Et si…
Il faisait chaud, tellement chaud.
L’éponge imbibée de vinaigre que venait de lui tendre une des soldates n’avait en rien étanché sa soif.
Elle jeta un coup d’œil rapide à sa main droite, sa bague avait été arrachée par le clou… Dommage, eut-elle encore la force de penser, c’est Jeanne qui la lui avait offerte…
Elle se souvint des derniers moments où elles avaient ri, toutes ensemble.
Elles avaient partagé le pain et le vin et même dansé un peu…
Jusqu’à ce que la treizième convive arrive, gâchant un peu l’ambiance. Pierrette n’avait pas voulu croire à cette histoire de reniement. Sacrée Pierrette, tellement solide, tellement fragile, pourtant…
Elle ferma les yeux. Toutes ces années… Tant de souvenirs, et pourtant, ces 33 années étaient passées si vite…
Tout se mêlait dans son esprit, depuis ses disputes avec les marchandes du temple, du haut de son adolescence houleuse, aux belles jarres de vin de Cana, en passant par l’eau lustrale du Jourdain, quand les douces mains de Jeanne l’avaient baptisée…
Elles en avaient parcouru, des chemins, avec ses amies, la courageuse Mathilde, la belle Marcia… Que de fous-rires, aussi, comme lorsqu’elles avaient marché sur l’eau, que de solitudes, pourtant, que de doutes, de tentations, de combats… Sa vie de femme mise au ban, malgré les tendresses de Jean de Magdala, toujours prêt à vouloir la frôler en prétextant quelques lavages de pied…
Marie lui avait aussi si souvent parlé de la première nuit, la nuit de l’étoile… Elle la connaissait par cœur, l’histoire de l’errance à travers Bethléem, de la paille de cette grange, de l’âne et du bœuf, des trois Reines Mages et de leurs encens…
Elle soupira.
Elle aurait aimé rester encore un peu ici-bas, mais elle savait que son temps était compté.
« Mère, mère, pourquoi m’as-tu abandonnée ? » gémit-elle soudain, envahie par une faiblesse somme toute bien humaine…
Soudain, une des deux larronnes se mit à chanter. Une belle mélopée, venue tout droit du pays des dattes et du miel.
Alors, elle aussi se redressa sur sa croix.
L’heure était proche. Elle avait une humanité à sauver. Ce n’était pas le moment de flancher. Elle regarda une dernière fois cette terre qu’elle aimait tant, sourit à Marie, agenouillée devant elle, puis s’abandonna à sa destinée, guidée par l’étoile, comme le jour de sa naissance.
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