Toulouse la Résistante
https://www.youtube.com/watch?v=AwSMpNqb2G4
«Il reste des libertés à conquérir, des droits à étendre (…). Seuls le courage, l’esprit solidaire et de rassemblement et l’amour de la République peuvent nous aider à mener ces combats d’hier, d’aujourd’hui et de demain».
Faisait-il beau, en ce 19 août 1944, il y a soixante-dix ans ? Les tilleuls ombrageaient-ils la Place Saint-Sernin, Garonne ondulait-elle vers l’océan ? Les briques rouges se souviennent, j’en suis certaine, des combats et du courage, de la liesse et des cris…
Toulouse la presque espagnole, Toulouse l’hérétique toujours avait bien été obligée, elle aussi, de ployer l’échine sous le joug des bottes allemandes. Mais ils furent nombreux, ceux qui croyaient au ciel, et ceux qui n’y croyaient pas, à lutter ensemble contre l’occupant, comme en témoignent les souvenirs rassemblés dans la Salle des Illustres, au travers d’une superbe exposition qui, grâce aux archives municipales, à L’INA, et aux photos de Germaine Chaumel et Jean Dieuzaide, retrace les moments forts de la Résistance et de la libération de Toulouse.
Souvenons-nous du Cardinal Saliège qui, en 1942, avait fait lire dans toutes les paroisses une lettre appelant au devoir de protection et de résistance :
http://toulouse.catholique.fr/70-ans-plus-tard-la-Lettre
« Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t-il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre-Dame, priez pour la France. »
Ses mots rejoignent dans leur humanisme le silence de celui qui n’a pas plié devant ses bourreaux, François-Verdier, figure emblématique des luttes toulousaines. Le 2 février 2014, le secrétaire d’État aux Anciens Combattants, Kader Arif, lui avait déjà rendu hommage :
« Ce courage, c’est celui qu’il fallut à François Verdier pour affronter le regard de sa femme et de ses enfants à qui les agents de la Gestapo l’arrachent dans la nuit du 13 au 14 décembre 1943.
Ce courage, c’est celui qu’il lui fallut pour refuser de mettre un genou à terre et de rester debout dans sa cellule de la prison Saint-Michel, face à la torture que lui imposèrent pendant six semaines les officiers nazis.
Ce courage, c’est le silence qu’il opposa à ses bourreaux pendant ces six semaines. Le silence comme seule réponse à l’horreur. Sous les coups et les humiliations, il ne livre aucun de ses secrets, il ne trahit aucune de ses promesses, celles faite à ses camarades, celles faite à la France. »
http://www.memorial-francoisverdier.fr/334/#more-334
Le 19 août 2014, la foule n’était pas très nombreuse, devant le monument de la Résistance et de la Déportation, non loin des allées François-Verdier. Mais Toulouse a rendu un magnifique hommage aux résistants qui contribuèrent à sa libération, et en particulier à 30 cheminots tués dans des combats ce jour-là. Des jeunes habillés en costumes d’époque rappelaient le courage de ceux qui, béret vissé sur la tête, défiaient la barbarie, tandis que des militaires en armes rendaient hommage aux mémoires, devant les drapeaux battant pavillon d’honneur, tenus pour certains par d’anciens combattants fidèles au poste.
Kader Arif a célébré une résistance de Haute-Garonne de « toutes les origines sociales » et « toutes les nationalités », qui était « faite d’étudiants, de cheminots, d’immigrés, de militants politiques ». Ils venaient de tous les quartiers, depuis les faubourgs des Minimes jusqu’aux hauteurs de la Côte Pavée, en passant par le cœur névralgique de la Cité, narguant l’Ennemi qui avait pris ses quartiers en Centre-Ville.
La cérémonie a ainsi salué la mémoire d’Achille Viadieu, comptable aux chemins de Fer de Toulouse, assassiné par la Gestapo en juin 1944, du résistant Francisco Ponzan Vidal, républicain espagnol, et de Marie-Louise Dissard dite « Françoise » chef d’un réseau d’évasion.
En ce « D Day toulousain », les combats avaient eu lieu depuis le Pont-Neuf jusqu’à la gare Matabiau : « Plus de 1.000 cheminots opposent une forte résistance aux soldats ennemis: plus de 30 meurent en quelques heures », a rappelé le secrétaire d’État, lui-même Toulousain, citant aussi Jaurès dans son discours.
Ailleurs, ce sont des femmes qui « frappent sur l’imposante porte en fer de la prison Saint-Michel » pour réclamer la libération des prisonniers, parmi lesquels se trouvait le romancier André Malraux, arrêté le mois précédent par les Allemands.
Marcel Granier était alors un tout jeune résistant de 19 ans. En cet été 2014, Président du conseil Départemental de la Résistance, âgé de 89 ans, il a rappelé devant l’assistance que le 22 août 1944, « 35 cercueils s’alignaient sur le parvis de la cathédrale » de Toulouse, et a lancé un appel à la jeunesse, «à charge pour elle que dans trente ans, on puisse fêter 100 ans sans guerre», évoquant l’Europe de la réconciliation et la paix, cette paix si fragile et précieuse.
Car comme le rappelle Kader Arif : « «Il reste des libertés à conquérir, des droits à étendre (…). Seuls le courage, l’esprit solidaire et de rassemblement et l’amour de la République peuvent nous aider à mener ces combats d’hier, d’aujourd’hui et de demain».
Toulouse fut ainsi libérée « après plusieurs actes d’insurrection menés par les Forces Françaises de l’Intérieur », ensemble des groupements militaires de la résistance sous l’occupation, a rappelé Kader Arif. Les FFI étaient dirigées au niveau régional par le Parisien Serge Ravanel (mort en 2009) et au niveau départemental par Jean-Pierre Vernant (décédé en 2007), qui allait devenir un éminent historien.
En présence des autorités militaires, civiles et des associations de résistants, toutes ces mémoires étaient donc réunies, à quelques jours des commémorations parisiennes, en cette année où l’Europe se souvient de ses deux guerres, de la « der des der » à la « drôle de guerre », au moment où les armes grondent en Ukraine et où le Proche-Orient, à nos portes, sombre dans la barbarie…Tous étaient réunis, sans souci de distinction ou de clivages politiques, et Jean-Luc Moudenc, Maire de Toulouse, a prononcé un émouvant discours en présence de l’ancien maire Pierre Cohen, citant Jean-Pierre Vernant :
« Il y a des moments où la vie ne vaut la peine d’être vécue que s’il y a en elle quelque chose qui la dépasse ».
Et Kader Arif a évoqué à nouveau Romain Gary : « C’est une promesse que nous devons nous faire, à nous, à la France, à l’Europe pour ne jamais oublier, comme l’a écrit Romain Gary, que « Le patriotisme, c’est d’abord l’amour des siens » et que « Le nationalisme, c’est la haine des autres ».
À Toulouse aujourd’hui, loin des bruits de bottes et des barbaries, Garonne et le Canal étendent leurs eaux mêlées miroitant au soleil de la paix. Puisse cette paix faire de nous des hommes et des femmes de Bien. Puissions-nous toujours déambuler le long des berges comme sur ce tableau d’Henri Martin, qui, soixante-dix ans après la libération de la Ville Rose, étend sa bienveillance sur les images du Devoir de Mémoire.
Je vous salue ma France
Je vous salue ma France, arrachée aux fantômes !
Ô rendue à la paix ! Vaisseau sauvé des eaux…
Pays qui chante : Orléans, Beaugency, Vendôme !
Cloches, cloches, sonnez l’angélus des oiseaux !
Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,
Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop.
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux…
Je vous salue, ma France, où les vents se calmèrent !
Ma France de toujours, que la géographie
Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l’oiseau du large y vienne et se confie.
Je vous salue, ma France, où l’oiseau de passage,
De Lille à Roncevaux, de Brest au Montcenis,
Pour la première fois a fait l’apprentissage
De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid !
Patrie également à la colombe ou l’aigle,
De l’audace et du chant doublement habitée !
Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité…
Je vous salue, ma France, où le peuple est habile
À ces travaux qui font les jours émerveillés
Et que l’on vient de loin saluer dans sa ville
Paris, mon cœur, trois ans vainement fusillé !
Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe
Cet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus,
Liberté dont frémit le silence des harpes,
Ma France d’au-delà le déluge, salut !
Louis Aragon, Le Musée Grévin, 1943