
Les peupliers. Elle les voyait, immobiles et bruissant pourtant au vent, parsemées d’ors du couchant, leurs feuilles virevoltant à l’Autan. Fermant les yeux, elle imagina un instant d’autres soieries, celles qui dansaient, elles aussi, en chatoyances :
L’or et l’argent brodés ; le
chatoiement des soies ;
Dans l’air, cette dansante joie…
Elle ouvrit la croisée et inspira profondément l’air chargé des parfums du soir : au loin, les labours promettaient déjà la blondeur des épis ; des bois tout proches, elle distinguait ces rousseurs aux senteurs de l’automne. Dieu qu’il serait long, le temps des retrouvailles…Tant de mois la séparaient de lui, des regards de braise qu’il lui jetait dans la ganaderia, lorsqu’elle marchait aux côtés de son père en arpentant les enclos où les monstres sacrés s’ébattaient en liberté, sa robe un peu crottée toute frémissante des plaisirs de la terre taurine…
Sabine soupira, consciente soudain de la fragilité du temps, et de l’immense livre d’heure qui faisait de chaque journée un siècle ; Juan le lui avait dit, lors de leurs adieux, face à l’océan déchaîné, à la pointe du promontoire du Rocher de la Vierge:
Tu sais, ma princesse, je t’attendrai ; j’attendrai tes seize ans comme on attend une aube, et je porterai, ce jour-là, mon traje de luces comme pour fêter déjà nos noces ! Je t’épouserai, Sabinelita, je t’épouserai ici, dans l’église Sainte-Eugénie, pendant les Férias Andalouses, et puis tu verras, nous nous installerons dans la maison qui jouxte La Solitude…Tu les verras toujours, tes chers peupliers ! Tu écriras tes poèmes, et moi je gagnerai toutes les corridas, je serai ton roi ! Les mois à venir nous sembleront une arène vide, mais ne t’inquiète pas, la foule de mes sentiments est là, pressée dans nos gradins, et tu entendras mon cœur hurler au souvenir de nos baisers…
Car Sabine était bien jeune… Mademoiselle Sicaud, que son institutrice avait surnommée la petite poétesse de Gascogne, frôlait encore l’enfance, son beau visage de bergère pyrénéenne entouré d’une opulente chevelure auburn qu’elle coiffait à la diable l’été, courant sur la longue plage des Basques en appelant le vent… Ses yeux rêveurs, toujours à crier famine devant la beauté du monde, voulant tout dévorer, ne se résolvaient pas à en accepter les fêlures ; son écriture ronde faisait rebondir ses pleins et ses déliés comme autant de collines de sa douce terre gasconne, tandis que ses mots, depuis longtemps, résonnaient de très anciennes souffrances…
Anna de Noailles, sa marraine en écriture, la surnommait déesse, déesse de ce Verbe que depuis ses toutes jeunes années elle maniait comme on danse. La Comtesse de Noailles le lui avait écrit, en préfaçant l’un de ses recueils de poèmes :
« Elle raconte, et son chant qui danse ne craint pas les pirouettes de l’elfe. »

Et puis un seul regard avait suffi pour que son cœur d’enfant se mette à battre comme un vrai cœur de femme, au détour de la novillada de cette belle année 1927, au cœur des arènes de Bayonne, lorsqu’un qu’un jeune picador avait levé les yeux vers les gradins : y découvrant le sourire de Sabine, il avait salué la jeune fille de la main et lui avait implicitement dédié ses combats. Le sang jeune des taurillons semblait couler dans les veines du futur toréador, aussi fougueux qu’un taureau de mai, plein de sève d’enfance et de rêves à venir. Sabine, debout, avait assisté à cette novillada comme une jeune fille irait à son premier bal. La muleta avait été son carnet de bal : chaque passe du beau torero en herbe lui avait semblé un pas de tango.
Ah ! tout cela, toute la fièvre d’une ville,
Parce qu’un beau toréador aux sourcils noirs
Va passer comme un roi de légende…

Le soir même, ils s’étaient revus. Sabine, qui avait revêtu ce que sa mère, une journaliste et poète un peu fantasque, appelait une « robe de gitane », faisait virevolter ses volants et ses pois en courant le long de la jetée et en déclamant des vers. Face à l’océan, l’hôtel du Palais dressait ses fastes d’antan, majestueux et élégant comme une valse de Vienne ; Sabine adorait entendre sa grand-mère raconter les folles soirées de l’Impératrice Eugénie, et plus encore son père citer aussitôt quelque phrase de Jaurès, taquinant la délicieuse vieille dame. L’avocat, passionné de politique, regardait d’un œil critique cette France nouvelle dont ses amis et lui-même dissertaient souvent, dans le grand salon de la Villa Solitude.

Ce jour-là, justement, il avait été invité par des amis espagnols à partager l’allégresse de la corrida, et, tandis que Sabine charmait les dames en récitant ses textes, il comparait la vie politique de la vieille Europe à une arène…Tous ces noms qui résonnaient, Franco, Hitler, Mussolini… Toutes ces clameurs qui semblaient menacer la paix…Mais Pedro, un professeur madrilène, lui expliqua gravement que la Corrida était un combat, et non une guerre. Un combat juste et respectueux, contrairement à la guerre, dont la dernière, la « der des der », avait été une boucherie sans nom…
Un groupe de jeunes gens, devisant gaiement en espagnol, eux aussi, sortit de la terrasse de l’hôtel au moment même où la jeune fille la longeait. Elle se heurta presque à une grande silhouette longiligne et sourit en reconnaissant son chevalier. Rougissante, elle ramena son éventail à ses lèvres pour dissimuler son trouble:
Monsieur le torero ! Ola, que tal, señor picador ? claironna-t-elle en rassemblant les quelques phrases d’espagnol dont elle se souvenait.
Señorita ! Comment allez-vous ? répondit le jeune homme en s’inclinant devant elle et de lui faire un baisemain. Je m’appelle Juan de Olvidado, j’arrive de Séville. Je vais vivre quelques mois dans la propriété de mon oncle, en Arles. Connaissez-vous cette ville, Mademoiselle…
Sabine, Sabine Sicaud, répondit la jeune fille en se retournant pour présenter son nouveau héros à sa famille.

La soirée avait été délicieuse, tout comme les journées inoubliables qui s’en étaient suivies. L’oncle de Juan était un ami de longue date de Pedro, et les familles des deux jeunes gens ne tardèrent pas à sympathiser. Ce soir-là, tandis que les adultes devisaient politique, Juan et Sabine restèrent un peu à l’écart, enivrés par les embruns qui fouettaient les rochers du vieux port. Fasciné par la culture de cette toute jeune fille de quatorze ans qui, malgré son innocence, avait déjà remporté de prestigieux prix de poésie, Juan lui raconta l’Espagne et les taureaux, sa terre aride, sa passion, tandis que Sabine lui citait Yeats et Alphonse Daudet.
Elle vivait au fin fond de son Lot-et-Garonne comme une Madame de Sévigné du vingtième siècle, échangeant de longues lettres avec Anna de Noailles et d’autres grands noms de la littérature, écrivant des poèmes dont tous louaient la force…
Mon cœur se souviendrait qu’il fut un cœur trop lourd
Et ne serait jamais un cœur neuf, sans patrie,
Sans bagage à porter de vie en vie…

L’oncle de Juan proposa aux Sicaud de venir terminer la saison en Arles, et c’est ainsi que les jeunes gens passèrent l’été 1927 dans le mas de la ganaderia. Sabine apprit à monter à cru tandis que Juan écrivit son premier poème. La Camargue les ensorcela, la Corrida les rapprocha, l’amour les foudroya : les cigales assourdissantes couvrirent les soupirs de leur premier baiser…Au 15 août, enfin, de retour sur la côte basque, Sabine accompagna le jeune homme à la Féria de Dax. Lors du paseo, ce n’est pas un regard de braise qu’il lui jeta, mais un immense bouquet de roses rouges. Dans la poche de son traje de luces, tout contre son cœur, il sentait la brûlure des vers que Sabine venait de lui dédier :
N’oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l’été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
…si tu sais bien l’entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
Ne nie pas le soleil.
Sabine frissonna en repensant au soleil fou de l’été. Elle referma la croisée et descendit l’escalier en boitillant. Elle commençait à redouter le soir, et puis les nuits, surtout, les longues nuits où le sommeil lui refusait sa grâce. La vilaine blessure qu’elle s’était faite en trébuchant contre ce petit rocher pointu, au dernier jour de l’été, sur la plage des Basques, ne se décidait pas à guérir. Elle espérait pourtant être rétablie pour Noël, puisque Juan annonçait une éventuelle visite. Maître Sicaud irait le chercher à la gare de Montauban, et Sabine se faisait déjà une joie de lui montrer les paysages calmes et assoupis de sa belle campagne de l’Agenais.
Mais Juan ne vint pas, pas plus à Noël qu’au printemps. Retenu dans l’hacienda de ses grands-parents maternels, en Argentine, il écrivait à Sabine de longues lettres pleines de vent, de pampa et de cactus… Il racontait les chevauchées, les nouvelles passes qu’il apprenait, et puis il lui parlait de leur maison, de ces ailleurs qu’ils visiteraient, de tous les chemins qu’il voulait parcourir avec elle. Il lui décrivait même la ganaderia qu’il dirigerait, lorsque serait passé le temps de la corrida et des lumières… Il voulait beaucoup d’enfants, autant d’enfants que de poèmes…
Ne regarde pas si loin, Vassili, tu me fais peur.
N’est-il pas assez grand le cirque des steppes ?
Le ciel s’ajuste au bord.
Ne laisse pas ton âme s’échapper au-delà comme un cheval sauvage.
Tu vois comme je suis perdue dans l’herbe.
J’ai besoin que tu me regardes, Vassili.
Sabine, elle, se retirait peu à peu de ce monde, entrant en elle-même comme on entre au couvent ; il lui semblait, tant sa douleur était vive, devoir renoncer à tous ces lointains. Noël, cette fête qu’elle adorait, elle le passa recluse dans sa chambre, à relire Selma Lagerlöf. Elle voulait les revoir, oui, ces neiges, ces lumignons d’hiver, mais son corps devenu une insulte ne lui permettait plus que ces merveilleux voyages imaginaires…

La Comtesse de Noailles ne réussit pas, elle non plus, à lui faire entendre raison. Elle voulait lui faire consulter des amis médecins à Bordeaux, mais la jeune fille se refusait à quitter la villa. On eût dit qu’elle attendait une visite, une visite si importante qu’elle ne pouvait souffrir le moindre éloignement, dusse-telle en mourir…Car Sabine souffrait d’un mal inexpliqué. Enfiévrée, comme rongée, elle hurlait en silence, griffant ses cahiers d’une écriture vengeresse en appelant la mort. Parfois, la nuit, en ses draps de lin lourds d’avoir porté ses maux, elle se débattait en gémissant et ne voyait plus que le sang, le sang qui éclaboussait ses rêves… Et puis l’aube la baignait de son réconfort solaire, et, lorsque les premiers rayons du printemps filtraient à travers les persiennes, la jeune fille parfois dansait à nouveau au rythme de l’Espagne…
Du sang… Je le sais trop. J’en ai l’horreur,
Le remords comme vous qui chérissez les bêtes.
Mais ce vertige de soleil ! cette couleur
De Goyas qui bougent et chantent – ce que jette
L’éclat des éventails, des fleurs,
Des lèvres et des yeux sur les plazas en fête
A Séville, à Madrid, partout oů l’on entend
Des grelots et des castagnettes…
Ce décor éclatant
Où des mules aux pompons rouges se profilent…

Un matin, ses parents la trouvèrent inanimée. Elle tenait en ses mains une gazette barrée d’un titre racoleur : « Le torero et la meneuse de revue » …On y parlait d’une soirée un peu arrosée lors des férias de Pentecôte, et de Juan, qu’un photographe avait surpris dans les bras pleins de plumes d’une Joséphine Baker de province…La lettre du jeune homme, dans laquelle il se confondait en excuses, expliquant la nuit de mai, les mojitos, l’entraîneuse, ne suffit pas à convaincre Sabine.
Pourtant, elle pardonna. Elle se souvint que l’amour excuse tout, supporte tout, elle regarda son mécréant de père de ses yeux pleins de fièvre et lui récita I Corinthiens 13, toute de blanc vêtue, un dimanche de juin, petite mariée confiante et lumineuse… Et elle écrivit à Juan, lui demandant de vite venir, s’il voulait la serrer dans ses bras avant les férias de l’été…
Amour, mon cher Amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d’accent, de cœur et d’âge,
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, Amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles.
De la nuit, de la mer, des îles sans escales,
Je ne crains rien si tu m’as reconnue.
Mon Amour, de bien loin, pour toi, je suis venue
Peut-être. Et nous irons Dieu sait où maintenant ?
Depuis quand cherchais-tu mon ombre évanouie ?
Quand t’avais-je perdu ? Dans quelle vie ?
Et qu’oserait le ciel contre nous maintenant ?

Juan promit. Il irait encore faire l’ouverture des corridas de Bayonne, et puis il passerait à Biarritz et lui rapporterait un cierge de « leur » église, de Sainte-Eugénie, et puis du sable, aussi. Il lui apporterait le monde, il la guérirait, torero thaumaturge. Sabine l’imagina dans son traje de luces, et elle savait que chaque combat contre le taureau ressemblait à ses propres nuits, lorsque le mal qui l’abimait lui plantait ses banderilles dans sa chair tendre. Elle luttait, elle aussi, à armes égales, aux maux elle répondait avec ses mots de poétesse folle, comme le taureau regarde le toréador avant de tenter de le renverser. Sabine voulait encorner ses souffrances.
Laissez-moi crier, crier, crier …
Crier à m’arracher la gorge !
Crier comme une bête qu’on égorge,
Comme le fer martyrisé dans une forge,
Comme l’arbre mordu par les dents de la scie,
Comme un carreau sous le ciseau du vitrier…
Grincer, hurler, râler ! Peu me soucie
Que les gens s’en effarent. J’ai besoin
De crier jusqu’au bout de ce qu’on peut crier.
Qu’il est difficile de partir en été… Ne plus sentir le poids de cet arbre chargé de fruits… Ne plus entendre les martinets tournoyer inlassablement dans leurs crépuscules bleutés… Ne plus respirer ces aubes flamboyantes, lorsque les roses gorgées des parfums de la nuit ploient encore sous le velours des rosées…
Sabine luttait, de toutes ses forces. Elle ne voulait pas partir, elle n’avait jamais dit souhaiter quitter le monde, chaque parcelle de son âme implorant un retour à la vie, aux sens, aux plaisirs… Petite Thérèse profane, elle parcourait son chemin de croix en vomissant ses souffrances, n’aspirant qu’à la guérison…
Plus son souffle se faisait court, plus ses mots étaient intenses. Sabine écrivait de toutes ses forces, petite luciole aux abords du matin, sachant que l’aube proche détruirait son éclat… Son cœur épuisé ne battait plus qu’au rythme de ses poèmes, s’emballant comme un cheval fou, comme la mer envahissant le passage du Gois… Alors que la vie peu à peu désertait La Solitude et le petit corps outragé, l’esprit de la jeune fille, plus vif que jamais, se ressourçait en ses mémoires. En pensées, elle était auprès de Juan, l’imaginant pénétrer dans l’arène, sous les vivats du public, le soleil fou des Landes illuminant son habit de Lumières.
Pardonnez-moi de ne plus voir que la beauté
Du poème barbare, et d’oublier l’épéé
Sous la cape écarlate…
Il faudrait moins d’été,
Moins de soleil peut-être et de roses coupées,
Moins d’éventails ouverts et de gens qui se hâtent,
Pour dire – le pensant – : Je ne veux plus vous voir,
Ô corridas de muerte,
Corridas aux couleurs des romantiques soirs
Dont la muleta saigne entre des rochers noirs
Sur les arènes de la mer luisante et verte…
Il faudrait moins d’été, oui, moins de roses coupées, moins d’éventails ouverts et de gens qui se hâtent, pour accepter de mourir un matin de juillet… Sabine délirait, à présent, respirant difficilement, son râle d’agonie faisant hurler sa mère, tandis que son père n’avait même pas de Dieu à maudire…

Le 12 juillet 1928, Juan, tout à ses lumières, se battit comme un beau diable, roi de l’arène, ne pensant qu’à sa reine qu’il ne savait presque morte. Au moment même où le taureau renonça, au moment même où Juan allait lui porter l’estocade et où la foule en liesse l’acclamait, Sabine se dressa sur son lit, les yeux grands ouverts, murmurant « Corridas de muerte », avant de s’endormir dans les bras de son père. Le jeune homme, lui, s’effondra, terrassé par une crise cardiaque.
Les jeunes gens furent portés en terre ensemble. Ce que les hommes n’avaient pas pris le temps d’unir devint une même poussière.
On raconte qu’autour de leur tombe, les enfants disent des vers comme on part en voyage, et aussi que les femmes s’y mettent à danser, tandis que leurs âmes chantent au son du flamenco. Les garçons, eux, s’en échappent pour courir vers l’arène.
…sans doute,
Faudrait-il échapper à l’ensorcellement
Du mot magique : « A los toros » …

***
Corrida de muerte
Du sang… Je le sais trop. J’en ai l’horreur,
Le remords comme vous qui chérissez les bêtes.
Mais ce vertige de soleil ! cette couleur
De Goyas qui bougent et chantent – ce que jette
L’éclat des éventails, des fleurs,
Des lèvres et des yeux sur les plazas en fête
A Séville, à Madrid, partout où l’on entend
Des grelots et des castagnettes…
Ce décor éclatant
Où des mules aux pompons rouges se profilent…
Ah ! tout cela, toute la fièvre d’une ville,
Parce qu’un beau toréador aux sourcils noirs
Va passer comme un roi de légende – pourrais-je,
Ayant vu tout cela, dites, ne plus le voir ?
Ne plus revoir les gradins qu’on assiège,
L’arène fauve où la quadrille décrira
Cette courbe qui s’infléchit vers les tribunes,
Le geste, en rapide salut, d’une main brune
Vers l’œillet qui s’effeuille aux doigts des señoras;
L’or et l’argent brodés; le chatoiement des soies;
Dans l’air, cette dansante joie
Où la clef du toril tombe subitement
Comme un défi poignant le cœur… sans doute,
Faudrait-il échapper à l’ensorcellement
Du mot magique : « A los toros », que chaque route,
Chaque balcon, demain, se renverra,
Bayonne, sous ton ciel aux couleurs espagnoles…
Mais, oublier ? Voyez flotter les banderoles !
Plus haut que les frontons d’Aguilera
Monte cette rumeur, là-bas… Pardonnez-moi,
Taureaux noirs aux beaux yeux sauvages qui s’affolent,
Pauvres doux vieux chevaux ruant d’effroi,
Pardonnez-moi… Devant l’art souple qui se joue
De la mort et la brave – et le cadre où se noue
Le drame préparé dans les ganaderias
Là-bas, au pied vert des montagnes –
Je ne sais plus pourquoi, je ne sais pas
Comment l’amour de ces choses me gagne !
Pardonnez-moi de ne plus voir que la beauté
Du poème barbare, et d’oublier l’épée
Sous la cape écarlate…
Il faudrait moins d’été,
Moins de soleil peut-être et de roses coupées,
Moins d’éventails ouverts et de gens qui se hâtent,
Pour dire – le pensant – : Je ne veux plus vous voir,
Ô corridas de muerte,
Corridas aux couleurs des romantiques soirs
Dont la muleta saigne entre des rochers noirs
Sur les arènes de la mer luisante et verte…
Biarritz (Veille de course).
Sabine Sicaud.
Ce texte est à retrouver dans le recueil Mémoires d’Autan, Prix Camille Pujol aux Jeux Floraux de Toulouse en 2020. https://www.thebookedition.com/fr/memoires-d-autan-p-371712.html
Notes :
Tous les extraits sont des vers de Sabine Sicaud, poétesse prodige morte de Villeneuve-sur-Lot, née le 29 février 1913, morte à quinze ans, sans doute d’ostéomyélite, le 12 juillet 1928. La nouvelle est une fiction inspirée de la vie et des textes de la jeune fille…
Ce texte a été écrit il y a quelques années pour le Prix Hemingway… Merci à la richesse de ce site qui m’a permis de trouver inspiration et photos: https://www.sabine-sicaud.com/
Sabine avait remporté le prestigieux Jasmin d’Argent: https://www.sabine-sicaud.com/infos-et-documents/prix-litteraires/60-prix-litteraires/jasmin-dargent/284-discours-de-marcel-prevost.html
Une « nouveauté » pour découvrir l’un des recueils de Sabine: https://editionsveliplanchistes.fr/sabine-sicaud/