Lorelei et Marianne, j’écris vos noms: autofiction sur le thème des relations croisées entre l’Allemagne et la France, des années cinquante à nos jours, par le prisme de lettres imaginaires échangées au sein d’une famille franco-allemande. Des lettres écrites en allemand « répondent » en quelque sorte à ce panorama, sur mon blog allemand, liens en bas de texte.
Cinquième partie:
Duisbourg, le 22 février 2016.
Ma chère maman,
Ce petit paquet de surprises fraîchement achetées pour toi ce matin au grand centre commercial de Duisbourg : les confitures que tu adores, un peu de salami allemand, deux pains noirs, et pleins de journaux ! Mais tu sais, c’est vraiment pour te faire plaisir, parce que j’ai l’impression que contrairement à autrefois, on trouve presque toutes ces bonnes choses aussi en France, au LIDL, et beaucoup de magazines à la Maison de la Presse!
J’ai pris un millier de photos de la maison de Papu et Mutti, du quartier de Wannheim, du centre-ville… Il me tarde de te les montrer. Duisbourg a complètement changé, tu ne reconnaitrais rien ! Bien sûr, les usines sont encore là, mais la ville ne présente plus cet aspect grisâtre qui était lié à la pollution et au charbon.
Les bords du Rhin ont été aménagés, une sculpture de Niki de Saint-Phalle orne la grande rue piétonne, le Lehmbruck Museum draine des touristes venus du monde entier…
Notre quartier, par contre, si l’on excepte la disparition des Anglais, n’a pas changé, le grand parc où je me promenais avec Papu est encore plus beau, même la « Bude » du coin de la rue est encore là !
Les nouveaux propriétaires m’ont très gentiment reçue, je suis même revenue dans le jardin, bien moins beau toutefois qu’à notre époque…En buvant le café dans le salon, au pied de la baie vitrée donnant sur la terrasse que Papu aimait tant, je me suis souvenue de toutes les merveilleuses vacances que nous passions à Duisbourg : jamais nous ne vous remercierons assez de nous avoir fait grandir entre ces deux cultures, avec la richesse de deux langues, de deux regards sur le monde…J’ai essayé de raconter tout cela aux voisins, qui m’ont reçue avec émotion ; quelle chance cela a été pour nous que d’avoir pu vivre cette double appartenance, puisque nous aimions autant le soleil de notre Sud-Ouest que les cieux agités de ta chère Rhénanie, puisque nous étions choyés par ces grands-parents si différents et pourtant si aimants, qui ont su passer outre la guerre qui les avait opposés, puisque nous avons dès l’enfance chanté les comptines des deux pays et dégusté les spécialités culinaires respectives de la France et de l’Allemagne…
Bien sûr, et j’en ai parlé chez ton frère qui m’a accueillie avant-hier, nous avons aussi souffert parfois des différences qui opposaient nos deux cultures… Nous avons évoqué mamie qui te gourmandait quand toi, la protestante, voulait nous lire la Bible, puisque la catholique fervente qu’elle était ne jurait que par le Missel ; nous nous sommes souvenus des « bourdes » commises de part et d’autre du Rhin, de cette anecdote souvent racontée de Mutti demandant des pommes de terre lors de votre repas de noces, à Castres, ou des plaisanteries douteuses des voisins de papi et mamie évoquant la belle-fille « boche »… Mais ton frère, lui aussi, garde surtout en mémoire les repas de famille dans nos maisons de campagne, lorsque, dans l’une des trois maisons de la Provinquière, les langues se déliaient, en patois comme en allemand, au gré des verres de rosé et des belles tranches de gigot !


Nous pouvions presque entendre encore le bruit des boules de pétanque lorsque, à la nuit tombée, mes deux grands-pères jouaient, béret sur la tête, devant le lavoir, deux anciens ennemis réconciliés par la bonne chère et par leurs quatre petits-enfants bilingues, si heureux de ces étés au hameau où s’élevaient les maisons de campagne de leurs grands-parents français et allemands et de leur oncle !
Je ne saurai jamais, je pense, si je me sens davantage Française ou Allemande. En fait, je crois qu’en France, j’aime à revendiquer mon origine allemande, fière de mon deuxième pays qui a su surmonter les brûlures de l’Histoire, de ce pays qui a inventé l’écologie, qui a ouvert des bras aux Migrants, de ce « pays des Penseurs et des philosophes » que je dépeins avec passion à mes élèves…Mais dès que je suis en Allemagne, je redeviens «la Française », l’héritière notre pays des Lumières, me sentant d’une part obligée de faire preuve de l’élégance naturelle des Parisiennes, et rejetant d’autre part tous ces côtés maniaques qui me hérissent outre-Rhin : moi, traverser au vert quand toute l’avenue est dégagée ? Jamais !
Quoi qu’il en soit, j’ai été extrêmement heureuse de ce retour aux sources, même si je n’ai pas retrouvé la tombe de Papu. Tu sais, en parlant de tombes, il y a ici quantité de Migrants, ceux qui ont échappé à une mort certaine en fuyant leur pays en guerre, et je suis extrêmement reconnaissante à la Chancelière d’avoir ouvert ses bras à ces milliers de gens en détresse, à tous ces enfants qui, comme toi autrefois, étaient obligés de se coucher dans les fossés pour échapper aux bombes…Notre Allemagne rayonne aujourd’hui, au cœur de notre Europe, comme un phare bienveillant. Je vous remercie, mes chers parents, d’avoir été parmi les artisans de la paix et de la reconstruction !
Je t’envoie ce paquet accompagné de toute ma tendresse bi-nationale, embrasse papa de ma part, dis-lui que je lui rapporte du Schnaps !
Ta fille, Sabine.
Curriculum vitae
Rhénane
Pour les étés de mon enfance
Bercés par une Lorelei
Parce que née de forêts sombres
Et bordée par les frères Grimm
Je me sens Romy et Marlène
Et n’oublierai jamais la neige
Rémoise
Pour un froid matin de janvier
Parce que l’Ange au sourire
A veillé sur ma naissance
Pour mille bulles de bonheur
Et par les vitraux de Chagall
Je pétille toujours en Champagne
Carolopolitaine
Pour cinq années en cœur d’Ardennes
Et mes premiers pas en forêt
Pour Arthur et pour Verlaine
Et les arcades en Place Ducale
Rimbaud mon père en émotion
M’illumine en éternité
Albigeoise
Pour le vaisseau de briques rouges
Qui grimpe à l’assaut du ciel bleu
Pour les démons d’un peintre fol
Et ses débauches en Moulin Rouge
Enfance tendre en bord de Tarn
D’une inaliénable Aliénor
Tarnaise
Pour tous mes aïeuls hérétiques
Sidobre et chaos granitiques
Parce que Jaurès et Lapeyrouse
Alliance des pastels et des ors
Arc-en-ciel farouche de l’Autan
Montagne Noire ma promesse
Occitane
De Montségur en Pays Basque
De la Dordogne en aube d’Espagne
Piments d’Espelette ou garigues
De d’Artagnan au Roi Henri
Le bonheur est dans tous les prés
De ma Gascogne ensoleillée
Toulousaine
Pour les millions de toits roses
Et pour l’eau verte du canal
Sœur de Claude et d’Esclarmonde
Le Capitole me magnétise
Il m’est ancre et Terre promise
Garonne me porte en océan
Bruxelloise
Pour deux années en terre de Flandres
Grâce à la Wallonie que j’aime
Parce que Béguinage et Meuse
Pour Bleus de Delft et mer d’Ostende
En ma Grand Place illuminée
Belgique est ma troisième patrie
Européenne
Pour Voltaire Goethe et Schiller
Pour oublier tous les charniers
Les enfants blonds de Göttingen
Me sourient malgré les martyrs
Je suis née presqu’en outre-Rhin
Lili Marleen et Marianne
Universelle
Pour les mots qui me portent aux frères
Par la poésie qui libère
Parce que j’aime la vie et la terre
Et que jamais ne désespère
Pour parler toutes les langues
Et vous donner d’universel.
Première partie :
http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2016/02/26/de-lorelei-a-marianne-duisbourg-le-18-juillet-1958/
Deuxième partie :
http://sabine-aussenac-dichtung.blogspot.fr/2016/02/von-der-lorelei-bis-zu-marianne-castres.html
Troisième partie :
http://sabineaussenac.blog.lemonde.fr/2016/02/26/de-lorelei-a-marianne-reims-le-8-juillet-1962/
Quatrième partie :
http://sabine-aussenac-dichtung.blogspot.fr/2016/02/lorelei-und-marianne-albi-den-12oktober.html