musulmans et athées a valeur d’éternité.

Aimons-nous les uns les autres, oui. Et laissons aussi à notre France son histoire, faite d’humbles vitraux de petites églises romanes et de splendides flèches de cathédrales ; laissons à notre pays son histoire, faite de gueux et de Grands, d’inquisitions et de Jacqueries, afin que les soubresauts médiévaux continuent à appeler les Lumières, et qu’en chaque commune de France on sache qu’autrefois, les registres de l’état civil étaient tenus par les curés.

N’en déplaise aux impies, il est toujours bon de savoir d’où l’on vient : cela éclaire le présent et assoie l’avenir, en racine fondatrice des ailes du futur.

 http://www.cicressources.net/la-fondatrice/

 

Je dédie ce petit texte à Annie et Antonin qui croyaient au ciel, et à mon amie Corinne, dont Paul, le papa, vient de nous quitter.

***

 

Celui qui croyait au ciel

 

Laurent-Nicolas a une peau de bébé.

 

C’est ce qui frappe, chez lui, de prime abord. Il y a aussi ce sourire, un sourire d’ange, doux et rêveur. C’est simple, croiser cet homme vous évite une visite à la cathédrale de Reims, puisqu’on se retrouve face à l’Ange au Sourire.

 

Et puis le regard, l’un de ces regards aux couleurs de vitrail. Il semblerait que toute la lumière du ciel passe par le prisme de cette bienveillance. Oui, le regard de Laurent-Nicolas est un regard d’amour absolu.

 

Frère Laurent-Nicolas est prieur dans l’une de ces communautés hyper tendance dont on parle même dans les médias…On est loin, certes, de la petite rediffusion de la messe à Saint-Antonin-les-oie-folles, et de ces presbytères où même les bonnes du curé se font rares, parfois seulement habités, un dimanche sur quatre, par quelque séminariste venu tout droit du Togo. (« Oh mon Dieu Madame Machin, vous avez vu le nouveau curé ? »)

 

Dans l’église über trendy de Frère Laurent-Nicolas, on est en ligne directe avec le siècle, presque à l’américaine, pas loin de l’eucharistie en ligne et de la CB qui absoudrait nos péchés…

 

Mais notre prieur, lui, ne semble pas entendre ces bruissements médiatiques ; il demeure un modèle de simplicité, un moine de l’ombre, un tâcheron des âmes. Il ressemble à ces anciens curés de village, simples et vaillants, honnêtes et protecteurs. Chez lui, on se plait à imaginer une église sans scandales pédophiles ni commerces d’indulgences, une église à mille lieues des fastes cardinaux et des perversions modernes…Lumineux comme un vitrail de Chartres, solide comme l’une de ces petites églises romanes d’Auvergne, bon et goûteux comme un miel d’abbaye, Frère Laurent-Nicolas joue les pères du désert tout en décryptant nos désirs.

 

Le cloître résonne de nos pas, et nous arpentons les allées en respirant le parfum des simples remis au goût du jour par quelque jardinier en robe de bure. Nous parlons un peu, de nos vies si différentes, de sa thèse, de mes enfants, de ses neveux. Je lui dis en souriant être sans aucun doute damnée, deux fois divorcée, et d’un pasteur, qui plus est. Il me regarde droit dans les yeux, prend ma main, et me murmure, sans affectation aucune, qu’il y aura toujours une place pour moi, dans la clairière de Notre-Seigneur…

 

Pourquoi, comment est-il si serein ? Il est censé porter tout le poids du monde sur ses épaules de semi-contemplatif, alors comment arrive-t-il à garder cette espérance, cette foi modestement triomphante et magistralement discrète, malgré toutes les barbaries du siècle ? Et ce, en toute quiétude, en portant non pas le drapeau tâché des compromissions inquisitrices et des luttes fratricides, mais simplement, habitées par la grâce des certitudes et par sa foi de charbonnier…

 

Il me propose de dire un Notre Père avec lui, et je repartirai, confiante, apaisée, ne sachant toujours pas où tourner de la tête entre la petite vierge de Lourdes toujours cachée dans mon sac, mon yoga devant un Buddha, mes convictions républicaines et mon désir de conversion au judaïsme, mais certaine que les confitures de l’abbaye et les chants grégoriens transformeraient n’importe quelle Marie-Madeleine en petite sœur du Christ.

 

Laurent-Nicolas n’est pas le Père Ralph, je ne suis pas Maggy, mais j’ai l’intime conviction, en refermant le lourd vantail au son de l’angélus, que ce nid-là m’accueillera toujours, malgré mes ailes mazoutées, que je vienne m’y cacher pour mourir, ou simplement m’y désaltérer.

 

« Ici, du monde vaste, nous retiendrons le nom de Paix. » Philippe Delaveau.

 

Retrouvez d’autres textes au sujet de la religion :

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2013/12/19/le-pere-et-le-desert/

http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2013/12/24/lorsque-lenfant-parait/

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s