Douce France…
Cette impression d’être lové dans le cœur de l’Histoire, comme on l’était dans le ventre d’une mère, avant tout. Car la pierre, qu’elle soit des châteaux ou des cathédrales, rassure et protège. Le bois, au détour de ces innombrables marqueteries et meubles anciens, nous deviendra racines. Quant aux lustres et autres lumières ressuscités, ils vont faire de chaque Français, le temps de ces Journées du Patrimoine, un Roi Soleil d’un jour. Et puis cette certitude d’être le dépositaire d’un passé, d’être responsable de toute une lignée d’ancêtres, malgré nos modernités, malgré les déménagements, les précarisations de nos sociétés. Parce que ce Patrimoine , il n’appartient pas à une famille, il n’est pas l’apanage de quelques nobliaux de province, ni d’un gouvernement -même si nos chers élus et gouvernants ne se privent pas de le côtoyer de bien près, eux, ce patrimoine…- , non, il fonde toute une nation, comme en assise de nos mémoires.
Comme elle est jolie, la France d’en bas, lorsqu’elle vient timidement toquer aux lourdes portes de chêne de la France d’en haut, de cette France d’autrefois, qui fut peuple avant de devenir nation, cette France dont chaque éclat de marbre restitue, une fois l’an, le souffle…
Comme elle est timide, la France des petites gens, lorsqu’elle s’avance à petits pas respectueux au travers des brillances vernissées de ces salons parquetés, avec quel immense respect elle parcourt préfectures et mairies, castels et églises, à la recherche d’un temps perdu et de ses Ducs de Guise…
Comme elle est émouvante, la France des simples, lorsqu’elle admire sans jalouser, elle qui souvent se saigne aux quatre veines, mais qui dans une étrange trêve des confiseurs, entre grève et scandales, va soudain sans mot dire arpenter ces hauts lieux, oubliant pour un jour cahiers de doléances et manifestations, sans penser aux nantis ou aux fractures sociales ; le temps d’un week-end, on dirait que le Patrimoine est vraiment l’affaire de tous.
Il me paraît passerelle, ce moment si précieux, quand enfin notre Histoire redevient accessible, au gré d’un long week-end qui nous rend nos beautés, lorsqu’enfin il s’entrouvre, ce grand temps des secrets. Car pour le commun des mortels, cette Histoire n’est plus qu’un souvenir de communale ou de lycée, demeurent seulement quelques dates, ou quelque événement conté par un grand-père… Nos mémoires sont certes soigneusement archivées, et nos enfants, heureusement, encore instruits par de zélés professeurs, mais pour un citoyen se passionnant pour la généalogie ou pour Napoléon, combien d’ignorances, de négligences, de mépris, même ?
Car on passe parfois toute une vie à proximité de richesses que l’on ne voit plus guère, blasé par les dorures, ou simplement exclu de ces fastes réservés, de nos jours, aux touristes ou aux Grands… Oui, ces JdP sont bien un pont-levis qui se lève vers cent châteaux perdus, enfouis sous les ronces des privilèges et des castes, puisque, reconnaissons-le, la plupart de ces lieux de mémoire demeurent réservés à nos élites, qui, elles, une fois désignées gouvernantes ou membres de collectivités territoriales ou locales, ont le droit de de venir vivre ou travailler au quotidien dans ces immeubles de sang royal…
Je demandai innocemment, lors d’une visite gersoise, pourquoi les jardins de notre préfecture n’étaient pas transformés en parc public, et ce d’autant que ma petite cité gasconne en est plus ou moins dépourvue. L’historien fort cultivé qui venait avec bonheur de nous parler à la fois de la fameuse poire du Gers et de querelles de clocher ayant abouti à la construction de la cathédrale, sourit et prit un air un peu pincé, me rétorquant que je devais me contenter de leur ouverture annuelle…
Je rentrai donc, le soir, en ma modeste demeure, justement maison natale d’un grand général napoléonien, enterré au Panthéon, dont j’avais enfin admiré le portrait dans la Salle des Illustres de la mairie-vous l’aurez deviné : je n’y suis que locataire…- , le cœur presque gros à force d’avoir aimé.
D’une part, bien sûr, je me disais que même loin de Paris, où je voudrais tant vivre, j’avais pu faire découvrir à mon fiston toute l’âme d’un peuple et d’une région, et il avait souri, lui aussi, devant le savoir truculent de cet adjoint à la culture, puits de sciences et mémoire locale, qui nous avait régalés de ses récits… Découvrir l’Histoire au travers de la vie palpitante de ses acteurs passés, trébucher sur les anecdotes murmurées par la pierre, quelle chance ! Un jour, ainsi, peut-être, des lycéens auront envie d’aller plus loin, d’explorer des archives, de prendre le relai…Car les Journées du Patrimoine sont une magnifique occasion de passer le flambeau, d’offrir la parole testimoniale à ces quidams soudain invités à cent cérémonies…
Mais d’autre part, je me disais aussi que les temps ne changent guère, que bien loin des préfets vit toujours la misère, et que si dans le monde grondent révolutions, c’est aussi car le pauvre est si loin du prospère.
Et aujourd’hui, en ces Journées du Patrimoine 2013, je songe aux enfants de Marseille, à toute cette violence urbaine, à ces cités envahies par les armes de guerre, quand nous avons le privilège, lovés au coeur d’une Europe en paix depuis des lustres, d’être, normalement, épargnés par tous les conflits qui dévastent le monde… Je songe au merveilleux patrimoine des villes et sites du Moyen-Orient, et à ces enfants morts, gazés, bombardés, qui jamais plus ne visiteront même de ruines…
Et je me dis que ces Journées devraient devenir une semaine entière, pour que des écoles puissent se rendre dans ces lieux qui s’appellent la France… Nous avons tellement de chance de posséder cette histoire, de pouvoir la décrypter, en devenir les témoins; un documentaire de France 5 a montré l’extraordinaire quête d’une équipe d’archéologues qui, ayant trouvé un minuscule morceau de métal rouillé dans un ancien village huron, au Canada, avaient, au bout d’une très longue quête, réussi à en démontrer la provenance. Car ce morceau de fer forgé ne pouvait pas avoir existé en terres d’Amérique avant l’arrivée de Christophe Colomb…
http://www.pluzz.fr/le-mystere-de-la-hache-indienne-2012-09-07-20h45.html
C’est un poinçon, un minuscule poinçon en forme de b, qui les avait finalement conduits en Pays Basque, où des baleiniers avaient, dès le 16° siècle, traversé l’Atlantique. Et le film montrait bien les limites de la TRANSMISSION de l’histoire dans les civilisations non dotées de traces écrites ou architecturales, puisque seule la modélisation par ordinateur pouvait, par exemple, donner une idée de ce qu’avait été un village huron de l’époque. Le spectateur découvrait différentes instances indiennes, les descendants des Hurons, très attachés à leur culture, et en recherche de ces traces, fragiles, enfouies dans la terre de leurs ancêtres.
Nous avons, nous, notre histoire et notre patrimoine à portée de regard. Il faudrait y songer plus souvent, en tirer leçons… Il faudrait partager, encore et toujours, éduquer, toujours plus, expliquer, patiemment ; il faudrait que nos villes soient castels en lumières, que les banlieues sordides redeviennent jardins, il faudrait que nos bourgs, nos ruelles, nos palaces, au lieu de devenir proies de bandits de grand chemin, jamais du passé ne fassent table rase, mais en gardent le Beau et construisent un demain.